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mardi 17 janvier 2017

Le tsar Ivan habillé pour l'hiver...



Voici que paraissent coup sur coup dans notre presse deux articles sur Ivan le Terrible, au moment où il devient une pomme de discorde entre libéraux et néostaliniens en Russie, ce que je désapprouve dans un sens comme dans l’autre, qu’on calomnie ou qu’on cherche à canoniser ce personnage. Ce que je sais de lui est sans doute hétéroclite, et je ne suis pas historienne, mais comme il me fascine depuis mon adolescence, je commence quand même à en savoir pas mal, et je commence aussi à connaître la Russie.
Il me paraît étrange que l’on se mette à en parler chez nous, tout d’un coup, et de la façon la plus sommaire et la plus inexacte. J’ai d’abord envoyé un commentaire rectificatif à cet article du Figaro, il n’a pas été publié. Pourquoi ne pas publier, en réponse à un article « historique », une réfutation de faits énoncés dans un certain état d’esprit ? Pourquoi était-il important pour le Figaro qu’on ne démonte pas son tissu de clichés ?
Cat article s’applique à présenter le tsar comme un tyran hagard et sadique point barre. En racontant des atrocités fantasmagoriques d’une manière d’ailleurs inexacte, même au regard des biographies les plus négatives que j’ai pu lire à son sujet. J’ai souligné que le personnage était beaucoup plus complexe, le contexte également, et que les seuls témoignages que nous ayons sont ceux du prince Kourbski, qui l’avait trahi et conduisait contre son propre pays des troupes polonaises, ou deux opritchniks allemands qui, après s’en être donné à cœur joie dans sa police politique, sont repartis chez eux l’arranger à leur sauce. Plus, évidemment, les vies des saints de l’époque, notamment celle du saint métropolite martyr Philippe, qui s’était opposé aux cruautés de la répression, et celle de saint Corneille.
Le tsar n’était vraiment pas un tendre mais il est très sommaire, et disons complètement con, de parler de vengeance pour le meurtre politique de son cousin Vladimir Staritski, auquel il a mis très longtemps à se décider, car il était de sang royal d’une part, et d’autre part, ils se connaissaient depuis l’enfance, il l’avait aimé. De même, il ne s’est pas « vengé » des boïars qui n’avaient pas juré fidélité à son fils en bas âge quand il était mourant, il avait fait alors réellement preuve de clémence, mais cet épisode avait grandement contribué à aggraver la profonde méfiance que lui inspirait sa noblesse, et la mort de sa femme, une décennie plus tard, a certainement déclenché le phénomène de l’Opritchnina, car il la pensait empoisonnée, ce qui s’est révélé exact, et il se trouvait privé de la seule personne qui tempérait sa violence et sa suspicion et lui apportait un réconfort affectif et un équilibre.
Enfin les raisons qu’il avait de se méfier de sa noblesse étaient bien réelles, et très anciennes. Les féodaux russes n’hésitaient souvent pas à s’allier aux Tatars ou au Polonais. La ville de Novgorod cassait déjà les pieds à son grand-père Ivan III et s’était soulevée contre sa mère régente quand lui-même était tout enfant. Il était, et son pays avec lui, sous la menace permanente de l’expansion polonaise et des entreprises uniates à l’ouest, et des incursions des tatars musulmans à l’est.
Il faut également le replacer dans le contexte de l’époque. En effet, le tsar a fait entre 4000 et 8000 victimes, principalement dans la noblesse, mais il y avait naturellement des dégâts collatéraux parmi les serviteurs et villageois de celle-ci, d’autant plus que l’Opritchnina constituée de tout et n’importe quoi s’en donnait à cœur joie. N’empêche : les dyptiques que le tsar adressait aux monastères pour faire prier pour ses victimes comptent 4000 noms. Henry VIII a fait beaucoup plus de victimes, et parmi le petit peuple. Il décapitait ses femmes, Ivan le Terrible les mettait au couvent, il ne livrait pas au bourreau celles qui avaient partagé son lit avec au moins les dehors de la légitimité. J’ai vu que la chasse aux sorcières, principalement dans les pays protestants, avait fait, entre 1560 et 1660, estimation basse, de 50 000 à 100 000 victimes en Europe. Je ne parle pas des répressions contre les catholiques en Angleterre, ni des guerres de religion un peu partout qui, pour les atrocités fantasmagoriques, n’ont rien à envier à Ivan le Terrible.
D’autre part Pierre I°, dit le Grand, n’a pas été moins terrible qu’Ivan le Redoutable, mais ses atrocités se commettaient au nom d’une occidentalisation forcée de la Russie et de sa livraison à toutes sortes de bandits étrangers dont il s’était entiché. Aussi mérite-t-il le qualificatif de «grand », et ses statues à Pétersbourg ou Moscou ne suscitent aucune indignation. Il  a pourtant torturé son fils à mort de ses propres mains, alors qu’Ivan l’a tué dans un accès de colère qu’il a amèrement regretté. Cet événement est d’ailleurs remis en cause par le fait qu’on n’a pas trouvé trace du coup fatal sur le crâne du tsarévitch. Il est vrai que d’autre part, on dit que ce crâne est en trop mauvais état pour qu’on puisse reconstituer son visage. Moi, j’ai tendance à croire qu’il l’a tué, cela me paraît dans la logique tragique du personnage, et je trouve gros que toute la Russie ait adhéré à cette thèse si elle n’était pas exacte mais disons qu’avant de proclamer qu’il l’a « tué à coups de bâton », ce qui diffère d’un coup porté dans le feu de la colère, il faudrait peut-être se renseigner un peu.
