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lundi 25 février 2019

« Je pensais que la Russie, c’était un pays attardé du siècle dernier ».


 Un Américain parle de son déménagement à Moscou, de son baptême et de l’hospitalité russe.



A 18 ans, Matthew comprit qu’il voulait quitter l’Amérique.  Il n’y avait pas à cela de cause cohérente : « je ne voyais seulement pas mon avenir là bas », dit-il. Le garçon, originaire de la banlieue de New-York, a vécu et étudié aux USA, en Allemagne et en Angleterre, mais il a voulu rester en Russie après qu’il a assisté à un office dans une église de Saint-Pétersbourg. Matthew a reçu le baptême avec le nom de Matfeï et a passé les six dernières années à travailler comme traducteur et spécialiste de la publicité dans le bureau moscovite de « Yandex », il parle parfaitement le russe, et il est devenu tout à fait des nôtres. En outre, l’Américain a un hobbit très inhabituel, l’été, avec d’autres bénévoles du projet « Cause Commune », il restaure des églises de bois dans le Nord.

Je vins pour la première fois en Russie quand j’avais 24 ans. Jusque là, j’avais beaucoup de préjugés sur ce pays. Je me souviens d’une conversation avec l’un de mes meilleurs amis à New-York : il racontait quelque événement en Russie, dont il avait entendu parler dans les nouvelles, et ajouta à la fin qu’il lui serait intéressant de passer quelques temps là bas. A cela, je répondis très durement que je n’irais jamais là bas et que d’ailleurs, « c’était un pays attardé du siècle dernier, où il n’y a rien ». Et voilà déjà 6 ans que je vis ici et je comprends combien je me trompais.
Tout a commencé avec une invitation de mon ami russe de Saint-Pétersbourg, avec lequel j’avais étudié en Grande-Bretagne. Ses proches m’accueillirent comme je n’avais jamais reçu personne, même certains de mes parents ne m’ont jamais traité ainsi. On m’emmenait au théâtre, on me montrait la ville. L’un des premiers jours, nous sommes entrés, mon ami et moi, dans la cathédrale de Kazan par hasard au moment d’un office. A ce moment-là, je ne savais pratiquement rien de l’orthodoxie. J’en avais les représentations de probablement la majorité des Américains, un catholicisme sans le pape de Rome. Et avec des icônes. J’ai tout de suite compris que les icônes ont ici une signification particulière. Nous regardions l’église quand soudain le chœur se mit à chanter et les portes royales s’ouvrirent. Ce fut comme un choc. Je me souviens seulement qu’au bout de quelques temps, mon ami me souleva du sol où j’étais à genoux et nous sortîmes, et mon visage ruisselait de larmes. Je fus traversé d’un sentiment profond et inexplicable, je compris que je devais changer beaucoup de choses dans ma vie. Et je compris aussi qu’il me fallait vivre en Russie. J’avais l’impression que quelqu’un me disait : tu es à la maison.
Le désir conscient de me convertir à l’orthodoxie me vint à Kiev, où j’étais parti, si étrange que cela paraisse, pour apprendre le russe, c’était là-bas beaucoup moins cher. Après les cours, j’entrais dans la cathédrale de Vladimir (je ne savais pas alors qu’elle appartenait aux schismatiques), mais pas aux offices, seulement pour prier à ma façon. Je regardais les icônes, les fresques qu’avaient faites Vasnetsov et Nesterov, et leur incroyable profondeur m’impressionnait. Mais une fois, je tombai dans la cathédrale pendant un office. C’était quelque fête, mais il y avait très peu de monde. On me dit que c’était le « patriarche » lui-même qui officiait. Je m’étonnai : le patriarche, quand même, et si peu de monde…Du reste, une de mes enseignantes m’expliqua bientôt tout et me conseilla d’aller à la Laure des Grottes de Kiev.
