Alors que la grisaille et le froid s'installent, et les ténèbres, voilà qu'aujourd'hui, le soleil prend congé, et je me rejoue Poucette, se préparant à hiberner dans le terrier de la souris et disant adieu à la nature. J'ai cueilli un bouquet d'orpin, mon orpin est énorme, somptueux, mais le gel va venir, et ces fleurs se conserveront encore quelques temps chez moi, prolongeant l'écho de la fête automnale de leurs grosses ombelles de velours pourpre, distinguées, surannées, comme un chapeau des années 1900. Les asters géants qui bordent ma palissade croulent en cascades violettes, parmi les ultimes feux des feuillages déteints. J'ai jardiné sans doute pour la dernière fois de l'année, malgré la fatigue, puis je me suis installée sur la terrasse, au soleil qui chauffe encore, mais le vent me gelait les doigts. J'ai fait un rapide dessin, pour le continuer plus tard. J'ai joué des gousli, au milieu des animaux, qui saisissaient l'occasion de lézarder, même la vieille Chocha aveugle est sortie un peu. Avec quelle splendeur chatoyaient devant mes yeux tous les détails de mon jardin! Et je ne savais plus si ce qui volait, plongeait, se posait autour de moi, traversant les cages ajourées des frondaisons et les rayons bleus dont elles étaient infusées, étaient des feuilles mortes ou des mésanges jaunes. Cela frémissait, fulgurait et tournoyait dans tous les sens. J'ai vu parmi elles un geai des chênes, ce n'est pas la première fois. Il était là cet hiver. Il paraît que cela mange des glands et des noix et noisettes, c'est peut-être pour cela que je n'en ai pas eu eu une seule, cette année, elles ont toutes disparu. Il faut dire que mon noisetier n'est pas encore très vieux, ni très fourni.
Vers le soir, alors que le couchant miroitait comme une feuille d'or froissée, une énorme demie lune est apparue au sud. La lune, ici, je ne sais pourquoi, est beaucoup plus grosse que chez nous.
Slobodan évoquait la nécessité de se garder un "ailleurs" pour ne pas succomber à la folie ambiante. Ici, tout reste plutôt calme, pour l'instant, mais je suis inquiète, bien sûr, qui ne le serait pas? Mon ailleurs, hormis la foi et la création, c'est précisément ce jardin, ces oiseaux, le ciel, les nuages, le vent. Je pense assez souvent, depuis que je les ai vus, et entendus, aux cèdres du monastère de Tolga, à ces créatures austères, majestueuses et bénéfiques, dont la voix m'a fait vibrer comme une corde d'une note recueillie, au diapason du cosmos. De tels cèdres ne pousseraient pas dans mon marécage, et mon terrain est trop petit pour ces géants, mais j'ai un gardien des mystères en la personne d'un genevrier qui m'a séduite par son feuillage ébouriffé et bleuâtre, sa grâce. Je l'ai acheté trop cher et presque mort, et je n'étais pas du tout sûre qu'il prendrait ici. Or, planté entre l'ouest et l'est, il prend, il fait de nouvelles branches, sa tête s'effile, pousse des antennes dans la lumière oblique, et je suis sûre qu'il chantera bien.
Quelle jolie phrase : "Alors que la grisaille et le froid s'installent, et les ténèbres, voilà qu'aujourd'hui, le soleil nous dit adieu, et je me rejoue Poucette, se préparant à hiberner dans le terrier de la souris et disant adieu à la nature."
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