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mercredi 25 avril 2018

Métastases


J’ai la migraine, c’est le climat russe. En France, cela m’avait pratiquement passé. Mais ici, un jour il fait 17°, le lendemain il neige. Cela me fatigue et j’ai beaucoup de choses à faire, répéter ma journée lecture et chants de dimanche, finir ma traduction, travailler au jardin.
J’ai vu qu’un vétérinaire français avait légalement  assassiné deux jeunes spitz importés de l’étranger parce qu’ils n’étaient pas en règle, cela m’a retourné les tripes. Il y avait la photo de ces deux petites merveilles aux expressions enjouées, intelligentes et sensibles caractéristiques de cette race de chiens.
J’en aurais bien repris un, et en même temps, cela veut dire soins vétérinaires et sans doute mort prématurée. Et surtout, je ne sais pas comment réagirait Rosie, bien qu’un copain lui manque sans doute, la présence d’un spitz me manque aussi. Je n’ai pas de grande complicité avec Rosie, un bonhomme m’a dit un jour : «Ce serait un chien pour moi, pour aller dans la forêt pendant des heures. » Je lui ai sauvé la vie, et elle a la vie heureuse, mais complètement parallèle à la mienne.
Il y aurait la solution de prendre un petit spitz et non pas un spitz nain. Un élevage de Yarosavl précise que les gens se jettent sur les miniatures au détriment des petits, mais que les petits sont beaucoup plus solides. Il y a des spitz magnifique, miniatures ou pas, pour un prix dérisoire, dans le coin.
Avoir un spitz me compliquerait les visites de monastères lointains, et il me faudrait le promener quand je vais à Moscou, par tous les temps. Aller faire un tour avec lui tous les jours, ce qui me ferait plutôt du bien, mais Rosie nous suivrait, ce qui serait dangereux pour elle.
J’avais vu aussi un jeune cocker abandonné par ses maîtres pour cause de déménagement, sur un site. J’aimais beaucoup son expression intelligente et offensée. Il a quatre ans, et ce n’est pas mal, car je serai un peu plus sûre de le mener jusqu’au bout de son existence, je peux espérer vivre encore dix ans. Mais ce n’est pas un spitz. Ce n’est pas un si petit chien que cela, c’est un chien de chasse.
Ce qui me retient, c’est que si la relation que j’avais avec mes petits chiens me manque terriblement, j’ai déjà peu d’affection à donner à mes autres animaux, trop nombreux, qui me vouent tous un amour jaloux. Les regards d’adoration de Chocha, la patte obstinée que pose Georgette sur mon bras quand je travaille pour que je lui fasse une place sur mes genoux, la passion presque amoureuse de Blackos pour ma personne, et même Rom, le dingo, qui se précipite de temps en temps sur moi pour me donner des coups de tête…
J’avais mis sur facebook une lettre ouverte sur le saccage épouvantable des landes magnifiques qui, depuis le moyen âge, depuis saint Alexandre Nevski, entourent le monastère saint Nicétas et les escarpements qui bordent le lac. Un paysage qui apparaît même dans le film d’Eisenstein, un paysage mythique. Ce saccage est en cours, bien que suspendu momentanément, mais les constructions apparaissent partout comme d’affreux champignons, et les palissades métalliques défigurent ces lieux vénérables, où je préfère ne plus aller. Je mets régulièrement un cierge à Alexandre Nevski en lui demandant de sauver sa ville et ses environs, déjà suffisemment ravagés par le mauvais goût et la cupidité.
J’ai été contactée par l’auteur de la lettre, Yevgueni, qui me paraît touchant d’honnêteté, de sensibilité, j’aimerais bien le rencontrer. Il semble habiter un village miraculeusement épargné par les profanations. Il me dit qu’il fait pour le lac, le monastère et ses environs ce qu’il peut, tout en se résignant à tout, sans pour autant perdre espoir, en véritable orthodoxe.
De mon côté, j’ai publié la lettre et lancé des appels vibrants. Les Français sont moins concernés et ne comprennent pas forcément qu’il faut aller sur le lien russe, et là, cliquer sous les photos des gens qui soutiennent l’action, pour s’ajouter à la liste, tout est en russe, même avec ma traduction, c’est intimidant.
Mais tous les Russes à qui j’ai envoyé l’information et la protestation, parfois journalistes orthodoxes ou hommes d’église, n’ont pas trouvé utile de réagir. Moi, Française, je suis bouleversée par ce qu’on fait subir à ce site magique et typiquement russe, un site qui comporte un vénérable monastère, une source sainte, et plus loin, la tombe d’un fou en Christ. Un site qu’ont parcouru Alexandre Nevski et Ivan le Terrible. Une ville que la révolution a déjà suffisamment profanée et qui est à présent la proie de la cupidité de promoteurs moscovites puissants et sans scrupules, et des fonctionnaires locaux qui leur sont acquis, avec même, si j’ai bien compris la rumeur, des complicités au sein de l’Eglise… Et personne ne réagit. Les orthodoxes devraient tous multiplier les processions devant ces affreuses barricades. Il n’en est rien. Cela, les Russes l’auraient fait au XVI° ou au XVII° siècle, ils auraient même pu le faire sous les bolcheviques. Mais plus maintenant, Satan est déchaîné, les orthodoxes se taisent.
Cela n’arriverait pas sous un tsar. Mais le tsar ne reviendra pas, le seul Tsar dont je puisse attendre le retour, c’est le Christ, et j’espère qu’il ne tardera pas. Maudits soient ceux qui achèteront les maisons horribles que construisent tous ces malfaiteurs. Je préfèrerais crever plutôt que d’avoir « la vue sur le lac » à ce prix.
Les constructeurs et les utilisateurs du chancre qui va ronger le beau visage de la Russie éternelle emporteront dans la mort le « trésor » qu’ils se seront préparés, ce sinistre bagage pour l'au delà, leurs baraques mal foutues, submergées par les ordures jetées n'importe où, et les eaux polluées. L’honnête Yevguéni rejoindra la « ville invisible de Kitej » dans la grande Maison du Père, et j’espère qu’on m’y fera une petite place.
En France, les pouvoirs en place s'acharnent sur la nature, coupent les arbres en masse, ordonnent le massacre d'animaux "nuisibles" ou simplement "gênants": des oiseaux qui "font du bruit" par exemple... Les pires éléments de l'espèce humaine prennent le dessus et développent une "civilisation" hideuse et prédatrice qui se présente de plus en plus comme une tumeur maligne en phase terminale.

