Translate

jeudi 30 mai 2019

Ma meilleure critique




Je me permets de publier la lettre que m'a envoyée mère Hypandia, higoumène du monastère de Solan, car elle me comble de joie par sa pénétration et sa justesse, et de toutes les critiques qu'on m'a faites, c'est pour moi la plus précieuse. C'était aussi celle que je redoutais le plus, avec celle du père Valentin.


Fédia et son fils Vania, gribouillis de l'auteur

Je vous remercie de nous avoir fait envoyer votre livre de Yarilo. J'aurais aimé vous répondre rapidement, car c'est un très beau livre et ce fut une joie de le découvrir, mais c'était impossible d'aller vite dans sa lecture car il ne se comprend bien que si on le lit intégralement. Tout s'y tient, et il faut se laisser entièrement guider. Je comprends que cela fut un grand travail pour vous et surtout que vous y avez mis ce qui venait du plus profond de vous-même.
Dieu vous a donné une belle écriture, nous le savions déjà par Lueurs à la dérive qui  nous l'avait fait connaître, et les textes bibliques que vous citez dans ce nouvel ouvrage, dans la langue de Lemaître de Sacy ou celle de notre bienheureux père Placide, s'enchaînent sans contraste, sans effort à l'intérieur de votre propre récit. C'est une joie!
Le tout forme un texte envoûtant tant les multiples personnages sont présents, vivants, dans un mélange indissociable de bien et de mal (à l'exception peut-être d'un seul, Maliouta Skouratov, tellement enfoncé dans le mal qu'il semble que pour le décrire, il était impossible de trouver quoi que ce soit qui puisse lui assurer un peu d'épaisseur humaine: il est tellement maléfique qu'il n'y a plus de personne en lui, comme s'il avait déjà revêtu la silhouette fantomatique des démons et des damnés). Mais tous les autres protagonistes sont bien vivants et on instaure avec eux une relation d'intimité, d'estime ou d'amitié, de peur ou de compassion. Leur présence naît de la qualité des multiples dialogues dans lesquels ils s'étudient, analysent et nous font part de leurs passions, en nous renvoyant symboliquement aux nôtres.
Après la violence du combat mené par Fédia, on pouvait craindre que sa conversion apparaisse comme une pièce rapportée, un happy end à l'eau de rose bon marché. En fait, pas du tout! La vie au monastère du Lac Blanc garde le ton viril des combats précédents. Il rappelle le "même si j'en meurs, je ne Le quitterai pas" de Job. Et cette mort est à la fois lumineuse et douloureuse.
Comment un tel livre va-t-il être reçu dans notre occident porté à la facilité? Vous n'y faites aucune concession, et vous avez raison! Mais on comprend que votre volonté d'atteindre le plus profond du cœur humain a dû vous demander un grand effort. Et je ne sais comment le public va réagir.
Il y a par ailleurs un autre aspect des choses qui aurait pu appeler une sorte d'annexe ou de note développée, bien que l'ouvrage soit déjà épais. Les occidentaux ne connaissent guère l'histoire de la musique russe avant le XIX° siècle. Nous nous sommes plongées dans une encyclopédie pour comprendre ce qu'étaient les gouzli et en quoi ils étaient des instruments encore magiques au XV° et au XVI° siècles. Et comment le chant sans autre instrument touche les personnages si profondément. A l'occasion, on aimerait en savoir un peu plus.