Je me suis fait baptiser à Moscou, à l’église de l’icône de la Mère de Dieu de Tikhvin a Alexeïevsk. En fait, quand on passe du protestantisme à l’orthodoxie, on ne rebaptise pas, mais j’étais un cas particulier. Je ne peux pas dire que ma vie a immédiatement changé, pendant trois ou quatre mois, j’ai disparu de l’église. Ensuite, j’ai commencé à y aller petit à petit, à me confesser, mais je le faisais, me semble-t-il, superficiellement. C’est seulement au bout de trois ans que j’ai compris que si je m’étais fait baptiser, alors je devais changer ma vie en conséquence, l’admettre fut difficile. Pour tout dire, avec le sacrement du Repentir, tout devient beaucoup plus profond et grave, mais en même temps pénible. Je dus me « briser » moi-même, dire et apprendre la vérité sur moi-même.
Le père Alexis, qui m’a baptisé, dirige le projet « Cause commune », dont les participants restaurent les églises en bois du Nord Russe. Mais il me fallut (c’en est même ridicule), quatre années entières pour me décider à y aller. Jusque là je n’avais pas été capable de voir en cela de sens spirituel, je pensais que c’était une sorte de projet de construction. Mais le premier voyage me changea  fortement. Je compris que ce n’était pas nous qui sauvions les églises, mais les églises qui nous sauvaient. En travaillant à la restauration de ces objets sacrés, nous travaillons sur notre propre âme. Nous abandonnons toute la vanité qui nous empêche de nous concentrer sur ce qui est important.
L’année dernière, dans notre groupe, il y avait 18 personnes qui, dans la vie ordinaire, ne se rencontrent jamais : un business coach, un psychologue, un médecin, un opérateur de la chaîne NTV, un employé d’un hospice pour enfants, un fabricant de savon et de tresses dread locks et moi qui suis traducteur et annonceur. C’est très inhabituel. Parallèlement au travail, nous lisions chaque jour évangile, parlions de ce que nous avions lu, organisions notre quotidien rudimentaire.  J’avais l’impression que nous vivions presque au paradis, en ce sens que nous n’avions aucun souci quotidien, bien que nous travaillions beaucoup et péniblement. Par exemple, il fallait traîner depuis le lac des planches de six mètres sur la colline. Et cela toute la journée.
Pendant que nous travaillions venaient chaque jour des invités. L’église se trouve dans la forêt, loin de la civilisation, mais à côté du lac Onéga, un endroit connu pour la pêche. En fait, en Russie, on peut rencontrer des gens là où l’on s’y attend le moins, c’est mon observation personnelle. Les gens entendaient le bruit des travaux, voyaient un nouveau toit et comprenaient qu’il se passait quelque chose ici. Un jour, on arriva en barque et on nous demanda où il y avait un magasin. Nous étions très surpris : où donc en trouver un dans ce bout du monde ? Les pêcheurs étaient sûrs que si l’église ressuscitait, il devait obligatoirement y avoir un magasin à côté.  Et une autre fois, on nous apporta simplement du poisson frais, en remerciement de ce que nous faisions.
Ce qui m’a le plus étonné chez les Russes, c’est leur bienveillance envers les étrangers. Je pensais que je viendrais ici et que tous me « chercheraient des crosses ». Et il advint que tous voulaient avoir des relations avec moi, et qu’ils parlassent ou non l’anglais n’avait pas d’importance. Tout de même, les russes ce sont des gens qui sont prêts à considérer l’étranger comme l’un des leurs. Il m’est un jour arrivé quelque chose d’amusant : à New-York, quand j’étais en visite chez mes proches, un juif russophone s’approcha de moi et demanda : « Tu es de l’Union (soviétique) ? » Il ne pouvait absolument pas savoir que je parlais russe et vivait en Russie. Je ne comprends pas comment il a tiré ces conclusions sur ma seule apparence extérieure. Je lui répondis que j’étais d’ici et que j’étais né à quarante minutes d’ici. Mais il ne m’a pas cru.

