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dimanche 10 mars 2019

Pardon

Adam chassé du paradis Vologda XVI° siècle
Voici venu le dimanche du pardon, après lequel le carême commence. Nous nous demandons tous pardon, parce qu'on ne peut faire cette préparation spirituelle en ayant quelque chose contre quelqu'un, ou en ayant offensé quelqu'un sans avoir réglé cette affaire. A Pereslavl, personne ne m'a offensée et réciproquement. Sur Facebook, cela a pu arriver.
Vous n'êtes pas obligés de ricaner, mais je vais essayer de limiter mes séances facebook. De ne pas intervenir dans les débats politiques, de me cantonner à la promotion de mon livre ou au groupe de soutien au métropolite Onuphre, après tout, là, je sais où j'en suis, et puis le père Valentin m'a dit que j'étais "un combattant de l'orthodoxie", le patriarche Cyrille lui-même a demandé de ne pas toujours laisser noblement l'espace d'Internet au aboiements inlassables des ennemis de l'Eglise...
Mon autre intention était d'essayer de prier régulièrement, de lire les Ecritures et d'aller régulièrement aux offices. Ce serait déjà pas mal.
Dans l'un et l'autre cas, je suis assez convaincue de la nécessité de l'effort.
Pour le reste, j'écoutais ce matin l'évêque dire que si l'aspect alimentaire de la question faisait de ce carême un supplice dont on s'inflige les règles parce que cela se fait, ou une occasion de se prendre pour un grand ascète en jugeant la faiblesse des autres, mieux valait ne pas le respecter.
Je ne risque pas de me prendre pour un grand ascète ni de juger la faiblesse des autres, j'ai trop conscience de la mienne sur ce plan-là, mais oui, l'aspect alimentaire de la question me casse vraiment les pieds. Ce n'est pas d'un carême que j'aurais besoin, c'est d'un régime, et ce n'est pas de me passer de viande (ce que je fais la plupart du temps) d'oeufs et de laitages mais de sucre, et cela pour de réelles raisons de santé, et cela me demanderait d'ailleurs de plus grands efforts de volonté. En revanche, suivre le carême oblige à toujours chercher ce qu'on va bien pouvoir manger, et préparer, à moins d'avaler les légumes crus, et encore il faut aller les acheter, et en fin d'hiver, les trouver. Chaque année, j'approche de ce carême exténuée d'avance. Je n'en suis pas fière mais c'est ainsi.
Un homme m'a abordée dans cette même église, en me conviant aux festivités de la maslenitsa, dernier jour, qui avaient lieu sur la place de l'administration, et où je n'avais pas mis les pieds, redoutant le kitsch de l'événement: les cosaques locaux s'y rencontraient aujourd'hui, or je suis une afficionado des cosaques et du folklore. En attendant l'heure de la manifestation, je suis allée au café français me taper une quiche et un gâteau, avant le carême. J'y ai trouvé le père Constantin, avec un écrivain qu'il m'a présenté, et qui m'a tracé des éditeurs et de tout ce qui tourne autour un tableau correspondant à leurs équivalents français, les préjugés idéologiques en moins, et encore pas sûr, ou alors ils sont remplacés par autre chose, mais en gros, avoir écrit un bon livre ne débouche pas forcément sur une publication. Lui, en tous cas, s'intéressait visiblement au contenu du mien, qu'il a trouvé très actuel, d'après ce que je lui en disais, bien qu'il soit situé à une autre époque.
Je me suis rendue ensuite sur la place voisine où tout était, comme prévu, d'un kitsch abominable. Le grand mannequin de la maslenitsa, le toboggan pour les gosses en plastique gonflable, la scène où se trémoussaient de fausses paysannes, avec de faux costumes, en braillant du faux folklore, avec micro, batterie, tout un tohu-bohu. Elles rendaient méconnaissables des chansons traditionnelles que pourtant je connaissais, tout cela d'une laideur affligeante, sonore et visuelle, et devant, une foule ahurie qui ne participait pas à grand chose. J'ai fini par dénicher mes cosaques, dans un coin, ils se rencontraient tous en tombant dans les bras les uns des autres. Il y avait parmi eux le Suisse Benjamin qu'ils ont entièrement adopté. Ils se sont livrés à des jeux divers, au son de l'accordéon, qui se terminaient tous par une sorte de mêlée de rugby, laquelle déclenchait invariablement les aboiements furieux de Rita, dans son sac suspendu à mon épaule: ces bagarres lui semblaient tout à fait répréhensibles. La sono des "paysannes" était si forte qu'on entendait à peine l'accordéon, la glace fondait, mais il ne faisait pas vraiment chaud et très humide. Rita commençait à grelotter, et moi aussi. J'ai fini par rentrer. Pour faire le plus important, avant de rater, comme chaque année, mon carême dans les grandes largeurs: demander pardon à ceux que j'ai pu offenser par des remarques maladroites ou acerbes, ou des bavardages intempestifs, ou un manque d'attention...

