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lundi 15 janvier 2024

Tradition

 


A trois heures et demie, tout à coup, il fait encore plein jour. C’est la première fois que je réalise vraiment que le processus s’est inversé, que la lumière revient. Quel bonheur.

Invitée par l’institut Philarète, j’ai fait un saut à Moscou. On m’a offert le taxi dans les deux sens et en plus j’ai vendu des livres. Je ne peux pas dire que j’ai tellement bien joué ni chanté, je me suis plantée quelques fois, et pour ce qui est de parler, j’ai parfois bien du mal à transmettre mes idées, j’ai l’élocution embarrassée, je cherche mes mots, je les cherche même en français. Mais les gens sont contents, ils en redemandent, ils me payent le taxi pour venir leur parler et leur chanter quelque chose. Ils m’ont reçue très gentiment, et j’ai vu Quentin le Belge, son ami Ivan, qui est un rapatrié russe récent, et n’a pas du tout une tête de Belge, il est vraiment russe à jouer dans une adaptation d’un roman de Dostoievski. Et puis Alexandre et Anna Messerer, les peintres. J’ai rencontré une dame charmante qui parlait très bien français. J’ai fait des mondanités.

On m’a demandé de raconter comment j’avais découvert la Russie, l’orthodoxie, pourquoi j’avais aimé l’une et l’autre, enfin en somme, de raconter ma vie. Et puis, quels sont les traits de la Russie éternelle qui subsistent de nos jours, et comment régénerer la Russie, retrouver ses sources, quelle projection dans l’avenir, etc... J’ai répondu comme j’ai pu, n’étant pas politologue, c’est-à-dire que j’ai résumé ce que je dis dans mon blog depuis sept ans. Je m’inscris dans un programme de témoignages d’étrangers venus vivre ici, tout cela est filmé et archivé.

L’institut Philarète a été fondé par le père Gueorgui Kotchetkov qui cherche à promouvoir l’usage du russe, à la place du slavon d’église, pour les liturgies. Cela n’est pas  très bien perçu, à commencer par mon père Valentin. J’en ai parlé avec mon amie Liouba, car à priori, je ne suis pas contre l’usage du russe, en tous cas, je suis pour que ce soit permis, or c’est ce qu’a fait le patriarche. On peut célébrer en russe, on peut aussi célébrer avec tous les usages des vieux-croyants, le spectre est large. Liouba préfère le slavon, qu’elle trouve plus noble et plus subtil, mais me dit-elle : « Au début de ma vie spirituelle, j’allais chez le père Gueorgui, parce que je comprenais tout. Et comme je ne savais rien, j’avais besoin de comprendre.

- Beaucoup de Russes, et aussi le vieux-croyant Skountsev, me disent que l’on ne comprend pas seulement par les mots, et puis qu’on peut faire l’effort d’apprendre un minimum de slavon. Quand je suis devenue moi-même orthodoxe, je ne comprenais pas grand chose, et effectivement, l’essentiel m’a été accessible au delà des mots, ce fut le cas de bien des Français convertis par le père Barsanuphe qui, eux, ne comprenaient absolument rien, et lisaient tout en traduction. Dans mon cas, j’ai été sensible aux icônes en premier lieu, les icônes sont, dit-on, de la théologie silencieuse, de la théologie en image. Et puis à la cohérence des rites, de la musique et de l’iconographie. Mais quand j’ai commencé à aller à Solan, j’ai vraiment apprécié de tout comprendre. Le père Barsanuphe se cramponnait au slavon, et dans son monastère auvergnat, ses quatre moniales célébraient en slavon, on se serait demandé pour qui, si n’étaient montés de Clermont-Ferrand des Serbes et quelques Géorgiens. Il me disait que les traductions étaient mauvaises. Le slavon et le russe sont naturellement moins éloignés, c’est un peu comme si nous célébrions en vieux français. Mais quand même, à Solan, je m’étais rendu compte que les offices étaient extrêmement pédagogiques, la dimension mystérieuse, c’est justement le rite et les icônes, mais les paroles ont leur importance, puisque le chant byzantin doit porter le texte avant tout.