Propos recueillis par Kirill Baglaï
Traduction Laurence Guillon pour Thomas


nuages sur l'Onega, photo Mathew Kasserley

Le métropolite Onuphre a expliqué la parabole du fils prodigue





Le jeûne et la prière sont les deux ailes à l’aide desquelles l’homme s’envole vers Dieu. C’est ce qu’a dit sa Béatitude, le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre dans son homélie d’hier pendant la liturgie dans la cathédrale du Saint-Esprit à Tchernovtsi.
Le primat a interprété la signification de la parabole évangélique du fils prodigue (Luc 15 :11-32) qu’on avait lue à l’office.
« Le fils prodigue, c’est l’image du pécheur qui s’éloigne de la maison paternelle et dépense tous les talents que Dieu donne à l’homme pour qu’il en fasse bon usage. Mais ensuite, l’âme et le corps brisé, l’homme prend conscience de tout cela et retourne à la maison paternelle » a dit sa Béatitude Onuphre.
Selon ses paroles, dans cette parabole, le pécheur se souvient de la miséricorde de Dieu, de la valeur de ces dons spirituels que Dieu possède et qu’Il est prêt à donner à chacun, et il prend la bonne décision.
« Dans cette histoire du fils prodigue, la décision est très importante : quand nous nous éloignons de Dieu, nous prenons conscience que nous ne nous sentons pas bien, nous souffrons alors il faut revenir vers Lui », a dit le primat.
Cependant, souvent, « ce « il faut » reste seulement « il faut », l’homme ne se lève pas et ne fait pas le pas vers Lui ». « Mais le fils prodigue a fait preuve de décision : il s’est levé, et il est parti », a-t-il poursuivi.
« Nous sommes tous des fils prodigues dans une certaine mesure : les uns s’éloignent plus de Dieu, les autres moins. Ensuite nous revenons, et nous éloignons à nouveau… Et notre retour à la maison du Père se fait par le jeûne et la prière » a dit sa Béatitude Onuphre.
D’après lui, le jeûne et la prière sont les ailes avec lesquels l’homme s’envole vers Dieu, s’arrachant à tout ce qui est terrestre et pécheur. « C’est justement pour cela que la Sainte Eglise nous rappelle le fils prodigue avant le grand Carême », a expliqué le primat.
Le Seigneur est à ce point miséricordieux que celui qui n’a fait qu’un seul pas ressent déjà la joie et la consolation, car alors commence à agir la grâce du Saint Esprit. Elle aide l’homme à aller de l’avant et lui donne une sensation de joie et de paix.
Plus loin le Seigneur vient Lui-même à la rencontre de l’homme et, « comme un anneau au doigt », lui rend tout ce qu’il a reçu de Dieu à sa création et le fait noble, fort, intelligent.
« Que le Seigneur nous aide, chers frères et sœurs, pendant le Saint et Grand Carême, à faire nos pas vers Lui, à jeûner, prier, nous purifier du péché et à rétablir en nous l’harmonie divine, que Dieu  a donnée à chacun. Quand cette harmonie se restaure, nous nous rapprochons de Dieu, nous nous faisons pareils à Lui, nous devenons capables de faire la place en nous à la grâce divine qui nous rend heureux en cette vie et nous donne le salut dans les cieux en Jésus Christ, notre Seigneur » a souhaité sa Béatitude, le métropolite Onuphre.

trad. Laurence Guillon pour "Thomas Ukraine"


La ferveur de l'assemblée est impressionnante...

samedi 23 février 2019

Petits visiteurs

J'ai testé hier mon divan en rotin: idéal pour faire la sieste quand on ne peut profiter d'un hamac dans le jardin. Sa structure légèrement incurvée soutient le corps, relève les jambes et la tête, et j'y tiens toute entière à l'aise, puisqu'il fait 1.70 m et moi 1.65. Les chats se bousculent pour l'occuper, évidemment.
Je suis retournée à la source de sainte Barbara,  mais je n'aurais pu remplir mes bouteilles sans l'aide d'un jeune homme présent, car le trou est profond, les abords en sont complètement verglacés et j'ai du mal à me mettre à genoux, et surtout à me relever quand j'y suis. Heureusement, les Russes sont serviables. Rita faisait fondre tout le monde par ses gambades et ses jappements dans la neige scintillante. Il régnait près de cette source, dans cette forêt de bouleaux et de pins, une paix radieuse. Hier, nous avons fait un tour ensemble, vers le lac, mais sous la poudreuse, le chemin était extrêmement glissant, et nous ne sommes pas allées bien loin. Le vent était froid et déchaîné, il me sifflait aux oreilles, le soleil vif et tiède, et l'azur du ciel semblait dévorer la neige, en laissant de côté les ossements bruns des buissons et des arbres. Je n'arrive pas à définir ce que m'inspirent ici des jours pareils, ce qu'ils ont de mystérieux, de mystique, d'étrange, malgré la banalité des "cottages" et autres déplorables structures contemporaines mal fichues, c'est quelque chose qui me rappelle les Solovki, un sentiment de bout du monde, de bout de la vie, comme si l'environnement me dévoilait tout à coup une secrète lumière interne à travers celle du printemps approchant, comme s'il devenait transparent, éternel, grandiose, et d'une insondable profondeur.
Plein d'oiseaux se bousculent dans mon poirier, et viennent ces merveilles roses qui, je crois, sont des bouvreuils.
Au loin la France est rongée de l'intérieur par les gnomes qui s'en sont emparé, et se mobilise un peu tard. C'est bien souvent en pleurant que je prie pour les vivants qui sont restés là bas, et pour les morts qui n'auraient pas voulu voir ça et n'auraient d'ailleurs pas imaginé que ce fût possible. Un ami facebook, après des allées et venues, est revenu s'installer définitivement en Tchouvachie. Il avait un permis de séjour permanent, et se demandait s'il serait toujours valable. Oui, bonne surprise, mais du coup, on lui demandait 5000 euros de taxes sur sa vieille voiture pour le laisser passer la frontière. S'il était venu en touriste, ce n'aurait pas été le cas, mais là, c'était à prendre ou à laisser. Il a vendu sa voiture en Lituanie et distribué sur place les affaires qu'il avait emportées, puis il a pris le train. Le voilà au fin fond de la Russie pour toujours, débarrassé comme moi de tout le superflu!
Il m'a donné toutes sortes de renseignements sur les poules. Finalement, ce serait peut-être envisageable, il y a des systèmes de distribution de nourriture qui permettent de les laisser quelques  jours, et l'hiver, l'important est qu'elles soient à l'abri du vent, et qu'elles puissent se percher. Les poules, et même les chèvres, font partie de son projet de vie.







