Trouvant cette publication sur Facebook, j'ai décidé de la placer dans mes chroniques. Cette histoire me paraît très russe, et très orthodoxe. A Pereslavl, tous les gens que j'ai vus semblent se considérer comme les membres pécheurs d'une communauté humaine en marche vers Dieu où personne n'est parfait, et où personne n'est seul, où aucun représentant de cette communauté n'a de parois étanches: dans cette communauté humaine, certains sont plus clairs ou plus ténébreux que d'autres, certains sont très lumineux, certains ne sont plus que ténèbres sans espoir et pourtant, nous sommes tous solidaires et l'espoir mystérieux des désespérés comme le salut des monstres réside dans cette solidarité que, lorsqu'on se penche sur ses romans dans les universités, on appelle la responsabilité collective dans la pensée de Dostoïevski.
Qui plus est, à l'intérieur de chaque membre de cette communauté, qu'il soit lumineux ou ténébreux, , certains endroits restent dans la pénombre, d'autres s'éclairent, parfois tour à tour, et rien n'est joué jusqu'à notre dernière heure. Cette prise de conscience amène l'individu à juger et condamner de moins en moins et c'est à cela qu'il doit tendre. Dans cette perspective, on comprend mieux les ascètes et les saints qui se considèrent comme d'abominables pécheurs alors qu'ils sont cent fois meilleurs que les autres et que peu d'entre nous peuvent prétendre à leur élévation spirituelle et à leur immense bonté: ils sont au sommet lumineux de leur chemin personnel vers Dieu en communication avec les abîmes, ils en sont solidaires, et de ce fait comprennent n'importe qui et sont capables de donner un pardon que la plupart d'entre nous ne s'arracherait pas.
L'expérience littéraire fait parfois toucher du doigt cette mystérieuse solidarité humaine où s'effectue une perpétuelle contamination par le mal et une perpétuelle rédemption par le bien, d'une façon quasiment osmotique, comme la lumière d'un cierge éclaire plusieurs visages, ou comme l'ombre se diffuse peu à peu dans une pièce quand le jour disparaît. Et plus cette conscience nous vient, moins nous pouvons nous sentir innocents des péchés des autres, et moins nous pouvons, de ce fait, les juger, car tous les potentiels sont en nous, ou plutôt, nous sommes reliés à tous les potentiels, nos âmes ne sont pas étanches. C'est à la fois terrifiant et merveilleux.
Lorsque l'être devient étanche lorsqu'il n'a plus cette conscience, il est bien rare qu'il enferme en lui de la lumière. Dans ce cachot qu'il devient ne brille plus à la rigueur qu'une ampoule électrique, une clarté blafarde et froide qui ne sert qu'à révéler la pauvreté des lieux.
Mais tant que la circulation se fait, le salut est possible, l'évasion. Les sociétés osmotiques et organiques de nos ancêtres étaient pleines de ponts, de chemins, par lesquels passaient des anges, alors que les nôtres nous enferment dans des cases où nous nous étiolons et devenons plus ou moins fous, comme les animaux que nous élevons et tuons sans plus avoir aucun lien avec eux.
Le prêtre ivrogne
Qui plus est, à l'intérieur de chaque membre de cette communauté, qu'il soit lumineux ou ténébreux, , certains endroits restent dans la pénombre, d'autres s'éclairent, parfois tour à tour, et rien n'est joué jusqu'à notre dernière heure. Cette prise de conscience amène l'individu à juger et condamner de moins en moins et c'est à cela qu'il doit tendre. Dans cette perspective, on comprend mieux les ascètes et les saints qui se considèrent comme d'abominables pécheurs alors qu'ils sont cent fois meilleurs que les autres et que peu d'entre nous peuvent prétendre à leur élévation spirituelle et à leur immense bonté: ils sont au sommet lumineux de leur chemin personnel vers Dieu en communication avec les abîmes, ils en sont solidaires, et de ce fait comprennent n'importe qui et sont capables de donner un pardon que la plupart d'entre nous ne s'arracherait pas.