Lamentation d'Adam, chassé du paradis.

Et pour se donner un peu d'élan, merci Claude, une bonne lecture: https://orthodoxologie.blogspot.com/2019/03/sa-beatitude-onuphre-comment-se.html


vendredi 8 mars 2019

Davydovo


Pour la fête des femmes, j'ai fêté la maslenitsa, ou semaine grasse, au village de Davydovo, à 100 km d'ici, sur la route d'Ouglitch. Katia en avait rencontré des habitants aux festivités de la maslenitsa de Pereslavl, à laquelle je ne suis pas allée, car la maslenitsa est souvent prétexte à un déchaînement de kitsch, et voyant ce qu'on fait de la ville, je m'attendais au pire, eh bien non, il y avait aussi de vrais folkloristes. Ceux-ci nous avaient aussitôt invitées à leur maslenitsa. Et nous y sommes allées, par un temps immonde, pluie glaciale sur la glace, transformée en vrai savon liquide.
Néanmoins, la fête était très gaie, et surtout très naturelle. Ce n'était pas une fête destinée à être montrée, c'était la fête des gens de ce village qui, en réalité, est une communauté, régie par le prêtre local, le père Vladimir, et bâtie autour de la notion de charité (un centre pour enfants autistes et trisomiques, avec toutes sortes d'activités, notamment de l'hippothérapie) et de la restauration d'une vie russe et chrétienne. Le folklore lui-même y est pratiqué comme une fonction naturelle des gens, sans concerts systématiques, il n'y avait pas de scène où se produisait un ensemble, avec des curieux errants tout autour, mais des gens qui fêtaient la maslenitsa avant le carême, comme il se doit. Le père Vladimir cherche toujours à agrandir la communauté, et met des terres à la disposition de ceux qui veulent s'y installer. Il faut s'y rendre utile, comme on peut, mais semble-t-il, sans contraintes draconiennes, l'essentiel étant d'aider, en particulier les enfants handicapés, qui doivent bénéficier de l'attention bienveillante générale. "Parce que, nous a-t-il dit, c'est bien joli d'aller à l'église, mais ce que nous demande le Christ, c'est de nous aimer les uns les autres, et d'être charitables envers ceux qui en ont besoin". La communauté a une ferme, qui produit oeufs et produits laitiers, en vente pendant la fête. On vendait aussi une délicieuse tisane, avec des herbes variées et sans doute du gingembre, pour réchauffer les participants congelés sous la pluie, des crêpes, évidemment, et des sucettes fabriquées maisons, ainsi que les productions manuelles des enfants. 
La folkloriste Iana est la fille du père Vladimir. Mariée avec Génia. Ils ont huit enfants, et leur belle isba est un véritable bazar, comme pratiquement toutes les maisons de familles nombreuses que j'ai vues en Russie. Les gosses, leurs jouets, leurs vêtements grouillent de tous les côtés. Nous avons rencontré chez eux Gricha et sa femme Polina, la fille d'un cosaque de l'ensemble Kazatchi Kroug, dont ils ont chanté le répertoire. Polina se souvenait de moi, ce qui n'était pas réciproque, mais il est possible qu'elle ait beaucoup changé depuis ce moment, et puis, dans les concerts des cosaques, il y avait du monde. Elle et son mari ont six enfants: "il faut remonter la démographie"! Il y avait encore beaucoup d'autres gens, dont certains arrivaient en cours de soirée, à la russe, on fait la tournée des voisins en apportant quelque chose. Ils étaient tous extrêmement chaleureux, chantaient avec bonheur. Nous avons mangé des crêpes, de l'excellent fromage de chèvre, du très bon poisson de la Volga dit "karass" en russe. Comme me le disait ensuite Katia, au retour, les folkloristes sont des gens sains. "Les acteurs sont des malades enivrés d'eux-mêmes, les écrivains aussi, les peintres souvent, mais les gens qui pratiquent le folklore sont des gens normaux, équilibrés, avec des familles unies et normales, leurs gosses grandissent là dedans, ils n'ont pas besoin de drogue, ils vivent avec la musique, dans un univers de beauté, un univers épique, ils n'ont pas besoin de tout ce que propose notre civilisation factice, et ils trouvent leur femme ou leur mari, dans le même milieu, parce que lorsqu'on a récupéré sa tradition, et tout ce qu'elle nous apporte, on ne peut plus s'en passer".
Katia est la fille d'un acteur et dramaturge connu, mort il y a une dizaine d'années. Je lui donnais à tout casser 25 ans, elle en a 38.
A Davydovo, dans cette Russie recomposée, dans ce village réinvesti souvent par des Moscovites qui lui ont redonné vie, on se sent très loin de tout ce qui nous révulse dans la société des cyborgs. On pourrait même complètement l'oublier, vivre sans elle, tant qu'elle ne fera pas la peau à ceux qui ne veulent pas en entendre parler.
A la fête, j'ai enfin rencontré le père Joseph Gleason et sa femme. Ils y participaient pour la troisième année, et des Américains orthodoxes en poste à Moscou étaient venus les rejoindre.
"Un starets a prédit qu'il nous arriverait ici des étrangers," m'a dit Katia.