 
Une vue du monastère qui n'existe déjà plus.
Fédia, à l’étape de Pereslavl, au retour de Rostov, réussit à fausser compagnie au convoi pour revenir au village. Alors que tout le monde était couché au monastère Nikitski, il annonça au détachement cosaque son intention d’aller se baigner nuitamment dans la source de saint Nicétas le stylite, ce qui déclencha toutes sortes de commentaires grivois auxquels il fit semblant de ne rien comprendre. Il se fit ouvrir la porte et s’esquiva discrètement à cheval.  La lune inondait la surface du lac, et des nuages y miraient leur troupe évanescente, aux draperies blêmes et métalliques.  Il longeait ses vastes berges escarpées et désertes, couvertes de graminées et de fleurs sauvages que balayait un vent doux.  Avec exaltation, il revit la plage où il avait incarné Yarilo et dansé jusqu’à l’extase. Il mit pied à terre, s’agenouilla sur le sable humide,  baigna ses joues d’eau fraîche, laissa son cheval boire et marcher tout seul. Le monastère, posé sur la colline, se désintégrait dans la pénombre brumeuse et lunaire, ses coupoles allumaient des étoiles sourdes au dessus de l’eau argentée qui se plissait en chuchotant.

aquarelle que j'avais faite du monastère qui surgissait des prés comme une vision

mardi 24 avril 2018

Faut-il en parler?


Papa, je n'aime pas les filles, je les trouve dégoûtantes...
- Oh, Vania, tu serais plus grand que je te fouetterais pour de telles
paroles. (dessin de Phobs)
Une amie orthodoxe m’a dit au téléphone, avec des tas de précautions oratoires, que la traductrice, pressentie pour traduire mon livre trouvait  à la page 80, qu'il ne parlait que de l’homosexualité du tsar Ivan.
J’en ai été absolument abasourdie, et je lui ai dit que je ne voulais pas de cette traductrice qui sans doute ne souhaite pas faire le boulot non plus. Je m'attendais à ce qu'elle n'aimât pas mon livre, ce que j'admets tout à fait. Mais le réduire à la relation homosexuelle du tsar et de son favori me sidère et me blesse. Ce qui m'ennuie, c'est qu'elle ne sera pas la seule à le faire. Quelqu'un m'a dit que de simplement évoquer ce thème revenait à agiter un chiffon rouge devant la bêtise qui, c'est bien connu, a un front de taureau. 
Il se trouve que j’ai pris comme héros ou anti héros Fédka Basmanov de sinistre mémoire, « très beau par le visage et affreux par l’âme », qui était selon toute vraisemblance le jeune amant du tsar Ivan. A cela, même le film d’Eisenstein, hagiographie de l’époque stalinienne, fait une allusion discrète mais claire. Le fait est mentionné dans le roman d’Alexeï Tolstoï « prince Serebrianny », où c’est franchement décrit, d’une manière beaucoup plus offensante et caricaturale. Mais c’est peut-être justement cela qu’on me reprochera, de l’avoir fait, et pas d’une manière caricaturale, ce qui est sans doute plus dérangeant. Les choses étant ce qu'elles sont, dans une certaine tradition historique du moins, je ne pouvais éviter d'en parler un minimum, ou alors, il ne fallait pas prendre ce garçon pour héros, il fallait le laisser, "très beau par le visage et affreux par l'âme", dans l'enfer où il était tombé. Il fallait prendre pour héros quelqu'un d'honorable, de fréquentable, écrire une édifiante hagiographie. Mais qui dit que l'histoire de mon héros n'est pas édifiante? Je la crois profondément édifiante. Si on la lit et ne s'arrête pas à la situation de départ.
La traductrice n’a pas vu que je passais déjà plusieurs chapitres à parler plutôt du passé du tsar, avant cette histoire, soit son enfance martyre, son mariage heureux, la glorieuse parenthèse du début de son règne, son veuvage et ses conséquences.  
De plus, je montre assez vite que Fédia, pris dans sa toile d’araignée d’or et de sang, n’y est pas vraiment à l’aise et sa rencontre avec le métropolite Philippe lui fait jeter sur sa courte et déjà désastreuse existence, un autre regard. Ce passage du monastère des Solovki n’a pas du tout, semble-t-il, distrait la prude personne de la « relation homosexuelle » sur laquelle elle est obnubilée.
L’homosexualité existe, les homosexuels aussi, il y en a de toutes sortes, il y en avait même en Russie du moyen âge, d’autant plus que les femmes étaient peu accessibles hors mariage. Mais pour certains, il ne faut pas en parler, ces gens-là sont des monstres, un point c’est tout. Se pencher sur ce qui a pu unir un veuf viril, luxurieux et dominateur à un jeune garçon sans doute blessé dans son enfance, béat d’admiration devant son tsar, et peut-être sutout désireux d’échapper à son père est la marque d’une nature étrangement attirée par le vice. Mais on fait le même raccourci avec Dostoïevski, que le même genre de personnes prend pour un personnage sulfureux et infréquentable, malgré une existence douloureuse et somme toute, vertueuse, parce qu’il a parlé des passions humaines les plus extrêmes, y compris le viol d’une petite fille par son anti héros Stavroguine.
Je suis personnellement moins choquée par l’aventure du tsar avec un jeune garçon que par ses cruautés. Mais il est plus licite d’évoquer les secondes que la première.
L’homosexualité n'est pas le thème de mon livre, ce serait plutôt la chute et la rédemption, les ravages et les dangers du pouvoir, l’égrégore maléfique qui se forme autour de l'Opritchnina et qui ne laisse échapper personne, le rôle salutaire de l’amour conjugual et des liens familiaux. Et surtout, la Russie et l'âme russe. Que le héros en soit un jeune homosexuel, homosexuel du reste de hasard, mais peut-être beaucoup d’entre eux le sont-ils au départ, je n’y peux rien. Ce livre s’est emparé de moi et ne m’a plus lâchée, c’est lui qui m’a choisie et pas le contraire et en réalité, il se peut que les personnages eux-mêmes, les âmes en peine de ces deux hommes, se soient jetés sur moi pour me le faire écrire : je les montre sans les juger, et sans caricaturer. J’ai prié pour eux, je les ai aimés. C’est pourquoi aussi, je pense que le tsar n’était pas davantage le saint que certains voudraient voir en lui, que le monstre absolu dépeint par les autres. Je sens que d’une certaine manière, je leur rends justice. Je parlais dans ma chronique sur la pièce de Youri du jeu théâtral, le roman est aussi une sorte de jeu très sérieux, où sans prétendre à l'exactitude historique, en l'occurrence d'ailleurs impossible, on peut jeter sur une situation un éclairage psychologique et parfois spirituel.
A la lumière de tout cela, j’en viens à penser que la pornographie et la pudibonderie, qui me sont également complètement étrangères, relèvent de la même déviation qui consiste à séparer l’acte sexuel de tous sentiments, bons ou mauvais d’ailleurs, et le fait parfois passer du secret absolu à l’exhibitionnisme, comme on l’a vu dans le sociétés puritaines protestantes. Dans mon livre,  le sexe est indissociable des sentiments. Ce sont parfois des sentiments passionnels et pécheurs, mais ce sont des sentiments quand même, et à ces sentiments passionnels et pécheurs se mêlent aussi parfois des élans d’affection ou d'empathie, car rien n’est simple. Lorsque mon métropolite Philippe rencontre Fédia pour la première fois, il ne voit pas en premier lieu un petit sodomite sulfureux et criminel qu'il juge, mais un garçon perdu à qui il témoigne de l’intérêt et de la compassion, car le métropolite est un saint, et pas un bigot.
Dany me dit de me préparer à ce genre de réactions, car elles seront nombreuses. Oui, mais c’est dur, j’ai mis toute mon âme là dedans et cela me fait mal qu’on réduise mon âme et celles de mes héros à des "histoires de pédés". Parfois, je redoute vraiment de publier, si certaines personnes voient dans la publication d’un livre un événement flatteur pour leur ego, ce n’est vraiment pas mon cas, car je sais que mon ego risque d’en prendre un vieux coup, je suis si impliquée que je risque d’être complètement écorchée.  Pourtant que faire? J'ai essayé pendant trente ans d'oublier ce livre, mais lui, ne m'oubliait pas.  J’ai conscience d’avoir fait un roman profond et original qui peut réellement faire du bien, même s’il aura l’effet d’un pavé dans la mare. Il pourrait amener à la foi des jeunes que rebutent la bigoterie et la pudibonderie, par exemple. Moi, cela me rebute énormément. Mais au moment où j'avais fait le choix de l'orthodoxie, j'avais été instruite par un moine à qui ces deux défauts étaient étrangers, Dieu merci. Autrement, je serais sans doute passée à côté.
Reste qu'il me faudra plus de courage pour publier l'engin que pour le laisser dans mon tiroir.