mercredi 20 février 2019

Je reste avec l'Eglise persécutée, mais véritable. Et cela me rend heureux



16 octobre 2018, 15:58 25418 8
par sa Béatitude, le métropolite Onuphre
Je suis pécheur Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
«Eh bien, pourquoi, après tout, argumenter? Quelle importance, l’Eglise ou le patriarcat ? C’était celui de Moscou, maintenant, celui de Constantinople, ensuite ce sera celui de Kiev".
 La question n'est pas vaine. Pourquoi dans l’absolu prendre la parole pour ou contre quelque chose ? Tant de gens sont surpris aussi par saint Jean le Baptiste.
S’il était seulement resté au Jourdain. S’il avait prêché, fait l'anachorète, baptisé ... Qu'est-ce qu'il  lui a pris d’aller dénoncer le roi? Pourquoi s’est-il mêlé de politique?
Mais le fait est que là où la politique empiétait sur des questions morales, une personne aussi influente que Jean-Baptiste n'avait pas le droit de garder le silence.
Après tout, le roi Antipas était le chef d’un peuple religieux, il était à la tête du peuple élu de Dieu et servait, qu'il le voulût ou non, d’exemple à ceux que le saint appelait au repentir. Toute action du roi devenait une tentation difficile ou un exemple élevé pouvant inspirer des exploits.La voix de la conscience devait se faire entendre!
Le crime commis par le roi contre les mœurs, la morale a forcé le Précurseur à élever la voix 
Et il a fini en prison.
Le roi profite de la proximité de la présence du juste pour mener de longues conversations avec lui. Elles auraient pu provoquer un changement dans la vie d'Hérode Antipas, s’il n’y avait eu la danse perverse de la jeune fille, sa nièce, au cours d’une beuverie et d’une bacchanale devant ses invités...
Alors, est-ce que cela valait la peine pour Jean le Précurseur de dénoncer le roi, cela valait-il la peine, comme on le dit maintenant en argot, de « s’inscrire » quand Hérode avait tort, quand il péchait personnellement ?
Pourquoi n'avons-nous maintenant pas le droit de garder le silence sur le péché du patriarche de Constantinople contre l'Église du Christ? Pourquoi s'attacher à des principes jusqu'à la persécution?
Ne serait-il pas vraiment plus facile de fermer les yeux et d’accepter qu’on pût également faire son salut avec le patriarche de Constantinople? Ce qui est important, c’est l’amour!
On peut tomber d'accord sur tout. Mais le problème est que, selon les mots de l'apôtre Paul, l'amour n'est "pas déréglé". Et si ce dérèglement nous est imposé sous les dehors de l'amour, c'est le crime absolu! Contre l'Amour même!
Pendant des siècles, l'église a élaboré des canons, pour préserver le fonctionnement de la vie de l’organisme ecclésial selon ses normes et son ordre. Et une seule violation du canon quand elle procède  de n’importe quel chrétien nous est douloureuse. Mais la blessure est particulièrement mortelle  lorsque c’est un primat de l'Église qui l’inflige et que favorisent ce brigandage ceux qui sont appelés à respecter l'Église, les hiérarques!
Le pouvoir, la richesse et la politique détruisent le christianisme chez quiconque s'enlise dans  cette boue. Le patriarcat de Constantinople est maintenant tombé. Et être avec lui, c'est partager son crime contre l'Église et l'Amour.
Je ne peux pas admettre cela. Je suis un pécheur. Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
À partir de là, je reste avec l’Église qui est persécutée, mais à la bonne place, celle de l’Eglise véritable. Et cela me rend heureux.
Parce que dans cette Eglise demeurent seulement ceux qui sont fidèles au Christ. Et c’est avec vénération que je contemple les saints hiérarques et les prêtres, les laïcs de l'Église orthodoxe ukrainienne actuelle, qui, par leur loyauté, créent la plénitude de la sainteté. Et je les supplie de ne pas me rejeter, moi pécheur
traduction moniale Elizabeth et Laurence Guillon