Katia, à notre arrivée. Les femmes du village approchent le lieu de la fête. Les
hommes approchent de leur côté, en face, et tout le monde se rejoint au centre.



le père Vladimir devant le maison de sa fille Iana

jeunes musiciens




jeu du cheval

la maison de Iana et Génia

Polina, Gricha et Iana chantent
deux Américains....

jeudi 7 mars 2019

Toujours la Poste...

Hier la dame de l'immigration me téléphone très aimable: mon dossier est revenu, je dois aller le chercher. J'y vais ce matin. Il faut refaire la déclaration de demande, refaire toutes les visites médicales, et le papier de la banque.
J'étais venue en taxi, car tout a regelé à mort, le portail bloqué, car une des portes est trop basse, elle était trop basse dès le départ, et en plus, la palissade s'est enfoncée de ce côté. Elle est garantie trois ans, si les types n'ont pas fichu le camp depuis au Kamtchatka... J'ai essayé en vain de la débloquer à l'eau bouillante.
Après l'immigration, j'ai fait une cinquième tentative à la poste maudite, pour essayer de récupérer mon livre et un autre paquet arrivé depuis: une queue d'une vingtaine de personnes devant l'unique guichet, j'ai battu en retraite. 
Dans l'après-midi, sur les conseils d'une voisine, j'ai mis du sel au pied du portail, ce qui est contraire à mes convictions, mais j'ai trop souffert!J'ai dégagé la porte. Et je me suis cassé la gueule sur la glace, mon genou arthrosique en a pris un coup. A noter que Rita est restée une patte levée, l'air profondément perplexe. Rosie, la dernière fois que ça m'est arrivée, était accourue très inquiète.
Je suis allée faire des courses. Par ce temps de dégels et regels, je ne sortirais jamais, si je pouvais, mais il faut de temps en temps faire les courses, en plus des démarches à la gomme. Puis je suis repassée une sixième fois à la poste, qui était fermée, parce que demain, c'est le 8 mars, fête des femmes!
Donc comme lundi, j'ai des démarches administratives, je n'irai pas à la poste avant mardi, une septième fois, et là, je pense qu'il faudra prendre un livre et un pique-nique et ne pas décarrer avant d'avoir mes deux paquets...
Or c'est le début du carême, on aimerait pouvoir se concentrer sur son âme, la modernité ne nous laisse pas ce loisir. 
Ce matin, le ciel était clair, avec des étoiles peu nombreuses mais énormes.
Le divan plaît beaucoup aux chats. Il y a largement la place pour quatre chats. Mais ils sont tellement cons, que si le premier occupant en voit arriver un deuxième, il s'en va aussitôt. Avant cette équipe, j'ai eu des chats qui dormaient tous ensemble dans les pattes les uns des autres. Ceux-là, non. Quatre égoïstes jaloux, exclusifs et mal aimables. Et Rita n'est pas mieux, dans le genre, c'est "ôte-toi de là que je m'y mette".





mercredi 6 mars 2019

Un autre Dieu

Tout fondait sous la pluie et puis tout a regelé et j'ai l'impression que c'est parti pour un mois de dégels et de regels. C'était beau, aujourd'hui, un vif soleil et du vent, mais se promener sur la patinoire, ce n'est plus pour moi. J'attends la fin de tout ça, et je regarde le manteau neigeux: comment vais-je aménager mon potager, où planter un argousier, pour qu'il ne risque pas d'envahir les voisins, mais qu'il ait quand même du soleil? Car les argousiers poussent comme du chiendent, alors que j'aurais beaucoup de mal à faire pousser un pommier, bien que j'ai l'intention d'essayer les arbres nains, dont le système racinaire réduit n'atteindra peut-être pas la nappe toute proche, si je rajoute de la terre...
J'ai fait une commande de graines, persil, basilic, aneth, coriandre et autres, des ipomées, et puis une plante décorative de marécage, en russe labaznik. Ca vient très haut, pour une plante. Et aussi une symphorine, j'ai vu que cela poussait partout dans  le voisinage. La symphorine,  j'en voyais à Annonay, chez mon grand-père, cela me rappellera la France et mon enfance, et cela fait des baies blanches qui égaient le jardin quand tout disparaît, à l'automne.

