Petit séjour à Moscou, pour ma leçon avec Skountsev. Je l'ai retrouvé dans son centre d'activités du nord de Boutovo, à l'autre bout de la ville. Il a pris la vielle de Vassia et y a apporté des modifications qui auraient sans doute arraché des hurlements à son concepteur. Mais je dois dire que j'arrive à chanter avec, ce qui m'était plus difficile avant, comme il me l'a dit: "je t'ai remplacé les cordes métalliques par des cordes naturelles, ce son européen métallique par un tendre son russe." Et puis il a fait en sorte que la clé qui commande le bourdon soit placé de mon côté, afin que je puisse facilement passer de quarte en quinte et en octave. Nous avons pris le thé ensemble, et il m'a confirmé que le folklore connaissait de plus en plus de succès dans la jeunesse. Et que cela s'accompagnait d'un retour aux traditions russes. Cela correspond à mes propres observations et au contenu d'un petit film documentaire avec des sous-titres anglais que je place en fin de chronique. Film où j'ai trouvé des choses que j'ai observées: le folklore unit les gens qui le pratiquent, les jeunes y trouvent une communauté, ils sont recentrés, leur vie y gagne en intensité et en chaleur humaine, et ils y trouvent ce qui nous manque à tous, une inépuisable source de créativité. J'en avais parlé l'avant-veille dans le roman que j'écris maintenant, et mis dans la bouche d'un de mes héros plus ou moins le discours que tient un jeune amateur de break dance qui a trouvé mieux dans la danse russe, sa danse traditionnelle à laquelle on s'acharne à substituer, comme partout ailleurs, des ersatz étrangers qu'on nous fait passer pour très chics.
Skountsev me dit, ce que j'ai remarqué aussi, que les gens riches sont ceux qui détestent le plus leur pays, comme chez nous, et qu'ils élèvent leurs gosses dans la haine de leur propre culture, les envoyant faire leurs études en Europe ou en Amérique et contribuant à grossir les rangs de cette caste internationale de poux gorgés de sang et de fric qui cherchent à anéantir tout ce qui est enraciné et traditionnel.
Le retour à la terre le fait sourire: "J'ai essayé, les gens n'ont pas besoin de nous et nous prennent pour des débiles, assez tordus pour laisser la ville où ils ont la chance de vivre pour aller récolter des vieilles chansons dans les campagnes disgraciées...
- Tu ne m'étonnes pas, chez vous comme chez nous, cela fait des temps que l'on répète aux gens dès l'enfance que seuls les imbéciles restent à la campagne, que tout métier stupide vaut mieux que d'être "au cul des vaches" comme disait mon grand-père. N'empêche que c'est pourtant la seule solution si nous voulons retrouver un avenir. C'est pourquoi procéder par installation de communautés n'est sans doute pas une mauvaise idée, tant que le pouvoir laisse faire. En France, par exemple, deux choses me gênent. D'abord l'état s'en mêlera forcément et s'en mêle déjà, dès que la chose prend trop d'ampleur et peut compromettre les trafics des lobbys de l'agro-alimentaire, et puis ces communautés de Français se croiraient la plupart du temps déshonorés de retourner aux traditions françaises en même temps qu'à la terre. Ils font de la musique exotique, africaine, indienne, ils sont chamanistes ou bouddhistes, coupés de leurs ancêtres, de leur foi et de tout ce qui a fait notre pays. Alors que les Russes, à part ceux qui sont néopaïens, et ça nous avons aussi, lorsqu'ils retournent à la terre, retournent au folklore, aux traditions russes et à la foi orthodoxe, ou vieille-croyante. C'est pourquoi j'ai davantage d'espoir pour la Russie que pour la France. Quand tu vois que même le pape aspire à nous voir disparaître dans un magma mondialiste..."