Notre qualificatif de « Terrible » accolé à Ivan, est une mauvaise traduction, la bonne étant redoutable qui n’a pas la même signification. Ivan, pour les Russes, était redoutable comme Dieu Sabbaoth ou Jupiter tonnant. Il est à remarquer que dans le folklore russe et les épopées russes (bylines), il a laissé un bon souvenir, on l’aimait, dans le peuple, et c’est dans les quartiers populaires de Moscou qu’il s’était fait construire un pied à terre à l’extérieur du Kremlin. Car ce tsar sadique (et il avait effectivement des côtés sadiques) avait institué un impôt dégressif, c’est-à-dire qu’il faisait payer les riches plus que les pauvres. Il faisait rechercher, et il rachetait les Russes emmenés en esclavage par les Tatars. Il avait commencé à installer à Moscou une pharmacie d’état, avec l’aide des Anglais, dont il favorisait la présence.
Plus troublant, une revue historique « sérieuse », d’après le correspondant qui l’a postée, fait la même chose, avec plus de retenue, mais de grosses inexactitudes :
Il y est dit que le tsar dans sa jeunesse « ambitionne de hisser la Russie au niveau de l’Occident, alors en pleine Renaissance ». C’est parfaitement inexact. Le tsar voulait faire de Moscou la troisième Rome, l’héritière de Constantinople, la gardienne de l’Orthodoxie et avait même convoqué le Concile des Cent Chapitres pour bien en redéfinir les dogmes. Il ne négligeait pas les inventions techniques, et avait installé une imprimerie à Moscou, il avait des relations avec les Anglais qui avaient échoué un navire à l’embouchure de la Dvina septentrionale et commerçaient depuis avec la Russie, mais il se méfiait de l’Occident comme de la peste. Il se méfiait même des Grecs suspects à ses yeux d’uniatisme. Et il se fichait complètement de la Renaissance.
Je vois ensuite que le « vieux tsar » avait instauré l’Oprtichnina (le partage des terres de le Russie entre lui et sa police d’une part, la noblesse d’autre part) et débuté l’horrible répression qui lui avait « valu son surnom » (dont on sait qu’il était pour les Russes un signe de vénération particulière). Mais le tsar n’était pas du tout vieux, quand tout cela a débuté, il avait la trentaine, et il venait de perdre sa femme bien aimée. La « folie meurtrière » a duré dix ans. La fin de son règne a été plus calme, c’est à la fin de son règne qu’intervient le meurtre à présent contesté de son fils, qui n’a rien à voir avec l’épisode de l’Opritchnina.
On met ensuite en parallèle la conquête de la Sibérie et celle de l’Amérique par les colons occidentaux, et on la place juste après les victoires de Kazan et d’Astrakhan. L’expansion russe a été  amorcée pratiquement à l’insu du tsar et à la fin de son règne par le cosaque Yermak, qui a franchi l’Oural et construit un fort de l’autre côté. Yermak est venu à Moscou en aviser le tsar et lui offrir des cadeaux venus de cette nouvelle terre. Ce fut une expansion progressive, pratiquement non violente, sans génocide ni conversion forcée. Les orthodoxes russes construisaient ermitages et monastères et attendaient que les gens viennent tous seuls.
Conclusion de l’article : Ivan a forgé l’état russe mais « échoué dans sa tentative de le hisser à marche forcée au niveau de l’Occident ». Une tentative qui n’a jamais été dans ses projets. Ce qui comptait pour lui c’était la solidité de ses frontières et la sauvegarde de l’orthodoxie. Il avait une conception mystique de sa position et c'était l'Eglise, en la personne du saint métropolite Macaire, qui lui avait inspiré de se faire sacrer tsar. Le projet qu’on lui attribue est celui de Pierre le Grand qui, à mon avis, est resté orthodoxe parce que c’était sa seule légitimité. Le peuple ne l’aurait plus supporté s’il avait voulu le convertir au catholicisme ou au protestantisme. Ivan le Redoutable était un grand pécheur mais un tsar orthodoxe, son lien avec son peuple était profond et organique, sa personnalité complexe et tragique, le contexte où il se trouvait difficile, tout cela n’est pas évoqué dans ces articles primaires, ce qui est dommage et à mes yeux, suspect. Ces articles n’expliquent rien de cet homme, ni de son peuple et cherchent simplement à salir l’un à travers l’autre. On pourrait pratiquer le même genre de simplification à l’égard de l’Occident, nulle histoire n’étant exempte de crimes, et nous réduire à l'Inquisition, aux croisades, à la saint Barthélémy et au génocide des Indiens. Ce qui ne nous fait pas plaisir quand cela se produit sous un jour tendancieux.