Ces projets m'occupent l'esprit, ils sont terrestres, naturels et mettent de la beauté dans l'environnement qui en a généralement bien besoin. Cela me change du puzzle épouvantable que me composent les nouvelles glanées sur facebook, ce cauchemar de science-fiction préparé par la bande de dingues, de satanistes et de mafieux qui contrôlent une grande partie du monde, dont l'Europe, et ont aussi des complices en Russie. Je pourrais laisser tomber Facebook, mais j'y ai beaucoup d'amis, et puis je me suis engagée dans le groupe qui défend le métropolite Onuphre, et a permis, je pense, au moins à certains orthodoxes capables de surmonter leurs préjugés confortables, de comprendre ce qui est en train de se passer et à qui nous avons affaire. Nous sommes si peu à dire la vérité, si peu à la voir, et ces croyants, ces 80% de croyants orthodoxes locaux, derrière leur saint métropolite, sont si fermes, si fervents et si abandonnés. Enfin, abandonnés. des hommes... Mais  Dieu est avec eux, je n'en doute pas une minute, comme dit un de leurs hiérarques, ils restent soudés, conservent leurs communautés même quand on leur vole leurs églises, et sont près de devenir de vrais confesseurs de la foi. Derrière toute la puissance brutale de ceux qui ont donné licence à leurs indignes persécuteurs de leur pourrir la vie, nous savons bien qui se tient, il se tient partout, il triomphe partout, il est en train de détruire non seulement les pays, les peuples, et tous les sentiments élevés des hommes, leur culture ancestrale, leur spiritualité, mais toute la magnifique création de Dieu, et pensant à mon jardin, je me dis qu'ici, pendant encore quelques temps et peut-être jusqu'à ma mort, il y aura des fleurs, des arbres, des buissons, des jeux de lumière, et des oiseaux. Les oiseaux qui disparaissent en France, et que je nourris ici l'hiver.
Quelqu'un écrit sur un fil de commentaire chrétiens: "Il nous faut trouver un autre Dieu. Un Dieu compatible avec notre réalité. Les paraboles ne fonctionnent plus."
Je suis restée un moment à relire cela dans mon lit: "Trouver un autre Dieu". C'est-à-dire que l'on peut en arriver à penser que la "réalité", telle que nous l'avons faite, et qui ne colle effectivement pas du tout avec ce que Dieu nous demande, ni avec la réalité de nos ancêtres, même relativement récents, cette espèce de folie sinistre que personne ne peut arrêter et qui transforme des enfants en objets sexuels ou en fournisseurs d'organes frais, les enlève à leurs parents lorsqu'ils ne sont pas élevés comme le veut la caste, se propose de contrôler totalement les gens, de les métisser comme des vaches, qu'ils le veuillent ou non,  de leur formater la cervelle et de les faire vivre à rebours complet à la fois de leur nature et de leur destin spirituel, eh bien il faut le changer, il faut l'adapter à tout ça. C'est donc à nous de décider comment Dieu doit être, au lieu de réaliser que nous nous sommes tellement éloignés de lui que nous ne savons même plus où nous nous trouvons, dans une pagaille hideuse, de plus en plus confuse, de plus en plus dégradante, de plus en plus infernale. Dieu peut donc être traité comme un objet de consommation. Ou comme le chien qu'on a pris par caprice et qu'on abandonne au bord de la route, pour en prendre un plus sage ou plus racé. Et pour achever le tableau: "les paraboles ne fonctionnent plus". Bonnes gens, vous avez lu? "Les paraboles ne fonctionnent plus!"

Mais moi je sais qui sera ce Dieu plus adapté: c'est ce qu'on appelle l'antéchrist. Dont prépare la venue la "religion du futur" qu'on essaie de nous mettre en place. 


