Envoyé par Vassia Evkhimovitch, celui qui a fabriqué ma vielle-à-roue, est venu me rencontrer un prêtre de Donetsk, le père Nikita Panassiouk, qui se trouve aussi en possession d'une vielle du même fabricant. J'étais sur le point de prendre une leçon avec Skountsev, nous l'avons prise ensemble, et d'ailleurs ils se connaissaient. Cependant, nos deux vielles n'étaient pas sur la même longueur d'onde, le père Nikita ne parvenait pas à s'accorder à la mienne, car il lui fallait changer fondamentalement l'accord de la sienne, et même, il faudrait changer une des cordes, or lorsque j'ai écouté ce qu'il chante, des vers spirituels ukrainiens, naturellement, j'ai trouvé personnellement qu'il ne fallait rien toucher. Je ne pouvais pas chanter sur ma vielle avant que Skountsev ne s'en mêle, mais là, inutile de traumatiser le maître Evkhimovitch, le père Nikita et son instrument tel qu'il est sont en profonde harmonie.
Après la leçon, nous avons pris le thé et longuement discuté. J'ai découvert un homme vrai et profond, très intelligent, d'une grande qualité humaine. Il vit près de la ligne de front, et m'a confirmé tout ce que je savais sur les frappes ukrainiennes contre les civils, les hôpitaux, les écoles et les grands-mères. Il est parfaitement conscient du fait que les journalistes occidentaux et même russes mentent sur la question et qu'en Europe, les gens ne veulent pas savoir, pour ne pas remettre en question la confiance aveugle qu'ils persévèrent à placer dans leurs moyens d'informations "démocratiques". Il a même reçu des journalistes français qui l'ont interviewé et suppose que ce qu'il leur a dit n'est certainement pas passé. D'après lui, l'affaire du Maïdan se préparait déjà depuis un bon moment avant qu'elle n'éclatat, et Yanoukovitch n'était pas un apparatchik plus pourri que ceux qui l'ont précédé, et surtout suivi, qu'ils soient oranges ou non. Mais l'arrogance des oligarques, leurs privilèges féodaux, exaspéraient les gens d'une façon bien compréhensible. Au début, selon lui, quand les gens de son coin avaient affaire à l'armée régulière ukrainienne, cela ne se passait pas trop mal, car les militaires étaient finalement plutôt de leur côté, en tous cas, ils les considéraient comme des concitoyens, et beaucoup appartenaient à l'Eglise du métropolite Onuphre, en communion avec le patriarcat de Moscou. Mais après sont venus les bandits des bataillons punitifs, issus des prisons que le gouvernement de Kiev avait vidées pour lâcher ces individus comme des pit-bulls sur la population civile. Nous avons établi un parallèle avec ce qui s'installe en Europe, où les migrants et les antifas ont la même destination que les néo nazis ukrainiens, exterminer la population réfractaire à l'ordre mondial mafieux qui cherche à s'établir partout. Raison pour laquelle des gens comme BHL, Glucksmann, Ackermann et autre Alexieva ne voient pas à Kiev les saluts hitlériens, mais traquent en France les quenelles de Dieudonné...
Il m'a raconté énormément de choses, et il raconte très bien, mais avec tant d'incidences que je m'y perdais parfois quelque peu. Des horreurs et des miracles... Dans le même immeuble, une de ses paroissiennes emportées par la chute de tous les étages, et un enfant sauvé, resté accroché sur un bout de sol, près d'une icône de la Mère de Dieu, avec devant lui, à la place d'un mur, le ciel.
Il considère le métropolite Onuphre comme un saint homme. Son propre métropolite a quelques défauts, mais il avait les larmes aux yeux de les avoir fugitivement évoqués, car il a par ailleurs de précieuses qualités: "J'en suis venu à la certitude que nous n'avons pas à juger, c'est Dieu qui le fera, car nous formons un seul corps, et parfois, tel qui nous parait trop aimer la boisson ou l'argent, a par ailleurs des révélations que nous n'avons pas, ou accomplit des exploits dont nous ne sommes pas capables. De plus, je crois que Dieu nous donne un défaut ou un péché particulièrement incorrigible et parfois honteux pour que nous ne nous prenions pas pour des saints, pour que nous ne nous relâchions pas. Donc toutes ces histoires, la Rollex du patriarche, les popes à Mercédès, cela ne m'intéresse pas.