dimanche 15 janvier 2017

Ronald, le hollandais du Donbass

Ronald, hollandais qui parle à peine le russe, a fait le même choix que moi, et il s'est retrouvé au milieu d'un pays en guerre. Son témoignage m'a beaucoup intéressée. Ce qui l'a attiré et retenu, malgré la situation, son sentiment de profonde appartenance et de fidélité au pays choisi. que reconnaissons-nous en Russie ou dans le monde russe, nous autres Européens? Hier une Ukrainienne me disait que nous avons tous été un seul peuple, et en effet, nous descendons tous du même, les indo-européens, nous avons tous quelque chose en commun, dans nos rites les plus anciens et nos divers langages, je ne sais pas si c'est là une explication, mais je comprends que nous retrouvons, Ronald et moi, et quelques autres, quelque chose de profondément nôtre que nous avons perdu chez nous.

samedi 14 janvier 2017

Rien de nouveau sous le soleil

Je lis ce matin une homélie du père Dmitri Smirnov où, pour contredire les mauvaises excuses de ceux qui ne se convertissent pas en invoquant l'athéisme de leurs parents ou les circonstances de la vie moderne, il soutient que les gens simples du XVI° siècle ne différaient pas de ceux d'aujourd'hui, qu'ils étaient même plus ignorants et je ne suis pas du tout d'accord avec cette vision des choses, qu"on m'a présentée depuis mon enfance, à savoir que rien ne change jamais sous le soleil et que la nature humaine est ce qu'elle est.
Certes, la nature humaine est ce qu'elle est, et sur le plan des passions, des brutalités et des cruautés, en ce monde déchu, l'homme du XVI° siècle en voyait de toutes les couleurs, mais il y a des différences essentielles entre lui et nous, et elles ne sont pas à notre avantage.
Dès le ventre de sa mère, l'homme d'aujourd'hui entend le tohu-bohu de la vie contemporaine, des bruits mécaniques agressifs, la perceuse, la moto, la débroussailleuse, la musique discordante, obsédante, creuse et décervelante qui nous poursuit partout, à la radio, à la télé, dans les magasins. L'homme du XVI° siècle percevait les sons de la nature, les cloches, des prières psalmodiées, des chansons, des cantiques, les instruments de musique dont jouait son entourage.
Le monde qui l'entourait était fabuleusement beau, dur, parfois terrible, mais fabuleusement beau: les paysages grandioses et intacts, les maisons sculptées et décorées par leurs habitants eux-mêmes et il mettait vite la main à la pâte, ses jouets étaient faits main, les vêtements étaient confectionnés à la maison, dignes et nobles, chaque broderie était un symbole. La vie était pleine de rites, pleine de sens. Nous n'imaginons même pas la beauté qui régnait alors. Un enfant qui grandissait là dedans et s'y intégrait dès que possible, écoutant les contes, chantant les chansons, fabriquant des objets, utilisant ses mains, ses yeux et ses oreilles à tout moment, dans un cadre de vie ritualisé et sanctifié, où tous les événements avaient un caractère sacré ne pouvait ressembler aux gosses de notre époque, qui grandissent dans un environnement d'une colossale laideur, entièrement standardisé, fabriqué en usine, jetable, privé de sens, destiné aux décharges géantes que la terre ne peut plus absorber. Des enfants qui n'entendent plus de chansons, ne savent au mieux que des variétés ou des refrains de dessins animés, dessins animés qui