symphorine

labaznik






dimanche 3 mars 2019

Jugement Dernier

Le mois de mars, en Russie, c'est le printemps. En France, on appellerait cela un hiver rigoureux, mais par rapport à l'hiver précédent, cet hiver du mois de mars manifeste des différences. D'abord, les arbres commencent à avoir des bourgeons, les chatons de saule gonflent et deviennent soyeux. Et puis il y a des dégels, et des regels, ce matin, j'ai dû me battre avec mon portail, le cadenas est souvent gelé, parfois une des portes prise dans la glace ne peut plus s'ouvrir, et pourtant j'avais nettoyé la veille. J'ai dû faire chauffer de l'eau. Et je suis arrivée en retard à l'église.
On assiste à des espèces de giboulées. Tempête de neige, puis soudain soleil, puis à nouveau tempête de neige, puis soleil, à travers des nuages crispés, où l'argent brillant se mêle au velours sombre.
C'était le dimanche du Jugement Dernier, et c'est le père Constantin qui a fait l'homélie. Il a rappelé que le seul péché qui nous vaudrait des problèmes au Jugement Dernier, c'était l'absence de miséricorde, l'absence d'empathie, et c'est vrai que dans l'évangile concerné, on ne parle de rien d'autre: l'enfer est pour les cœurs endurcis. Parce que dans un coeur endurci, il n'y a pas de place pour l'Amour, cet Amour qui est aux uns insupportable brûlure, aux autres illumination et béatitude.
Parallèlement, j'observe que dans ces derniers temps que semblent être les nôtres, l'endurcissement du cœur et le manque d'empathie, remplacés au gré des intérêts politiques et financiers par une pleurnicherie hypocrite sur commande réservée aux victimes convenables et rentables, réelles ou fabriquées, sont devenus tout à fait à la mode, on peut dire qu'on fait tout pour les cultiver. "Vous n'aviez qu'à travailler plus!" lance notre président à une retraitée qui touche 500 euros par mois et a peut être marné toute sa vie comme une brute dans sa ferme ou son magasin, car c'est à peu près ce que touche un paysan ou un commerçant, ou un artisan. "C'est bien fait pour eux, ce sont des feignants et des minables!" s'écrient tous les bobos devant les gilets jaunes malmenés, éborgnés, mutilés. Un huissier, en Allemagne, saisit le chien de la famille et le vend sur e-bay. Dans une manifestation féministe en Amérique, une petite fille piétine un poupon, pour montrer, sans doute bien conditionnée par sa mère,  à quel point elle est peu disposée à jouer le rôle de la maman pleine d'abnégation. Il n'y a pas de raison. On ne va pas se laisser empoisonner la vie par des chiards. Ou par des vieux. L'avortement, l'euthanasie. Poussez-vous de là, ceux qui gênent...
