Voici le post d'un excellent artisan céramiste traditionnel, d'origine russo-hongroise, Sergueï Fenvechi:
En quête d'informations pédagogiques sur Youtube, j'ai vu qu'on proposait d'écouter de la musique moderne, nouveautés 2023.
Eh bien, ai-je pensé, je vais écouter les derrières merveilles de la scène. L'attraction avait de nombreux noms. Beaucoup de ces chansons vous sont familières, et vous fredonnerez ces derniers succès, meilleures chansons et autres séductions de bas étage. Mais non, voyons... laissez tomber...
J'ai écouté obstinément, avec patience, dans l'attente d'une vraie musique. J'ai enduré ce vacarme pendant deux heures. Et j'ai été horrifié.
A l'issue de tout cela, mes conclusions sont les suivantes:
1) Les paroles sont incompréhensibles, le sens des chansons est inaccessible.
2) il n'y a pas de musique. C'est-à-dire à moins d'appeler musique quelque chose de rythmé par des percussions, ponctué par les quelques sons adjacents d'autres instruments, dont beaucoup sont inaudibles. Pourquoi diable tant d'interprètes pour des sons qu'on n'entend pas?
3) Je vérifie la musicalité des chansons par leur capacité à être fredonnées, sifflées, marmonnées, pour cueillir des champignons dans la forêt et profiter de la vie. Même si je ne connais pas les paroles de la chanson. La musique est sauvegardée!
Or il n'y a pas de musique!!! En termes de mélodie. Maintenant, on appelle musique tout bruit et tumulte produit par des instruments de musique.
4) Les textes sont exposés à travers un certain type de déclamation. Toutes les "chansons" sont similaires, exposant les textes de la même manière. Aucune chanson ne se distingue des autres. Sauf si la vitesse change un peu. Eh oui, pas de chant du tout. Par rapport au chant d'opéra, comme modèle de chant. Ou, plus simplement: "Ah Natalia, Natalia, ouvre donc le portail"... C'est aussi une espèce de récitation mais il y a une mélodie.
5) Il n'y a aucun art dans la musicalité. Le monde se dégrade. Les rappeurs ont aussi déclamé des virelangues, mais au moins, dans les parties sans texte, ils avaient des mélodies talentueuses. Et maintenant, même cette allusion a disparu. A la mélodie.
6) Je ne peux pas chanter. Même quand je parle, je ne génère pas de sons. C'est vrai, parfois, je vais chanter une chanson folklorique, si je me saoûle, et si on me le demande, pour se moquer de moi. Donc, pour me gausser de moi-même, je vais chanter, en avertissant tout le monde, qu'on n'a pas besoin de me fuir dans la forêt, que je ne chanterai pas longtemps))))). Cependant, à voir comment chantent ces artistes à succès maintenant, je pourrais faire un triomphe. Je vais jouer quelque chose à une maison de disques, on mettra ça au point, on le sortira comme le truc tout ce qu'il y a de plus spécial, et je deviendrai la super star. Maintenant, tout est dépassé? Et l'ennuyeux Mummy Troll l'est aussi. On l'adorait!!! Or un imbécile essayerait de chanter la même chose sur la scène de son école pour ses camarades de classe qu'on lui cracherait dessus et le mettrait dehors par la peau du cou.
7) Où va le monde? Et l'art populaire? Et à ce propos. Il m'est maintenant plus agréable d'écouter des enregistrements d'indigènes d'Afrique, avec une danse de deux heures sur le même thème et le seul son d'un bâton cogné sur une bûche. au moins, je comprends pourquoi ils font ça. Mais la variété moderne après Beethoven et Tchaïkovski, ou même "Kalinka, Kaaaalinka"; ou "ma petite boîte est pleine"... Bien que ce soient aussi des chansons populaires factices. Mais elles se démarquent par la mélodie!
Ou même si on prend "lapti, mes lapti", c'est une petite chanson créée par le peuple. J'aime particulièrement "une mouche a aimé un moustique". Même si c'est aussi la création d'un auteur quelconque. Mais sur youtube, on la trouve dans un esprit populaire défiguré. C'est particulièrement dégoûtant de l'entendre dans une version académique.
8) Quels airs fredonneront nos enfants? Mieux vaut ne pas mentionner les petits-enfants. que comprendront-ils de... Je n'ose pas dire la musique en général, mais au moins une simple mélodie?
9) L'ère de la digitalisation nous a plongés dans un touk-touk primitif, touk-touk-touk-, touk-touk, touk-touk-touk... et crevez comme des touks-touks sans visage.Frappés sur la tronche. Et cela ne concerne pas seulement la musique mais tous les autres arts, et le mode de vie en général. Lorsqu'un goupe d'adolescentes m'a été envoyé pour modeler, ill y avait des filles avec des griffes de deux centimètres, très soignées. Le sens de leur vie était déjà tracé, c'était clair. Et puis pas mal de garçons ne sont pas capables d'orienter un objet dans l'espace et la bonne direction. Je montre et dirige avec des mots; mais ils arrivent à tourner l'objet d'une manière tout à fait surprenante, pas dans le bon sens. De toutes sortes de manières, sauf la bonne. J'ai même pensé que je devrais peut-être apprendre d'eux divers procédés pour faire ce qu'il ne faut pas faire. Leurs professeurs m'expliquent que les enfants modernes sont tous au téléphone. Et que font-ils dans leur téléphone, avec le peu qu'ils savent? De toute évidence, ce n'est pas la connaissance qu'ils recherchent. Eh non, ils ne la cherchent pas. Des balles courent sur l'écran, ils tirent dessus... Ils exacerbent leur ignorance, ils s'abêtissent dans le cadre des limites proposées par les concepteurs du jeu. De tels joueurs n'ont qu'à apprendre les limites des possibilités proposées par les programmateurs du jeu et lutter bêtement pour la victoire... pour remporter une victoire virtuellement sans valeur, en affirmant leur stupidité. Ils n'apprennent pas à créer eux-mêmes mais à consommer les propositions des autres. Ils apprennent à participer au programme de quelqu'un d'autre.