L'apocalypse est pour demain.

Ce matin à l'aube, j'étais devant le service d'immigration: personne, même pas le type qui note sur un papier l'ordre d'arrivée des gens, parce que le distributeur de tickets de queue est détraqué depuis la nuit des temps. Je suis passée première. Ma sévère fonctionnaire m'a dit d'un ton réprobateur: "Où sont les photocopies de votre INN, de votre avis d'imposition et de votre avis de départ à la retraite?" J'ai dû partir les faire en catastrophe, ainsi que celle de mon passeport, pour le remboursement des droits que j'ai payés deux fois, ce qui me sera rendu dans un délai d'un mois. Je sentais, avec angoisse et exaltation, qu'elle allait recevoir mon dossier. Au retour, toujours personne devant son bureau, et non seulement elle a pris le dossier, mais il manquait la photocopie de mon enregistrement, et elle est allée la faire elle-même, au lieu de me réexpédier dans le centre. Si à Yaroslavl personne ne tique devant Pereïaslavl Zalesski au lieu de Pereslavl Zalesski, cela devrait être bon. Si le dossier est refusé, je le saurai tout de suite, s'il est accepté, il me faudra attendre six mois, mais je ne suis pas pressée, mon permis actuel dure encore deux ans.
Mon soulagement immense m'a laissée un peu hagarde, je suis allée faire des courses dans le brouillard. Nadia, la femme qui vend dans une boutique du centre commercial Magnit et m'avait présenté les deux moines rencontrés avec Henri, m'avait appelée et donné rendez-vous là-bas. Elle est venue prendre le thé chez moi et m'a raconté toutes sortes d'histoires épouvantables sur le destin du père Tikhon et du père Yevgueni. Elle les a quasiment recueillis. Le père Yevgueni s'est fait voler son appartement à Moscou par des mafieux, en principe, il devrait être admis dans un monastère là-bas. Mais le père Tikhon ne trouve de place nulle part, et elle vend tout ce qu'elle a pour trouver une maison à la campagne, où elle pourrait survivre en autarcie avec ses deux moines. Le père Tikhon nous a rejointes plus tard, il venait la chercher pour aller voir quelque chose à 15 km de la ville. "Faites remplacer votre cheminée par un poêle, me dit-il. Faites-vous un potager. Tout va s'arrêter, tout va s'écrouler, c'est la fin. Ce n'est déjà plus la peine de changer d'endroit. Débrouillez-vous avec ce que vous avez, vous avez de la place, ici, pour planter." Et avisant le divan en rotin que je venais de recevoir, et les codes barres sur les étiquettes: "Vous avez de l'eau bénite? Aspergez votre divan trois fois en disant des prières, ces codes sont maudits. N'acceptez jamais de vous faire pucer, et jetez vos cartes, tout cela est maudit. Ils cherchent à nous asservir. Les temps à venir vont être très durs. Ils ont déclaré la guerre à l'orthodoxie"
Après cela, j'étais un peu perturbée quand même, il m'a conseillé de prendre des infusions d'une plante qui enlève le stress.
Le divan est bien, je regrette beaucoup de ne pas l'avoir commandé pour la venue de Martine. Je pense que c'est l'objet idéal pour faire la sieste en hiver quand je m'endors sur mon ordinateur.


je regrette de ne pas avoir pris un ton de bois plus foncé. Le tapis, c'est pour protéger
le coussin des chats....

mardi 19 février 2019

Pereïaslavl....