L'idéal de la femme prôné par les médias, les séries, le cinéma, c'est la carriériste, la mégère, la brute, comme on en voit justement parmi les CRS, prêtes à tirer des flash balls dans l'oeil de gamines de vingt ans qui en restent mutilées et défigurées à vie...
L'idéal de l'homme, c'est le cyborg en costar qui se croit plus intelligent que n'importe qui et qui est prêt à écraser tout ce qui se met en travers du chemin de la mafia qu'il sert, et de son idéologie démoniaque.
Dostoïevski avait raison de s'écrier: "Si Dieu n'existe pas, tout est permis!"
Pour moi, l'idéal de la femme reste ma mère qui ne vivait que pour les siens, celui de l'homme mon beau-père paysan, qui a soigné comme son propre père mon grand-père qui le détestait et le méprisait. Au fond, croyants ni l'un ni l'autre, ils restaient pétris de vertus évangéliques. C'était comme cela qu'on les avait élevés.
Le père Constantin rappelait que ce dimanche dernier était précédé du dimanche du fils prodigue, où, contre toutes les convenances de la société patriarcale de l'époque, le père offensé ne cesse d'attendre le retour du vaurien familial et se jette à sa rencontre en courant comme un gamin. Et auparavant, de celui du pharisien et du publicain, où la canaille méprisée de tous mais profondément repentante, repart justifiée, tandis que le juste content de lui ne rencontre pas le Dieu qu'il prétend honorer. Et avant cela encore du dimanche de Zacchée, ou une autre canaille toute aussi méprisée monte sur un arbre sans se soucier des moqueries suscitées, pour apercevoir le Sauveur dont il est profondément indigne, mais parce qu'il manifeste le besoin qu'il avait de lui, celui-ci répond à son attente, et va dîner chez lui...
Je me demandais où je me situais, certainement pas parmi les justes, pas chez les canailles méprisées non plus, ni même parmi les prostituées repenties. Capable d'une certaine empathie, mais pas d'une abnégation évangélique, même pas comparable à ma mère incroyante. Rien de bien glorieux. Mais le sens du beau et du bien en moi est perpétuellement heurté et révolté par ce qui se passe dans cette bacchanale sinistre et hideuse de la modernité, cela prouve au moins que mon cœur est toujours là, qu'il n'a pas tourné au cuir racorni ou à l'éponge de fiel... Le père Barsanuphe me disait lui aussi toujours que la pire des choses, la plus irrémédiable, c'était l'endurcissement du cœur.








