Aujourd’hui,
c’était une de mes fêtes préférées, la
Pentecôte, qu’ici on appelle la Trinité, une des fêtes dites du Saint Esprit,
et celle-ci en rappelle la descente sur les apôtres..
Néanmoins,
mon inertie intérieure est telle que je ne m’y étais absolument pas préparée.
J’avais juste lu la veille dans le livre du père Costa de Beauregard
« Prie comme tu respires », des considérations qui s’appliquaient
tout à fait à mon cas.
J’avais
rendez-vous au village de Tverdilkovo avec Génia et sa famille, Génia étant
l’homme qui défend avec foi, douceur et détermination les quarante hectares de parc naturel
autour du monastère saint Nicétas, de la source du même, et les berges du lac
immortalisées dans le film « Alexandre Nevski », contre l’avidité et
la grossière bêtise des promoteurs moscovites et des fonctionnaires locaux. Nous ne
nous étions jamais rencontrés, mais le contact a été immédiat.
Le
village se trouve dans la direction de Iouriev Polski, après celui de
Filimonovo, où le cosaque Boris a un terrain où il voudrait fonder une
communauté en permaculture. Les paysages sont magnifiques, vallonnés, très
ouverts, avec de grands prés, des bosquets à l’infini sous le grand ciel du
nord en perpétuelle débâcle, avec ces
églises couleur des nuages qui surgissent comme des apparitions, au dessus de la
verdure et des isbas colorées. En
chemin, je ruminais mon état spirituel lamentable et m’adressais à Dieu :
« Seigneur, j’ai bien compris que je suis tout à fait minable, tire-moi
donc du trou ! »
Je suis
arrivée par un vent vigoureux, émerveillée par l’endroit. L’église est en cours
de restauration, très simple, et ce dénuement lui évite les dérives de mauvais
goût toujours possibles. Elle était jonchée de foin coupé, comme toujours ici à
la Trinité. J’étais en retard, mais le prêtre aussi, c’est un hiéromoine, le
père Gouri. Je suis ressortie pour regarder ces jolies maisonnettes russes,
l’humble petit cimetière, et me suis retrouvée en train de converser avec deux
vieilles, car les gens sont là bas très chaleureux. Elles visitaient leurs
tombes, comme c’est l’usage pour cette
fête, et commentaient l’existence des uns et des autres, comme mon grand-père
ou ma cousine Dany en de telles circonstances. J’avisais une rangée de magnifiques
consoudes bleues que Nina me déconseillait pour chez moi. «Ca fait partir les
orties, me dit une des vieilles, là où elle pousse, plus d’orties. » Je
lui demande : «A qui est consacrée l’église ?
- A
la Trinité, répond-elle
- C’est
quoi, la Trinité ? Sophia, Nadejda, Lioubov?demande sa copine.
- C’est
tiens, regarde ! » Elle fait le signe de croix : « Au nom du
Père, du Fils et du Saint Esprit ! » Puis elle ajoute : «Quand
même, et dire que nous n’avons même pas une icône de la Trinité, dans l’église !"
Plus
tard la même vieille, me louant Pereslavl, en attribuait la fondation à Pierre
le Grand. «Non, dis-je, c’était bien
avant, Alexandre Nevski y est né.
-
Bon, mais il a fait la flotte russe, à Pereslavl.
-
Oui, ça d’accord. Et puis Ivan le Terrible y a beaucoup construit.
- Lui,
il a tué son fils, alors je ne l’aime pas.
-
Pierre le Grand aussi a tué son fils.
-
Jamais entendu dire. »
Il
l’a même fait périr avec préméditation sous le knout, alors qu’Ivan le Terrible
ne voulait pas tuer le sien… Mais c’est comme ça, l’occidentaliste Pierre est
toujours présenté sous un bon jour par les intellectuels et les instituteurs.
De
retour dans l’église, je vois arriver notre hiéromoine Gouri, petit homme assez
insignifiant, et voilà Génia qui nous fait un discours : «C’est une grande
fête, aujourd’hui, et que vous vous soyez ou non préparés, allez vous confesser
au père Gouri, il vous dira si vous pouvez communier ou non mais vous aurez au
moins soulagé votre âme ».
J’opère
un repli prudent vers l’extérieur et tombe sur la femme de Génia, Ira, qui me
dit avec chaleur la même chose. « Je crains un peu les hiéromoines, lui
dis-je, ils sont souvent raides comme la justice !