défigurent tous les contes et leur contenu plein de sagesse et d'enseignement, et qui passent leur vie devant un écran au lieu d'utiliser leurs mains. des enfants dont on confie le développement à l'état, à des enseignants médiocres, et qui arrivent à l'adolescence profondément mutilés, pour nous offrir le spectacle de tristes petits cons agressifs au comportement, en réalité, parfaitement anormal. Pas de crise d'adolescence au XVI° siècle, on ne savait même pas ce que c'était, on était déjà intégré dans l'économie de la famille ou le service du souverain, on était même parfois marié, et cela venait naturellement. Pas de question à se poser sur le choix de son avenir, sur le bonheur ou sur le malheur, on n'était pas sur terre pour être heureux mais pour faire son salut, son devoir de paysan, d'artisan ou de guerrier. Je ne suis pas sûr qu'on était plus malheureux que nous, on avait moins de chances de vivre vieux, et l'on vivait plus durement d'un point de vue matériel, mais on avait la force intérieure que donne la structure d'une telle société, collective et ritualisée, avec tout un héritage de beauté, de sens, de noblesse.
Ce terreau était favorable à la spiritualité, notre mauvaise terre lui est terriblement défavorable, c'est une chose dont il faut prendre conscience. L'homme du XVI° siècle vivait en relation avec tout ce qui l'entourait, avec ses ancêtres, il avait une riche culture collective que l'homme de notre époque n'a plus, son âme était d'une meilleure étoffe, Il suffit de regarder les plantes élevées à coups de pesticides, les fruits et légumes qu''on nous vend, et ce qu'on trouve dans son jardin, cultivé avec amour. Des hommes qui ont manqué de tout sur le plan de l'âme, qui ont poussé de travers sur un mauvais terrain auront beaucoup plus de difficultés à être religieux, c'est à dire reliés entre eux, reliés au cosmos et à l'Origine du cosmos et de toutes choses, que ceux du XVI° siècle dont l'être était irrigué et traversé par tout ce qui est vital, fondamental et sacré.
Il serait important de prendre vraiment conscience de l'appauvrissement culturel et spirituel terrible du monde où nous vivons, et de ne pas limiter la notion de culture à celle de la caste cultivée qui, au fil des siècles, s'est détachée du reste du monde. si vénérables que soient les productions de cette élite intellectuelle, le "peuple obscur" avait sa culture, et elle nourrissait souvent encore celle de la noblesse ou de la bourgeoisie, comme on l'a vu avec la nourrice de Pouchkine, les modulations du chant populaire russe présentes dans la musique de Stravinski, l'amour de Gérard de Nerval pour les vielles chansons françaises, qui inspiraient aussi Marie Noël.
On ne peut établir le diagnostic de notre naufrage, venir éventuellement en aide à nos contemporains hagards, ensauvagés, disons le mot, abrutis, qu'en reconnaissant ce fait et en étudiant attentivement tous ses aspects. Il est vrai qu'alors, on en vient à la conclusion, qu'une réforme de l'école ou autre mesurettes ne changeront rien au fond du problème, que nous devons nous orienter vers un changement radical de vie. C'est cela, ou la fin des temps en accéléré, mais qui sait? C'est peut-être le moment, et dans les épreuves et la dégringolade qui se poursuivront, l'Eglise restera la seule orientation possible, l'étoile dans la tempête.