D'après lui, les vieux-croyants eux-mêmes ont toutefois du mal à maintenir leur genre de vie préservé contre les assauts de la modernité. Les filles partent en ville où elles se font violer ou séduire et deviennent comme les autres. Mais je pense que la lutte est notre seule façon de rester dignes et vrais, et ce que le folklore apporte aux jeunes et même aux moins jeunes, c'est le début du salut, de la dignité et de la noblesse, du sens retrouvés.
Skountsev envisage de venir me voir, et même de conduire un stage d'initiation au folklore, si je parviens à organiser cela avec Katia.
C'était à l'église le dimanche du Jugement Dernier et aujourd'hui commence la semaine grasse avant le carême ou maslenitsa. Crêpes à volonté et même quasiment obligatoires. A l'église, ça sentait déjà le carême. Les prêtres étaient habillés de brocart violet, c'était extrêmemement beau, car les étoffes étaient de qualité, elles rappelaient des tissus anciens aux reflets sourds sur un fond sombre. Aux vêpres on a chanté "sur les fleuves de Babylone". Je me suis confessée à mon père Valentin, et c'est le père Théodore qui m'a communiée sous le nom de "Lavrentia". Je regardais mon père Valentin et son équipe, et mon coeur se dilatait d'amour pour eux.
A la maison, on finissait les viandes et les charcuteries, et on commençait les crêpes. Ce sont les filles de Liéna qui les font, et elles s'en sortent très bien. J'ai parlé au père Valentin de mon sentiment de faiblesse et d'inachèvement spirituel, que je ne combats plus tellement, parce que j'ai l'impression que c'est peine perdue, et que peut-être la même chose n'est pas demandée à tout le monde. "Plus on vieillit et plus il est difficile de se réformer... m'a-t-il répondu.
- Oui, a renchéri Liéna à ma grande suprise, vous avez l'impression de faire des efforts pour lesquels vous n'êtes pas prévue et qui ne vous mènent pas là où il faut, eh bien si ça peut vous rassurer, moi aussi, il faut tenir compte de ce que l'on est".
Liéna parait souvent plutôt rigide, c'est pourquoi je ne m'attendais pas à cet aveu. Et je l'ai vue un jour retenir ses larmes quand je lui ai raconté que j'avais perdu le seul bébé que j'ai conçu (hors mariage) de ma vie...
Le père Valentin, me raccompagnant à ma voiture, m'a reproché de ne pas rester assez longtemps. Mais je n'avais pas d'affaires assez chaudes pour le temps qui a de nouveau changé. Le printemps précoce est revenu à la norme de fin d'hiver. Je lui ai dit que je reviendrais régulièrement prendre des cours avec Skountsev. Et sur la route, je réalisais à quel point je l'aimais, lui et sa famille, à quel point ils faisaient tous partie de moi. Et aussi les prêtres de notre paroisse, et les fidèles, et tout leur pays, toute la Russie que je recommande à Dieu. Je regardais défiler ces forêts, de chaque côté de la route, je regardais les nuages qui laissaient transparaître le ciel, et je ressentais combien ce paysage qui n'était pas celui où j'ai grandi, et qui me manque souvent, m'était pourtant cher, ce Nord mythique, dont j'ai pris depuis longtemps la direction et qui m'a avalée.
Skountsev me dit, ce que j'ai remarqué aussi, que les gens riches sont ceux qui détestent le plus leur pays, comme chez nous, et qu'ils élèvent leurs gosses dans la haine de leur propre culture, les envoyant faire leurs études en Europe ou en Amérique et contribuant à grossir les rangs de cette caste internationale de poux gorgés de sang et de fric qui cherchent à anéantir tout ce qui est enraciné et traditionnel.
Le retour à la terre le fait sourire: "J'ai essayé, les gens n'ont pas besoin de nous et nous prennent pour des débiles, assez tordus pour laisser la ville où ils ont la chance de vivre pour aller récolter des vieilles chansons dans les campagnes disgraciées...
