J'ai écrit à l'évêque pour lui communiquer mes réflexions, et il m'a répondu qu'il n'avait sans doute pas mis l'accent où il fallait mais qu'il n'était pas plus optimiste pour la Russie que moi pour la France. C'est drôle, moi si. Le moyen âge en Russie a duré jusque dans les années 60, il est encore proche, et puis il y a l'orthodoxie. Quelques braises dans l'âtre...
Voici ce que m'écrit un ami:
Le 2 octobre dernier, nous avons été à trois à Marseille.
Nous avions rendez-vous avec Sœur Minodora du saint monastère Sainte-Élisabeth de Minsk pour y emporter une icône de sainte Anne en route depuis plus d’un an ( !).
Le rendez-vous était à la petite salle située à côté de l’accueil de la basilique Notre-Dame de la Garde.
Sœur Minodora tenait en effet une petite exposition (comme chaque année) à cet endroit pour vendre les produits artisanaux du monastère.
Elle était dépitée car elle n’avait vu quasi personne depuis trois jours !
Notre-Dame de la Garde EST DEVENUE DESERTE, depuis la crise sanitaire (et le 2 octobre, nous étions pourtant déconfinés !).
Le personnel du magasin ne voit plus personne.
Les Marseillais ne montent plus prier.
Quant aux touristes, qui étaient des dizaines de milliers (arrivés principalement par les bateaux de croisière qui sont désormais interdits !), on ne les voit plus.
Et cette situation risque de durer.
Tu peux expliquer cela à ton évêque : il perdra ainsi quelques illusions…
C’est, une fois encore, pour ce qui concerne la basilique Notre-Dame de la Garde (mes réticences quant au tourisme de masse, destructeur de l’environnement tout autant que du patrimoine culturel, religieux… sont énormes et je me réjouis de la diminution de l’impact environnemental du tourisme de masse), les « fidèles » représentent aujourd’hui très exactement le degré de « fidélité » à Notre Dame de la Garde…
Pour le reste, gardons intacte notre Espérance en Dieu !
Iakov m'a téléphoné de Rostov, il me dit que là bas aussi, on commence à tout saccager, et il médite de se retirer à la campagne, loin des cottages et des châteaux américains. Là bas aussi, on convoite les rives du lac Nero. Ces vénérables villes historiques, si elles perdent leur visage, priveront les générations russes futures d'un repère essentiel, de la beauté léguée par leurs ancêtres, cette beauté que détestent spontanément ceux qui n'en ont pas cultivé en eux les récepteurs sensibles. Une âme privée de beauté l'est souvent de vérité et de bonté, de profondeur. Elle devient grossière et stupide, banale et vulgaire, et aisément malléable. Un être privé d'ancêtres et de mémoire n'a plus aucun ancrage dans la vie, dans la dimension cosmique de la vie.
Conduisant ma voiture à travers les rues de Pereslavl, je songeais que la ville était déjà si abîmée qu'on ne la reconnaissait plus. Elle reste un tout petit peu elle-même du côté du val, la fortification de terre médiévale, et des églises du centre, et puis de la rivière et du lac. Les maisons traditionnelles ont presque complètement disparu, soit défigurées, soit remplacées par des châteaux arméniens, des cottages boursouflés, des cabanes plastifiées.
Le monde qui s'annonce, celui des concombres masqués dans les débris profanés de l'histoire humaine, est si affreux qu'on ne sait où le fuir. Sans doute déjà dans une autre dimension. Certains vont méditer dans des endroits sauvages encore beaux, mais les satanistes au pouvoir font tout pour les en empêcher. D'autres lisent, créent, mais là encore, les gnomes ferment les librairies, les lieux de culture et de rencontre. Même la famille, dernier et plus sûr refuge de l'individu persécuté par une société inhumaine et folle, est menacée par les pervers qui nous dirigent.
On m'a envoyé une vidéo d'une Russe installée en Italie. On y expliquait que sans recourir à l'injection de nanoparticules dans nos organismes, nous étions déjà sous l'influence permanente d"ondes agressives, néfastes et indiscrètes, mais que chacun d'entre nous avait le pouvoir de les contrarier et de créer des ondes antagonistes. Ce que l'intelligence artificielle cherche à créer, une interconnection permanente entre les machines, les individus isolés, et le pouvoir des surhommes transhumanistes, parodie dans le registre affreux et contrefait de Frankenstein et du golem, ce que Dieu et la nature offrent de toute éternité à l'homme et à toutes les créatures, dans un registre bénéfique, à la fois organique et spirituel; car à part le monde mécanique et désespérant, et profondément laid, de l'homme technologique luciférien, tout est sacré dans l'univers, tout est baigné par l'Esprit, "que chaque souffle loue le Seigneur"... Tout ce qui vit dans cette dimension cosmique de l'Esprit est beau et engendre de la beauté. Tout ce qui s'en exclut est laid et produit des monstres.