Ma soeur est partie, et voilà que revient un temps magnifique. -9 ce matin, un froid vif et venteux, mais le soleil chauffe et sur un noisetier, j'ai vu des chatons apparaître.
J'ai dû aller payer à nouveau les droits pour mon permis de séjour, afin de pouvoir corriger la faute sur la quittance qui paraît insupportable à la fonctionnaire du service d'immigration "Madlen" au lieu de "Madelen". Et ensuite, il faudra faire une déclaration auprès des services d'immigration afin qu'on me rembourse les droits que j'avais payés une première fois. Puis je suis passée chez la juriste qui m'a expliqué qu'elle était comme ça, qu'elle chipotait sur tout et ne comprenait pas que dans les autres pays, les choses pussent se passer autrement que dans le sien. J'avais retiré hier à 18h 30, avant de reprendre épuisée la route de Pereslavl, la traduction assermentée de mon avis d'imposition, parce que dessus, il y a tous mes revenus annuels de 2018, plus les impôts qu'on me retire, et surtout mon adresse en Russie. Mais voilà-t-il pas que l'imbécile de traducteur a écrit "Pereïaslavl Zalesski" au lieu de "Pereslavl Zalesski", et comme j'étais pressée de rentrer, je n'ai pas pensé à vérifier. Il est limpide à toute personne de bonne foi que c'est de Pereslavl Zalesski qu'il s'agit, et c'est bien ainsi que c'est écrit sur l'original français. Mais comme j'ai visiblement affaire à une emmerdeuse, il se peut que je sois obligée, après avoir fait la queue dès l'aube, de repartir en catastrophe à Moscou faire corriger cela. Car la semaine prochaine, mes certificats médicaux seront périmés.
J'ai été contactée hier par une productrice de télévision qui m'a envoyé des journalistes, afin de faire sur moi un petit "sujet". Ces journalistes étaient bien gentils, mais je n'aime pas trop ce genre de choses, car ils ont une idée très précise de leur "sujet" qui ne cadre généralement pas avec ce que je suis et il me faudrait m'adapter à leur conception. Chanter par exemple une rengaine russe éculée et factice plutôt que les vers spirituels que je connais. Ou bien parler de mes préférences culinaires. Ils voulaient me filmer près du lac et je les ai emmenés à l'église des Quarante Martyrs, mais j'ai bêtement oublié mon appareil photo. C'était si beau, là bas, une belle croix de glace, vestige de la Théophanie, brillait sur la rivière Troubej, le lac déployait une surface blanche et chatoyante sous des nuages bleu foncé, et le vent vif et violent déferlait au travers du soleil. Je ressentais quelque chose de mystérieux que je ne trouve qu'ici, et que je ne sais même pas comment exprimer, une sorte de paix sévère et lumineuse, infiniment profonde.

