C'est souvent, en ce moment, que je pense à Poucette d'Andersen, quand elle prend congé de l'été pour s'enfoncer sous terre, et fait des adieux désespérés à l'hirondelle qui s'apprête à partir pour les pays chauds! Il y a finalement deux auteurs auxquels j'aurai toujours pensé dans ma vie, en de nombreuses circonstances, c'est Andersen et Dostoievski. Aujourd'hui, il fait moins chaud, l'air est très doux, jeudi, il fera 10° dans la journée et 3 la nuit! Pauvres oiseaux, qui chantaient à ma rencontre, ce matin, sur la rive de la rivière Troubej, pauvres crapauds, que j'ai entendus la nuit, en rentrant du bar du café à bicyclette, pauvres papillons que je vois valser, insouciants, de fleur en fleur. Les fleurs, cette année, je n'en ai pas eu autant que d'habitude, avec la sècheresse, et les dernières floraisons de flox ne seront pas remplacées par grand chose. Les sedum, les "oktiabrines", ces asters pourpres de l'automne, et il me reste les boules d'or et les topinambours. A la rivière, alors que je nageais paisiblement vers le lac, j'entends une voix élégiaque, derrière moi: " Et comme cela, en avant, tout droit, vers le large, vers la mer!" C'était un pêcheur jovial, depuis sa barque, et j'ai éclaté de rire. Il m'a tout d'un coup semblé que mon beau-père Pedro aurait pu dire quelque chose comme cela, c'était son genre d'humour. Il aurait adoré la Russie, je regretterai toujours de ne pas avoir eu le temps de la lui faire connaître.
Nounours est un chien très gentil, mais il n'obéit absolument pas, et quand on lui met une laisse, il manifeste une opposition totale. Il essaie de sortir de son collier, se couche et fait le mort. Comment aller se promener avec lui? Il a visiblement l'intention de se promener tout seul. Son obsession est de retrouver ses frères, tandis que déjà, les soupirants se pressent chez sa mère. Ce soir, il a ouvert le portillon et il est reparti chez la voisine Olga. Il s'ennuie vite, et gémit devant la clôture, dont le voisin a bouché tous les trous. Son frère le guette de l'autre côté. Pauvres gros bébés.
Les ouzbeks travaillent vite et bien. Ma maison me plaît davantage en bleu, elle semble plus légère, se confond avec le ciel, et la verdure ressort mieux. J'ai vu Gilles au café, nous avons commenté l'actualité, les aberrations hallucinantes de la propagande occidentale, et l'incroyable docilité de ceux qui la croient. Je lui ai parlé de la dernière vidéo de Slobodan, de son désarroi et de ses appréhensions, et il les partage. Pourtant, si je ne pense pas que Poutine soit un saint, il n'est certainement pas du tout comme on le présente là bas, et ses troupes non plus. Quand je vois des gens s'attendrir sur le bataillon Azov, dont les exactions horribles, au Donbass, font dresser les cheveux sur la tête...
Le pâtissier nous a rejoints. Il a un sourire blanc et féroce dans une barbe noire, des yeux verts ironiques. L'entendant critiquer une jeune employée que je trouve mignonne, je lui ai dit en riant: "Vous êtes dur!
- Oui, dans le boulot, je suis très dur, cela dit accessoirement, elle est mignonne, en effet, bien que je lui trouve la figure un peu plate, mais elle ne sait pas travailler. Quand on oublie de nettoyer la table du client qui s'installe, et que le faisant, on balaie les miettes et le sucre sur le gamin qui est dans la poussette dessous, cela la fout quand même un peu mal!"
Il a lancé quelques gauloiseries et je lui ai dit: "Ah dites donc, vous n'êtes pas un romantique!
- Ah moi, non, pas du tout!
- Vous devez en briser des coeurs, avec la tête que vous avez, quand je pense aux pauvres filles que vous faites sans doute rêver, et vous, apparemment, vous n'êtes pas du tout dans le même registre!"
Quand on est vieille et hors concours, on peut se permettre de dire ce qu'on pense!
Flaubert avait déjà évoqué ce problème des femmes qui veulent mettre du sentiment dans le sexe, pour les hommes si trivial, la plupart du temps, sauf quand parfois, ils sont amoureux. Mais finalement, je me demande s'ils le sont bien souvent, en tous cas, ils n'en ont pas forcément le besoin, ils le sont à leur corps défendant, alors que pour nous, c'est un besoin profond. En tous cas moi, je n'ai jamais pu séparer, pour mon malheur, le sexe du sentiment. Peut-être est-ce la vision qu'ont les hommes de la sexualité qui explique un certain puritanisme religieux qui m'est totalement étranger, puisque ce sont au départ essentiellement eux qui statuaient et écrivaient sur la question . Eux trouvent généralement ça dégueulasse, quel que soit le plaisir qu'ils y prennent, nous pas, enfin pas forcément, cela dépend du partenaire et des circonstances. J'ai toujours pensé que le puritanisme était l'autre face de la pornographie et réciproquement, l'un ne va pas sans l'autre.