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dimanche 27 mai 2018

Trinité à Tverdilkovo


Aujourd’hui, c’était une de mes fêtes  préférées, la Pentecôte, qu’ici on appelle la Trinité, une des fêtes dites du Saint Esprit, et celle-ci en rappelle la descente sur les apôtres..
Néanmoins, mon inertie intérieure est telle que je ne m’y étais absolument pas préparée. J’avais juste lu la veille dans le livre du père Costa de Beauregard « Prie comme tu respires », des considérations qui s’appliquaient tout à fait à mon cas.
J’avais rendez-vous au village de Tverdilkovo avec Génia et sa famille, Génia étant l’homme qui défend avec foi, douceur et détermination les quarante hectares de parc naturel autour du monastère saint Nicétas, de la source du même, et les berges du lac immortalisées dans le film « Alexandre Nevski », contre l’avidité et la grossière bêtise des promoteurs moscovites et des fonctionnaires locaux. Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais le contact a été immédiat.
Le village se trouve dans la direction de Iouriev Polski, après celui de Filimonovo, où le cosaque Boris a un terrain où il voudrait fonder une communauté en permaculture. Les paysages sont magnifiques, vallonnés, très ouverts, avec de grands prés, des bosquets à l’infini sous le grand ciel du nord en perpétuelle débâcle, avec ces églises couleur des nuages qui surgissent comme des apparitions, au dessus de la verdure et des isbas colorées.  En chemin, je ruminais mon état spirituel lamentable et m’adressais à Dieu : « Seigneur, j’ai bien compris que je suis tout à fait minable, tire-moi donc du trou ! »
Je suis arrivée par un vent vigoureux, émerveillée par l’endroit. L’église est en cours de restauration, très simple, et ce dénuement lui évite les dérives de mauvais goût toujours possibles. Elle était jonchée de foin coupé, comme toujours ici à la Trinité. J’étais en retard, mais le prêtre aussi, c’est un hiéromoine, le père Gouri. Je suis ressortie pour regarder ces jolies maisonnettes russes, l’humble petit cimetière, et me suis retrouvée en train de converser avec deux vieilles, car les gens sont là bas très chaleureux. Elles visitaient leurs tombes, comme c’est  l’usage pour cette fête, et commentaient l’existence des uns et des autres, comme mon grand-père ou ma cousine Dany en de telles circonstances. J’avisais une rangée de magnifiques consoudes bleues que Nina me déconseillait pour chez moi. «Ca fait partir les orties, me dit une des vieilles, là où elle pousse, plus d’orties. » Je lui demande : «A qui est consacrée l’église ?
- A la Trinité, répond-elle
- C’est quoi, la Trinité ? Sophia, Nadejda, Lioubov?demande sa copine.
- C’est tiens, regarde ! » Elle fait le signe de croix : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ! » Puis elle ajoute : «Quand même, et dire que nous n’avons même pas une icône de la Trinité, dans l’église !"
Plus tard la même vieille, me louant Pereslavl, en attribuait la fondation à Pierre le Grand.  «Non, dis-je, c’était bien avant, Alexandre Nevski y est né.
- Bon, mais il a fait la flotte russe, à Pereslavl.
- Oui, ça d’accord. Et puis Ivan le Terrible y a beaucoup construit.
- Lui, il a tué son fils, alors je ne l’aime pas.
- Pierre le Grand aussi a tué son fils.
- Jamais entendu dire. »
Il l’a même fait périr avec préméditation sous le knout, alors qu’Ivan le Terrible ne voulait pas tuer le sien… Mais c’est comme ça, l’occidentaliste Pierre est toujours présenté sous un bon jour par les intellectuels et les instituteurs.
De retour dans l’église, je vois arriver notre hiéromoine Gouri, petit homme assez insignifiant, et voilà Génia qui nous fait un discours : «C’est une grande fête, aujourd’hui, et que vous vous soyez ou non préparés, allez vous confesser au père Gouri, il vous dira si vous pouvez communier ou non mais vous aurez au moins soulagé votre âme ».
J’opère un repli prudent vers l’extérieur et tombe sur la femme de Génia, Ira, qui me dit avec chaleur la même chose. « Je crains un peu les hiéromoines, lui dis-je, ils sont souvent raides comme la justice !
- Pas notre père Gouri ! »