Dima Paramonov chante sur un modèle de gousli du XI° siècle la byline (épopée) de Volga et Mikoula Selianovitch


Le vers spirituel "Mon âme pécheresse" que le tsar aime à entendre chanter par Varia Basmanova, et qui est probablement du XVI° siècle, par l'ensemble Sirin

Le vers spirituel "la Mer Océane" chanté aux gousli par Dima Paramonov. La version française est de moi.


lundi 27 mai 2019

Un certain éloignement


Sur la route de Moscou, j’ai pris en stop un moine édenté et loqueteux avec un gros sac. Il rentrait dans son monastère, près de Saint-Pétersbourg et de Valaam, et avait besoin d’être déposé gratis à l’embranchement de la « bétonka » qui l’amènerait du côté de Tver, sur la route ad hoc. Il semblait avoir beaucoup d’amour pour son higoumène. Nous avons parlé de tout et de rien orthodoxes et entre autres, des églises en urgent besoin de restauration, des gâteaux d’anniversaire inutiles bâtis on ne sait pourquoi, et des restaurations malheureuses. « Pourquoi, lui dis-je, s’il existe pour les restaurations une commission moscovite si pointilleuse, a-t-on laissé édifier aux Solovki, dans l’église du XVI° siècle construite par le métropolite Philippe, une iconostase hideuse, boursouflée et aveuglante d’or, autour d’icônes moches et disparates ? 
- Les iconostases de ce genre, c’est à cause des bienfaiteurs…
- Ah, vous voulez dire les sponsors qui financent et qui ont un goût épouvantable ?
- Ils tiennent à ce que cela fasse riche, comme eux…
- Et la commission de Moscou, elle laisse faire ?
- Eh bien, parce qu’ils sont riches, ils achètent qui ils veulent… »
Il m'a appris que l'iconostase en céramique du monastère de Zadonsk avait été commandée en 1905 en France. Détruite puis restaurée par un mécène, qui en a restauré cinq en tout, en Russie, et a donné à ses enfants les noms des saints auxquels étaient consacrés les monastères ou les églises objets de ses largesses.
Le moine, en me quittant, m’a demandé mon nom pour prier pour moi.
Je suis arrivée à Moscou et après une escale à « l’autocentre » Renault de Mytichi, je suis allée aux vêpres de mon église de Krasnoselskaïa. Outre qu’elleest restaurée avec goût, elle, elle a aussi un joli jardin décoiffé qui évite les pièges du petit massif où les fleurs sont alignées comme des chiffres sur un tableau Excel. Beaucoup de gens, même religieux, ne supportent la nature que transformée et contrainte, comme d’ailleurs les enfants qui doivent être obligatoirement bien peignés et assis sur les bancs d’une école.
Je convoite depuis longtemps un rejet du magnifique églantier blanc de ce jardin, et il en fait plein, mais je n’ai jamais pu trouver la jardinière, et le père Valentin ne pense pas à s’en occuper, j’ai essayé auprès du père Valéri, on verra bien…
Le père Valentin a évoqué à table avec fureur les responsabilités russes dans le désastre du tomos ukrainien, nous avons maintes fois offensé les Grecs, et voilà. C’est bien possible, mais les raisons les plus importantes, outre la soif de vengeance et de gloriole du pape du Phanar, c’est qu’il est entièrement sous la coupe américaine, ce que l’actualité démontre sans équivoque, même quand on essaie de faire croire le contraire…
Il a dit aussi que l'affaire Ukrainienne était pour la patriarche Cyrille une tragédie personnelle, dont il souffrait profondément et sincèrement.