- Tu comprends, en effet, les gens peuvent apprendre le slavon, mais ils ne le font pas forcément, et parfois, ils essaient mais n’y arrivent pas. Il ne faut pas leur compliquer trop les choses. Je trouve bien qu’on nous laisse le choix. »

Le père Valentin lui-même n’est pas d’ailleurs fondamentalement contre l’usage du russe, mais contre toutes les innovations qui accompagnent possiblement son adoption, et c’est aussi mon avis. A Solan, tout est en français, mais tout est canonique, c’est le mont Athos en français. Le slavon relie la Russie actuelle et la Russie ancienne, et c’est aussi une langue commune à tous les slaves orthodoxes. C’est un élément qui complique la question. On n'a pas envie de briser ce lien liturgique avec le passé et avec des peuples frères.

La communauté que j’ai vue a une chapelle dans son institut, tout est fait avec beaucoup de simplicité et de goût, mais l’iconostase est symbolique, une structure en métal, sans icônes, il n’y a que très peu d’icônes, d’ailleurs. Or l’iconostase sépare mais elle relie, aussi, que deviennent la Déisis, les icônes des douze Fêtes? Et puis, il y a des moments où Dieu s’efface de notre vie et des moments où Il se révèle, le fait de fermer ou d'ouvrir les portes, de laisser voir ou de cacher le sanctuaire selon les moments de l'office me paraît avoir tout son sens. Paraît-il que les premiers chrétiens n’avaient pas d’iconostase, mais je me méfie des usages perdus que l’on récupère, nous ne savons pas vraiment comment tout cela se pratiquait à l’époque, nous avons un tout organique qui s’appelle l’Eglise, avec sa Tradition, c’est une construction millénaire qui a sa cohérence. Les premiers chrétiens, jusqu’à l’apparition du Suaire, représentaient aussi le Christ comme un éphèbe grec imberbe... Bernard Frinking avait découvert que les Evangiles étaient chantés et que les gens les savaient par coeur, et je suis persuadée qu’il avait raison, les gens apprenaient tout par coeur à l’époque, et ils chantaient pratiquement tout, l’Evangile d’autant plus. Cependant, je n’ai jamais été très convaincue par la reconstitution qu’il faisait de tout cela. Justement parce que c’était une reconstitution. Ce qui est transmis est parfois modifié mais vivant, ce qui est reconstitué pas forcément. 

J'ai entendu parler d'un film, que je n'ai pas encore vu, mais j'ai compris qu'il était dans le genre progressiste et critique, cela s'appelle "les passions selon Matthieu", et si j'ai bien compris, c'est l'histoire d'un séminariste que son entourage pousse à se marier pour pouvoir être ordonné prêtre, et ensuite il rencontre une jeune femme qui est à l'opposé de tout ce qu'il est et croit, mais il en tombe amoureux. Un jeune séminariste, au visage particulièrement sympathique et lumineux, commentait ce film en disant qu'il n'avait pas aimé la façon caricaturale dont on représentait les prêtres, et ensuite, j'ai vu un débat entre un prêtre, sa femme, et le metteur en scène, qui se disait orthodoxe, mais affirmait qu'il fallait sortir l'Eglise de sa bulle, lui reprochant d'être hors du monde et loin des besoins de la jeunesse, car enfin, la plupart des gens qui se marient de nos jours savent qu'en cas de mésentente, ils pourront toujours divorcer, et les prêtres ne le peuvent pas, ne peuvent pas se remarier. Et puis il fallait dissocier l'Eglise de tout le fatras russe, y laisser entrer le jazz etc... Je l'écoutais et voyais une magnifique taupe forer ses tunnels dans le sol de l'orthodoxie pour y répandre absolument n'importe quoi. Déjà, depuis la mienne, de jeunesse, je me méfie de ceux qui la flattent et veulent tout lui faciliter, c'est comme cela qu'on a élevé chez nous tant de moules et de nouilles. Si un prêtre se marie avec l'idée qu'il peut éventuellement refaire sa vie, il n'y a plus d'engagement ni d'exemple donné aux fidèles. Bien que naturellement, je compatisse beaucoup aux difficultés des gens mal mariés, ou des prêtres que leur femme laisse tomber, et cela arrive malheureusement. Mais glisser dans la conscience des gens que tout cela est bien trop difficile, et que l'Eglise pourrait leur faciliter la vie, et puis leur permettre aussi de rendre tout cela plus jazzy, tout en égratignant au passage la culture russe qui n'a vraiment pas besoin de cela, j'ai trouvé cela un peu too much... J'ai exprimé mon avis dans les commentaires, j'ai dit que j'étais Française, que j'avais choisi l'orthodoxie justement parce qu'elle était hors du monde, de ce monde, et que je n'avais nulle envie de voir arriver dans l'Eglise toute la vulgarité et la bêtise que je ne savais plus où fuir. J'ai ajouté que j'avais vu le résultat de la permissivité que l'on prônait là, où cela nous avait conduits. Pour l'instant, je n'ai eu aucune réponse de personne!

