Il y a aujourd'hui cinq ans que maman m'a quittée. J'y ai pensé ce matin, en priant devant une icône qu'elle avait faite, la seule qu'elle ait faite de sa vie, et que j'ai récupérée dans ses affaires, terminée, vernie, et fait bénir par le père Valentin, qui s'est écrié en se signant: "Vous voyez, on ne peut pas dire qu'elle n'était pas orthodoxe, puisqu'elle faisait des icônes!"
Cette icône, à certains égards imparfaite, a quelque chose de profondément bon, comme l'était maman, qui n'était pas croyante, ou ne l'était plus mais restait très évangélique, une des personnes les plus évangéliques que j'ai connues dans ma vie.
Je n'entrerai pas dans les péripéties de la tragédie que fut pour moi sa fin, car je dois rester mobilisée. Dans un de ses éclairs de lucidité, elle m'avait dit tristement: "Tu vivras sans moi, tu y arriveras..."
Que dire? J'y arrive. Je vis sans elle. Ca fait cinq ans que je vis sans elle. Depuis que j'avais quitté la maison à dix-sept ans, je lui avais toute ma vie écrit ou téléphoné deux, trois fois par semaine, et même presque tous les jours, je venais passer avec elle la plupart de mes vacances, comment peut-on vivre sans quelqu'un qui prenait tant de place? On y arrive...
Quand elle a failli mourir d'un infarctus, j'avais peur de vomir d'angoisse dans le métro, ou dans la classe, devant les enfants (et pourquoi étais-je allée travailler dans un état pareil? Pourquoi n'avais-je pas pris l'avion?) Je priais avec désespoir pour la garder, et je l'ai gardée quatorze ans de plus, mais lorsqu'elle était malade, j'ai souvent pensé qu'en la prenant à ce moment-là, Dieu nous aurait sans doute épargnée toutes les deux.
Elle avait peur de nous quitter et de ne plus jamais nous revoir. C'était ce qui l'effrayait le plus, dans la mort: ne plus revoir ses filles, de toute l'éternité. Je lui disais: "nous nous reverrons, je mourrai quinze ou vingt ans après toi, qu'est-ce que c'est vingt ans?"
Elle me manque, et tous les autres, tous ceux qu'elle avait aimés et qu'elle a rejoints, me manquent aussi. Mais j'ai cette espèce de bizarre mobilisation intérieure qui fait que je vis quand même. Pas à pas.
Cette icône, à certains égards imparfaite, a quelque chose de profondément bon, comme l'était maman, qui n'était pas croyante, ou ne l'était plus mais restait très évangélique, une des personnes les plus évangéliques que j'ai connues dans ma vie.
Je n'entrerai pas dans les péripéties de la tragédie que fut pour moi sa fin, car je dois rester mobilisée. Dans un de ses éclairs de lucidité, elle m'avait dit tristement: "Tu vivras sans moi, tu y arriveras..."
Que dire? J'y arrive. Je vis sans elle. Ca fait cinq ans que je vis sans elle. Depuis que j'avais quitté la maison à dix-sept ans, je lui avais toute ma vie écrit ou téléphoné deux, trois fois par semaine, et même presque tous les jours, je venais passer avec elle la plupart de mes vacances, comment peut-on vivre sans quelqu'un qui prenait tant de place? On y arrive...
Quand elle a failli mourir d'un infarctus, j'avais peur de vomir d'angoisse dans le métro, ou dans la classe, devant les enfants (et pourquoi étais-je allée travailler dans un état pareil? Pourquoi n'avais-je pas pris l'avion?) Je priais avec désespoir pour la garder, et je l'ai gardée quatorze ans de plus, mais lorsqu'elle était malade, j'ai souvent pensé qu'en la prenant à ce moment-là, Dieu nous aurait sans doute épargnée toutes les deux.
Elle avait peur de nous quitter et de ne plus jamais nous revoir. C'était ce qui l'effrayait le plus, dans la mort: ne plus revoir ses filles, de toute l'éternité. Je lui disais: "nous nous reverrons, je mourrai quinze ou vingt ans après toi, qu'est-ce que c'est vingt ans?"
Elle me manque, et tous les autres, tous ceux qu'elle avait aimés et qu'elle a rejoints, me manquent aussi. Mais j'ai cette espèce de bizarre mobilisation intérieure qui fait que je vis quand même. Pas à pas.
Maman faisait du modelage. A vrai dire, elle savait tout faire.
Couture, cuisine, bricolage, jardinage, rien ne lui faisait peur.
Elle était mon idéal impossible à atteindre de bonté, de
féminité au sens noble du terme, et d'abnégation.
Moment de
jeu dans la mer
Tu t’en vas dans la nuit,
En cherchant derrière toi
Du soleil d’autrefois
Le reflet qui s’enfuit.
Et petit à petit,
La nuit mêle les cartes
De ce jeu qui finit,
Les jette et les écarte.
Tous les moments jolis
De la vie qui s’écoule,
De lundis en lundis
Notre avenir s’éboule.
L’enfance, la jeunesse,
Les maris, les enfants,
Le deuil des parents,
Le seuil de la vieillesse.
Et celui de la mort,
Dont on voit les degrés
Qui descendent au port
Où le navire est prêt.
Et nous montons à bord
Et déjà le rivage
Dans les brumes de l’âge
S’efface et disparaît.
Et tu ne vois plus bien
Qui reste sur le quai
Ou qui vient te chercher
Pour t’emmener au loin
Ni de qui sont les ailes
Qui battent alentour
De tes jours qui chancellent
Et tombent sans retour.
Mais toutes trois bercées autrefois dans la mer,
Nous tenant par la main dans ses doux reflets
verts,
Nous dérivions joyeuses.
Sous le soleil ardent et les légers nuages,
Tes yeux dans ton visage
Te disaient très heureuse.
« Je n’oublierai jamais, déclaras-tu soudain
Ce moment de bonheur parfait qui nous
advint. »
Mais tu l’as oublié. Et ton regard inquiet
De ta vie ne voit plus que les nombreux chagrins.
C’est dans une autre mer, dans une autre lumière
Que bientôt toutes trois nous glisserons enfin
Sous un autre soleil qui jamais ne s’éteint,
Sous l’éblouissant envol des hiérarchies altières,
Nous nous retrouverons ensembles à jamais,
Ceux que tu vois venir depuis l’autre côté
Et nous qui restons là pour quelques temps encor
A plier bagages en attendant la mort.
Laurence
Guillon Pierrelatte 2012