A la liturgie du matin, le père Théodore (que j’adore, mais j’aime tous les prêtres de Krasnoselskaïa) m’a communiée sous le nom de Lavrentia. Eh bien finalement, après y avoir renoncé, j’accepte ce nom, presque un nom de moniale, et un bon compromis entre mon nom français et ma russification partielle. Cela m’a même donné une grande joie.
J’ai pris avec moi au retour une artiste-peintre, Ioulia, une amie de Yelena Andreïevna Afanassieva. Elle veut louer la moitié de ma maison au mois de juillet, pour elle et sa mère, et ne savait plus à quel saint se vouer, car elle a eu toutes sortes d’avanies avec ses logements de vacances, je vais donc leur fournir celui de cette année.  Elle a fait de nombreux dessins au crayon de couleur des maisons détruites ou en perdition de Pereslavl, et voudrait les exposer quelque part. Elle m’en amontré un, que j’ai trouvé très joli. Ce sera pour moi aussi une possibilité de m’absenter un peu sans laisser les chats tout seuls.  J’ai commandé une cuisine. Mes hôtes auront un appartement indépendant.
Ioulia m’a dit que ses considérations sur le massacre des jolies maisons de Pereslavl lui avaient valu une grande hostilité, même chez le personnel du musée local : « Vous vous êtes gobergés à Moscou, alors laissez-nous en profiter à notre tour ! » Car évidemment, bâtir une horreur pseudo occidentale ou recouvrir de plastique la jolie maison de la grand-mère, c’est accéder à l’empyrée de la classe supérieure.
Hier, l’Europe votait, et je me suis abstenue. Depuis plusieurs mois, j’essayais de me convaincre d’aller m’inscrire sur les listes de l’ambassade, mais autant j’avais tout fait pour voter aux présidentielles, autant je manquais cette fois de conviction, cette conviction qui m’aurait poussée à prendre rendez-vous dans le blockhaus haïssable de la Yakimanka. D’abord, aucun des candidats ne m’inspire une grande confiance, et j’en ai marre de faire barrage. Le seul pour qui j’aurais voté à la rigueur, c’est Dupond-Aignant. Et puis à vrai dire, je pense que tout ceci est une gigantesque arnaque et je n’ai pas envie de donner satisfaction à ceux qui font semblant de nous consulter.  Comme beaucoup de gens, j’ignore les arcanes de la politique, et l’on s’emploie à me laisser dans cette ignorance. Mon instinct m’avertit que telle ou telle personne, c’est l’enfer incarné, mais celle pour qui je vais voter n’est-elle pas aussi un leurre ? Enfin la notion même de parti me fait horreur, la démocratie me fait horreur, la démocratie, c’est la guerre civile larvée ou déclarée, l’atomisation des individus, et je suis pour la communauté monarchique médiévale, qui permet au peuple de rester  un tout organique et de s’occuper de son âme, au lieu de perdre son temps et ses forces à entre-déchirer pour le plus grand bien d’oligarques mafieux immondes qui sont l'aboutissement obligatoire du principe démocratique et dont nous protégeaient nos rois et nos tsars. La fin du monde est à nos portes, et comme dit le père Costa de Beauregard, il s’agit de se concentrer sur l’essentiel.
L’idée démocratique est l’arme fatale contre les défenses naturelles d’un peuple, contre son unité et son génie. Elle a causé plus de morts et de massacres dans le monde entier que toutes les monarchies réunies. Et elle est à l’origine de la perdition définitive de l’Europe, qui se produit sous nos yeux.