- Oui, j'ai eu la même démarche en ce qui me concerne. L'Eglise m'apparaît comme un tout où l'on trouve de tout, mais c'est vrai aussi de chaque personne qui en fait partie, tel prêtre qui a laissé tomber sa femme reste pourtant un fervent orthodoxe, et même Ivan le Terrible, sur lequel j'ai écrit un roman, était un croyant sincère, c'est comme les communistes, que je trouve en principe insupportables, mais le dosage est différent d'un individu à l'autre, et il est atténué par d'autres qualités . Qui plus est, comme disait le père Vsévolod Schpiller, l'humanité est Une, l'Eglise d'autant plus, et nous sommes tous reliés, ici, il fait plus clair que là bas, mais tout circule, c'est une erreur de l'occident humaniste que de considérer les gens comme des individus étanches."
Le père Nikita a failli devenir vieux-croyant et m'a parlé d'une expédition qu'il a faite pour se rendre dans un village et interroger un prêtre vieux-croyant, se lançant à la sortie du train et à la tombée de la nuit, dans une marche de 25 km à travers la neige, dont l'a sauvé un autobus qui passait par hasard, et l'a mené à bon port. Il a débarqué au XVII° siècle, dans un village de moujiks barbus, avec des chapkas, des touloupes et des bottes de feutre, et s'est retrouvé dans l'isba du prêtre, où lui-même et ses compagnons étaient chichement éclairés par la veilleuse du "beau coin", et le vieillard à contre-jour, avec une auréole de cheveux blancs et un visage obscur qui lui donnait l'air d'une icône ancienne assombrie par le temps, jusqu'au moment où la femme de celui-ci a allumé l'électricité, en lui disant: "Non seulement tu les laisses assis dans le noir, mais en plus, tu les fais mourir de faim!"
Le père Nikita comprend comme moi que le "formalisme" reproché aux vieux-croyants est en réalité plein de sens. Leur vie est imprégnée de symboles, et derrière le symbole, il y a toujours un sens, c'est lorsqu'il est oublié que cela devient du formalisme. La vie des vieux-croyants est très proche de celle des gens du moyen âge, ou même de la Russie prérévolutionnaire. Une dimension oubliée de nos contemporains, mais il pense que nous, exilés dans le temps, comme le dit le père Valentin, nous existons pour témoigner de tout cela dans les ténèbres.
Il m'a enregistrée et j'ai découvert que les leçons de Skountsev n'étaient pas vaines, car je suis arrivée plus ou moins à adapter ma vielle à différentes chansons que je n'avais pas chantées depuis longtemps. Il lui paraît très important d'ouvrir ses paroissiens et les cosaques locaux au folklore qu'ils ont oublié, et je le suis complètement sur ce point. En dehors de la vielle, son autre hobbit, c'est le tissage de ceintures traditionnelles, et il va m'en envoyer. Il m'invite à Donetsk, au moment des cerises et des abricots et me promet de "tout me montrer". Il veut aussi me faire rencontrer ses paroissiens, que je chante pour eux, leur raconte ma vie... Bref, il est venu me donner l'impulsion qui me manquait pour me lancer dans un pareil voyage et me rendre dans ce pays résistant dont j'ai soutenu et soutiens encore la lutte...
En partant, il m'a donné sa bénédiction, et m'a demandé de tracer le signe de croix sur lui, pour la route. "Voyez, me dit-il, il ne faut pas rester sur place, partir, marcher, c'est déjà se trouver dans l'espérance".
Encore une fois je vous remercie pour cette chronique. Celle-ci apporte un éclairage sincère des affrontements en Ukraine. Vous avez raison, l'on nous bourre le crâne. A nous de faire le tri. Vous nous y aidez ! A.B.
RépondreSupprimerQuelle belle vie tu as !
RépondreSupprimerJ'ai réussi ! Слава тебе Боже наш !
RépondreSupprimerJ'en suis ravie !
SupprimerСпасибо Вам огромное! Отец был очень счастлив пообщавшись с Вами! Он вернулся таким вдохновленный и с новыми силами! Надеюсь, что у Вас все таки получится приехать в гости в Докучаевск. Уверен, что Вы будете в восторге от знакомства с теми местами!!!
RépondreSupprimerЯ тоже радуюсь знакомством ии обязательно приеду если нет какого-то форсмажора....
Supprimermerci Laurence pour vos paroles, elles me confirment et me renforce dans la foi en Christ ,toujours un un bienfait de vous lire
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