Un Américain parle de son déménagement à Moscou, de son
baptême et de l’hospitalité russe.
A 18 ans, Matthew
comprit qu’il voulait quitter l’Amérique.
Il n’y avait pas à cela de cause cohérente : « je ne voyais
seulement pas mon avenir là bas », dit-il. Le garçon, originaire de la
banlieue de New-York, a vécu et étudié aux USA, en Allemagne et en Angleterre,
mais il a voulu rester en Russie après qu’il a assisté à un office dans une
église de Saint-Pétersbourg. Matthew a reçu le baptême avec le nom de Matfeï et
a passé les six dernières années à travailler comme traducteur et spécialiste
de la publicité dans le bureau moscovite de « Yandex », il parle
parfaitement le russe, et il est devenu tout à fait des nôtres. En outre,
l’Américain a un hobbit très inhabituel, l’été, avec d’autres bénévoles du
projet « Cause Commune », il restaure des églises de bois dans le
Nord.
Je vins pour la première fois en Russie quand j’avais 24
ans. Jusque là, j’avais beaucoup de préjugés sur ce pays. Je me souviens
d’une conversation avec l’un de mes meilleurs amis à New-York : il
racontait quelque événement en Russie, dont il avait entendu parler dans les
nouvelles, et ajouta à la fin qu’il lui serait intéressant de passer quelques
temps là bas. A cela, je répondis très durement que je n’irais jamais là bas et
que d’ailleurs, « c’était un pays attardé du siècle dernier, où il n’y a
rien ». Et voilà déjà 6 ans que je vis ici et je comprends combien je me
trompais.
Tout a commencé avec une invitation de mon ami russe de
Saint-Pétersbourg, avec lequel j’avais étudié en Grande-Bretagne. Ses proches
m’accueillirent comme je n’avais jamais reçu personne, même certains de mes
parents ne m’ont jamais traité ainsi. On m’emmenait au théâtre, on me montrait
la ville. L’un des premiers jours, nous sommes entrés, mon ami et moi, dans la
cathédrale de Kazan par hasard au moment d’un office. A ce moment-là, je ne
savais pratiquement rien de l’orthodoxie. J’en avais les représentations de
probablement la majorité des Américains, un catholicisme sans le pape de Rome.
Et avec des icônes. J’ai tout de suite compris que les icônes ont ici une
signification particulière. Nous regardions l’église quand soudain le chœur se
mit à chanter et les portes royales s’ouvrirent. Ce fut comme un choc. Je me
souviens seulement qu’au bout de quelques temps, mon ami me souleva du sol où
j’étais à genoux et nous sortîmes, et mon visage ruisselait de larmes. Je fus
traversé d’un sentiment profond et inexplicable, je compris que je devais
changer beaucoup de choses dans ma vie. Et je compris aussi qu’il me fallait
vivre en Russie. J’avais l’impression que quelqu’un me disait : tu es à la
maison.
Le désir conscient de me convertir à l’orthodoxie me vint à
Kiev, où j’étais parti, si étrange que cela paraisse, pour apprendre le russe,
c’était là-bas beaucoup moins cher. Après les cours, j’entrais dans la
cathédrale de Vladimir (je ne savais pas alors qu’elle appartenait aux
schismatiques), mais pas aux offices, seulement pour prier à ma façon. Je
regardais les icônes, les fresques qu’avaient faites Vasnetsov et Nesterov, et
leur incroyable profondeur m’impressionnait. Mais une fois, je tombai dans la
cathédrale pendant un office. C’était quelque fête, mais il y avait très peu de
monde. On me dit que c’était le « patriarche » lui-même qui
officiait. Je m’étonnai : le patriarche, quand même, et si peu de
monde…Du reste, une de mes enseignantes m’expliqua bientôt tout et me conseilla
d’aller à la Laure des Grottes de Kiev.