Bonne fête du 8 mars!
Je voudrais une pelisse comme celle de Viazemski!
(cadre du film d'Eisenstein détourné par un Russe facétieux)


Faust et Hélène


J’ai assisté chez Dany et Iouri, dans leur théâtre domestique, à la représentation de la pièce en vers de Iouri, « Faust et Hélène ».
Faust y est davantage un poète qu’un savant maléfique, pris entre Méphisto et la belle Hélène de Troie que celui-ci invoque pour le séduire. Il m’a semblé voir une sorte de conversation entre le poète, sa muse, et donc tout ce qui l’inspire, et son génie, qui dans la pièce, est un personnage satanique, avec lequel il a conclu un pacte, le génie se révélant en l’occurrence, comme dans le docteur Faust de Thomas Mann, le résultat d’un pacte avec le diable.
Le génie est-il un pacte avec le diable ? Je me suis souvent posé la question, pourtant,on n’est pas responsable de son génie. On naît avec, et que faut-il en faire ? Des vers, des livres, des tableaux, de la musique… On n'a guère le choix.
Le diable de Iouri, cependant, est séduit par sa victime, de même que sa créature Hélène qui, de déesse coquette devient femme amoureuse et douloureuse, prête au sacrifice de son immortalité pour sauver son poète. De déesse grecque, elle devient vraie femme russe. Le diable de Iouri, flamboyant, sarcastique, se prend à son propre jeu, et avoue son amour pour la proie qu’il devait entraîner en enfer. Lorsqu’il offre à Faust le salut, lui propose de fuir, Faust se déclare obligé par son pacte d’aller honnêtement jusqu’au bout, et décrit toutes les belles choses de ce monde qu’il  emportera en enfer, dont ses propres créations.
Mais l’enfer n’est pas pour l'honnêteté et les belles choses, là où entrent les belles choses, l’amour et l’abnégation, l’enfer perd son pouvoir, ainsi que le démontre la descente aux enfers du Christ avant sa Résurrection.
J’en conclus donc que le Faust de Iouri se sauve avec son génie et sa muse, rendant le pacte caduque.
Un des amis présent a déclaré que Iouri était de la classe des poètes classiques et qu’il devrait avoir beaucoup plus de notoriété, n’étaient les temps où nous vivons, et je suis pleinement d’accord avec cela, sa pièce a le souffle des créations d’autrefois, un souffle dont notre temps n'a plus l'habitude, il est difficile au souffle de passer dans l'immense prison banale et médiocre qu'on nous constitue petit à petit. Ses vers coulent de source et scintillent, évocateurs, incantatoires, le propos est profond, sous la fantaisie et l'humour, la grâce. Je ne comprenais malheureusement pas tout, mais j'entendais la musique et le rythme, d'autant plus que la pièce était en partie accompagnée à la guitare et que parfois, la diction des acteurs devenait quasiment du chant. Je regardais cet étrange phénomène du jeu théâtral, avec trois accessoires dans un lieu plein d’atmosphère : un jeu qui n’est pas sans rappeler le jeu des enfants, mais quand les enfants jouent ils répètent leur vie future : les adultes essaient d'en comprendre le sens et d’apprivoiser la mort. C'est la le sens de leur jeu, celui du théâtre ou du roman. Sans doute les créateurs n'ont-ils pas d'autre moyen que ce jeu pour entrer dans la vie spirituelle, parce qu'ils restent d'éternels enfants.
Iouri, en homme de cet orient scandinave qu’est la Russie, est fasciné par l’Europe et son berceau méditerranéen, son Hélène latinisée a quelque chose des personnages de Boticelli et se déplace dans un univers comparable, solaire, brillant et fleuri, tandis que moi, grandie au soleil et dans l’ambiance de la France méridionale, j’ai été captivée par un univers boréal qui m’a emmenée là où j’en suis.

