Voilà qu'après la description idéale des Italiens, j'en arrive aux Anglais et là, rien ne va plus. Le tsar, il est vrai, au début de son règne "était devenu beau, il était doué d'un grand esprit, de capacités brillantes, dignes du maître d'une si grande monarchie". Tant que dure son mariage avec Anastasia, tout va bien. Elle était "si sage, vertueuse, pieuse et influente que tous ses sujets la vénéraient, l'aimaient et la craignaient. Le grand prince était jeune et emporté, mais elle le dirigeait avec une humilité et une intelligence étonnantes". Cependant, après la mort de la tsarine, le tsar idéal se mue en une bête féroce, un tyran implacable que tout le monde déteste et qui accumule les actions étranges. Là, je me demande si l'Anglais ne force pas un peu la note, d'autant plus que justement, les gens ne détestaient pas le tsar, on ne trouve pas trace de détestation dans le folklore, alors que Pierre le Grand y figure, par exemple, sous la forme du chat enterré par des souris réjouies. La chanson cosaque qui déplore la mort du tsar Ivan est une merveille de poésie épique...
De plus, il me semble que certains détails de la relation de l'Anglais sont confus par rapport au déroulement de la vie du tsar dans les biographies que j'ai lues, peut-être raconte-t-il tout cela par ouï dire, après son arrivée en Moscovie. Il a pratiquement assisté à la mort du tsar qu'il décrit comme un reportage, avec l'extraordinaire moment où il lui montre sa collection de pierres précieuses, aux vertus curatives et magiques desquelles il croyait dur comme fer, j'ai repris d'ailleurs en partie cette scène, c'est à Vania, fils de Féodor Basmanov, qu'il montre ces pierres et il lui en fait cadeau de quelques unes pour le protéger et lui porter chance. L'Anglais évoque également le supplice gratiné d'un compatriote, mage, nécromancien et mathématicien tombé en disgrâce, aventurier douteux et fort peu sympathique qui a payé cher ses intrigues, après avoir fait transporter une fortune en Angleterre, dont il n'aura pas profité.
L'Anglais pense que ce sont les péchés des Russes, filous, sodomites et ivrognes qui leur ont valu un tsar pareil, opinion qui entre en contradiction avec la description de la lettre adressée au pape. A noter que les atrocités sont commises souvent par les tatars dont il s'était assuré les services, ce qui irait dans le sens des renseignements donnés par le père Antoni sur le côté pacifique et très peu cruel du Russe natif. En réalité, j'observe que la plupart des Russes sont plutôt bons, le problème est que ceux qui ne le sont pas, sont souvent de rares saloperies. L'Anglais n'a aucune sympathie pour les Russes, contrairement aux Italiens. Il présente le fou en Christ Nicolas, qui avait arrêté le tsar sur le chemin de Pskov qu'il se préparait à "punir", comme un "sorcier et un escroc" qui allait à moitié nu en poussant des cris. Apparemment, il est tombé chez les dingues et vivement son retour à Londres.
Que l'Anglais ait exagéré est possible. Mais il ne peut pas avoir complètement inventé tout cela, surtout avec le martyr du métropolite Philippe et celui de saint Corneille à la clé, événements dont il ne parle pas, d'ailleurs. Il a certainement noirci le trait. Mais il y avait quand même matière...
Je suis convaincue, sur un plan vraiment historique, et pas romanesque, que la mort de la tsarine a été déterminante, en réalité, cette tsarine vaudrait un roman. Je ne crois pas du tout que c'était une "biche aux abois" comme la décrivait un Russe qui doutait de son influence sur le tsar. L'Anglais (sir Jerome Horsey) dit que ses sujets l'aimaient et la craignaient. Qu'elle dirigeait le grand prince avec humilité et intelligence. Et elle a vraiment été empoisonnée, certainement parce qu'elle était gênante. D'ailleurs, elle était l'objet de l'hostilité du confesseur du tsar, le prêtre Sylvestre, qui a été ensuite disgracié et envoyé en exil aux Solovki. A une époque où les femmes étaient plus qu'effacées, soumises et sans aucun droit, le rôle prééminent de la tsarine auprès d'un personnage tel que le tsar Ivan laisse rêveur. Elle devait être très intelligente, avoir beaucoup de personnalité, c'était sans aucun doute un être bon, de grande qualité, mais genre main de fer dans un gant de velours, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, tout en adoptant le comportement discret de la souveraine chrétienne idéale, soumise à son époux, qu'elle tenait comme la vierge de la légende la tarasque en laisse.
Il est probable que si un malfaiteur imbécile n'avait pas mis fin à son existence de cette façon prématurée, le tsar aurait sans doute laissé un souvenir absolument radieux à la Russie. Car il aurait sans doute eu le temps de consolider paisiblement son royaume, et de faire toutes les réformes et conquêtes ou reconquêtes nécessaires sans sombrer dans la paranoïa, et fût-elle morte plus tard, quand tout cela aurait été accompli et ses fils adultes, que tout serait resté relativement normal.
C'est à dire que si majestueux, viril et dominateur que le tsar pût paraître, il était sans doute au fond assez fragile, en tous cas, peut-être plus fragile que sa femme, plus génial, mais plus fragile. Elle le rassurait, elle le canalisait, elle l'équilibrait, et il savait le prix de tout cela.