Parallèlement, j'ai vu une vidéo d'un intellectuel marxiste qui voyait en la tentative d'asservissement et peut être d'anéantissement des masses par les "élites" richissimes au pouvoir exorbitant, le refus acharné d'accepter l'inévitable effondrement du système capitaliste, et d'une certaine manière, je pense que c'est vrai, que toute cette enflure démesurée de la civilisation technologique capitaliste, qui n'est pas viable, qui viole sans arrêt la vie, et a fait tant de victimes, aussi bien parmi les hommes que parmi les animaux qui peuplent la terre, est en train de retomber, de basculer, de dérailler, et que ceux qui cherchent à nous manipuler ne pourront empêcher l'échafaudage de s'écrouler également sur leurs têtes. En ce sens, oui, notre monde ne sera plus "comme avant", et nous sommes en train de détruire aussi les traces de ce qui était avant cet avant, soit celles d'un monde encore normal et équilibré. Tout ce que nous pourrons sauver, nous servira de foyer dans les ténèbres; de lumière, de chaleur.
Beaucoup de gens qui se croient réalistes et me considèrent sans doute comme une passéiste et une illuminée, sont à mon avis justement dans le déni d'un réel qu'ils ne sont pas prêts à accepter, car ils ont été entièrement modelés par cette modernité capitaliste technologique cupide et si on la leur enlève, ils ne leur reste plus rien. Ceux qui voient la réalité telle qu'elle est sont ceux qui nous proposent un retour à la vie ancestrale améliorée par des trouvailles récentes, quand c'est encore possible et si c'est encore possible, mais on ne donne à ceux-là ni audience ni moyens. "Nous n'allons pas vivre comme des Amish", s'est écrié Macron. Mais si, si, c'est ce qu'il faudrait faire, ce serait la seule issue, comme des Amish, des vieux-croyants ou des agroécologistes. Tant que nous ne l'aurons pas compris, nous continuerons à nous préparer un cauchemar inimaginable.
Si je soutiens tellement la pratique du folklore, c'est qu'elle rétablit entre les gens une communication saine, entre les gens et aussi avec le milieu environnant, et avec les générations précédentes. Elle recentre, elle relie. Il en est de même d'une religion bien vécue. Ce n'est pas un hasard, si l'on ridiculise le folklore, si on vilipende "les religions", si on casse la famille et les valeurs éternelles, si on détruit le patrimoine, si on déconstruit la culture, et même le langage, si l'on poursuit en hélicoptère un promeneur solitaire en forêt, alors que les concombres masqués s'entassent dans le métro ou les supermarchés, si l'on interdit l'accès aux lieux de culte. Il faut nous empêcher de contrarier les sortilèges du Mordor par la réunion des ondes bénéfiques de la culture, de la prière, de l'amour, de la création, de l'émulation, de la contemplation. Quand en Italie, des gens jouaient de la musique sur leur balcon, pendant le confinement, ils faisaient de la résistance. En réalité, pour combattre le monstre obèse aux mille bras qui entenèbre toute notre vie et propage jusque dans nos maisons ses pseudopodes indiscrets, il nous faut créer des égrégores bénéfiques de cet ordre. Pratiquer des arts, de préférence en commun, prier tous ensemble à la même heure, faire de la musique d'un balcon à l'autre. Quelqu'un a proposé de couper l'éléctricité pendant une demie heure. Oui, par exemple, couper l'électricité, allumer des bougies, et prier, ou chanter, ou dire des contes à plusieurs, ou se marrer. Et puis rallumer. Périodiquement.
Je vais essayer de faire venir Skountsev pour un stage pour les cosaques, en vue de l'organisation ultérieure de cours sur Skype à trois personnes, pour que cela fasse moins cher, et pour chanter en choeur. Skountsev, victime de toutes les mesures covidiennes, est fauché comme les blés, les cours qu'il me donne contribuent à le tirer d'affaire, mais ils sont aussi pour moi un moyen de ne pas succomber à cette chape qui nous tombe dessus. Les cours à distance qu'ils nous installent pour nous isoler peuvent devenir un moyen de nous réunir.
Et puis pour les plus jeunes, il faut tourner le dos aux villes et à la vie qu'on nous y propose. L'intelligent et profond docteur Fouché fait de la permaculture. Il faut refuser en bloc tout le système, avec ceux qui nous l'imposent. Et arrêter de croire qu'il est une fatalité.
Je suis en train d'apprendre cette chanson de quête, avec Skountsev. On chantait ce genre de chansons dans la période entre Noël et la Théophanie, on allait de maison en maison demander des friandises. Etant donné son contenu, elle est d'avant Pierre le Grand, car la résidence du tsar est encore à Moscou, et il y est question des guerres avec les Tatars, elle remonte vraisemblablement à Ivan le Terrible.