Le dessin de Ioulia


mercredi 22 mai 2019

De tout et de rien

comité d’accueil
Je suis crevée, depuis mon voyage à Zadonsk, il faut croire que ce genre d'équipée n'est plus de mon âge. J'ai plein de boulot dans le jardin pour entretenir son genre savamment décoiffé, et j'ai du mal, surtout que je traîne la patte. Hier, la voisine m'a donné des plantes, des fougères, et ça c'est bien, je veux en mettre partout, et un truc nommé klopogon soit chasseur de punaises. C'est très joli, ça fait de grandes hampes de clochettes jaunes. J'ai un petit passage à vide, côté fleurs. A l'automne, je dédoublerai les renoncules, ça fleurit très longtemps et c'est vraiment joli. En ce moment, c'est tout ce qui fleurit chez moi avec les narcisses.
J'ai appris d'elle que Blackos était le chat des précédents propriétaires. Ils ont déménagé quand ils ont mis en vente, et laissé Blackos, qui attendait un miracle dans la cave de sa propre maison en se gelant les oreilles. Il a attendu comme cela presque deux ans, avant que n'arrive la Française et sa ménagerie. Donc Blackos, d'après la voisine, aurait au moins cinq ans, certainement plus. Comme Rom a cinq ans, les autres dix et quinze ans, il me faut vivre encore dans les quinze ans pour être à peu près sûre d'enterrer tout le monde et de ne laisser personne derrière moi. Un chat ça peut vivre 20 ans, parfois plus.
Pauvre Blackos. Comment aurais-je pu chasser de chez lui cet animal qui attendait patiemment le retour des humains ingrats?
J'ai des tas de choses à faire et pas la force. Des démarches, du bricolage, des traductions, de la musique, mon livre.... Je pense que j'ai publié Yarilo trop tôt, mais j'avais peur de mourir avant de l'avoir fait, ou bien que se déclenche l'Armaggedon. Je n'ai toujours pas reçu la lettre de mère Hypandia à son propos, mais comme elle en a commandé pour le monastère, je suppose que ça lui plaît, on dirait même que ça plait à soeur Iossifia. Cependant, je suis persuadée qu'elle a dû m'écrire des choses importantes, et la poste russe me fait attendre.
Je n'ai pas encore résorbé la pagaille du déménagement, car je fonctionne très lentement. J'ai reçu des tonnes de fringues. Je pensais récupérer cela beaucoup plus vite, et j'avais empaqueté toute ma garde-robe. Entre-temps bien sûr, j'avais dû m'en racheter. Là, je pense que je n'aurai plus besoin de rien pendant dix ans. J'ai une collection impressionnante de tee-shirts super Styleco qui a fermé depuis, à croire que je l'avais senti, et que j'avais fait des réserves. Et des blouses et des jeans, tout ce que j'avais acheté au marché de Bagnols sur Cèze ou d'Uzès, et qui paraît drôlement stylé à Pereslavl Zalesski! Et j'ai récupéré un sweat-shirt tout mou oversize, le genre de trucs que je traîne 20 ans avant d'être contrainte de le jeter. J'ai eu un pull en coton que j'ai porté 30 ans, jusqu'à ce qu'il tombe en poussière.
Chocha, toujours si intense

Je ne sais pas ce que c'est que cette fleur qui ressemble un muguet géant, mais elle
a bien pris

La première fleur de mes iris des marais installés il y a deux ans. Ils ont pris le temps de le réflexion