- Tu ne m'étonnes pas, chez vous comme chez nous, cela fait des temps que l'on répète aux gens dès l'enfance que seuls les imbéciles restent à la campagne, que tout métier stupide vaut mieux que d'être "au cul des vaches" comme disait mon grand-père. N'empêche que c'est pourtant la seule solution si nous voulons retrouver un avenir. C'est pourquoi procéder par installation de communautés n'est sans doute pas une mauvaise idée, tant que le pouvoir laisse faire. En France, par exemple, deux choses me gênent. D'abord l'état s'en mêlera forcément et s'en mêle déjà, dès que la chose prend trop d'ampleur et peut compromettre les trafics des lobbys de l'agro-alimentaire, et puis ces communautés de Français se croiraient la plupart du temps déshonorés de retourner aux traditions françaises en même temps qu'à la terre. Ils font de la musique exotique, africaine, indienne, ils sont chamanistes ou bouddhistes, coupés de leurs ancêtres, de leur foi et de tout ce qui a fait notre pays. Alors que les Russes, à part ceux qui sont néopaïens, et ça nous avons aussi, lorsqu'ils retournent à la terre, retournent au folklore, aux traditions russes et à la foi orthodoxe, ou vieille-croyante. C'est pourquoi j'ai davantage d'espoir pour la Russie que pour la France. Quand tu vois que même le pape aspire à nous voir disparaître dans un magma mondialiste..."
D'après lui, les vieux-croyants eux-mêmes ont toutefois du mal à maintenir leur genre de vie préservé contre les assauts de la modernité. Les filles partent en ville où elles se font violer ou séduire et deviennent comme les autres. Mais je pense que la lutte est notre seule façon de rester dignes et vrais, et ce que le folklore apporte aux jeunes et même aux moins jeunes, c'est le début du salut, de la dignité et de la noblesse, du sens retrouvés.
Skountsev envisage de venir me voir, et même de conduire un stage d'initiation au folklore, si je parviens à organiser cela avec Katia.
"Musique native"(sous-titres anglais)
A la maison, on finissait les viandes et les charcuteries, et on commençait les crêpes. Ce sont les filles de Liéna qui les font, et elles s'en sortent très bien. J'ai parlé au père Valentin de mon sentiment de faiblesse et d'inachèvement spirituel, que je ne combats plus tellement, parce que j'ai l'impression que c'est peine perdue, et que peut-être la même chose n'est pas demandée à tout le monde. "Plus on vieillit et plus il est difficile de se réformer... m'a-t-il répondu.
- Oui, a renchéri Liéna à ma grande suprise, vous avez l'impression de faire des efforts pour lesquels vous n'êtes pas prévue et qui ne vous mènent pas là où il faut, eh bien si ça peut vous rassurer, moi aussi, il faut tenir compte de ce que l'on est".
Liéna parait souvent plutôt rigide, c'est pourquoi je ne m'attendais pas à cet aveu. Et je l'ai vue un jour retenir ses larmes quand je lui ai raconté que j'avais perdu le seul bébé que j'ai conçu (hors mariage) de ma vie...
Le père Valentin, me raccompagnant à ma voiture, m'a reproché de ne pas rester assez longtemps. Mais je n'avais pas d'affaires assez chaudes pour le temps qui a de nouveau changé. Le printemps précoce est revenu à la norme de fin d'hiver. Je lui ai dit que je reviendrais régulièrement prendre des cours avec Skountsev. Et sur la route, je réalisais à quel point je l'aimais, lui et sa famille, à quel point ils faisaient tous partie de moi. Et aussi les prêtres de notre paroisse, et les fidèles, et tout leur pays, toute la Russie que je recommande à Dieu. Je regardais défiler ces forêts, de chaque côté de la route, je regardais les nuages qui laissaient transparaître le ciel, et je ressentais combien ce paysage qui n'était pas celui où j'ai grandi, et qui me manque souvent, m'était pourtant cher, ce Nord mythique, dont j'ai pris depuis longtemps la direction et qui m'a avalée.