vendredi 13 janvier 2017

Retour à l'horizon

Cela fait plus d'un mois que je suis revenue, normalement, mon invitation est attendue de façon imminente dans l'agence qui se charge de faire établir mon visa. Me trouver ici, dans un sens, m'a fait des vacances, les deux mois de travaux m'avaient fatiguée. Je suis heureuse d'avoir vu les miens, mes amis orthodoxes de Cavillargues, et ma chère mère Hypandia. Le retour semble à l'horizon, si rien de fâcheux ne se produit.
L'invitation a été prête le jour de la saint Philippe, métropolite de Moscou, pour lequel j'ai une vénération particulière et que je prie régulièrement.
Autour de moi, la France, qui est si belle et que les gens ne savent plus voir, la France où je n'ai pas pu m'enraciner profond, peut-être parce que l'attachement à une patrie est avant tout spirituel. Or les ponts semblent coupés et les sources taries.
Un peuple, c'est une entité, une entité spirituelle et charnelle. Un ami russe me disait: "Nos chansons sont des entités spirituelles que nous capturons un instant et qui s'envolent plus loin, et parfois elles se perdent, on les oublie et plus rien ne peut nous les restituer".  Aussi s'appliquait-il à les retenir et à les transmettre, car elles sont une part essentielle de la mémoire et de l'âme de l'entité spirituelle qu'est le peuple russe, celui de la sainte Russie. C'est aussi une entité culturelle, une entité historique, disons un organisme, un être transversal, passé, présent qui tend vers un avenir. Or ces êtres collectifs que sont les peuples sont partout menacés par des forces corruptrices et dissolvantes qui savent très bien qu'un individu privé de toutes relations avec cette communauté n'est plus qu'un petit élément sans importance qu'on peut ranger dans une boîte et utiliser à sa guise, tant qu'il fonctionne, puis jeter quand il ne sert plus à rien. aussi cherchent-ils à fabriquer, avec nos entités mortes, avec les cadavres de nos peuples assassinés, des sociétés Frankenstein, assemblées de bric et de broc, hétérogènes, bariolées, sans rien de commun entre les individus qui les constituent et qui n'ont plus d'histoire, plus de mémoire, plus d'ancêtres, plus de traditions, plus de foi, plus d'anticorps, plus de défense.
En Russie même, subsistent parallèlement le peuple russe de la sainte Russie, une population post-soviétique, parfois néocommuniste, et les libéraux, qui méprisent leur propre peuple et sont prêts à le livrer aux étrangers.
La division, introduite chez les Russes par le schisme des vieux-croyants, puis l'occidentalisation forcée de Pierre qui a détaché la noblesse de son peuple et fabriqué une classe hétérogène incapable, dans sa sollicitude condescendante ou son mépris déclaré, de comprendre encore d'où elle venait, a permis l'introduction du virus bolchevique et ses conséquences tragiques.
Chez nous, la division est venue avec la Renaissance et le protestantisme qui ont engendré la révolution française et une agonie de deux siècles dont nous voyons les derniers soubresauts.
J'ose espérer que la sainte Russie survivra jusqu'à l'avènement du Christ et résistera aux libéraux comme aux néocommunistes.