 Un ami perplexe m'envoie des messages d'un Français de la haute qui sont à la fois stupides et dingues, à un point terrifiant. C’est le genre de choses que je lisais chez les Ukrainiens au moment du Maïdan. On a l’impression d’avoir affaire à des fous, des possédés, qui délirent de haine dans une fantasmagorie qui les dévore, comme les damnés les flammes de l’enfer. Ceux-là sont vraiment prêts à griller des enfants à la broche, pourvu qu’ils soient des « barbares » ! Et eux, aveugles volontaires, déchaînés et bornés, on les caractérise comment ? Ils ne voient rien et n’entendent rien, derrière la tonitruante sarabande de leurs démons, et j’imagine que cela puisse se poursuivre dans l’au delà, que dans les siècles des siècles, ils continueront à éructer sur les Russes, alors qu’ils ont si bien su perdre leur pays tout seul et l’ont déjà livré à des invasions dont il ne se remettra jamais. Que pensent-ils que Poutine ferait de la France? Gérer un pays comme la Russie est déjà bien assez compliqué, mais des hallucinés, envahis par toute l'Afrique, contrôlés par l'Amérique, son UE et son état profond, et contents de l'être, se préoccupent d'une fantasmatique conquête russe... Cela me fait penser à certaines féministes, horrifiées par l'idée du viol quand il est commis par un blanc, mais tout-à-fait disposées à l'excuser dès lors qu'il est infligé par un ou même plusieurs agresseurs exotiques.

Pour remettre les pendules à l'heure: https://www.youtube.com/live/R4HRWQPV6BU?si=fFjttrqsDixrp0FM



 