mardi 21 mai 2019

L'église du métropolite Pierre

Hier, je suis tombée sur toute une série de photos d'Igor Konovalov consacrées à l'église du saint métropolite Pierre de Moscou, église construite par Ivan le Terrible, à Pereslavl, au XVI° siècle. C'est celle que nous voudrions tellement restaurer avant qu'elle ne s'effondre. Son architecture russe médiévale est unique et très originale. Elle fait partie de tout un ensemble d'églises en plein centre qui ont énormément souffert à la période soviétique et dont tout le monde se fiche à présent, à part les orthodoxes et les artistes-peintres. La cathédrale elle-même est en mauvais état. A la période soviétique, son sanctuaire servait de toilettes et de douches. Dans l'église du métropolite Pierre, comme au monastère saint Théodore, les gosses trouvaient divers vêtements liturgiques, livres et objets qui étaient restés là et ont peu à peu disparu, même les colonnes de l'iconostase se sont envolées. Il n'en reste qu'une, pour servir de modèle, au cas où, cela me donne l'espoir que la Providence s'en occupe...
Périodiquement, on amène dans ce centre de Pereslavl dévasté, des cars de touristes et j'ai nettement l'impression que la finalité n'est pas de leur montrer les quelques églises branlantes épargnées par des décennies d'athéisme enragé, puis d'incurie libérale, mais de leur faire acheter les "souvenirs" affreux que l'on vend dans trois cabanes qui détruisent tout ce qui reste de perspective et d’homogénéité à cet ensemble, des machins censés être "de l'artisanat populaire" et qui sont une injure à ce qu'était vraiment, et est encore parfois, l'artisanat russe traditionnel.
L'évêque nous a expliqué que son éparchie n'avait que des dettes. C'est une des plus riches en monuments anciens à restaurer, mais une des plus pauvres en nombre de fidèles. Donc, tout s'effondre de ce qui n'est pas encore détruit. Comme il nous l'a fait justement remarquer, le seul endroit qui est vraiment sauvegardé, le monastère musée de Goritski, est loin d'être le plus beau et le plus ancien des monastères de Pereslavl. Les plus beaux et les plus anciens ont été soumis tranquillement à toutes sortes de déprédations et de profanations, malgré leurs magnifiques églises si originales, tandis que celles de Goritski sont imprégnées d'esprit baroque occidental et pourraient presque se trouver en Autriche. Malgré ou à cause de. Car naturellement, ce que le pouvoir soviétique haïssait plus que tout, c'était justement la Russie ancienne. Il n'a pas choisi Pétersbourg comme capitale, ce qui aurait pu paraître plus séant à des occidentalistes progressistes et matérialistes, mais précisément la ville ancienne féerique de Moscou, le coeur de la sainte Russie. De la même façon que chez nous, ce n'est pas Versailles qui a brûlé, et qu'on va profaner sous un cataplasme high tech, c'est Notre Dame de Paris.
Certains disent avec aigreur que l'église a été rendue à l'Eglise et qu'elle est responsable de son état, comme si c'était l'Eglise qui l'avait ruinée et l'avait laissée à l'abandon depuis l’exécution de son dernier prêtre, saint Constantin de Pereslavl. En réalité, on rend à l'Eglise de vraies ruines et débrouillez-vous avec, comme si cela ne concernait pas tous les descendants, croyants ou non, de ceux qui les bâtissaient avec tant d'amour et de talent. Pris à l'Eglise par l'état, ces bâtiments se sont retrouvés livrés à n'importe qui comme les enfants que l'on retire à leurs parents légitimes pour les placer chez des inconnus chargés de les "rééduquer".
L'Eglise est cependant prête a restaurer et soigner ses malheureux sanctuaires, et on trouverait des enthousiastes pour faire ce travail en commun, et gratuitement, mais la ruse est que cet Etat si négligent n'a pas cédé sur ces monuments son droit de tutelle. On ne peut donc rien y faire sans une autorisation de niveau fédéral, sans passer par une commission ruineuse qui emploiera pour la restauration une firme ruineuse.
Il y a des choses que je ne comprends pas, par exemple que, pendant que de vénérables églises nécessitent d'urgents travaux, on planifie de construire d'énormes basiliques en pleine campagne, ou même d'ailleurs en ville.
Malgré les "mercedes des popes", comme le remarque dans un article Egor Kholmogorov, l'Eglise est tout le temps en train de tendre la main. Et si seulement au moins, à défaut de l'aider, on ne la gênait pas!
A Ekaterinbourg, le projet de reconstruction d'une église détruite donne l'occasion aux forces des ténèbres de susciter des troubles et de tenter un maïdan ukrainien, soit une révolution de couleur manipulée et téléguidée par toujours les mêmes, qui soit dit en passant, s'attaquent sérieusement à l'Orthodoxie depuis quelques mois par tomos ukrainien et Bartholomée interposés. Je n'exclus pas qu'en partie, les gens aient des raisons de râler, et je trouverais plus urgent de réparer ce qui existe que de reconstruire ce qui n'existe plus. J'avais exactement la même opinion en ce qui concernait l'église du Christ Sauveur à Moscou. La reconstruction de l'église d'Ekaterinbourg s'accompagne de toutes sortes de projets immobiliers, un peu comme chez nous la restauration de Notre Dame. Cependant, on sent, chez les idiots utiles, généralement jeunes et ignares, un antichristianisme et même une russophobie chauffés à blanc, dans une ville marquée par l'horrible assassinat du tsar et de sa famille, et par la construction regrettable et incompréhensible du "centre Eltsine", à la gloire du poivrot félon qui a démonté son pays. Ce centre diffuse une propagande antirusse hallucinante. La vice ambassadrice des USA était venue l'inaugurer dans une voiture sans plaques d'immatriculation. La directrice du centre est une Russe élevée aux Etats-Unis, un janissaire de l'occident. L'histoire russe est complètement réécrite par ces gens, comme la nôtre, en ce moment, l'est par notre gouvernement et ses journalistes. Et ce centre est régulièrement visité par les enfants des écoles.
Comme par hasard, il est situé dans l'Oural et le projet américain, et russe libéral, comme l'a démontré Nikita Mikhalkov dans une émission sur ce sujet, est précisément de faire exploser la Russie en plusieurs républiques "indépendantes", c'est-à-dire sous la suzeraineté de colonisateurs, comme c'est actuellement le cas de l'Ukraine....
Pour moi, c'est simple, des Français qui ne comprennent ni Notre Dame ni Jeanne d'Arc ne sont pas des Français, mais des mutants dénaturés. J'en dirais autant des Russes qui ne connaissent et ne reconnaissent ni leur foi, ni leur histoire, ni leur folklore, ni ce qu'ont édifié leurs ancêtres.