A la fin de tout cela, quand les spectateurs se sont dispersés, une femme nous a fait la démonstration du salut des chevaliers européens du XVI° siècle et tout le monde s’est mis à répéter des révérences en lignes parallèles, spontanément : vraiment, c’est la Russie !

Faust

Méphisto
Hélène



L'envol des trois héros



Faust




samedi 21 avril 2018

Lettre ouverte du mouvement « la patrie d’Alexandre Nevski »



Le monastère saint Nicétas
Nous demandons votre soutien pour la création d’un musée-parc naturel de niveau fédéral concernant le paysage de la rive du lac Plechtcheïevo depuis les prés du monastère saint Nicétas de Pereslavl Zalesski jusqu’au mont d’Alexandre.
Les prés de la rive du lac Plechtcheïevo autour du monastère saint Nicétas, de la source sainte de saint Nicétas le stylite,  de Klechtchino, du mont d’Alexandre doivent être protégés de la construction illégale de « cottages » qui provoquera la perte de l’héritage spirituel multiséculaire de la Patrie d’Alexandre Nevski et la destruction de l’écologie du lac Plechtcheïevo. C’est une question d’honneur pour toute notre nation qui se prépare à fêter en 2021 le 800 ° anniversaire de la naissance du saint chef de guerre à Pereslavl Zalesski.
Cette violation de toute une série de lois et de droits des citoyens de Russie s’accomplit depuis quelques années avec l’appui de l’administration de district et la complicité des autorités de la région de Yaroslavl. Cela se fait au détriment de paysages dont la qualité unique sert de référence à la compréhension de l’identité nationale et unit en un seul ensemble historique une liste importante d’objets patrimoniaux spirituels, historiques, culturels, archéologiques et naturels de la Russie.
Deux associations sans but lucratif de construction de datchas ont déjà commencé une construction d’envergure de la rive du lac Plechtcheïevo, avant le  monastère saint Nicétas, sans avoir l’autorisation du ministère des Ressources naturelles de la Fédération de Russie. Une autre société vend activement des secteurs offshore de la rive du lac .  En dépit de la position du ministère public de l’environnement, le Rosprirodnadzor de Yaroslavl considère que cette pratique de l’administration locale est licite.
La source de saint Nicétas le Stylite se retrouve dans une « situation barricadée » quand au nom de l’installation d’un lotissement de cottages fermé de cinq cents maisons, l’administration du district de Pereslavl a conclu en 2015 un accord officiel de collaboration avec quatre compagnies de constructeurs, après quoi le pré qui depuis des siècles apporte l’eau à la source s’est retrouvé clôturé pour tout le monde par des barrières de construction  impénétrables.
Au nom de ces plans d’envergure, le ministère des Ressources Naturelles de la Fédération de Russie, dont dépend le Parc National du lac de Plechtcheïevo, a accepté de faire passer les prés protégés de la rive du lac de terre agricole à terrains d’habitation, en même temps que la rive de la rivière Bolchaïa Slouda, que les pouvoirs locaux ont également remise en des mains privées. Après l’intervention de la société civile, cette rivière fut rendue, uniquement grâce au tribunal, à la Fédération de Russie, mais les barrières continuent à défigurer sa rive.
La rivière Slouda fournit l’eau de la source de saint Nicétas le Stylite et se jette dans le lac de Plechtcheïevo, dans la proximité directe de la réserve d’eau municipale de Pereslavl Zalesski et des zones principales de tourisme des gens de tout le pays, le ministère des Ressources Naturelles a donné illégalemnt son accord au rejet des eaux du système d’évacuation de ce lottissement de cottages dans cette rivière.
Toute une série de départements  administratifs de la région de Yaroslavl a également convenu du transfert des prés protégés du monastère saint Nicétas  pour agrandir les limites de l’agglomération de Nikitskaya Sloboda, l'organisation de trois autres NTT sans examen historique et culturel complet, en dépit du fait que ces terres soient protégées depuis 1978 en accord avec la résolution actuelle du Comité exécutif de la région de Yaroslav et soient destinées uniquement à la création de parcs publics.
Grâce aux efforts conjoints du public et des associations professionnelles, la construction de la côte est maintenant suspendue, le syndicat des fonctionnaires et des investisseurs continuant de couvrir et de faire pression sur les plans de construction au moyen d’audiences publiques effectuées en violation des lois pour faire adopter des documents  couvrant toute une série de décisions abusives
Dans ces règles d’utilisation des terres et de construction, l’administration a réduit l’activité culturelle historique dans la zone des prés naturels conservés sur un paysage historique préservé à une sorte de « tourisme éducatif » qui suppose « la construction de logements individuels avec chaufferies et autres structures d'ingénierie». Une telle contradiction est  soutenue officiellement par un document signé du vice-président du gouvernement de la région de Yaroslavl Tkachenko Vitaliy Vladimirovitch Après une série de requêtes, commencée en avril 2016 avec une lettre au Ministère des Ressources Naturelles de la FR, le mouvement « la Patrie d’Alexandre Nevski » a adopté les actions suivantes :