jeudi 12 janvier 2017

Le prêtre ivrogne

Trouvant cette publication sur Facebook, j'ai décidé de la placer dans mes chroniques.  Cette histoire me paraît très russe, et très orthodoxe. A Pereslavl, tous les gens que j'ai vus semblent se considérer comme les membres pécheurs d'une communauté humaine en marche vers Dieu où personne n'est parfait, et où personne n'est seul, où aucun représentant de cette communauté n'a de parois étanches: dans cette communauté humaine, certains sont plus clairs ou plus ténébreux que d'autres, certains sont très lumineux, certains ne sont plus que ténèbres sans espoir et pourtant, nous sommes tous solidaires et l'espoir mystérieux des désespérés comme le salut des monstres réside dans cette solidarité que, lorsqu'on se penche sur ses romans dans les universités, on appelle la responsabilité collective dans la pensée de Dostoïevski. 
Qui plus est, à l'intérieur de chaque membre de cette communauté, qu'il soit lumineux ou ténébreux, , certains endroits restent dans la pénombre, d'autres s'éclairent, parfois tour à tour, et rien n'est joué jusqu'à notre dernière heure. Cette prise de conscience amène l'individu à juger et condamner de moins en moins et c'est à cela qu'il doit tendre. Dans cette perspective, on comprend mieux les ascètes et les saints qui se considèrent comme d'abominables pécheurs alors qu'ils sont cent fois meilleurs que les autres et que peu d'entre nous peuvent prétendre à leur élévation spirituelle et à leur immense bonté: ils sont au sommet lumineux de leur chemin personnel vers Dieu en communication avec les abîmes, ils en sont solidaires, et de ce fait comprennent n'importe qui et sont capables de donner un pardon que la plupart d'entre nous ne s'arracherait pas.
L'expérience littéraire fait parfois toucher du doigt cette mystérieuse solidarité humaine où s'effectue une perpétuelle contamination par le mal et une perpétuelle rédemption par le bien, d'une façon quasiment osmotique, comme la lumière d'un cierge éclaire plusieurs visages, ou comme l'ombre se diffuse peu à peu dans une pièce quand le jour disparaît. Et plus cette conscience nous vient, moins nous pouvons nous sentir innocents des péchés des autres, et moins nous pouvons, de ce fait, les juger, car tous les potentiels sont en nous, ou plutôt, nous sommes reliés à tous les potentiels, nos âmes ne sont pas étanches. C'est à la fois terrifiant et merveilleux.
Lorsque l'être devient étanche lorsqu'il n'a plus cette conscience, il est bien rare qu'il enferme en lui de la lumière. Dans ce cachot qu'il devient ne brille plus à la rigueur qu'une ampoule électrique, une clarté blafarde et froide qui ne sert qu'à révéler la pauvreté des lieux.
Mais tant que la circulation se fait, le salut est possible, l'évasion. Les sociétés osmotiques et organiques de nos ancêtres étaient pleines de ponts, de chemins, par lesquels passaient des anges, alors que les nôtres nous enferment dans des cases où nous nous étiolons et devenons plus ou moins fous, comme les animaux que nous élevons et tuons sans plus avoir aucun lien avec eux.