Je me suis fait baptiser à Moscou, à l’église de l’icône de
la Mère de Dieu de Tikhvin a Alexeïevsk. En fait, quand on passe du
protestantisme à l’orthodoxie, on ne rebaptise pas, mais j’étais un cas
particulier. Je ne peux pas dire que ma vie a immédiatement changé, pendant
trois ou quatre mois, j’ai disparu de l’église. Ensuite, j’ai commencé à y
aller petit à petit, à me confesser, mais je le faisais, me semble-t-il,
superficiellement. C’est seulement au bout de trois ans que j’ai compris que si
je m’étais fait baptiser, alors je devais changer ma vie en conséquence,
l’admettre fut difficile. Pour tout dire, avec le sacrement du Repentir, tout
devient beaucoup plus profond et grave, mais en même temps pénible. Je dus me
« briser » moi-même, dire et apprendre la vérité sur moi-même.
Le père Alexis, qui m’a baptisé, dirige le projet
« Cause commune », dont les participants restaurent les églises en
bois du Nord Russe. Mais il me fallut (c’en est même ridicule), quatre années
entières pour me décider à y aller. Jusque là je n’avais pas été capable de
voir en cela de sens spirituel, je pensais que c’était une sorte de projet de
construction. Mais le premier voyage me changea
fortement. Je compris que ce n’était pas nous qui sauvions les églises,
mais les églises qui nous sauvaient. En travaillant à la restauration de ces
objets sacrés, nous travaillons sur notre propre âme. Nous abandonnons toute la
vanité qui nous empêche de nous concentrer sur ce qui est important.
L’année dernière, dans notre groupe, il y avait 18 personnes
qui, dans la vie ordinaire, ne se rencontrent jamais : un business coach,
un psychologue, un médecin, un opérateur de la chaîne NTV, un employé d’un
hospice pour enfants, un fabricant de savon et de tresses dread locks et moi
qui suis traducteur et annonceur. C’est très inhabituel. Parallèlement au
travail, nous lisions chaque jour évangile, parlions de ce que nous avions
lu, organisions notre quotidien rudimentaire.
J’avais l’impression que nous vivions presque au paradis, en ce sens que
nous n’avions aucun souci quotidien, bien que nous travaillions beaucoup et
péniblement. Par exemple, il fallait traîner depuis le lac des planches de six
mètres sur la colline. Et cela toute la journée.
Pendant que nous travaillions venaient chaque jour des
invités. L’église se trouve dans la forêt, loin de la civilisation, mais à côté
du lac Onéga, un endroit connu pour la pêche. En fait, en Russie, on peut
rencontrer des gens là où l’on s’y attend le moins, c’est mon observation
personnelle. Les gens entendaient le bruit des travaux, voyaient un nouveau
toit et comprenaient qu’il se passait quelque chose ici. Un jour, on arriva en
barque et on nous demanda où il y avait un magasin. Nous étions très
surpris : où donc en trouver un dans ce bout du monde ? Les pêcheurs
étaient sûrs que si l’église ressuscitait, il devait obligatoirement y avoir
un magasin à côté. Et une autre fois, on
nous apporta simplement du poisson frais, en remerciement de ce que nous
faisions.
Ce qui m’a le plus étonné chez les Russes, c’est leur
bienveillance envers les étrangers. Je pensais que je viendrais ici et que tous
me « chercheraient des crosses ». Et il advint que tous voulaient
avoir des relations avec moi, et qu’ils parlassent ou non l’anglais n’avait pas
d’importance. Tout de même, les russes ce sont des gens qui sont prêts à
considérer l’étranger comme l’un des leurs. Il m’est un jour arrivé quelque
chose d’amusant : à New-York, quand j’étais en visite chez mes proches, un
juif russophone s’approcha de moi et demanda : « Tu es de l’Union (soviétique) ? »
Il ne pouvait absolument pas savoir que je parlais russe et vivait en Russie. Je
ne comprends pas comment il a tiré ces conclusions sur ma seule apparence extérieure.
Je lui répondis que j’étais d’ici et que j’étais né à quarante minutes d’ici. Mais
il ne m’a pas cru.
Propos recueillis par Kirill Baglaï
Traduction Laurence Guillon pour Thomas
nuages sur l'Onega, photo Mathew Kasserley |