L'expérience littéraire fait parfois toucher du doigt cette mystérieuse solidarité humaine où s'effectue une perpétuelle contamination par le mal et une perpétuelle rédemption par le bien, d'une façon quasiment osmotique, comme la lumière d'un cierge éclaire plusieurs visages, ou comme l'ombre se diffuse peu à peu dans une pièce quand le jour disparaît. Et plus cette conscience nous vient, moins nous pouvons nous sentir innocents des péchés des autres, et moins nous pouvons, de ce fait, les juger, car tous les potentiels sont en nous, ou plutôt, nous sommes reliés à tous les potentiels, nos âmes ne sont pas étanches. C'est à la fois terrifiant et merveilleux.
Lorsque l'être devient étanche lorsqu'il n'a plus cette conscience, il est bien rare qu'il enferme en lui de la lumière. Dans ce cachot qu'il devient ne brille plus à la rigueur qu'une ampoule électrique, une clarté blafarde et froide qui ne sert qu'à révéler la pauvreté des lieux.
Mais tant que la circulation se fait, le salut est possible, l'évasion. Les sociétés osmotiques et organiques de nos ancêtres étaient pleines de ponts, de chemins, par lesquels passaient des anges, alors que les nôtres nous enferment dans des cases où nous nous étiolons et devenons plus ou moins fous, comme les animaux que nous élevons et tuons sans plus avoir aucun lien avec eux.
Le prêtre ivrogne
Le simple prêtre d’un diocèse, dans l’ancien temps, avait l’habitude de commémorer des milliers de noms. Chaque fois qu’il célébrait, il mentionnait tous les noms qu’on lui avait donnés depuis 25-30 ans et plus. Comme il étudiait beaucoup l'histoire ecclésiastique, il commémorait nominativement des empereurs, des reines, des généraux, des patriarches, des évêques – qui avaient tous été orthodoxes. Ainsi, la commémoraison de tous ces défunts durait à peu près trois heures. C’est pourquoi il allait à l'église trois ou quatre heures plus tôt que l'office des Matines. Durant 25 ans il fit ainsi chaque dimanche, jour de fête ou jour ordinaire.
Cependant, il avait un vice. Il buvait. Il buvait trop. Une fois donc, durant une beuverie nocturne, il but jusqu'à l'aube, oubliant que le lendemain il devait célébrer. Et des pèlerins devaient venir assister à cette Liturgie. Il ne s'en souvint qu'à 5.00 h du matin.
Alors, que se passa-t-il? Complètement ivre, il se rendit à l’église pour célébrer. Il ne s’attarda pas à la sainte prothèse car il ne voyait pas les lettres des noms à cause de son ivresse. La divine Liturgie se déroula, la consécration prit fin et il parvint à communier lui même. Toutefois, lorsque le moment fut venu de faire communier les fidèles, l'étourdissement, l'insomnie et la longue veille le firent tomber par terre et le saint calice tomba aussi !
Ce qui se passa ensuite est indescriptible. L'histoire ne dit pas ce qui se passa avec la divine communion répandue par terre. On la ramassa sans doute le plus méticuleusement possible pour la consommer ensuite, tandis que s'ensuivirent, l’incinération du sol, du tapis, des ornements sacerdotaux etc. Lorsqu'il revint à lui, le bon prêtre, tout contrit, se fit tout petit dans un coin et se mit à pleurer à chaudes larmes.
L'évêque apprit tout cela. Il connaissait d'un côté la grande vertu du prêtre et d’un autre côté sa grande passion pour le vin. Il le convoqua, lui dit d'arrêter de célébrer et qu’il l'appellerait dans trois jours pour lui annoncer sa décision. L'évêque réfléchit à la situation sous tous ses angles. Finalement, il prit la décision de réduire le prêtre à l'état de laïque. Il se dit que le jour suivant, il l’appellerait et lui annoncerait sa décision.
Le soir, l'évêque se coucha normalement. Mais que vit-il pendant son sommeil ? Il était assis sur son trône vêtu de son habit, mais portant son étole et son omophorion qui sont les symboles de son pouvoir d'évêque. Des patriarches, des évêques, des archiprêtres, des prêtres, des moines, des rois, des princes, des princesses, des seigneurs, des barons et une multitude de gens de tous rangs, hommes et femmes, jeunes et vieux, et des enfants commencèrent à venir vers l'évêque, tendant les mains, le tirant de façon implorante par l'étole, par
l’omophorion, par la barbe, et le priant tout en pleurant pour la plupart, pour qu’il ne destitue pas le prêtre de ses fonctions. Notre prêtre, notre prêtre, qui nous aidera autant que lui ? Ils avaient tous les mains tendues et suppliaient, criaient et pleuraient : Notre prêtre! L’évêque se réveilla effrayé et en sueur. Il se dit : Comment donc le prêtre aidait-il toutes ces personnes ? Il fit venir le prêtre et l'examina. Stupéfait, il apprit que le prêtre commémorait durant plusieurs heures à la sainte prothèse.