dimanche 19 juillet 2020

La mort des coquillages


Photo Thierry Legault
C’est avec consternation, et une sorte de terreur sacrée, que j’ai appris l’incendie de la cathédrale de Nantes et la disparition de son orgue vieux de 400 ans. Quand Notre Dame a brûlé, j’ai su que c’était le début de la fin, que tout l’héritage de la France encore miraculeusement conservé allait subir le sort de celui de la sainte Russie, qui n’existe plus qu’à l’état résiduel, et que risquent d'achever l’incurie, l’ignorance, la cupidité et la stupidité. La différence est que ce qu’il reste de Russes se mobilise avec l’Eglise orthodoxe pour tenter d’en sauver les vestiges, car ils sont considérés par ce petit troupeau comme quelque chose de sacré, il arrive même que des incroyants y tiennent encore par patriotisme.  Alors qu’en France, il serait plus difficile, me semble-t-il, de regrouper la résistance autour des merveilles léguées par nos ancêtres, et qui  sont non seulement belles, mais pleines de sens, car tout ce qu’on faisait au moyen âge était avant tout porteur de sens. Chaque sanctuaire était en soi un livre saint et un reliquaire, chaque sanctuaire est un message qui nous est adressé à travers les siècles, et je ne parle pas de la dimension mystérieuse qui, en Russie, fait même des icônes ou églises décadentes, qui ont perdu ce sens, et ne le transmettent pas, lorsqu'elles sont « imprégnées de prières », comme on dit ici, des objets chargés. Ainsi en est-il de l’icône sentimentale, académique et opaque devant laquelle priait saint Séraphin de Sarov. Dans cette perspective, le père Placide, par exemple, se souciait peu de l’authenticité des reliques car, disait-il, à partir du moment où des générations de gens avaient prié devant elles et les avaient honorées pendant des siècles, elles avaient quasiment la même vertu que des reliques authentiques. On voit même ici des copies d’icônes miraculeuses disparues prendre les vertus des originaux.
Même quand on ne comprend pas, faute d’avoir été élevé dans cet esprit, l’importance et le sens de ce langage visuel de l’architecture sacrée et de l’iconographie, il arrive qu’on le reconnaisse, c’était ce qui m’était arrivé dans ma jeunesse. On devine à l’harmonie générale de ce qu’on voit, qu’il s’agit d’un langage cohérent qui parle à l’âme sans passer par les mots, mais que les mots ou plus simplement le Verbe et l’Ecriture sous-tendent. Les instits et les profs laïcards nous disaient que c’était pour instruire de l’histoire sainte les analphabètes médiévaux, comme les affiches de propagande soviétique cherchant à persuader le paysan russe de l’importance de la mécanisation, ce qui prouve à quel point cet art leur passait déjà loin au dessus du bonnet, alors qu’il touchait n’importe quelle personne des siècles passés, en cela qu’il ne suppléait pas à l’écrit pour les ignares, mais apportait un complément spirituel indicible à ce qui était exprimé par la lettre.
La disparition programmée de tout cela depuis deux cents ans est une catastrophe, car tous les témoignages permettant aux âmes perdues de s’orienter seront bientôt éliminés, chaque église qui brûle est un phare qui disparaît dans les ténèbres montantes.  Mais les misérables antifas s’en réjouissent, dans leur vilenie sans remède, en clamant que les « seules églises qui éclairent sont celles qui brûlent ».
Pour un esprit médiéval, tout est signe sur le grand livre de la vie, ce que reflètent les sanctuaires anciens, et je trouve personnellement troublante la coïncidence de l’apparition de cette comète exceptionnellement belle avec les craquements sinistres qui annoncent de toutes parts le naufrage de notre Titanic. La France se meurt, la civilisation chrétienne se meurt. Le Français de base sent obscurément que cela va très mal, mais lorsqu’il revendique sa qualité de Français, il exhibe généralement le saucisson-pinard, une pinup dépoitraillée, la minijupe tricolore au ras des fesses et la cigarette au bec. Des gilets jaunes s’indignaient que l’on envisageât de restaurer Notre Dame, plutôt que de consacrer cet argent à « quelque chose d’utile », et malheureusement, plein d’homo soviéticus ont le même réflexe ici, et avec une haine écumante. En cela, on peut dire que la mutation a été réussie, du Russe obstinément médiéval de l’avant 17, en petit-bourgeois européen mesquin, comme nous en ont fabriqué par millions l’alliance satanique de la révolution et du capital, auquel la première a permis de prendre son essor, sans être plus gêné par un roi ou un tsar, une Eglise et des structures organiques millénaires qui limitaient les appétits des crocodiles.
Au moment où l’on apprend qu’un « réfugié » rwandais, employé par le diocèse, serait l’auteur de l’attentat, la main qui a craqué l’allumette, au moment où les gros abrutis de la LDNA se réjouissent bruyamment de voir incendier une cathédrale médiévale construite selon eux, avec l’argent de la traite des noirs qui n’existait pas en ce temps-là, je tombe sur cet échange de commentaires à propos de l’évènement :

   - V. Z. Ce n’est pas grave. Il suffit que tous les chrétiens se mettent dans la prière et s’en remettent à notre Sainte Mère Marie ! Les édifices ne sont pas aussi importants que les âmes !

-  R. R. Un chrétien endormi c'est le triomphe du diable

-  V. Z. Exactement et il fait tout pour ça à travers la lucarne «magique » !

- R. R.  Les Soldats Du Christ on pour but de sauver notre patrie, notre foi et non pas comme des cathos fragiles, mais bien solides campés sur leurs deux pieds. Nos églises nous allons les défendre, notre foi aussi.

    Un pour tous, tous pour DIEU.

- V.Z. Notre Foi, notre Croix certainement car ce n’est pas du matériel. Le reste n’a que valeur vénale. Soyons logiques. Ils veulent que nous réagissions, que nous prenions les armes ? Prenons le contrepied de ces inversés du bocal. Chantons, louons Celui qui nous a permis de venir et d’expérimenter ici-bas. La colère est œuvre des ténèbres, la Joie, la Louange, la vraie Foi est œuvre Divine. Restons ou mettons-nous dans cette démarche et cette énergie, vibrons haut et fort l’Amour Inconditionnel, l’Amour Universel et ces forces obscures n’auront aucune prise sur nous. Restons soudés et solidaires, comme tu dis les deux pieds bien ancrés et rien ne pourra nous ébranler !

Dieu veille sur tous ses enfants, sans jugement, faisons-en autant !

 Ne jugeons pas, n’ayons comme seule «arme » notre Foi !

 Je ne parle pas de religions qui ne font qu’enfermer dans des dogmes et des rituels mais bien de Foi en l’Energie Divine qui est en toute chose et en tout être vivant du virus à l’humain en passant par les plantes et tous les animaux.