dimanche 19 mai 2019

Egoïste

La veille de mon retour à Moscou, je suis allée aux vêpres au monastère de Zadonsk. Je me suis inclinée sur les reliques de saint Tikhon, et lui ai demandé d'intercéder pour moi, et puis un peu plus tard, passant devant saint Pantaleimon, patron des médecins, je me suis souvenue de la petite-fille du père Valentin, la fille  de Kolia, qui est terriblement malade, elle a un cancer très invasif, et j'avais commandé des prières pour elle, mais allant vénérer saint Tikhon, je n'ai pensé qu'à moi, et cela m'a frappée comme la foudre. On confesse souvent toujours les mêmes petits péchés merdiques, et cela nous cache parfois le fond du problème: égoïsme, inconscience, négligence...
Je me suis mise à pleurer et pourtant, je ressentais une sorte de réconfort, un écho. J'ai prié pour cette petite fille, et pour d'autres personnes mortes ou vivantes, dont j'avais grande compassion. Chaque fois que je suis allée dans une église où reposaient les reliques de quelque grand saint, Matrona, Serge de Radonej ou maintenant Tihkon de Zadonsk, j'ai eu une espèce de rencontre, sans parler de mon expédition aux Solovki et du métropolite Philippe.
Beaucoup de gens m'ont fait part de leurs sentiments amicaux, après ma prestation, je suis invitée à Zadonsk et Lipetsk pour l'année prochaine. Tatiana m'a précisé l'histoire du tombeau: il se trouve que pour enterrer Sobtchak et un certain nombre de libéraux, on a bousculé un carré de sépultures vénérables du XIX° siècle...
A Moscou, j'ai vu Xioucha et Kolia, le père de la petite malade, celui qui a toujours fait les 400 coups et vit en ce moment chez sa soeur. Et voilà qu'il me déclare en repassant sa  chemise: "Comment ça va, Lolo?
- Pas mal, à part la vieillesse et les douleurs qui l'accompagnent!
- Allons, Lolo, tout ça c'est des détails, en fait, quoiqu'il nous arrive, la vie est merveilleuse. Nous croyons en Dieu. Ce qui m'étonne, c'est comment ceux qui n'y croient pas la supportent-ils? La vie sans Dieu n'a absolument aucun intérêt, elle est plate et insensée."
Le matin, j'avais vu l'un des adolescents de Xioucha se confesser et communier, ce que j'avais fait moi-même, à la liturgie de sept heures. Puis j'étais allée boire le café chez Xioucha qui m'a ramenée là bas en voiture, et nous nous sommes séparées, elle pour aller à l'église, moi pour prendre mes affaires chez le père Valentin et rentrer à Pereslavl. Comme elle était très en retard, le temps que je monte l'escalier, toute la paroisse sortait déjà en procession, au son trébuchant des carillons de Pâques. La mendiante de service s'était levée et souriait de ravissement: "Regardez, me dit-elle, regardez la procession!" Et oui, la procession avançait, sous le soleil éclatant, dans le vent frais, et derrière les prêtres vêtus d'or et d'écarlate, les bannières et les croix, et les lanternes, des gens me faisaient de grands signes: Xioucha, Sveta Soutiaguine... Pas moyen de faire autrement, malgré Rita dans son sac, sous mon bras, j'ai rejoint ce merveilleux, ce radieux défilé, et écouté l'évangile de la Résurrection, triomphalement annoncé par la voix de bronze du père Valentin, puis chanté les tropaires de Pâques et clamé que le Christ était ressuscité, et vu de grands jets d'eau bénite étincelante s'envoler vers nous comme autant de séraphins liquides, et tout le monde était heureux, en communion, dans la main du Seigneur, même moi, l'égoïste et l'anarchiste...
Au retour, mes chats étaient bouleversés, car mon intention était de rentrer avant hier et ils ont visiblement trouvé le temps long. J'ai eu droit à un concert de miaulements, puis a des démonstrations de joie, escalades du poirier, courses, bonds, ils m'ont fait le grand jeu. La chienne du voisin était morte pendant mon absence, après toute une vie à la chaîne, et la remplaçait déjà un chiot qui n'avait pas l'air gai. Son maître le caressait, ce ne sont pas de méchantes gens, mais tout à coup, j'ai pensé que quel que fût le sort de Rosie, je n'aurais jamais pu la garder ainsi enchaînée, et le spectacle de ce chiot va désormais me gâcher l'existence.