Je retourne dans l’église, qui me plaît beaucoup à tous égards, ainsi que ses paroissiens, et me souviens de ma prière de tout à l’heure : «Tire-moi du trou ! »  Je prends mon courage à deux mains et vais trouver le père Gouri, et me surprend à parler, parler, et lui écoute sans rien dire, mais avec une grande douceur. «Si vous n’avez pas d’énergie et que tout cela vous pèse, c’est peut être aussi que cela n’est plus de votre âge, vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous installer ici, allez communier. »
Il m'a rappelé un prêtre que j'avais vu chez le père Valentin. A première vue, je l'avais trouvé très laid, un peu ridicule, une vraie tête de savant Cosinus à lunettes hirsute. Et puis je m'étais rendue compte au bout de quelques temps que j'étais en train de lui raconter toute ma vie avec les détails et que j'éprouvais une vraie libération à le faire. J'avais demandé ensuite au père Valentin qui était cet homme étonnant. "Oh m'avait-il répondu, c'est quasiment un saint".
J’avais la sensation d’avoir trouvé ma niche spirituelle dans le coin. Mais en réalité, je l’ai su plus tard en discutant avec Génia et les autres, la niche est beaucoup plus près de moi que le merveilleux village, c’est ce même monastère saint Nicétas, dont l’higoumène est le père spirituel de tous ceux qui m’entouraient là bas, c’est aussi celui de mon plombier, d’ailleurs. Le frère du père Boris que l’on considère déjà comme un saint, le père Dimitri. A la suite de son frère, il se met en quatre pour restaurer les églises des villages du coin. Les moines viennent à tour de rôle officier une fois par mois.
Celle de Tverdilkovo a deux néomartyrs de Russie en attente de canonisation, un hiéromoine, le père Barsanuphe, fusillé en1937 et un jeune prêtre marié d’une grande beauté, Alexandre, je crois, mais je n’ai pas eu le temps de lire ce qu’on en dit, il semble avoir été fusillé en 42.
Après la liturgie, tout le monde, c‘est à dire une dizaine de vieilles et quelques moscovites en vacance, mange ensemble ce qu’ont apporté les uns et les autres, surtout Génia et sa femme Ira. J’ai fait connaissance avec une dame, Yekaterina Igorievna, qui écrit pour les enfants, elle est biologiste et a une datcha à Filimonovo. C’est une spécialiste de l’évêque chirurgien saint Luc de Crimée.
Nous sommes montés sur le clocher, pour regarder le panorama, à perte de vue ces ondulations de terre, vertes et bleues. Puis ma nouvelle amie m’a invitée à Filimonovo, dans son isba décorée. Nous avons bavardé à n’en plus finir, car nous nous sommes entendues sur presque tous les sujets.  Elle trouve qu’un adulte qui n’a pas sauvegardé son enfance n’a aucun intérêt.  Elle connaissait beaucoup de choses sur l’imprimeur d’Ivan le Terrible, Ivan Fiodorov, qui était un homme étonnant, un idéaliste et un lettré, car elle avait écrit à son propos une histoire pour les enfants. Ses livres se vendent bien, et c’est parfait, car elle s’efforce de rendre aux enfants ce dont la politique mondialiste, qui s’efforce partout d’imposer ses dikats,  cherche à les priver : leur lien avec leurs parents, leur sol, leur histoire, leur culture.
Elle trouve les gens de Pereslavl très sauvegardés, simples et bons et souvent très croyants, ce qui me paraît exact.
Sa maison était envahie par les moustiques, ce qui m’a réconciliée avec mon marécage, où ils sont finalement moins présents ! Elle est juste en face du terrain du cosaque Boris.
Pendant que nous jacassions, son mari m’avait déterré un plant de rose trémière…
Avant de me quitter, Génia et sa femme m’ont dit : «Vous savez, maintenant que l’on vous tient, on ne vous lâche plus ! »
En réalité, j’ai le plus grand respect pour à peu près toutes les paroisses et gens d’église que j’ai vus ici, mais il arrive que l’on se sente chez soi, ou pas. Il semble que dans l’orbite du père Dimitri, que je ne connais pas encore, j’ai des chances d’être à la place qui me convient…
Cette journée de la Trinité s'achève, après un gros et bref orage, par un bel arc-en-ciel.

Cette jolie maison est à vendre.

L'église de la Trinité à Tverdilkovo

au cimetière

gros spitz?

Deux paroissiennes arrivent avec leurs branches de bouleaux





La maison de Yekaterina Igorievna

Le terrain du cosaque

La village de Filimonovo

L'église de Loutchinskoïé



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