Le 26 février 2018, une proposition u nom du gouverneur de la région de Yaroslavl Dmitri Iouriévitch Mironov de création sur le paysage de la rive du lac Plechtcheïevo depuis le mont d’Alexandre jusqu’aux prés du monastère saint Nicétas d’un musée-réserve naturelle de dimension fédérale en accord avec la loi fédérale n° 73- F3.
Le 6 mars 2018 a été faite une requête semblable auprès du ministère de la culture de la Fédération de Russie au nom de Vladimir Rostislavovitch  Medinski, car il n’y a plus d’espoir d’obtenir , grâce à une définition d’expert correcte de la réserve de la source sacrée de saint Nicétas le Stylite, la création d’un document moderne interdisant la construction prédatrice de cottages sur les prés protégés du monastère saint Nicétas.
Nous comptons sur le soutien à cette initiative, car cela mettra au passé la lutte pour démasquer les manœuvres criminelles et la vénalité, ce sera une étape constructive de notre travail pour conserver les valeurs nationales de la Russie.
Le soutien du gouverneur de la région de Yaroslavl ne nous a pas été donné, d'après la réponse de son remplaçant, Andreï Iouriévitch Chabaline. Le ministère de la Culture de la Russie, quant à lui, se réfère à l'obligation formelle de préparer une justification pour la création d'une réserve-musée de niveau fédéral par les administrations régionales et locales. Autrement dit, les efforts publics des citoyens russes visant à mettre en œuvre la tâche de l'Etat sont dans une impasse administrative, en conséquence d'un ensemble établi de faits découlant de l'incapacité du ministère des Ressources naturelles de la Fédération de Russie.
La raison de cette situation est que sur l’initiative des citoyens de Russie, sans problème posé par des personnalités politiques clés du pays, il est très difficile à ces institutions spécialisées de s’attaquer au redressement d’une situation qui est allée assez loin, et à l’aggravation de laquelle travaillent des capitaux, l’influence et les ressources des investisseurs constructeurs, qui ne veulent pas reconnaître, même dans leurs relations avec les organes d’enquête du ministère de l’Intérieur russe, leurs erreurs imprudentes qui causent, dans le cadre de leurs activités, un tort considérable aux propriétés de l’Etat et à la politique gouvernementale à long terme de conservation de l’héritage de la Russie pour les générations futures (73-F3).
Dans le but de résoudre ce problème, a été créé depuis décembre 2017 un programme de requêtes adressées aux chevaliers de l’ordre d’Alexandre Nevski. Ce qui nous donne de l’espoir, c’est que sur ce terrain,  notre activité sociale a déjà trouvé de la compréhension chez toute une série de gens du gouvernement et de citoyens de Russie qu’en vertu de la dignité de leur action nous appelons les « gens de bonne volonté ».
Nous vous demandons de soutenir la création d’un musée-réserve naturelle sur la terre sainte de Pereslavl Zalesski, d’exprimer votre inquiétude à propos de ce qui se produit, d’aider par un mot de soutien et de participation, de faire des pas sur lesquels on pourra s’appuyer pour dialoguer avec les institutions gouvernementales appropriées.Nous demandons de faire du haut de vos tribunes un objet d’attention et de discussion générale du saccage sacrilège en cours d’un trésor d’intérêt national à Pereslavl Zalesski, dans une ville de « l’Anneau d’Or », liée à l’histoire pluriséculaire de la Russie et liée directement au saint prince Alexandre Nevski qui personnifie l’honneur,  le courage, l’identité nationale du peuple russe.
Les meilleurs fils de la patrie, auxquels vont nos demandes d’aide, ont été récompensés de l’odre de saint Alexandre Nevski pour leurs travaux personnels et leur apport au développement du pays par la Grande Russie.  Ce grand honneur est enlevé aux chevaliers de l’ordre comme à toute la nation à Pereslavl Zalesski, cela ne doit pas être permis.

Le mouvement orthodoxe patriotique « la Patrie d’Alexandre Nevski ».
POUR AIDER, il faut cliquer sur le lien de l'article, puis à droite, sous les photos de ceux qui soutiennent, cliquer pour s'ajouter à la liste, c'est un genre de pétition.

Quelle est l’apparence de la Patrie d’Alexandre Nevski aujourd’hui :

le site haché par une barrière


Une maison qui me fait cuire les yeux quand je me promène

ue maison construite illégalement

La source de saint Nicétas barricadée

les jolis cottages...

autres chefs d'oeuvre d'architecture

"Rendez au peuple son paysage historique"!!!

On voit bien ici combien c'était beau avant les barrières

Près de la source...

Le projet ou comment transformer en zone pavillonnaire sinistre un paysage sacré unique, mais il n'y a que le fric qui compte...

