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jeudi 25 mars 2021

Constat

 


Pour la première fois depuis des mois, j'ai ressorti mon banc sur le perron, décidant d'ignorer le voisin, sa maison et sa voiture, pour profiter d'un soleil chaud et éclatant. Aussitôt s'est déclenchée près de moi une bataille de chats. Robert qui n'est plus si humble ni si discret, entendant se coucher près de moi, ce qui scandalisait Rom et Moustachon, et en plus, le chat de la mère de Génia veut toujours se joindre à mon troupeau, comme si je n'avais pas assez d'emmerdeurs dans le circuit. Mais bon, plus ou moins, au bout d'un moment, j'ai pu profiter de ce merveilleux  moment dehors, avec un vent doux et recueuilli, une de ces brises russes mystiques des premiers beaux jours. Pas longtemps, car comme cet été, des camions de terre ont commencé à passer pour aller se déverser dans le marécage, la construction de boîtes d'allumettes plastifiées semble vouloir reprendre.

Le vieux voisin d'en face est venu au portillon: "Tu as vu toute l'eau que tu as? "

J'avais vaguement vu, cela fait plusieurs jours que je le vois, mais je remettais le constat à plus tard. Mon terrain est complètement inondé côté sud, ce n'est plus un marécage, c'est un étang. Devant le portillon, j'ai une mare, il faut passer avec des bottes en caoutchouc, et le sentier pour y aller est complètement spongieux. Le canal qui borde le terrain déborde, tout le bas de ma clôture trempe dans l'eau. Le vieux m'a raconté que lui, à cause de toute la terre que les constructeurs de merdouilles déversent au bout de son terrain, il a de l'eau dans sa maison même, il circule chez lui avec des bottes en caoutchouc. Et bien sûr, cela continuera, personne n'arrêtera ces sauvages et ne les empêchera de ravager le coin et très probablement l'écologie du lac. "Il faut que tu saches, me dit le vieux; que maintenant, les gens, c'est chacun pour soi. Avant, à la campagne, on n'était pas comme ça. Mais maintenant, voilà les gens que nous avons."


Arrive le voisin. Car ce gros balourd souffre de mon hostilité, il veut que je l'aime. Lui-même, d'ailleurs, a de l'eau dans son bain de vapeur. Il attribue tout cela à l'enneigement exceptionnel, mais je ne le trouve pas si exceptionnel que ça, en revanche, je n'ai jamais vu autant d'eau, et comme je le lui ai fait remarquer, le canal déborde chez moi, mais de l'autre côté de l'accès qu'il a fait pour sa bagnole, il est vide. Il m'affirme qu'il a mis un tuyau. Mais plein de bonne volonté, il va regarder ce qui se passe de ce côté-là. Il m'a à nouveau proposé de noyer mon terrain sous la terre. Je lui ai répondu: "Vous voyez bien que ma maison est plus basse. Où ira l'eau? Dans ma cave. Elle y est déjà." Il m'a avoué "qu'il n'y avait pas pensé" mais qu'il lui "fallait bien construire" et dans un marécage "il faut obligatoirement mettre de la terre"', d'ailleurs il ne comprend pas, parce que les gens, d'habitude, trouvent normal que les voisins construisent! Beaucoup, en effet, se fichent pas mal de voir une maison devant leurs fenêtres, ou des voitures, parce qu'ils ne regardent jamais rien, ni le ciel, ni les arbres, ni les fleurs, sauf dans le petit massif qu'ils vont faire avec un vieux pneu ou une cuvette de chiottes. Lui par exemple, il trouve super de voir sa bagnole depuis sa terrasse. 

Cependant, il est prêt à chercher des solutions, ce qui est déjà pas mal, encore que je me demande s'il y en a, et si en plus de ce qu'il a fait, ce que font les autres andouilles du côté des voisins d'en face n'aggrave pas le problème.

Toujours est-il que si je sauve ma maison, et heureusement, je suis située relativement haut par rapport au reste, contrairement à mon pauvre voisin d'en face, et si j'arrive à faire pousser des arbres ou arbustes, tout ce que je pourrai faire, désormais de cette bande de terrain, c'est la laisser envahir par les roseaux.

Cependant, déménager n'a pas de sens, comme me le disait Liéna Asmus au téléphone, dans les endroits perdus, on ravage la taïga, et cela me rendra malade de voir cela tout autant. Il faut s'évader désormais par le haut. En gros se préparer à passer dans l'autre monde, en aménageant son ilôt au milieu du bordel planétaire de façon à le rendre aussi agréable que possible, en attendant l'écroulement inévitable d'une civilisation aussi tordue.










2 commentaires:

  1. C'est St Silouane qui a dit "Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas "… En fait je ne sais pas si c'est une bonne citation pour la circonstance mais "s'évader désormais par le haut" est une des solutions en effet.

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    1. Oui, tiens, si, si, elle est très bien choisie, car ce n'est pas seulement l'esprit que nous aurons en enfer, désormais!

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