Critique encourageante

Roland Thévenet m'a fait sur son blog une critique qui m'est allée droit au coeur: 

J’ai eu la chance de lire Yarilo alors qu’il n’était qu’un manuscrit. Je dis la chance, car Laurence Guillon est un grand écrivain dans cette époque maudite, qui en recèle si peu. Un grand écrivain français...
Je ne m’étendrais pas sur l’intrigue, qui nous transporte dans la cour Yvan le Terrible, dans une Russie médiévale au réalisme onirique terriblement efficace. Je ne m’étendrais par non plus sur les personnages du roman, qui se rencontrent, s’aiment et s’affrontent dans un contexte à la fois tyrannique et amoureux, politique et guerrier, historique et religieux. Personnages dont la densité poétique, l’épaisseur dramatique et le pouvoir émotionnel qu’ils manifestent prennent à rebours la culture du narcissisme et le pseudo intellectualisme qui ont décimé la production littéraire française depuis quarante ans, avec ces producteurs d'autofiction ou de romans à thèse sur la société post-moderne commandités par le marketing éditorial hexagonal. Laurence Guillon, exilée bien loin de ces rives, est d’une toute autre trempe.
Car à mon sens, ce n’est ni l’intrigue ni les personnages qui font « le grand roman » – même s’il en faut évidemment ; non, un grand roman, c’est avant tout un rapport fusionnel entre une voix et un univers : Si Yarilo en est un, c’est que la voix qui nous plonge dans l’univers de cette Sainte Russie médiévale et dans l’âme de ces personnages, si éloignés de nous en apparence, est passée par la France et s’est nourrie de sa tradition littéraire. Yarilo est un très grand roman français parce que s’il nous offre à la fois une confrontation avec le péché, une quête spirituelle toujours exigeante et une forme de récit historique, il le fait dans un phrasé à la fois si généreux et si maîtrisé que la lointaine aventure devient aussi accessible qu’un souvenir d’enfance ; dès les premières lignes, nous nous sentons, comme le boïar Féodor Stépanovitch Kolytchov soudain personnellement concernés, et nous le restons jusqu’à la dernière.
Écoutons pour finir ce qu’en dit la romancière elle-même :

"L’itinéraire initiatique d’un « ange déchu » entraîné par les circonstances, un certain opportunisme et une affection éblouie pour un souverain dangereux et fascinant, dans le péché et le crime, et qui cherche peu à peu à se dégager de l’égrégore maléfique auquel il est soumis, grâce à sa famille et au métropolite martyr Philippe, qui pourrait être le saint patron des victimes de répressions politiques. Enfin la Russie, l’âme russe. Cette âme russe si difficile à comprendre qui est peut-être simplement archaïque, mystique et magique comme l’était notre âme à tous, notre âme profonde. Un artiste anglais égaré auprès de la première ambassade qu’ouvrit son pays à Moscou, et pris en affection par le monarque et son favori, en devient l’observateur bienveillant, dérouté, effaré et peu à peu absorbé sans retour. C’est un roman historique atypique, peut-être plutôt un conte. L’itinéraire initiatique du héros est aussi le mien, je l’ai fait pour mon propre compte, mais aussi pour mon lecteur, car un livre est toujours un partage et un don."
Laurence Guillon




vendredi 1 mars 2019

Cinq ans sans elle.