vendredi 20 avril 2018

Conférence

L'église des Quarante Martyrs de Sébaste
J'ai trouvé une jeune femme francophone partante pour apprendre la pâtisserie, Sacha. Sa principale motivation est de quitter Moscou et de vivre dans un endroit normal. Je ne sais pas si Pereslavl est un endroit si normal que ça. Les gens y sont très gentils, mais les ravages de la modernité hétéroclite et contrefaite de plus en plus sensibles. Je suis allée avec elle à l'église des quarante martyrs, et j'ai vu avec consternation les progrès de cette lèpre. Il ne reste presque plus de maisons normales, tout est plastifié, faux bois, fausse pierre...
Je crois qu'il faut se résigner à vivre là dedans, à sauver ce qu'on peut avant les derniers temps qui avancent eux aussi à grands pas...
Un Ukrainien prorusse  m’avait invitée à une conférence sur l'Opritchnina, mais il n’est lui-même pas venu.  Il y avait là une dizaine de patriotes russes, sous les photos des guerriers du Donbass morts au combat, la conférence a commencé par une prière. J’ai appris des choses sur les bons côtés d’Ivan le Terrible, qu’il avait fait beaucoup pour l’instruction publique, organisé des écoles paroissiales, rendu les routes plus sûres pour le commerce, ouvert à celui-ci les ports de la Baltique, institué le parlement du Zemski sobor, où les couches populaires étaient représentées, et que la population avait doublé sous son règne. Mais après cela on est tombé dans l’hagiographie : cet homme était d’une extrême mansuétude, face aux féodaux et aux traîtres boyards, bien sûr qu’il a dû en exécuter quelques uns, et l’Opritchnina servait à cela et uniquement à cela. Non, il n’a pas sabré par erreur l’higoumène du monastère des Grottes à Pskov, saint Corneille, qu’il a porté dans ses bras jusqu’à l’église en pleurant.  L’higoumène a juste fait une hémorragie spontanée.  Non, Maliouta Skouratov n’a pas étouffé le métropolite Philippe, ce sont les complots des boyards et de l’archevêque de Novgorod qui ont causé sa mort, Skouratov voulait seulement le sauver, le métropolite n’a jamais eu de conflit avec le tsar. Le peuple aimait le tsar (et ça c’est vrai), et il n’a jamais commis d’atrocités, même à Novgorod où la plupart des gens sont morts de la peste, quand à l’histoire du fou en Christ Nikolaï qui lui avait offert de la viande crue en carême pour lui faire comprendre que ça commençait à bien faire, c’est une mauvaise interprétation de ce qu’il lui a vraiment dit, car en fait, le tsar de lui-même avait décidé d’épargner Pskov.

Un auditeur a quand même dit qu’il n’était pas convaincu par la conférence. Qu’en effet, le tsar avait pu être calomnié et noirci par ses ennemis politiques et les occidentaux pourris mais que quand même, par exemple, aucun bruit de ce genre n’avait jamais couru sur Dmitri Donskoï ou Alexandre Nevski.  J’étais d’accord avec lui, mais j’ai préféré ne pas m’en mêler, je suis Française et je ne connaissais personne. Et je ne suis pas historienne.
Cette sanctification d’Ivan le Terrible me désole autant que sa démonisation imbécile. Je ne dis pas que j’en ai forcément donné une juste image dans une œuvre littéraire avec les licences du genre, mais j’ai essayé de comprendre sa psychologie. Je ne suis pas convaincue du tout par cette sanctification. Les écrits de traîtres ou d’occidentaux mal intentionnés sont peut-être douteux, mais si l’on se réfère à la mémoire populaire,  le tsar est glorifié dans le folklore mais l’Opritchnina ne l’est pas du tout. Traiter un policier ou un politicien d’opritchnik encore de nos jours n’est pas un compliment. Et d’après Edouard, le guide d’Alexandrov, après la dissolution de l’Opritchnina, le tsar ne voulait même pas qu’on prononce ce mot devant lui, c’est qu’il n’était sans doute pas excessivement fier des exploits de sa police. Et d’autre part, l’Eglise elle-même fait allusion aux débordements et aux violences de cette période.J’ai lu le récit par l’Eglise de la mort de saint Corneille, c’est du vécu, on a l’impression d’y être, le tsar descendant de cheval pour prendre dans ses bras le vieillard qu’il avait sabré, emporté par son élan, et le porter jusque dans l’église en pleurant, avec derrière lui sur la neige,  la traînée de sang qui suivait sa progression. L’Eglise n’a pas fait de Corneille un martyr pour rien. Et avant cela, le métropolite Philippe ne lui a pas refusé sa bénédiction pour le plaisir. Un siècle plus tard, donc peu de temps après cet événement, et le martyr de Philippe, les reliques de celui-ci ont été transportées à Moscou et accueillies en grande pompe près de l’endroit où j’avais mon appartement, à Rijskaïa. Tout le monde était d’accord, un siècle plus tard, quand des gens avaient pu en parler directement à leurs descendants, pour considérer que le métropolite Philippe s’était exposé au martyre en désavouant une politique par trop répressive et des débordements regrettables.
Même dans les lettres d’Ivan, on trouve des traces de cela, quand il dit au traître Kourbski, par exemple, qu’il n’aurait pas dû craindre de mourir innocent, s’il l’était, car cela lui eût valu la couronne des martyrs, alors qu’en passant à l’ennemi il avait fait de lui-même un traître pour l’éternité ! Un curieux raisonnement, quand même, pour un souverain modéré et sage qui ne châtiait qu’à bon escient.
Je trouve plus juste de l’envisager tel qu’il était probablement, de prendre tout le paquet, et d’arrêter d’en faire un symbole politique pour s’intéresser à l’être humain et à l’âme en peine. Il n’y a pas à l’idéaliser ni à en avoir honte. C’était un grand homme d’état qui a forgé son pays, et qui a fait des choses très positives, c'était aussi une personnalité intéressante, pittoresque et complexe, qui aurait pu être le héros d'une tragédie shakespearienne. Mais probablement très perturbé par son enfance martyre et plus tard la mort de sa femme, et aussi, disons-le, par des intrigues et des trahisons permanentes qui devaient l’angoisser au plus haut point, il n’était pas maître de sa violence, de ses passions, et donnait certainement prise aussi à des influences pas toujours très bénéfiques. C’est pourquoi je crois plausible qu’il ait tué son héritier dans un accès de colère, ce que mon conférencier niait farouchement. Ce serait l’invention d’un jésuite éconduit. C’est gros, quand même, si cela n’a pas eu lieu, comme invention.  Le crâne du tsarévitch ne portait pas de traces de coup, mais il était en morceaux, ce crâne, on n’a pas pu reconstituer son visage. Si j’ai bien compris, on mettait sa mort sur le dos de Boris Godounov qui l’aurait empoisonné, mais j’avais lu (je ne sais plus où, j’aurais dû prendre des notes) que Boris avait été gravement blessé en s’interposant entre le tsarévitch et son père.  Maintenant, peut-être que quelqu’un avait hâté la fin du tsarévitch qui, d’après la version jusqu’alors officielle, avait agonisé plusieurs jours et pardonné à son père.
Cette conférence m'a amenée à Moscou, j'ai laissé la maison et les bestioles à mon apprentie pâtissière.