  Le prêtre ivrogne
Le simple prêtre d’un diocèse, dans l’ancien temps, avait l’habitude de commémorer des milliers de noms. Chaque fois qu’il célébrait, il mentionnait tous les noms qu’on lui avait donnés depuis 25-30 ans et plus. Comme il étudiait beaucoup l'histoire ecclésiastique, il commémorait nominativement des empereurs, des reines, des généraux, des patriarches, des évêques – qui avaient tous été orthodoxes. Ainsi, la commémoraison de tous ces défunts durait à peu près trois heures. C’est pourquoi il allait à l'église trois ou quatre heures plus tôt que l'office des Matines. Durant 25 ans il fit ainsi chaque dimanche, jour de fête ou jour ordinaire.
Cependant, il avait un vice. Il buvait. Il buvait trop. Une fois donc, durant une beuverie nocturne, il but jusqu'à l'aube, oubliant que le lendemain il devait célébrer. Et des pèlerins devaient venir assister à cette Liturgie. Il ne s'en souvint qu'à 5.00 h du matin.
Alors, que se passa-t-il? Complètement ivre, il se rendit à l’église pour célébrer. Il ne s’attarda pas à la sainte prothèse car il ne voyait pas les lettres des noms à cause de son ivresse. La divine Liturgie se déroula, la consécration prit fin et il parvint à communier lui même. Toutefois, lorsque le moment fut venu de faire communier les fidèles, l'étourdissement, l'insomnie et la longue veille le firent tomber par terre et le saint calice tomba aussi !
Ce qui se passa ensuite est indescriptible. L'histoire ne dit pas ce qui se passa avec la divine communion répandue par terre. On la ramassa sans doute le plus méticuleusement possible pour la consommer ensuite, tandis que s'ensuivirent, l’incinération du sol, du tapis, des ornements sacerdotaux etc. Lorsqu'il revint à lui, le bon prêtre, tout contrit, se fit tout petit dans un coin et se mit à pleurer à chaudes larmes.
L'évêque apprit tout cela. Il connaissait d'un côté la grande vertu du prêtre et d’un autre côté sa grande passion pour le vin. Il le convoqua, lui dit d'arrêter de célébrer et qu’il l'appellerait dans trois jours pour lui annoncer sa décision. L'évêque réfléchit à la situation sous tous ses angles. Finalement, il prit la décision de réduire le prêtre à l'état de laïque. Il se dit que le jour suivant, il l’appellerait et lui annoncerait sa décision.
Le soir, l'évêque se coucha normalement. Mais que vit-il pendant son sommeil ? Il était assis sur son trône vêtu de son habit, mais portant son étole et son omophorion qui sont les symboles de son pouvoir d'évêque. Des patriarches, des évêques, des archiprêtres, des prêtres, des moines, des rois, des princes, des princesses, des seigneurs, des barons et une multitude de gens de tous rangs, hommes et femmes, jeunes et vieux, et des enfants commencèrent à venir vers l'évêque, tendant les mains, le tirant de façon implorante par l'étole, par
l’omophorion, par la barbe, et le priant tout en pleurant pour la plupart, pour qu’il ne destitue pas le prêtre de ses fonctions. Notre prêtre, notre prêtre, qui nous aidera autant que lui ? Ils avaient tous les mains tendues et suppliaient, criaient et pleuraient : Notre prêtre! L’évêque se réveilla effrayé et en sueur. Il se dit : Comment donc le prêtre aidait-il toutes ces personnes ? Il fit venir le prêtre et l'examina. Stupéfait, il apprit que le prêtre commémorait durant plusieurs heures à la sainte prothèse.
Alors, il lui dit : Si tu me promets que tu ne boiras plus jamais, je ne
procéderai pas à ta destitution, je ne t'infligerai aucun jour de suspension et je te pardonnerai de tout mon cœur. Continue donc à célébrer la sainte prothèse de la sorte, tant que tu vivras. J'avais l'intention de te destituer de tes fonctions aujourd’hui, mais les âmes commémorées ne m'ont pas laissé accomplir ma première intention.
(Publié dans l'excellent bulletin « Orthodoxie n°161*décembre 2016)
http://orthodoxievco.net/