-
Pas notre père Gouri ! »
Je
retourne dans l’église, qui me plaît beaucoup à tous égards, ainsi que ses
paroissiens, et me souviens de ma prière de tout à l’heure : «Tire-moi du
trou ! » Je prends mon courage
à deux mains et vais trouver le père Gouri, et me surprend à parler, parler, et
lui écoute sans rien dire, mais avec une grande douceur. «Si vous n’avez pas d’énergie
et que tout cela vous pèse, c’est peut être aussi que cela n’est plus de votre
âge, vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous installer ici, allez communier. »
Il m'a rappelé un prêtre que j'avais vu chez le père Valentin. A première vue, je l'avais trouvé très laid, un peu ridicule, une vraie tête de savant Cosinus à lunettes hirsute. Et puis je m'étais rendue compte au bout de quelques temps que j'étais en train de lui raconter toute ma vie avec les détails et que j'éprouvais une vraie libération à le faire. J'avais demandé ensuite au père Valentin qui était cet homme étonnant. "Oh m'avait-il répondu, c'est quasiment un saint".
J’avais
la sensation d’avoir trouvé ma niche spirituelle dans le coin. Mais en réalité,
je l’ai su plus tard en discutant avec Génia et les autres, la niche est
beaucoup plus près de moi que le merveilleux village, c’est ce même monastère saint
Nicétas, dont l’higoumène est le père spirituel de tous ceux qui m’entouraient
là bas, c’est aussi celui de mon plombier, d’ailleurs. Le frère du père Boris
que l’on considère déjà comme un saint, le père Dimitri. A la suite de son
frère, il se met en quatre pour restaurer les églises des villages du coin. Les
moines viennent à tour de rôle officier une fois par mois.
Celle
de Tverdilkovo a deux néomartyrs de Russie en attente de canonisation, un
hiéromoine, le père Barsanuphe, fusillé en1937 et un jeune prêtre marié d’une
grande beauté, Alexandre, je crois, mais je n’ai pas eu le temps de lire ce qu’on
en dit, il semble avoir été fusillé en 42.
Après la liturgie, tout le monde, c‘est à dire une dizaine de vieilles et quelques moscovites en vacance, mange ensemble ce qu’ont apporté les uns et les autres, surtout Génia et sa femme Ira. J’ai fait connaissance avec une dame, Yekaterina Igorievna, qui écrit pour les enfants, elle est biologiste et a une datcha à Filimonovo. C’est une spécialiste de l’évêque chirurgien saint Luc de Crimée.
Après la liturgie, tout le monde, c‘est à dire une dizaine de vieilles et quelques moscovites en vacance, mange ensemble ce qu’ont apporté les uns et les autres, surtout Génia et sa femme Ira. J’ai fait connaissance avec une dame, Yekaterina Igorievna, qui écrit pour les enfants, elle est biologiste et a une datcha à Filimonovo. C’est une spécialiste de l’évêque chirurgien saint Luc de Crimée.
Nous
sommes montés sur le clocher, pour regarder le panorama, à perte de vue ces
ondulations de terre, vertes et bleues. Puis ma nouvelle amie m’a invitée à
Filimonovo, dans son isba décorée. Nous avons bavardé à n’en plus finir, car
nous nous sommes entendues sur presque tous les sujets. Elle trouve qu’un adulte qui n’a pas
sauvegardé son enfance n’a aucun intérêt.
Elle connaissait beaucoup de choses sur l’imprimeur d’Ivan le Terrible,
Ivan Fiodorov, qui était un homme étonnant, un idéaliste et un lettré, car elle
avait écrit à son propos une histoire pour les enfants. Ses livres se vendent
bien, et c’est parfait, car elle s’efforce de rendre aux enfants ce dont la
politique mondialiste, qui s’efforce partout d’imposer ses dikats, cherche à les priver : leur lien avec
leurs parents, leur sol, leur histoire, leur culture.
Elle trouve les gens de Pereslavl très sauvegardés, simples et bons et souvent très croyants, ce qui me paraît exact.
Sa
maison était envahie par les moustiques, ce qui m’a réconciliée avec mon
marécage, où ils sont finalement moins présents ! Elle est juste en face
du terrain du cosaque Boris.
Pendant
que nous jacassions, son mari m’avait déterré un plant de rose trémière…
Avant
de me quitter, Génia et sa femme m’ont dit : «Vous savez, maintenant que l’on
vous tient, on ne vous lâche plus ! »
En
réalité, j’ai le plus grand respect pour à peu près toutes les paroisses et
gens d’église que j’ai vus ici, mais il arrive que l’on se sente chez soi, ou
pas. Il semble que dans l’orbite du père Dimitri, que je ne connais pas encore,
j’ai des chances d’être à la place qui me convient…
Cette journée de la Trinité s'achève, après un gros et bref orage, par un bel arc-en-ciel.
Cette jolie maison est à vendre. |
L'église de la Trinité à Tverdilkovo |
au cimetière |
gros spitz? |
Deux paroissiennes arrivent avec leurs branches de bouleaux |
La maison de Yekaterina Igorievna |
Le terrain du cosaque |
La village de Filimonovo |
L'église de Loutchinskoïé |
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