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le café la Parisienne
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Ce matin, réveil grognon, aucune envie ni d'aller à l'église à jeun, ni de faire quoi que ce soit. Katia avait trouvé une église pas loin de l'hôtel, consacrée à la décapitation de saint Jean Baptiste. Elle date sans doute du début du XVIII° siècle, mais comme nous sommes dans le nord, loin de Moscou et surtout de Saint-Pétersbourg, le style iconographique russe s'y conservait encore, et l'intérieur est magnifique, même l'iconostase est encore là, bien qu'on l'ait privée de ses colonnades. J'avais oublié mon livre de prières, et je n'étais pas d'humeur pour communier. Cependant, j'ai quand même décidé d'aller me confesser. Le prêtre était jeune, peut-être trente ans. Je lui dis: "Père, je n'avais pas envie de venir vous trouver, mais je suis d'humeur si méchante que je crois préférable de le faire quand même. J'ai oublié mon livre de prières, je ne les ai donc pas lues. Je n'avais aucune envie de venir à Vologda, mais je n'ai pas osé changer d'avis au dernier moment et décevoir mon amie. C'est une jeune femme que j'aime bien, mais il me semble que, comme toutes les femmes russes, c'est un vrai commandant. L'idée de piétiner toute la journée sous la pluie dans la ville me rend hystérique. Je n'arrive pas à entrer dans le carême, j'ai un refus intérieur total, elle m'embête à chercher des plats carémiques dans les restaurants, et dans l'ensemble, le carême me casse complètement les pieds. Tous ces mauvais sentiments ayant besoin d'être éliminés avant de croitre, je me suis décidée à vous les confier.
- Eh bien, me répond-il, je crois qu'il vous faut communier, avec la crainte de Dieu, car Dieu n'est pas conformiste, et il arrive que par honnêteté nous nous en trouvons indignes, alors que c'est justement à ce moment-là que nous en avons le plus besoin et nous passons à côté. Dieu peut tout comprendre...Souvenez-vous de Nasatassia Philippovna et du prince Muichkine...".
Cette humaine et sage réaction a chassé de moi toute ma mauvaise humeur. Je me suis retrouvée avec Katia dans un café, celui devant lequel j'avais trouvé une place, et levant les yeux, j'avais vu qu'il s'appelait: "la Parisienne"... Inutile d'aller chercher plus loin. Nous avons déjeuné à la Parisienne, et parlé à coeur ouvert. En dépit de ce qui peut m'agacer chez elle, nous avons beaucoup de choses en commun.
Ensuite, nous avons rejoint l'établissement où avait lieu le festival, et découvert la ville au passage. Nous en sommes tombées complètement amoureuses: elle est bien conservée, avec de ravissantes maisons de marchands, aux balcons en encorbellement, aux dentelles de bois, aux huisseries travaillées, je pensais aux tableaux de Koustodiev, à cette Russie nonchalante et féerique dont j'avais tellement rêvé dans ma jeunesse. A la différence de Pereslavl et Rostov, les autorités ont visiblement à coeur de préserver et de restaurer ce centre historique, toutes ces maisons sont en très bon état, et les rues aussi. Il subsiste énormément d'églises merveilleuses. Les berges de la rivière Vologda ne nous infligent aucun affligeant spectacle de constructions affreuses et déplacées, bénie soit l'administration de Vologda.
Au festival de folklore , nous avons trouvé les belles pièces artisanales qu'on ne voit jamais nulle part ailleurs que dans ce genre de manifestations, et surtout pas dans les boutiques de souvenirs de Pereslav-Zalesski ou d'ailleurs. J'ai acheté un "canard-cheval" qui unit en lui l'énergie mâle et l'énergie femelle, dans la symbolique slave païenne, un objet vivant, authentique et enraciné comme je les aime. Katia s'est offert une jupe en tissu typique et une blouse, qui constituent un ensemble ravissant, portable en toutes circonstances. Puis quelqu'un m'a mis les deux mains sur les yeux: "Qui est-ce?" J'ai répondu, presque au hasard: "Kolia Sakharov!" c'était bien lui, le chef du "Cercle Cosaque" bis, et c'était sa femme qui vendait les vêtements et tissus traditionnels.