Alors, il lui dit : Si tu me promets que tu ne boiras plus jamais, je ne
procéderai pas à ta destitution, je ne t'infligerai aucun jour de suspension et je te pardonnerai de tout mon cœur. Continue donc à célébrer la sainte prothèse de la sorte, tant que tu vivras. J'avais l'intention de te destituer de tes fonctions aujourd’hui, mais les âmes commémorées ne m'ont pas laissé accomplir ma première intention.
Cependant, il avait un vice. Il buvait. Il buvait trop. Une fois donc, durant une beuverie nocturne, il but jusqu'à l'aube, oubliant que le lendemain il devait célébrer. Et des pèlerins devaient venir assister à cette Liturgie. Il ne s'en souvint qu'à 5.00 h du matin.
Alors, que se passa-t-il? Complètement ivre, il se rendit à l’église pour célébrer. Il ne s’attarda pas à la sainte prothèse car il ne voyait pas les lettres des noms à cause de son ivresse. La divine Liturgie se déroula, la consécration prit fin et il parvint à communier lui même. Toutefois, lorsque le moment fut venu de faire communier les fidèles, l'étourdissement, l'insomnie et la longue veille le firent tomber par terre et le saint calice tomba aussi !
Ce qui se passa ensuite est indescriptible. L'histoire ne dit pas ce qui se passa avec la divine communion répandue par terre. On la ramassa sans doute le plus méticuleusement possible pour la consommer ensuite, tandis que s'ensuivirent, l’incinération du sol, du tapis, des ornements sacerdotaux etc. Lorsqu'il revint à lui, le bon prêtre, tout contrit, se fit tout petit dans un coin et se mit à pleurer à chaudes larmes.
L'évêque apprit tout cela. Il connaissait d'un côté la grande vertu du prêtre et d’un autre côté sa grande passion pour le vin. Il le convoqua, lui dit d'arrêter de célébrer et qu’il l'appellerait dans trois jours pour lui annoncer sa décision. L'évêque réfléchit à la situation sous tous ses angles. Finalement, il prit la décision de réduire le prêtre à l'état de laïque. Il se dit que le jour suivant, il l’appellerait et lui annoncerait sa décision.
Le soir, l'évêque se coucha normalement. Mais que vit-il pendant son sommeil ? Il était assis sur son trône vêtu de son habit, mais portant son étole et son omophorion qui sont les symboles de son pouvoir d'évêque. Des patriarches, des évêques, des archiprêtres, des prêtres, des moines, des rois, des princes, des princesses, des seigneurs, des barons et une multitude de gens de tous rangs, hommes et femmes, jeunes et vieux, et des enfants commencèrent à venir vers l'évêque, tendant les mains, le tirant de façon implorante par l'étole, par
l’omophorion, par la barbe, et le priant tout en pleurant pour la plupart, pour qu’il ne destitue pas le prêtre de ses fonctions. Notre prêtre, notre prêtre, qui nous aidera autant que lui ? Ils avaient tous les mains tendues et suppliaient, criaient et pleuraient : Notre prêtre! L’évêque se réveilla effrayé et en sueur. Il se dit : Comment donc le prêtre aidait-il toutes ces personnes ? Il fit venir le prêtre et l'examina. Stupéfait, il apprit que le prêtre commémorait durant plusieurs heures à la sainte prothèse.
Alors, il lui dit : Si tu me promets que tu ne boiras plus jamais, je ne
procéderai pas à ta destitution, je ne t'infligerai aucun jour de suspension et je te pardonnerai de tout mon cœur. Continue donc à célébrer la sainte prothèse de la sorte, tant que tu vivras. J'avais l'intention de te destituer de tes fonctions aujourd’hui, mais les âmes commémorées ne m'ont pas laissé accomplir ma première intention.
(Publié dans l'excellent bulletin « Orthodoxie n°161*décembre 2016)
http://orthodoxievco.net/
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Beau texte…
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