mercredi 28 décembre 2016

L'année 17

Voulant envoyer mes vœux à mes amis, je me suis surprise à écrire : bonne année 1917. J’ai naturellement corrigé et ajouté : qu’elle nous apporte le contraire de ce que je redoute.
1917… Le naufrage de la sainte Russie, séduite et violée par les gnomes lénino-trotskystes. Un abîme de malheur, de destructions, de cruauté bestiale et vile, de méchanceté bureaucratique méticuleuse et acharnée, de persécutions inlassables de tout ce qui était beau, spontané, naturel, épique, poétique, traditionnel, enraciné, spirituel, la perversion de toutes les valeurs, l’humiliation et l’éradication de toute noblesse. Après avoir lancé la destruction de la France en 1789, le diable lançait celle de la Russie, la troisième Rome. Mais c’était là un plus gros morceau. La troisième Rome a avalé et russifié le communisme et ressuscité son orthodoxie martyrisée. « La troisième Rome, Moscou, est debout, et il n’y en aura pas de quatrième » dit le jeune tsar Ivan dans le film d'Eisenstein. Il n’y en aura pas de quatrième, parce que l’Orthodoxie, et plus particulièrement l’Orthodoxie russe, est la dernière arche, le dernier rempart du christianisme des origines, et qu’elle s’apprête à jouer le rôle eschatologique qu’elle s’est préparée au long de son histoire chaotique, excentrique, parfois violente et presque toujours fervente et absolue.
2017. Depuis plusieurs années, les forces qui ont présidé à cette attaque inouïe contre la sainte Russie sont de nouveau à l’œuvre, pour l’entraîner dans une guerre totale dont elle ne veut pas et détruire fondamentalement l’Europe dans son essence et son identité, dans sa culture, ses paysages, son héritage, son histoire, sans doute même dans l’intégrité physique de ses habitants, presque tous aveugles, profondément égarés, spirituellement mutilés et devenus incapables de discernement. Il se peut que la Russie soit entraînée dans la catastrophe à son corps défendant, je veux me trouver avec elle, et non pas au pouvoir de satanistes, de traîtres et de malfaisants comme ceux dont nous dépendons malheureusement ici. Je veux vivre tout cela au côté de la sainte Russie orthodoxe, de ce qu’il en reste de vivace et de fervent.
Mais au sein même de la sainte Russie, subsiste l’Union Soviétique, parfois russifiée à un point acceptable, parfois bornée et amnésique, et s’infiltre le libéralisme du fric éhonté et de la haine trotskiste inlassable pour « ce pays », comme l’appellent les sectateurs de ce mouvement, prêts à la livrer à ses pires ennemis. Les cicatrices de la chute, du travail du diable, sont partout : villes défigurées, constructions hideuses, musique abrutissante, comme partout ailleurs, la hideur bigarrée, criarde des démons triomphants, de Mammon et de Moloch.
Il y a seulement plus de résistance, et je crois qu’elle tient à une certaine simplicité, à un besoin inextinguible de ferveur et d’absolu, et au fait, souligné par mon plombier de Pereslavl, que les Russes ne sont pas formatables.
Et en effet, ils ne le sont pas, sinon, comment auraient-ils résisté à ce qu’ils ont subi ? Car malgré tout, ils ont résisté, et mieux que nous, en Europe. Peut-être leur foi est-elle la bonne ? C'est ma conclusion depuis longtemps.
Ce qu’ils représentent est ma dernière patrie en ce monde, où je ne m’attarderai de toute façon que deux ou trois décennies au maximum. La Russie est de toutes parts calomniée, provoquée et attaquée, c’est là le sort des chrétiens depuis le Christ lui-même, c’est une preuve de plus, à mes yeux, qu’il faut monter dans cette arche, dans l’arche de la troisième Rome dont je devinais le rayonnement dès les années 70, quand elle nous semblait bétonnée sous l’Union Soviétique. J’ai aimé la sainte Russie, je l’ai crue morte et je l’ai vue ressusciter.
Je me trouve en ce moment entre deux pays, à attendre une invitation pour faire mon visa et repartir, dans l’angoisse que les choses ne tournent tout à fait mal et que je ne puisse pas le faire.
Que cette année 17 ne soit pas notre perte, que résiste la sainte Russie, et que puissent rejoindre cette arche tous ceux qui en discernent la direction. Qu'ils le fassent physiquement, comme moi, qui rejoint la troisième Rome mue par une certitude intérieure, ou spirituellement, au sein des quelques lieuх saints qui subsistent encore en Europe. Et qu'ils s'accrochent fermement: ça va tanguer.




vendredi 16 décembre 2016

Les chroniques évoquées à Pravda.ru

Alexandre Artamonov a souhaité m’interviewer sur son site, au sujet de mes chroniques et de mon expérience russe :

Dès mon arrivée en France, ma bronchite a connu une aggravation brutale, me laissant sans voix!