Je manquais de jouets, dans mon enfance. Nous vivions avec des fournitures limitées. Je devais fabriquer mes propres jouets. J'ai découpé des voitures en papier, fabriqué des arcs et des flêches avec des amis, sculpté des pistolets moi-même, joué au football et à d''autres jeux, et bien plus encore, jusqu'à ma décision de partir à l'aventure dans une nature inconnue, quittant la maison toute la journée pour la banlieue, et sans nourriture, cependant, car au départ, je n'avais pas l'idée de foutre le camp on ne sait où; cela m'est venu spontanément... or les enfants d'aujourd'hui restent chez eux, rencontrant parfois de plus zombifiés qu'eux par toutes sortes de drogues qui font autorité. Avec dans leurs poches toutes sortes de douceurs .
10) la musique vivait en nous. Nous vivions de façon mélodieuse. de différentes mélodies. Nous n'acceptions pas la cacophonie monotone et stupide. Nos yeux étaient ouverts à la diversité du monde. Le monde était intéressant. Nous y entrions de nous-mêmes. Ceux qui avaient des sujets d'intérêt limités, nous ne les comprenions pas, et nous les considérions comme des anormaux.
Maintenant, réfléchissez-vous même à ce qui se produit dans la variété et où cela nous conduit.
Outre que ce texte recoupe admirablement mes propres interrogations, observations et réflexions, on voit bien là pourquoi les barrières en tôle rouge en travers des beaux paysages, les maisons de plastique, sans proportions ni style, et où, effectivement, tout cela nous mène, et pas seulement ici, mais partout: à la débilité et l'avilissement général si on n'inverse la tendance. Plus de Russes ni de Français, mais des ectoplasmes conformes à l'idée que se font du populo inutile les transhumanistes de la caste qui en feront le diable sait quoi. J'espère que le processus sera ici enrayé, mais je n'en ai pas la certitude, parce qu'on continue à abrutir les gens de toutes les manières, et que même les chansons patriotiques soviétiques de la dernière guerre, qui étaient souvent fort belles, sont dénaturées par des interprétations hideuses, lors de manifestations officielles, pour faire jeune et dans le coup ou par pure contagion de la connerie galopante. Car lorsqu'on n'a rien reçu, on déteste instinctivement ce qui nous dépasse.
En complément de ceci, j'ai ouvert la vidéo d'Ariane Bilheran, "la fabrique du consentement":
Il faut à mon avis écouter plusieurs fois cette analyse profonde et juste, exposée avec simplicité et clarté, mais très dense. Elle parle justement du folklore et de sa disparition programmée, parce qu'il fait lien, il relie les gens entre eux, et les gens avec leurs ancêtres, ce qui est aussi le cas de toute expression de la culture, naturellement, mais la culture populaire, en disparaissant, ne laisse pas la place à la culture des bibliothèques et des musées qui, du reste, souvent s'en nourrissait directement ou indirectement.
Mon père spirituel a parlé à Dany de "catastrophe spirituelle". Ce qui rejoint aussi le constat d'Ariane Bilheran. Elle parle de l'effondrement de notre civilisation, que le totalitarisme vient achever, parce qu'elle ne tient plus debout depuis un moment. En fait, il n'y a pas si longtemps, quand il y avait encore une paysannerie, la situation était réversible; Mais les protecteurs de la paysannerie, c'étaient les rois et les tsars, avec leur disparition, plus rien ne venait empêcher les gnomes de faire de nous ce qu'ils voulaient. Pour ce qui est des Russes, leur civilisation était vivace, mais ils ont chopé notre vérole progressiste par contagion, en entrant dans l'orbite européenne, ils ont été pris dans le vortex, et c'est infiniment triste. Je compte sur un miracle, une volée d'anges musiciens pour colmater les trous de notre arche et couvrir le tohu-bohu sinistre du diable et de son train qui s'agitent par dessous.
Ariane Bilheran évoque la nécessité de faire notre deuil de tout ce que nous perdons et allons perdre. Elle est beaucoup plus jeune que moi, en ce qui me concerne, j'ai beaucoup de mal à le faire, bien que sur le fond, elle ait sans doute raison. C'est à ce point douloureux que dès l'enfance, pressentant tout cela, j'en étais instinctivement révoltée. Il me faudrait dépasser cela et penser au Royaume des Cieux et à la Jérusalem céleste, d'autant plus que Dieu a été miséricordieux, je ne laisserai pas d'enfants sur terre, mais je souffre pour les enfants des autres.
Je suis en train d'apprendre un chant qui remonte à Ivan le Terrible et raconte comment il a donné leur territoire aux cosaques du Terek. Il est très difficile, cela vient petit à petit, mais cela demande du travail et du temps. "Ce chant, des étudiants en musicologie n'arrivent pas toujours à le chanter, me dit Skountsev, alors ne t'étonnes pas..." Mais les cosaques ne connaissaient rien à la musicologie, seulement ils étaient tombés dedans quand ils étaient petits, et si leur vie pouvait être brève et tragique, elle était éclatante et noble, et cela se sent au caractère méditatif de la mélodie, et aux images naturelles du texte, tout cela est profondément harmonieux et habité par un souffle. Je mesure au caractère de ce chant la profondeur de notre déchéance, avec un chagrin brûlant.