C'est le printemps, aujourd'hui, pour la fête de la sainte Rencontre, il fait un beau soleil chaud et tout fond, et je m'en réjouirais, si je ne craignais un retour de bâton au mois de mars. De plus, je suis malade, j'ai pris froid. Et je ne suis pas allée à l'église, je suis juste sortie nourrir les oiseaux et chercher Schtroumpf qui avait disparu. Le petit salaud était passé chez les voisins...
Ma maison a été transformée en appartement communautaire par l'installation des deux poètes, qui essaient de rester discrets, mais nos deux logements ne sont pas assez séparés pour cela, et un continuel va et vient d'animaux oblige sans arrêt les portes à s'ouvrir.
L'émission de télé à laquelle j'avais participée est passée hier. Je le sais, parce que le type qui avait acheté mon studio il y a deux ans m'a appelée pour me le dire, et aussi Valia qui travaillait au café. Je pressens qu'à Pereslavl, on va finir par me demander des autographes...
Ma maison a été transformée en appartement communautaire par l'installation des deux poètes, qui essaient de rester discrets, mais nos deux logements ne sont pas assez séparés pour cela, et un continuel va et vient d'animaux oblige sans arrêt les portes à s'ouvrir.
L'émission de télé à laquelle j'avais participée est passée hier. Je le sais, parce que le type qui avait acheté mon studio il y a deux ans m'a appelée pour me le dire, et aussi Valia qui travaillait au café. Je pressens qu'à Pereslavl, on va finir par me demander des autographes...
Il me semble que mes deux romans ont des qualités littéraires, d'après des avis qui comptent à mes yeux et ma certitude intérieure, mais il suffit que j’en
publie un extrait pour qu’à part quelques fans inconditionnels, tout le monde évite de
commenter, et même à mon avis de lire. Je pense que le jour où, mettons, Yarilo sortira en traduction
russe et aura, je l’espère, un écho, tous ceux qui tournent autour de ces romans
comme s’ils avaient peur de marcher dans la merde arriveront la queue basse et
frétillante sur la trace de la renommée, non parce qu'ils auront eu la curiosité d'aller voir, mais parce que d'autres l'auront fait avant eux.
J’ai un peu
avancé mon roman sur la modernité maudite, et je commence à avoir espoir d’en tirer
quelque chose de bien. Il trouvera sans doute plus facilement un public, car le
thème sera perçu comme nous concernant immédiatement, alors qu’en réalité,
Yarilo et Parthène nous concernent d’aussi
près.
Je lis le
magnifique roman de Vodolazkine, Lavr, qui a été traduit en français sous le
titre « les quatre vies d’Arséni ».
Malgré son sujet médiéval et son style profondément original, ce livre a
connu un grand succès ici, et il est traduit en vingt langues. Pourtant, Dieu
sait qu’il est atypique, comme disait un éditeur à propos du mien, pour
justifier son refus de le lire.
Mon roman est
parfois écrit comme un scénario, une pièce de théâtre ou même une bande
dessinée, ce qui n’est pas du tout le cas de Lavr, qui nous plonge complètement
dans une autre vie et la vie d’un autre, la vie de cet Arsène aux quatre vies,
personnage si pur et si russe, tour à tour médecin populaire de génie et fou en
Christ. Ce temps médiéval où nous sommes plongés, qui est lent, riche, enchevêtré,
qui s’épanche comme un fleuve et s’ouvre comme un horizon, pour déboucher
parfois sur le nôtre, des mots anachroniques surgissent dans des discours en
russe ancien, un fou en Christ prévoit la place des Jeunesses communistes à
l’endroit du monastère où il se trouve, ce temps est élastique, vivant, infini,
et nous sommes avec Arsène qui nous rejoint aujourd’hui, la frontière entre
aujourd’hui et hier n’existe plus. C’est ce que ce roman a de plus
extraodinaire à mes yeux. Ce n’est pas une reconstitution historique, c’est un
voyage, non dans le temps, mais au cœur du temps. Et la preuve pour moi que ce
temps médiéval, élément naturel de la sainte Russie, est toujours là, que sa
dimension existe, et c’est sans doute cela qui m’a attirée ici. Bien entendu,
il y a pas mal de Russes qui sont sortis de ce temps vivant, éternel, élastique
et infini. Ils sont devenus des posts-modernes, des post-soviétiques, ils
n’appartiennent plus à rien. J’en vois des exemples libéraux, et des exemples
communistes, qui me rappellent les pires équivalents de Français actuels
déracinés et programmés. J’ai même vu une femme déclarer carrément qu’elle ne
se considérait pas comme russe , mais comme soviétique, ce qui d’ailleurs
est parfaitement exact, j’ai toujours été persuadée qu’un communiste russe
était un communiste raté, trop pétri de littérature et de poésie classiques russes ou de folklore survivant, dont on n'avait pas réussi à faire un "homme nouveau". Le communisme s’étant établi dans la haine acharnée et
meurtrière de tout ce qui était russe, on ne peut en effet pas être russe et
soviétique. Comme d’ailleurs on peut difficilement être français et détester tout ce qui précède 1789. Et ce qui me fait parfois peur, c’est de constater que cette haine
de la Russie, chez les individus de ce nouveau peuple qui n’a plus de pays,
puisque l’URSS est morte mais que la Russie lui a quand même survécu, reste
très vivace, elle est même ulcérée de ne pas avoir hérité du paradis
matérialiste promis, et cherche des traîtres et des ennemis du peuple à qui faire endosser cet échec. Mais cette
entité énorme de la sainte Russie que représente Arséni est restée
partiellement vivante, c’est une pâte faite de nature illimitée, de gènes
slaves, scandinaves et finnois, de paganisme survivant, de christianisme ardent devenu consubstantiel, de communion évangélique avec les autres, de tradition
orale, d’orthodoxie encore intacte. Et tout cela communique et fermente, et
quand on entre dedans, alors on retrouve le monde d’Arséni, avec ses prolongements infinis, ce mouvement incessant de la vie à la mort et de la mort à la vie, ces liens entre ceux d'ici-bas et ceux d'au-delà.
Vodolazkine lui-même en fait partie. Et ses lecteurs…