Ca y est, tombe la neige... et pour l'instant, elle tient. Mercredi je suis allée à Rostov, et au retour, avec le mauvais temps, le crépuscule, les phares, je ne voyais rien du tout, j'avais mal aux yeux et envie de dormir. Le lendemain, j'allai à Iaroslavl, car je n'arrivais pas à obtenir les services d'immigration au téléphone. Mais le navigateur ne trouvait pas la rue, que j'orthographiais mal. Je devais retrouver le père Gleason, qui venait aussi chercher son permis de séjour, et Vassili Tomachinski, dans une pizzeria près du centre de l'immigration, Vassili m'avait donné la même adresse, je pensais que c'était dans le même bâtiment. Affronter l'administration en groupe me donnait du courage, car les Russes ont l'habitude de leurs fonctionnaires. Mais je me suis aperçue que je n'avais pas le numéro de Vassili, que j'aurais appelé pour le rencontrer quelque part et m'y rendre avec lui. J'ai laissé la voiture à la gare routière, par peur de me perdre, et j'ai pris un taxi. En effet, sans navigateur, je me serais perdue, c'est au diable vauvert, dans un quartier de barres de béton excentré. Sur place, pas de pizzeria, et il soufflait un vent glacial, sans compter que je ne peux rester debout longtemps. J'ai demandé aux gens du coin, et rallié la seule pizzeria dont ils avaient connaissance, à environ 500 mètres du centre. Je n'y ai vu ni le père Gleason, ni Vassili, mais j'ai déjeuné au chaud. Puis j'ai refait en claudiquant les 500 mètres en sens inverse. Devant la porte close en plein vent s'alignaient les Ukrainiens, Ouzbeks, Tadjiks venus s'occuper de leurs affaires d'immigration. Bousculade et rush à l'intérieur, où un écran déterminait quel talon prendre pour quelle queue. Je ne comprenais rien à cet écran, et ce d'autant plus que les gens s'énervaient derrière, à la rubrique "Permis de séjour permanent", il était marqué qu'on ne délivrait pas de talon, et que l'inscription par rendez-vous était fermée pour une semaine. J'ai commencé à chercher autour de moi s'il y avait moyen de se renseigner, si un bureau ou un guichet correspondait à mon cas, et je n'ai rien trouvé, je pense que j'étais trop fatiguée pour faire face. Je me suis retrouvée dans la rue, et j'ai pris, sur les conseils de mon taxi, un bus qui m'a amenée à la gare routière au bout de 45 minutes de trajet, et, complètement démoralisée, j'ai récupéré la voiture.
Alors que j'avais fait plus de la moitié du chemin, le téléphone s'est mis à sonner avec insistance, mais je conduisais. J'ai fini par répondre. Vassili m'annonçait triomphalement que mon permis était prêt, que le père Gleason et lui l'avaient vu. Question: pourquoi ne m'avait-il pas appelée avant, quand je cherchais la fichue pizzeria qui, contrairement à ses indications, se trouvait à un kilomètre et demi du centre des services d'immigration? Mystère de l'intellectuel russe!
Enfin le truc est prêt, je referai l'expédition lundi pour aller le récupérer. Après, il me faudra passer à la police, qui est dans un bled sur le trajet, pour changer l'enregistrement de la voiture. Mais il est fort possible que je doive auparavant faire enregistrer le permis de séjour à Pereslavl. Cependant, je ferai quand même le détour, car on ne peut prendre rendez-vous avec la police par téléphone, il faut le faire sur internet, mais le site ne reconnaît pas les passeports français...
Après quoi il me faudra entreprendre les démarches pour avoir une assurance médicale et parvenir à me faire soigner les genoux...
Au cours de tout cela, naturellement, je ne manquerai pas de mettre en pratique les conseils spirituels d'une jeune personne de ma connaissance, louer Dieu en toutes circonstances, comme le font les gens qui ont de vrais problèmes, répéter telle et telle prière, ce qu'au cours de ma longue vie je n'avais jamais eu à l'idée de faire, heureusement qu'elle était là pour me le révéler, tandis que je la conduisais à travers le blizzard, les yeux écarquillés.
Deux jours avant cette expédition, alors que j'avais laissé le portillon ouvert dans l'attente du plombier, j'ai vu arriver un couple jovial que je ne reconnaissais pas du tout, lui, je ne le connaissais d'ailleurs vraiment pas, mais elle m'avait logée en hôte payant il y quatre ans, quand j'ai acheté ma maison. Elle m'avait cherchée, disait-elle, tout ce temps-là et m'a aussitôt invitée pour le lendemain, et cela sans me laisser la moindre chance de me défiler!!!.
Elle a trouvé ce compagnon, très gentil, après 25 ans de solitude, et leur entente est touchante. Elle m'a vivement conseillé de faire comme elle et d'en prendre un au plus vite. Elle est très pittoresque, mais je ne crois pas que nous ayons beaucoup d'affinités... Elle a fait partie d'un groupe folklorique de type sourire permanent et robes de poupées de foire. Chez elle, c'est un festival de mauvais goût, quelque chose comme l'intérieur d'une Yvette Horner pas friquée. Tout y est, tout: le faux artisanat paysan, les fanfreluches, les fleurs artificielles, les broderies de perles de rocaille sur un fond prédessiné industriellement bien miévrassou: bonnes femmes à décolletés pigeonnants et à grandes capelines, petits enfants nunuches, bouquets boursouflés, petits chats, petits chiens, petits oiseaux... Les icônes qu'elle fait dans le genre ne se vendent pas, c'est parce que, me dit-elle, "je jure comme un charretier quand je n'arrive pas à enfiler mon aiguille!" J'ai eu droit, bien sûr, à beaucoup de conseils et à plein de cadeaux domestiques, plante verte, herbes médicinales. Mon angoisse suprême était de me voir offrir une des tapisseries ornées de perles de rocaille, mais j'y ai échappé, grâce à Dieu. Et pour finir, et m'achever, elle me demande: "Et quand vas-tu te faire construire une clôture décente?
- Comment ça, une clôture décente? Je l'ai fait refaire il y a deux ans, et elle est très bien!
- Je veux dire une clôture métallique, comme la mienne!
- Ah! (et cela fut un cri du coeur irrépressible) Jamais! J'ai horreur des clôtures métalliques!"