 Nous ne sommes que ondes, fréquences, vibration, intensité, amplitude et notre «enveloppe » n’a que peu d’intérêt en définitive donc nous n’avons même pas à la défendre.

    La seule chose que nous devons défendre est notre âme. Ne la souillons pas avec la violence !

- R. R. Croire en Dieu sans l'adorer dans son église, c'est comme aimer sa femme sans jamais lui faire l'amour.

- E. S. Il faut lire l'évangile en grec. Le Christ n'a pas fondée une "église" mais une assemblée. L'église est la récupération et la création par l'état romain d'une idéologie à son service.


Je salue tout d’abord la santé psychologique et spirituelle de R.R. Un chrétien chevaleresque, un vrai Français. Sur ce qu’il dit, je n’ai pas de commentaires à faire, c’est V.Z. qui m’atterre. « Ce n’est pas grave », dit-elle « les édifices ne sont pas aussi importants que les âmes ». Oui, en effet, c’est théoriquement vrai. Le père Basile trouve que j’attache trop d’importance au sort de sainte Sophie, et me prédit que tout sera détruit, certes, certes, je reconnais que j’ai du mal à passer par-dessus la disparition de tout ce qui nous a été légué, pour les raisons que j’expose au début de l’article. Mais « Ce n’est pas grave » ? En tant qu’orthodoxe, je ne peux pas dire que la destruction d’une église, d’une icône, d’une relique n’est pas grave, et cela pour toutes les raisons que je viens d’évoquer. L’iconoclasme qui a suivi Vatican II a donc produit des hordes de « cathos fragiles », comme les appelle R.R,, pour lesquels l’incendie de Notre Dame, celui de la cathédrale de Nantes, ce n’est pas grave, et qui ne lèveront pas le petit doigt pour défendre ce patrimoine qui leur est devenu complètement étranger. J’insiste : ce ne sont pas des petits gauchistes élevés par le trotskisme soixante-huitard, mais des catholiques. V.Z. enfonce le clou de notre cercueil : tout ça c’est du matériel, donc cela n’a aucun intérêt, elle vit dans l’abstraction pure. La cathédrale est même quelque chose de « vénal », elle n’a plus aucune idée de ce qui présidait à l’édification d’un tel monument, et n’est pas pourvue des récepteurs permettant de comprendre ce qu’il a à nous dire. C’est-à-dire que pour être idéologiquement clean, un bâtiment religieux doit être pauvre, utilitaire, minimaliste et moche, comme les églises en béton des années 50, avec des slogans neuneus du genre «Dieu vous aime » et des photos de petits enfants du tiers-monde, beaucoup plus intéressants que les nôtres dans le rôle du prochain à chérir, bien que beaucoup plus lointains sur le plan géographique et culturel. Nous en arrivons logiquement à l’assertion suivante :  

Je ne parle pas de religions qui ne font qu’enfermer dans des dogmes et des rituels mais bien de Foi en l’Energie Divine qui est en toute chose et en tout être vivant du virus à l’humain en passant par les plantes et tous les animaux.

 Nous ne sommes qu’ondes, fréquences, vibration, intensité, amplitude et notre «enveloppe » n’a que peu d’intérêt en définitive donc nous n’avons même pas à la défendre.

Elle conteste l’idée même de religion, et bien sûr de dogme et de rituel, c’est-à-dire l’Eglise, cette Eglise qui met en communion transversale tous ceux qui en font partie, dans le plan du présent, et dans le plan du passé, et qui les relie justement avec les bâtisseurs de la cathédrale de Nantes et l’artisan de son orgue. Elle vibre, petit atome solitaire, avec l’énergie divine, voilà ! Toute cette expérience, toutes ces révélations antérieures, elle n’en a pas besoin. Entre parenthèses, les plantes et tous les animaux sont pourtant bien aussi matériels que la cathédrale, ou bien celle-ci n’est-elle pas investie de cette vibration salvatrice ? En tous cas, elle n’est pas branchée dessus, ça c’est clair. Que l’idée même de l’Eglise soit réduite dans la tête de ces gens à des dogmes et des rituels dont  ils ne comprennent absolument pas le sens est attesté ensuite par un troisième personnage : Le Christ n'a pas fondé une "église" mais une assemblée. L'église est la récupération et la création par l'état romain d'une idéologie à son service. En grec, justement, église veut dire assemblée. En réalité, le mot russe qui concrétise cette notion dépasse largement le sens d’assemblée, il s’agit d’une mise en communion dans le corps du Christ, et ce mot a la même racine que celui qui signifie cathédrale, de sorte que pour un esprit médiéval comme le mien, la cathédrale est la concrétion de cet esprit de la communion en Christ, comme le coquillage est le produit de l’animal qui l’habite. Le rituel qui s’y déroule est la manifestation de l’existence de cette communauté trans temporelle et trans spatiale, le dogme est la loi interne qui garantit le legs de l’Esprit, un peu comme le code ADN permet de répliquer le vivant sans engendrer n’importe quoi. Apparemment, pour beaucoup de gens, ce code de l’Eglise est complètement brouillé, et l’on voit surgir ce genre de moutons spirituels à cinq pattes ou à trois têtes qui vont chacune nous raconter quelque bêtise paradoxale, mais compatible avec la confusion politiquement correcte ambiante, et la religion du futur vibrante et new age.