Ce qui m'intéresse aussi beaucoup, c'est que la Russie apparaît, d'après ces témoignages, comme une communauté familiale, cimentée par un héritage culturel spécifique et une foi ardente autour de son tsar, même parano. D'autre part, comme je l'avais senti, elle avait très peu le sens de la propriété, car individuellement, les gens ne possédaient rien que de façon éphémère. Tout appartenait au tsar, c'est-à-dire à la communauté.
De plus, il me semble que certains détails de la relation de l'Anglais sont confus par rapport au déroulement de la vie du tsar dans les biographies que j'ai lues, peut-être raconte-t-il tout cela par ouï dire, après son arrivée en Moscovie. Il a pratiquement assisté à la mort du tsar qu'il décrit comme un reportage, avec l'extraordinaire moment où il lui montre sa collection de pierres précieuses, aux vertus curatives et magiques desquelles il croyait dur comme fer, j'ai repris d'ailleurs en partie cette scène, c'est à Vania, fils de Féodor Basmanov, qu'il montre ces pierres et il lui en fait cadeau de quelques unes pour le protéger et lui porter chance. L'Anglais évoque également le supplice gratiné d'un compatriote, mage, nécromancien et mathématicien tombé en disgrâce, aventurier douteux et fort peu sympathique qui a payé cher ses intrigues, après avoir fait transporter une fortune en Angleterre, dont il n'aura pas profité.
L'Anglais pense que ce sont les péchés des Russes, filous, sodomites et ivrognes qui leur ont valu un tsar pareil, opinion qui entre en contradiction avec la description de la lettre adressée au pape. A noter que les atrocités sont commises souvent par les tatars dont il s'était assuré les services, ce qui irait dans le sens des renseignements donnés par le père Antoni sur le côté pacifique et très peu cruel du Russe natif. En réalité, j'observe que la plupart des Russes sont plutôt bons, le problème est que ceux qui ne le sont pas, sont souvent de rares saloperies. L'Anglais n'a aucune sympathie pour les Russes, contrairement aux Italiens. Il présente le fou en Christ Nicolas, qui avait arrêté le tsar sur le chemin de Pskov qu'il se préparait à "punir", comme un "sorcier et un escroc" qui allait à moitié nu en poussant des cris. Apparemment, il est tombé chez les dingues et vivement son retour à Londres.
Que l'Anglais ait exagéré est possible. Mais il ne peut pas avoir complètement inventé tout cela, surtout avec le martyr du métropolite Philippe et celui de saint Corneille à la clé, événements dont il ne parle pas, d'ailleurs. Il a certainement noirci le trait. Mais il y avait quand même matière...
Je suis convaincue, sur un plan vraiment historique, et pas romanesque, que la mort de la tsarine a été déterminante, en réalité, cette tsarine vaudrait un roman. Je ne crois pas du tout que c'était une "biche aux abois" comme la décrivait un Russe qui doutait de son influence sur le tsar. L'Anglais (sir Jerome Horsey) dit que ses sujets l'aimaient et la craignaient. Qu'elle dirigeait le grand prince avec humilité et intelligence. Et elle a vraiment été empoisonnée, certainement parce qu'elle était gênante. D'ailleurs, elle était l'objet de l'hostilité du confesseur du tsar, le prêtre Sylvestre, qui a été ensuite disgracié et envoyé en exil aux Solovki. A une époque où les femmes étaient plus qu'effacées, soumises et sans aucun droit, le rôle prééminent de la tsarine auprès d'un personnage tel que le tsar Ivan laisse rêveur. Elle devait être très intelligente, avoir beaucoup de personnalité, c'était sans aucun doute un être bon, de grande qualité, mais genre main de fer dans un gant de velours, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, tout en adoptant le comportement discret de la souveraine chrétienne idéale, soumise à son époux, qu'elle tenait comme la vierge de la légende la tarasque en laisse.
Il est probable que si un malfaiteur imbécile n'avait pas mis fin à son existence de cette façon prématurée, le tsar aurait sans doute laissé un souvenir absolument radieux à la Russie. Car il aurait sans doute eu le temps de consolider paisiblement son royaume, et de faire toutes les réformes et conquêtes ou reconquêtes nécessaires sans sombrer dans la paranoïa, et fût-elle morte plus tard, quand tout cela aurait été accompli et ses fils adultes, que tout serait resté relativement normal.
C'est à dire que si majestueux, viril et dominateur que le tsar pût paraître, il était sans doute au fond assez fragile, en tous cas, peut-être plus fragile que sa femme, plus génial, mais plus fragile. Elle le rassurait, elle le canalisait, elle l'équilibrait, et il savait le prix de tout cela.
Ce qui m'intéresse aussi beaucoup, c'est que la Russie apparaît, d'après ces témoignages, comme une communauté familiale, cimentée par un héritage culturel spécifique et une foi ardente autour de son tsar, même parano. D'autre part, comme je l'avais senti, elle avait très peu le sens de la propriété, car individuellement, les gens ne possédaient rien que de façon éphémère. Tout appartenait au tsar, c'est-à-dire à la communauté.
Le tsar et Anastasia dans le film d'Eisenstein |