Il y a aujourd'hui cinq ans que maman m'a quittée. J'y ai pensé ce matin, en priant devant une icône qu'elle avait faite, la seule qu'elle ait faite de sa vie, et que j'ai récupérée dans ses affaires, terminée, vernie, et fait bénir par le père Valentin, qui s'est écrié en se signant: "Vous voyez, on ne peut pas dire qu'elle n'était pas orthodoxe, puisqu'elle faisait des icônes!"
Cette icône, à certains égards imparfaite, a quelque chose de profondément bon, comme l'était maman, qui n'était pas croyante, ou ne l'était plus mais restait très évangélique, une des personnes les plus évangéliques que j'ai connues dans ma vie.
Je n'entrerai pas dans les péripéties de la tragédie que fut pour moi sa fin, car je dois rester mobilisée. Dans un de ses éclairs de lucidité, elle m'avait dit tristement: "Tu vivras sans moi, tu y arriveras..."
Que dire? J'y arrive. Je vis sans elle. Ca fait cinq ans que je vis sans elle. Depuis que j'avais quitté la maison à dix-sept ans, je lui avais toute ma vie écrit ou téléphoné deux, trois fois par semaine, et même presque tous les jours, je venais passer avec elle la plupart de mes vacances, comment peut-on vivre sans quelqu'un qui prenait tant de place? On y arrive...
Quand elle a failli mourir d'un infarctus, j'avais peur de vomir d'angoisse dans le métro, ou dans la classe, devant les enfants (et pourquoi étais-je allée travailler dans un état pareil? Pourquoi n'avais-je pas pris l'avion?) Je priais avec désespoir pour la garder, et je l'ai gardée quatorze ans de plus, mais lorsqu'elle était malade, j'ai souvent pensé qu'en la prenant à ce moment-là, Dieu nous aurait sans doute épargnée toutes les deux.
Elle avait peur de nous quitter et de ne plus jamais nous revoir. C'était ce qui l'effrayait le plus, dans la mort: ne plus revoir ses filles, de toute l'éternité. Je lui disais: "nous nous reverrons, je mourrai quinze ou vingt ans après toi, qu'est-ce que c'est vingt ans?"
Elle me manque, et tous les autres, tous ceux qu'elle avait aimés et qu'elle a rejoints, me manquent aussi. Mais j'ai cette espèce de bizarre mobilisation intérieure qui fait que je vis quand même. Pas à pas.








Maman faisait du modelage. A vrai dire, elle savait tout faire. 
Couture, cuisine, bricolage, jardinage, rien ne lui faisait peur.
Elle était mon idéal impossible à atteindre de bonté, de 
féminité au sens noble du terme, et d'abnégation.


Moment de jeu dans la mer

Tu t’en vas dans la nuit,
En cherchant derrière toi
Du soleil d’autrefois
Le reflet qui s’enfuit.

Et petit à petit,
La nuit mêle les cartes
De ce jeu qui finit,
Les jette et les écarte.

Tous les moments jolis
De la vie qui s’écoule,
De lundis en lundis
Notre avenir s’éboule.

L’enfance, la jeunesse,
Les maris, les enfants,
Le deuil des parents,
Le seuil de la vieillesse.

Et celui de la mort,
Dont on voit les degrés
Qui descendent au port
Où le navire est prêt.

Et nous montons à bord
Et déjà le rivage
Dans les brumes de l’âge
S’efface et disparaît.

Et tu ne vois plus bien
Qui reste sur le quai
Ou qui vient te chercher
Pour t’emmener au loin

Ni de qui sont les ailes
Qui battent alentour
De tes jours qui chancellent
Et tombent sans retour.

Mais toutes trois bercées autrefois dans la mer,
Nous tenant par la main dans ses doux reflets verts,
Nous dérivions joyeuses.
Sous le soleil ardent et les légers nuages,
Tes yeux dans ton visage
Te disaient très heureuse.

« Je n’oublierai jamais, déclaras-tu soudain
Ce moment de bonheur parfait qui nous advint. »
Mais tu l’as oublié.  Et ton regard inquiet
De ta vie ne voit plus que les nombreux chagrins.
C’est dans une autre mer, dans une autre lumière
Que bientôt toutes trois nous glisserons enfin
Sous un autre soleil qui jamais ne s’éteint,
Sous l’éblouissant envol des hiérarchies altières,
Nous nous retrouverons ensembles à jamais,
Ceux que tu vois venir depuis l’autre côté
Et nous qui restons là pour quelques temps encor
A plier bagages en attendant la mort.


Laurence Guillon Pierrelatte 2012