La rivière Troubej




mercredi 18 avril 2018

Agglomération



Le printemps est là, on change les pneus des voitures. J'ai laissé hier les pneus d'hiver à clous pour les pneus d'été, et tous les automobilistes du pays font la queue pour cela. Je voyais par dessus les pneus, le malheureux monastère Nikitski, qui est si beau, et dont les environs sont de plus en plus saccagés par des constructions hideuses et anarchiques.  
Yelena Chadounts a mis sur Facebook une photo aérienne de Pereslavl avant les destructions soviétiques et l’a intitulée : Pereslavl que nous avons perdu par référence au film de Stanislav Govoroukhine « la Russie que nous avons perdue ». Oui, ce fut un vrai massacre qui a fait, avec ce qui s’est passé depuis 20 ans, depuis que le libéralisme complète cet affreux travail, d’une ville historique organique, homogène, harmonieuse, d’une cristallisation progressive séculaire autour des premiers et plus anciens monuments, ce qu’on appelle maintenant de façon tout à fait expressive une « agglomération ». C’est bien de cela qu'il s’agit : un aggloméré de bâtiments moches hétéroclites qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, où surnagent les monastères et les sanctuaires que le communisme a épargnés et que l’Eglise a restaurés. Cette ville de « l’Anneau d’or » n’a plus que ces monastères et ces églises d’intéressant, avec le lac. On y multiplie les musées de ceci ou de cela, les boutiques où l’on vend d’horribles souvenirs qui n’ont absolument rien de commun avec le véritable artisanat russe et qui vont se couvrir de poussière dans des clapiers à Moscou. Pour le fonctionnaire soviétique et post-soviétique, la notion d’ensemble, d’harmonie générale est totalement incompréhensible. Le mauvais goût lui est complètement intrinsèque, comment cela a-t-il pu se produire ?
La même Yelena produit une illustration d’un projet des années 60 qui consistait (je le répète encore une fois, dans une ville de l’Anneau d’Or, vitrine touristique de la vieille Russie) à remplacer toutes les vieilles maisons du centre par « de jolies maisons contemporaines » « incluant les monuments du passé » (dont on avait alors déjà détruit les trois quarts, tandis que le reste pourrissait et tombait en ruines). C’est-à-dire qu’on aurait complètement bétonné tout ce qu’il restait de Pereslavl, ce que le pouvoir soviétique n’a pas fait, le libéralisme le réalise, de manière plus anarchique, mais le résultat n’est pas plus gracieux.
Comment un peuple qui a produit tant de merveilles, tant dans le domaine de l’architecture religieuse que dans celui de l’architecture paysanne, qui était si inventif et original, qui avait retrouvé sa voie propre à la veille de la révolution, après l’européanisation forcée et malheureuse du XVIII° siècle, en est-il venu à considérer comme « jolies » les « maisons contemporaines » que ces tristes fonctionnaires méditaient d’aligner comme des cages autour des quelques églises encore debout, ou les châteaux américains et les isbas plastifiées qui pullulent à présent au milieu des hangards, des décharges, des pompes à essence et des centres commerciaux bâtis sans aucun souci de l’environnement ni d’un plan d’urbanisme quelconque ?
Il est évident que les résistances initiales des paysans et des artistes élevés dans l’esprit russe ont rencontré une persécution systématique, non seulement violente mais insidieuse, sous forme de propagande et de moqueries : à la poubelle les merveilleuses vieilleries de la grand-mère, vive le formica, le contreplaqué vernis, le faux marbre, la fausse pierre et tout ce qui fait riche et moderne. Nous avons connu en France la même chose, sous forme atténuée, car notre élite politique est restée, jusqu’à Chirac inclus, encore assez cultivée pour éviter un massacre complet.
L’existence paysanne a été rendue d’une part insupportable, par une sorte de servage d’état, et par l’intervention permanente de ce dernier dans la vie des paysans, et a été d’autre part sans cesse discréditée: avant la radieuse révolution , « le peuple était obscur », et n’a connu la lumière que grâce aux instituteurs communistes qu’on lui a lâchés dessus avec leur conception médiocre et petite-bourgeoise de la culture, nous avons expérimenté sensiblement le même phénomène en France, où les enseignants de mon enfance disaient aux cancres avec mépris : « l’agriculture manque de bras ». Pour nos deux républiques, ne pouvaient travailler la terre que des crétins subalternes qui n’avaient pas su saisir les occasions qu’on leur donnait de devenir des employés citadins. Les révolutions et leurs conséquences présentent bien des similitudes.
Le bon goût est en effet, j’en suis de plus en plus convaincue, fils de la Tradition, et c’est une émanation spontanée de la Nature. Le bon goût est ce qui est vrai, nécessaire, qui a du sens, qui s’inscrit dans le tout cosmique. Les maisons étaient belles quand les matériaux étaient beaux et que ceux qui les construisaient tenaient compte de l’environnement, du sol, du climat, des maisons environnantes, que leur décoration était spontanée, faite par les propriétaires eux-mêmes, et que les motifs de ces décorations obéissaient à un langage millénaire et aux archétypes de l’âme collective. Il en est de même pour les vêtements, dont chaque broderie avait un sens, et pour les objets.  Tout cela faisait partie d’une création collective, une concrétion millénaire où chacun mettait sa note unique en harmonie avec les autres, une création qui était une intercommunication, un facteur d’unité, de communion.
La conception contemporaine du monde, parce qu’elle brise et atomise l’organique engendre la laideur et la cacophonie. Des enfants grandis dans la laideur et la cacophonie n’ont plus les codes qui leur permettent de se relier au cosmos et à sa source, et n’ont plus aucun référent qui leur permette d’apprécier et comprendre la beauté, ce sont des infirmes intérieurs, ils sont, j’en suis convaincue, infiniment inférieurs intellectuellement et moralement à leurs ancêtres paysans « obscurs » du moyen âge ou même du XIX° siècle.
A cela, plusieurs antidotes : les grands-parents, mais nous arrivons au moment tragique où même les grands-parents sont le produit de cette laideur et de cette atomisation. La mémoire génétique, qui peut lancer quelqu’un sur la voie de la récupération de sa mémoire quand cela est encore possible ou de manifester spontanément quelque talent réparateur. La religion quand elle n’a pas trahi, quand elle ne s’est pas commise avec tout ce dont elle devrait rester le contraire.
Les seuls endroits qui restent beaux dans une ville massacrée comme Pereslavl, ce sont les églises, non que le mauvais goût ne s’y infiltre pas sournoisement, malheureusement, mais la Tradition orthodoxe ne permet pas de faire n’importe quoi dans une église ou un monastère.
Curieusement, sur le plan des mentalités, et du patrimoine immatériel, les Russes sont moins abîmés que les Européens, je pense qu’une partie du mal causé par le communisme a été compensée par deux facteurs : l’isolement, et une vie matérielle très modeste. Les gens sont, en Russie, restés simples, beaucoup plus purs, ils ont conservé des vertus et des modes de vie d’autrefois, et même leur folklore me semble s’être mieux perpétué.  Grandie dans les années 50, il m’a fallu aller en Serbie pour voir des paysans jouer leur folklore sur leurs instruments, dans leurs costumes. Et souvent, en France, ceux qui s’intéressent au folklore n’en reconnaissent pas l’esprit, chrétien, paysan, traditionnel, conservateur, ils font même tout pour en effacer cette tare « vychiste ». En Russie, les folkloristes assument gaiment leurs côtés réactionnaires. Ils prennent l’expression avec le contenu.


