Chocha dans le Gard |
Heureusement que je ne suis pas allée à Rybinsk, Chocha était aujourd’hui plus mal, et j’ai tardé à l’emmener chez le vétérinaire, car elle s’était finalement endormie dans son panier et je n’avais pas le coeur de l’arracher à son nid bien chaud. Tout commençait chez elle à se bloquer et à se dégrader, j’ai vu qu’entre deux sommes et deux câlins, elle rôdait et pleurait et n’arrivait pas à faire ses besoins.
Comme il va bientôt commencer à geler, je suis allée creuser un trou, entre le plus jeune thuya et la palissade, afin qu’elle puisse y reposer tranquille, et que cet arbre devienne le sien, l’ornement et le gardien de sa petite tombe.
J’ai déjà enterré plusieurs animaux, y compris mon cher Jules et mon cher Doggie, mais cette fois, j’ai beaucoup de mal, encore plus de mal. Curieusement, de faire ce trou m’a apaisée. Je ne la ferai pas incinérer, on me balancerait les cendres à la poubelle. Je serai plus tranquille de la savoir ici, dans mon jardin, où elle faisait la sieste, près de moi.
Je m’étais préparée à communier, mais au moment de partir à l’église, j’ai eu peur de la laisser. Je pense que l’on sent quand les choses deviennent sérieuses, c’est peut-être ce qui m’a retenue de partir à Rybinsk.
Ania est passée et m’a dit qu’il valait mieux aller chez le vétérinaire, elle m’a proposé de m’accompagner et il est arrivé ce que je prévoyais. Les bonnes femmes m’ont dit qu’elle n’allait pas durer longtemps, et dépérir de faim, et s’empoisonner avec son urée, je me suis décidée pour l’euthanasie, mais j’ai un tel chagrin que je ne peux retrouver mon calme, je pleure et sanglote éperdument. Je la caressais, et elle miaulait plaintivement sur la table de la clinique, la seconde d’après, elle n’était plus , mes paroles et mes caresses ne l’atteignaient plus. Je n’ai pas pu me résoudre à la laisser dans le coffre de la voiture, je l’ai ramenée ici, à la maison, y passer sa dernière nuit. Je me dis par instants que j’aurais dû tenir plus longtemps, mais en même temps, pourquoi faire ? Elle aurait décliné encore plus, elle aurait souffert, elle ne pouvait pas guérir, à son âge avancé, ni reprendre une vie normale, c’était la fin. Alors tenir pourquoi et pour qui ? Pour elle ou pour moi ?
Jusqu’à présent, jusqu’à aujourd’hui, où j’ai vu qu’elle avait du mal à uriner, et qu’elle ne mangeait plus du tout, j’ai tenu pour lui dire adieu et la laisser me dire adieu, pour échanger avec elle, pour la privilégier, même si je l’ai parfois rabrouée, je l’ai quand même aussi beaucoup caressée, je lui ai beaucoup parlé. J’espère lui avoir donné ce qu’il fallait, j’espère qu’elle restera près de moi, dans mon coeur, j’espère que je les retrouverai tous d’une manière ou d’une autre, et que mon peu d’amour sera transfiguré par l’amour divin, et que nous en serons tous comblés. Tous…
Il pleut, il fait froid, gris et sombre. Chocha a passé dix-sept ans avec moi. Dix-sept-ans… Quand je l'ai recueillie, j'étais encore jeune, je travaillais encore au lycée français. Je l'ai emmenée avec moi en France, je l'ai ramenée en Russie, et je priais pour qu'elle mourût avant moi, eh bien voilà, c'est fait.
Je l'avais adoptée en 2006 parce qu'elle chassait les rats et que j'en avais dans mon appartement à Moscou. Elle était tolérée dans la cage d'escalier de l'immeuble où elle s'était réfugiée, en raison de son aptitude à débarrasser l'immeuble de ces rongeurs. Elle avait déjà eu une portée de chatons, puis des bénévoles l'ont fait stériliser et l'ont sortie de sa cage d'escalier, l'immeuble étant déserté et menacé de démolition.
Effectivement, elle m'a tout de suite attrapé un rat, et fait fuir les autres. Mais mon vieux chat Picasso, que j'avais également recueilli depuis assez peu de temps lui-même, et qui ne chassait pas, a commencé à lui faire la vie impossible. Elle essayait de l'amadouer, mais cette carne ne voulait rien savoir. Un jour, je l'ai trouvée serrée contre la vitre, prête à s'enfuir à la première occasion, avec une expression complètement désespérée, et je l'ai prise dans mes bras pour la consoler. Picasso s'est ensuite résigné, sans jamais l'aimer, elle aurait pu, après sa mort, rester seule auprès de moi, mais j'ai recueilli Georgette, dont Chocha était très jalouse et réciproquement. A un trop bref moment, quand elles étaient toutes les deux seules avec moi, elles arrivaient presque à s'entendre. Mais après est venu Rom... Puis le retour en Russie, et les intrus arrivés depuis. Cependant, elle avait sa place sur mon lit, jusqu'au moment où elle n'a plus pu y grimper, et où je lui ai installé son coussin sur mon bureau, pour que dans la journée, elle fût près de moi, et si elle n'y arrivait pas bien, je la soulevais. Pendant ces quelques mois où elle a décliné, nous avons été plus proches qu'à aucun moment de sa vie, et même si parfois, elle m'horripilait par sa demande affective incessante, je tenais bon, il me semblait qu'il était très important de lui donner ma présence continuelle avant son départ. Et maintenant, je me sens vidée, amputée de ma princesse russe, qui fut si jolie et qui m'aima si passionnément..
Sur ma terrasse, à Cavillargues |
à la datcha |