lundi 18 février 2019

Retour au pays de ma visiteuse


J’ai accompagné hier Martine à l’aéroport avec un sentiment de tristesse, d’abandon, d’appréhension également, car les gens au pouvoir chez nous sont épouvantables, je vois arriver un avenir de cauchemar et ne sais même pas si la Russie l’évitera.
Elle a beaucoup plu à tout le monde par sa sincérité chaleureuse.
Avec le père Valentin, nous avons évoqué la situation générale. Il m’a demandé quelle était la différence entre mai 68 et les gilets jaunes : « Mai 68, c’étaient des étudiants trotskistes, maoïstes, et en gros, tous ceux qui sont au pouvoir maintenant et qui éborgnent et mutilent les gilets jaunes, lesquels travaillent souvent dur, mais ne peuvent plus vivre, et manifestent le week-end, parce qu’en semaine ils n’en ont pas le loisir. De plus 68 était sûrement une révolution colorée dirigée contre de Gaule qui gênait les Américains, l’OTAN et le projet européen. »
Comme j’ajoutais que je voudrais voir toute cette chienlit soixant- huitarde, les banquiers transnationaux mafieux  qu’elle sert et les idéologues transhumanistes, pendus haut et court, il a protesté qu’en tant que prêtre il ne pouvait participer à cela, mais qu’il pouvait du moins bénir de loin ! "Père Valentin, et si demain je vous confesse que les malades et les cyniques au pouvoir partout m'inspirent des sentiments peu chrétiens, qu'allez-vous  me dire?" Il m'a répondu en riant: "Eh bien... tout le monde est pécheur, je vous donnerai l'absolution!" Puis, à l’évocation des intrigues de Bartholomée et du métropolite Emmanuel, il s’est transformé en professeur Tryphon Tournesol furieux dans Objectif Lune. Au point que ma chienne s’est mise à grogner sur mes genoux. «Toi, lui dit-il alors, je ne t’ai rien demandé !
- Mais père, ne la grondez pas : elle vous approuve ! »
Il est parti d’un grand éclat de rire.
Il y avait ce matin, dans l’église, une morte qui attendait dans son cercueil la célébration de ses funérailles, après la liturgie.  Une vieille, la tête ceinte d’un bandeau orné d’icônes. Elle était terriblement inerte, mais elle avait un visage très paisible.
Avec Martine, j'ai fait, la veille de son départ, un tour sur la place Rouge. Les Russes laissent les décorations du jour de l'an jusqu'à la fin de l'hiver, car elles compensent l'absence de lumière. Nous avons visité l’église saint Basile le Bienheureux. Dans une des douze églises qui la composent, on diffuse en permanence de la musique liturgique de l’époque, très sévère, captivante, mais aucune des gardiennes ou vendeuses de souvenirs affreux n’est capable de me dire d’où elle sort et où l’on peut se procurer le disque. J’envisageais déjà d’écrire au conservateur, mais le père Valentin pense qu’il s’agit de l’ensemble d’un certain Yourlov, et me suggère d’explorer cette piste.
Ensuite, j’ai revu avec Martine le palais des boyards  Romanov, celui où vivait Nikita Romanovitch Zakharine, leur ancêtre,  qui apparaît dans mon livre Yarilo. C’est là qu’il recueille la famille de Fédia, puis Fédia lui-même. Cet endroit féerique est resté « dans son jus », et dans un état de conservation surprenant.  Les appartements des hommes, sombres et très intimes, avec leurs voûtes peintes, leurs petites pièces aux fenêtres de mica, leurs murs tendus de tissu précieux ou de cuir damasquiné et doré, leurs poêles de céramique, leurs meubles, leurs armes, les caves de pierre du XV° siècle. Et l’appartement des femmes, tout en haut, en bois, et très clairs, avec les bancs recouverts de tapis, les métiers à tisser et les quenouilles, une petite chaise et des jouets d’enfants, des coffres peints, du velours de Turquie découpé mais pas encore assemblé, pour confectionner un précieux caftan d’homme, car tout était réalisé en famille. Les garçons, à partir de six ans, avaient les cheveux coupés et passaient dans la partie masculine de la maison, où l’on entreprenait leur éducation de futur guerrier au service du tsar. Les filles confectionnaient les éléments de leur dot, pour leur mariage à venir. On mariait garçons et filles généralement à l’adolescence.  Car il n‘était pas question de courir le guilledou, même si les garçons le faisaient parfois, avec des paysannes ou des filles légères aux bains de vapeur.  Et il n’y avait pas officiellement de prostitution, juste des filles entretenues, parfois, par un seigneur mal marié. Ce joli palais parle d’une vie patriarcale vertueuse et sévère, où chacun est au service des autres, ou responsable des autres, et à chacun son devoir, sa fonction, sa place sacrée, sa croix.  Une vie simple, malgré le caractère très ornementé du décor, et des vêtements, dans une maison de proportions assez modestes, par rapport aux demeures seigneuriales européennes. Une vie contraignante, certainement adoucie (ou parfois compliquée) par une grande solidarité de clan, et beaucoup d’activités créatives et manuelles, chants, danses, contes, confections d’objets ou de vêtements, décors…
Un peu plus loin s’est conservé le palais des Anglais, construit pour l’ambassade anglaise qui fit suite au naufrage du bateau de Chancelor près de l’actuelle Arkhanguelsk. C’est devant ce palais que Fédia rencontre, dans mon livre, l’artiste anglais Arthur.




intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine