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lundi 8 mars 2021

Talismans


Skountsev m'a expliqué hier comment les jeunes veuves allaient parfois trouver des sorciers pour jeter un sort à un homme marié, qui alors quittait sa femme et ses enfants pour elle, sans pouvoir revenir, même s'il en avait envie, jusqu'à ce que sa femme fît la même démarche auprès d'un sorcier qui le délivrerait du sort. Il m'a dit lui-même qu'au retour de chaque concert, il s'aspergeait d'eau bénite, avec sa famille. Parce qu'il pouvait y avoir dans le public des gens qui ont le mauvais oeil. Je lui ai parlé de poupées talisman traditionnelles dont j'ai fait l'acquisition. "Marina sait très bien les faire". Arrive Marina: "Vos poupées, vous leur avez mis des croix? 

- Non...

- Ah, il faut!"

Elle m'explique que ces poupées ont toutes sortes de fonctions, et que si on souffrait de quelque chose, il fallait accrocher la poupée correspondante à son lit, et la brûler le jour de la fête de l'Annonciation. 

J'écoutais tout cela avec une sensation de plongée dans l'espace temps du genre de ma lecture du roman Lavr, les Quatre Vies d'Arsène. Volodia et Marina, Marina, encore, cela ne m'étonne pas trop, Volodia un peu plus. Un homme finalement assez près de la terre, malin, réaliste. Il y croit dur comme fer. En même temps, il déteste le néopaganisme de certains folkloristes. Il trouve que cela n'a pas de sens et que cela ne correspond pas à la réalité. La réalité, comme me le démontre ce couple de vieux-croyants, c'est que sur tout ce paganisme que revendiquent des blancs-becs avides de retrouver leurs racines, on a posé les croix que Marina me recommande d'accrocher sur ces talismans, Il existe toujours, mais digéré, sanctifié, et alors plus de problèmes. A quoi bon en confectionner une copie fantaisiste, quand il s'inscrit dans l'énorme mémoire de la tradition populaire, comme une série de couches géologiques inférieures? Et à quoi bon, d'un autre côté, lutter contre, quand tout cela souvent s'accompagne d'une foi vive qu'on assimile trop facilement à de la superstition? Comme si notre monde n'offrait pas de sortilèges bien pires, de pièges plus dangereux.

Sur un groupe russe consacré au christianisme dans le cadre politique, dont je constate que je fais partie sans me souvenir de l'avoir décidé, je vois tout à coup qu'un individu compare l'Eglise Orthodoxe Russe à une secte, et déploie tout l'agumentaire de l'anticlérical bas de plafond. Je lui ai volé dans les plumes, après avoir examiné sa page, où j'avais vu qu'il résidait au Etats-Unis, et qu'il enseignait dans je ne sais plus quelle structure gouvernementale. Aujourd'hui, je note qu'il exhibe dans le même groupe une citation du patriarche Cyrille comme quoi améliorer notre existence terrestre était une démarche pécheresse et satanique. Outre qu'à mon avis, la citation est modifiée, elle est dépourvue d'un contexte qui donnait un autre éclairage à cette question qui, d'ailleurs, mérite réflexion quand on voit le cul-de-sac où s'est fourvoyé la civilisation du Progrès exponentiel. C'est ce que j'ai répondu, et revenant à la page de ce type, je vois qu'il en avait effacé tout ce qui concernait sa résidence et ses activités aux Etats-Unis! Je lui ai demandé pourquoi il l'avait fait, est-ce que par hasard, il aurait honte? Ceci me confirme dans l'idée que beaucoup de dissidents professionnels, comme la mère Ackermann et l'abominable prix Nobel Alexievitch, sont des russophobes rabiques qui ont d'ailleurs gardé toutes les ficelles de l'agitprop communiste, étudiée dans leur passé de komsomols, à mon avis tout à fait zélés. Et ces gens-là servent maintenant la CIA et l'OTAN avec une méchanceté inlassable, mentant, déformant et calomniant avec ivresse, raison pour laquelle on les invite partout à répandre leur venin sur les ondes.

