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mardi 30 mars 2021

Table rase

 A Moscou, bien que sans hystérie, sans flics à tous les coins de rue ni amendes au moindre mouvement, j'ai trouvé qu'il y avait encore pas mal de concombres masqués. Dans le métro, une représentante de cette population mutante transnationale s'est même levée pour ne pas rester à côté de moi, facteur potentiel d'infection irresponsable non pourvu de la muselière de rigueur. 

Depuis le début de l'opération Covid, j'ai encore plus de mal à secouer ma flemme pour me rendre dans la capitale.

A l'église, on continuait aussi à appliquer les mesures Covid, or je n'en ai vraiment pas l'habitude, car à Pereslavl Zalesski, à part les verres jetables dont, dès le premier jour de leur apparition, un cosaque m'avait proposé de partager le sien avec un bon sourire, tout se passe comme depuis la nuit des temps. L'eglise des Quarante Martyrs proclame même sur une affiche: "Ici, personne n'est malade, personne ne porte de masque, si vous l'êtes et avez besoin de le faire, prenez vos responsabilités."

En réalité, je ne sais pas comment les gens font pour ne pas trouver tout cela suspect. La consigne normale serait de porter un masque et surtout de rester chez soi quand on est malade, étant entendu que le masque sert surtout à éviter les projections de ceux qui toussent et éternuent. Autrement le virus, lui, il s'en fout complètement. Ce qui est curieux, c'est que Poutine a déclaré que tout cela, c'était fini, or apparemment, tout cela, ça continue quand même. 

J'ai réussi quand même à voir mon père Valentin et sa famille, et à prendre un petit déjeuner carémique à la chocoladnitsa avec Dany avant d'aller chez elle.

En passant, Dany m'a montré l'endroit où un Anglais projetait la construction d'un énorme hôtel, en plein dans ce quartier de Sretenka, qui est l'un des rares à avoir gardé du charme et un caractère homogène. Le même genre de projet menace le quartier de Zamoskvorietché, miraculeusement parvenu jusqu'à nous sans trop de dommages. Et celui d'Ivanovskaïa Gora. 

Dans le même temps, j'ai lu que la ville d'Irkoutsk, qui était très pittoresque, d'après ce que j'ai entendu dire et les photos que j'ai vues, était soumise à des destructions systématiques. Je crains pour Iaroslavl, Vologda, Kostroma, je crains pour toute la Russie, au delà de la cupidité et de la stupidité, il semble y avoir là derrière un projet idéologique, dans le prolongement de celui du communisme, la table rase. Pour préparer cette fois le mondialisme transhumaniste. Encore une fois, que fait Poutine?  

J'ai acheté en trois tomes un recueil des photos en couleur de Prokoudine-Gorski, faites au début du XX° siècle sur la commande de Nicolas II. C'est bientôt tout ce qu'il restera de ce pays merveilleusement beau et poétique, à la civilisation très originale, qui s'appelait la Russie, et dont je rêvais tellement dans mon jeune temps. Les photos en couleur donnent une vie extaordinaire à ces vues. si l'on y réfléchit bien, ce n'est d'ailleurs pas si vieux, tout cela. Mais que de chemin nous avons fait déjà à l'intérieur de l'enfer. Tout est si rapidement devenu méconnaissable, les sites et les gens, quelle brutale et terrible dégradation...



Pereslavl

Rostov



Le voisin est venu m'exposer ses idées pour réparer les dégâts causés à mon terrain. Cela l'ennuie que nous n'ayons pas de bonnes relations, ne pas avoir de bonnes relations avec le voisinage est une mauvaise chose. Et il m'a donné des conseils pour aménager mon terrain, soit un sentier bétonné surélevé le long de la maison pour servir en quelque sorte de digue. Je lui ai objecté que ce serait positivement affreux, et visiblement, c'est un point qui est au dessus de sa compréhension. De même que mon désir de me cacher derrière une haie. "En dehors de toute considération esthétique, ai-je essayé de lui expliquer, je suis à la vue de tous, j'ai l'impression d'être dans une cage au zoo ou dans un aquarium. Mais le côté esthétique est important pour moi. Je n'ai envie d'admirer ni votre maison, ni votre voiture, ma voiture, je la gare derrière chez moi pour ne pas la voir. Il n'y a que deux maisons pittoresques et normales ici, ce sont celle de l'oncle Kolia en face, et celle d'Ania. Les autres, excusez-moi, mais je n'ai pas envie de les voir, car elles sont toutes plus moches les unes que les autres, et quand elles sont en plus précédées d'un parking ou environnées de pelleteuses et de serres en plastique, je préfère planter des thuyas, puisque c'est trop petit pour les sapins, et cacher ce désastre."

J'ai vu que ce que je lui racontais là lui paraissait absolument extraordinaire. Lui, il est tellement façonné par le moche que c'est devenu son milieu naturel. Pourvu qu'il y ait trois bégonias dans un pneu de voiture reconverti en massif, cela lui paraît bien suffisant. 

Les gens comme lui ne voient aucun inconvénient au saccage de Pereslavl, d'Irkoutsk, de Rostov ou autres villes historiques ravissantes. Il n'a déjà plus rien à voir avec ceux qui les ont construites, ce n'est plus un Russe, c'est un post-soviétique.

Je suis quand même soulagée de ne pas avoir à passer toute une vie dans une époque pareille. S'adapter à une existence de rat technologique sur un tas d'ordures n'est pas fort exaltant.

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