samedi 14 avril 2018

Après l'hiver

La neige disparaît et les ordures apparaissent. La décharge sauvage se fait de plus en plus envahissante, dans la cour de l'ancien baraquement, que j'aimais traverser parce que c'était plus court, moins boueux, et qu'y poussaient encore les fleurs des gens qui habitaient là autrefois. Mais je ne le ferai plus: c'est répugnant. Le long du chemin ou disons de ma rue défoncée et marécageuse, cela n'est guère mieux, je me demande où Nadia fera paître ses chèvres. Quels sont les cochons qui se débarrassent ainsi de leurs déchets n'importe où?
Des maisons disparaissent ou sont défigurées, et ce qui était modestie traditionnelle pittoresque, homogène et fantasque devient bidonville hétéroclite et banal d'où émergent les grosses maisons prétentieuses de ceux qui ont plus d'argent que les autres et entendent le montrer. A noter que si un type veut se construire un machin de trois étages, il ne se soucie absolument pas de boucher la vue des voisins et de leur enlever tout leur soleil...
C'est comme une lèpre qui ronge le pays, la lèpre de la laideur universelle et du plastique mortel, qui s'insinue partout, sur les façades, dans nos vêtements et nos décharges imputrescibles.
J'ai naturellement hâte que la nature recouvre d'herbes et de fleurs sauvages toutes ces horreurs, que les feuillages masquent ces maisons moches.
La beauté subsiste dans les églises et les monastères, où le mauvais goût s'infiltre aussi, mais ce qui y met un frein, c'est la tradition: on ne met pas n'importe quoi dans et sur une église, ni dans son périmètre.
La tradition est ce qui empêche le désordre et l'infamie de prendre le dessus. La tradition est issue de l'expérience d'innombrables générations qui avaient le respect des valeurs éternelles et qui étaient reliées au cosmos environnant. Partout où elle se perd s'installent la laideur, la cacophonie et la dégradation des moeurs et des apparences. En Russie subsiste une tradition: l'Eglise. Le folklore encore un peu. C'est pourquoi de plus en plus, la première soutient la pratique et la réappropriation du second.
Dans mon jardin, il y a vraiment du travail et je ne m'en sortirai pas seule. "Je ne m'en sors pas seule" est une chose que je me suis répété toute ma vie. Même ma vieille voisine de Krasnoïé, me voyant lutter contre les orties dans mon jardin, m'avait lancé par dessus la palissade: "Sans un mec, tu ne t'en sortiras jamais!" Mais cela devient d'autant plus vrai avec de l'arthrose du genou...
Je suis quand même arrivée jusqu'à soixante six ans en accumulant les conneries et en me faisant plumer par les différents mercenaires venus jouer provisoirement le rôle du mari bricoleur contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tant qu'on peut payer...
Mais dans le jardin, c'est délicat, les jardiniers ont tendance à avoir leurs propres représentations, et à massacrer tout ce qui ne pousse pas dans un petit massif bordé d'affreuses barrières en plastique ou à l'intérieur d'un pneu de camion!
Heureusement, je viens de voir que Leroy Merlin commercialise des barrières en osier tressé ou plessis. Je sais pertinemment que je n'aurai ni le courage ni le temps de les tresser moi-même, ce que faisaient autrefois les Russes, ce qu'ils font encore. J'irai donc enrichir Leroy Merlin.
La terre est truffée de toutes sortes de détritus, chez moi. Je crois que le plan était de recouvrir la décharge de sable, puis de  terre, afin de surélever la surface cultivable par rapport à la nappe phréatique toute proche, mais je ne sais pas si le plastique, le polystyrène expansé ou l'éverite sont super top pour les cultures, ni pour la nappe, d'ailleurs.
Je me demande si nous n'allons pas étouffer petit à petit dans nos propres déchets, comme les malheureux moutons du cargo australien.