J'ai eu une explication avec ma locataire du moment qui semble investie de la mission de me convertir à la communauté à laquelle elle appartient et brûle de partager avec moi ses extases spirituelles sur internet. Je suis toujours sidérée par les gens qui pensent devoir infliger leur vérité révélée à tous ceux qui passent à leur portée. Lorsqu'il m'est arrivé d'avoir des révélations, elles s'accompagnaient du sentiment que d'abord elles étaient indicibles, et que si on pouvait essayer d'en témoigner de façon écrite, il était exclus d'en entretenir son entourage, à part quelques personnes choisies qui partagent la même quête. J'ai naturellement un sale caractère. Je m'en suis confessée à l'évêque: "Je n'aime pas qu'on se glisse dans mon âme." Rire de l'évêque: "Surtout si l'on a craché dedans au préalable !

-  Oh mais non, elle n'a pas craché dedans !

- C'est une citation d'une chanson de Vissotski: je n'aime pas qu'on se glisse dans mon âme surtout quand on a crache dedans au préalable".

L'équivalent français de l'expression russe "cracher dans l'âme" serait "chier dans les bottes" qui est plus prosaïque, et ne concerne pas directement l'âme.

Le voisin que je n'avais pas vu quand je suis sortie balayer le perron m'a souhaité une bonne fête (du 8 mars) d'une voix sépulcrale. Ce gros couillon vert est tout à fait ennuyé que je ne déborde pas d'affection à son égard et ne me réjouisse pas de le voir s'affairer autour de sa bagnole des que je mets le nez dehors pour respirer et regarder ce qu'il me reste de ciel. Je devrai également être ravie cet été de voir sur sa terrasse de bruyantes familles me faire bénéficier de leurs soirées chachliks. Et il va falloir me résigner à lui parler pour obtenir au moins qu'il installe un drainage digne de ce nom et ne m'inflige pas d'inondations annuelles. J'attends avec impatience que le cosaque Romane me déplace le perron pour que le matin je puisse sortir sur le palier et prendre un petit dej en silence, sans avoir à échanger des banalités avec des gens dont je n'ai rien à foutre. J'aurai l'isba d'en face au travers du poirier, ce sera nettement plus supportable, longue vie au vieux qui en occupe la moitié car je risque fort de voir un monstre de plus quand il passera de l'autre côté.

Bon, je prie quand même pour que Dieu rende le voisin moins con, mais le mal est fait.

Car déménager est problématique. Il y a une maison qui me plaît beaucoup, dans Pereslavl, par sa situation, la façon dont elle est agencée, son jardin en L au fond d'une impasse, ses grands arbres, mais pour l'acquerir il faut impérativement vendre la mienne, et il y a des travaux assez importants, ce sera le déménagement en catastrophe et l'emménagement de même avec des mois de bordel, de joyeux ouvriers dans les murs, je me demande si j'ai encore les forces. Sinon,  c'est l'option campagne, mais si cela me tente beaucoup, je commence à me faire vieille. Ou alors l'option Ferapontovo, loin des horreurs planifiées dans notre malheureux Pereslavl. J'ai vu en photo une maison au bord du lac, ce sont les derniers chapitres d'Epitaphe. Mais la aussi il faut beaucoup d'énergie, changer de région, avec toutes les démarches administratives que cela implique, partir à 450 km avec armes, bagages et chats innombrables… Et si ça se trouve dans cinq ans je suis morte.

Parce que les projets pour Pereslavl, et pour toutes les petites villes pittoresques de l'anneau d'or, censément pour attirer les touristes, c'est l'horreur absolue. L'inculture, la grossièrete, l'avidité et le mauvais goût déchaînés. On peut évidemment se dire que cela sera comme ça partout, et faire comme l'orchestre du Titanic qui joua jusqu'au bout. 


projet de défiguration complète de la pittoresque embouchure 
de la rivière Troubej


2 commentaires:

  1. Vendez et revenez - ou changez de pays.

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    1. Pour aller où? Non seulement je n'ai plus la force, mais je crains que cela ne devienne comme cela partout. De plus, j'ai des liens profonds avec ce qu'il reste de Russie,et ce qu'il reste de Russie, on peut dire que c'est tout ce qu'il me reste. Je pourrais à la rigueur aller plus au nord, mais cela demande beaucoup d'énergie.

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