R.R. a raison de parler de cathos fragiles. Il n’y a pas grand-chose de ferme et de centré dans de telles âmes qui flottent comme des algues déracinées sur l’océan des vibrations énergétiques. D’une certaine façon, je ne nie pas que tout soit traversé par les énergies divines, et pour moi, la matière même est spirituelle, elle est émanation de l’Esprit, perpétuellement engendrée par son Souffle. Mais c’est précisément ce que me disent les somptueuses coquilles laissées sur les tristes rives de nos derniers temps par le travail et la prière commune de nos ancêtres. Si ces bâtiments sont si profondément harmonieux et si mystérieusement chargés, c’est qu’ils ne sont pas le produit d’un unique architecte qui fait tout exécuter par des corps de métier, sur ordre d’un riche et puissant commanditaire, mais celui d’un effort et d’une prière collective qui avait cristallisé de cette manière, unissant tous les acteurs de l’affaire, depuis le seigneur et les marchands jusqu’au tailleur de pierres, et le paysan qui les nourrissait. Même l’orgue, plus tardif, que de travail, que de savoir-faire, que d’amour, que de sens de la musique universelle n’y avaient pas mis ceux qui l’avaient fait et qui nous l’avaient légué… Mais les cathos fragiles se foutent eux-mêmes de la cathédrale et de son orgue, tout cela est trop matériel et trop vénal pour eux, et c’est sans doute parce qu’ils ne m’offraient pas de m’inscrire dans le puissant et vital Esprit qui avait engendré tout cela que j’ai préféré devenir orthodoxe et que j’ai fini par partir en Russie. Toutes nos magnifiques cathédrales, nos cloitres et églises romans, sont trop souvent devenus des coquilles vides pour ceux-là même qui prétendent encore venir y prier, et qui préfèrent un hangar en béton démocratique, avec les photos des « réfugiés » qui ne rêvent que de leur faire la peau.

C’est très difficile à vivre, mais le  père Basile a raison, tout sera détruit par les gnomes. Si Dieu permet que le feu des impies consume nos cathédrales, c’est qu’il y a trop de V.Z. et plus assez de R.R., sans parler des légions infernales et de leurs gardes rouges noirs. A quoi bon laisser tout ceci à des gens qui n’y comprennent plus rien ? Moi-même je sentais dans ma jeunesse à ce point le hiatus entre ces merveilles sacrées et ceux qui y allaient le dimanche que j’ai fini par me convertir dans une église émigrée installée dans le garage d’un pavillon de banlieue, parce que si pauvre fût-elle, elle m’offrait la splendeur vivante de ses icônes pleines de sens, de son rituel plein de noblesse. 

Je regardais les gisants du duc de Bretagne et de sa femme, encore cette fois épargnés par l’incendie de la bêtise haineuse et de la vilenie déchaînée : ils nous parlent d’un autre peuple qui était nous. Beaux et nobles, couchés dans leurs draperies, bien loin des gnomes, des orques, et des immondes satrapes en costars du Mordor, des empereurs  usuriers de la modernité hideuse, ils nous attendent déjà dans les profondeurs de l’océan éternel, là où la  rouille n’attaque pas et où le ver ne ronge pas, dans la lumière sans déclin, dans la Jérusalem céleste. Et la comète posée sur l’archange saint Michel, tout au sommet du mont du même nom, vient me le confirmer de son éclatant paraphe.