Nous avons assisté à un cours sur les accordéons et autres instruments, ce qui a permis à Katia de comprendre comment utiliser sa balalaïka toute neuve, commandée chez Balalaïker, la balalaïka à la portée de toutes les bourses, fabriquée sous la direction de Sérioja Klioutchnikov à Oulianovsk. Il y avait beaucoup de jeunes accordéonistes, tous locaux, beaucoup d'entre eux étaient très jolis garçons, et le costume russe les mettait si bien en valeur. Nous observions cette beauté, et cette pureté des visages du nord, leur expression paisible et digne. Cela faisait plaisir à voir. "Finalement, nous disions-nous, la Russie, c'est les folkloristes et les orthodoxes, c'est là qu'on la retrouve complètement. Et puis quelques peintres ou littérateurs..."
La musique folklorique russe est extrêmement "genrée". Au point que les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes motifs à l'accordéon, motifs qui eux-mêmes sont hérités d'antiques schémas musicaux des gousli ou de la balalaïka.
Après Sakharov, j'ai rencontré Yana de la communauté du village de Davydovo. Elle m'a pressée de venir au mois de septembre: "Amenez Liéna avec vous, il faut lui faire comprendre que vous devez laisser tomber son folklore du sud et vous concentrer sur celui du nord où nous vivons tous, pour que nous puissions le soutenir auprès des gens, le développer, le partager, chanter ensemble, et cela d'autant plus qu'il renait énormément autour de Vologda. Et puis il faudrait aussi donner un coup de main aux cosaques de Pereslavl, les aider à acquérir les chants qu'ils ne connaissent pas, bref, si vous voulez vous investir là dedans, il y a beaucoup à faire... Pour ce qui est des chansons de la région de Iaroslavl et Vologda, j'ai beaucoup de matériel."
Elle m'a envoyée écouter le cours du célèbre ensemble féminin "Narodni Prazdnik", et j'ai trouvé cette séance complètement magique, une plongée dans le cosmos, les voix prenaient l'ampleur et l'élan du vent et de l'eau, et toute la vertigineuse profondeur des siècles en irriguait le présent enchanté.
Après quoi, toute la jeunesse a dansé dans le parc voisin, et quel contraste avec ce que nous avons pu croiser par la suite d'adolescents peinturlurés et hagards, qui traînaient avec eux leur musique boum-boum abrutissante et internationale...
A vrai dire, même si l'on fait abstraction de la jeunesse qui revient à ses traditions, le petit crétin contemporain n'abonde pas dans ses expressions les plus désastreuses, à Vologda. Les gens ont ce qu'on appelle de bonnes bouilles, souvent belles, de surcroît, même parfois très belles, et saines, paisibles, bienveillantes. Ils sont décontractés, ils vivent calmement. Nous avons rejoint le kremlin à travers un beau parc, propre, où tout le monde déambulait sans hâte et avec plaisir, comme dans les temps anciens. Le mauvais temps avait fait place à un azur miraculeux, très doux, à une lumière rasante qui transfigurait cet ensemble d'églises et de palais, la cathédrale blanche et simple, mais imposante, bâtie par Ivan le Terrible, qui avait décidément beaucoup de goût, l'étrange clocher vaguement gothique, du XIX° siècle, et une église rose et argentée, sans doute de la même époque, et plus loin une église bleue, du XVIII° siècle, mais qui gardait encore beaucoup de traits des églises médiévales, car nous sommes dans le nord irréductible, la Russie pure et dure... la beauté de ces bâtiments, d'époques et de styles divers et qui pourtant allaient parfaitement ensemble, avait un caractère envoûtant et surréel, et les regardant, il me semblait passer dans un autre monde, un monde parfait, où la puissante simplicité du moyen âge s'unissait sans fausse note à cette précieuse et tendre cassette de rose et d'argent que posait près d'elle cette église immatérielle du XIX°, et ce clocher, élégant, insolite... comme si tout cela était déjà rangé dans la mémoire éternelle, et prêt à appareiller, avec toute l'arche passée et présente de Vologda la magnifique, la féerique, la nonchalante, illuminée, en cette fête de la Transfiguration, par un soleil que nous avions oublié et qui nous revenait avec une langueur et une transparence automnales.
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