Au bord du Don avec Natacha




vendredi 17 mai 2019

Mission accomplie

La grosse église du monastère n'est finalement pas mal, à l'intérieur. Elle a des fresques académiques qui ont dû être entièrement refaites, mais qui ont pourtant l'air d'être d'origine et une iconostase en céramique qui est en parfaite harmonie avec l'ensemble. Mon discours d'aujourd'hui portait justement sur l'harmonie qui ne devait pas être négligée, car elle était le reflet de la sobornost, de la mise en communion et en relation de toutes choses et de tous êtres, dont Notre Dame était l'une des expressions médiévales, en dépit de son caractère gothique, déjà éloigné du modèle byzantin. J'ai raconté comment la visite de la minuscule église du skite du Saint Esprit avec le père Barsanuphe m'avait fait redécouvrir cette notion de sobornost, la complémentarité de tous les éléments du fait liturgique: architecture, chant, icônes, leur place symbolique, leur sens, et à l'intérieur de chaque icône tout un cosmos, toute une construction organique, ou aucune ligne n'existait sans répondre à toutes les autres, ce qui fait que jamais le "geste architectural novateur" dont rêve le président Macron ne pourrait être autre chose qu'un cataplasme high tech plaqué sur tout ce monde brusquement éventré par l'incendie qui ne peut plus désormais se reconstituer. J'ai embrayé sur les traditions populaires, la nécessité de soutenir leur renouveau, d'offrir aux enfants cet héritage. J'ai rencontré un écho chez les évêques présents, je n'avais pas évoqué la différence entre le chant liturgique ancien et le chant académique italianisant imposé par Pierre le Grand et Catherine II, mais l'un d’eux l'a fait, car il se propose justement de retourner autant que faire se peut au chant znamenie. Dans l'ensemble, tous les discours étaient d'ailleurs complémentaires. Malheureusement, tout cela s'est achevé pat la récitation "avec le ton" d'épopées russes faites pour être chantées par des apprentis acteurs, ce qui me paraît aussi contre nature que la lecture des psaumes ou de l'évangile dans le même registre.
Ma prestation, finalement improvisée, a beaucoup plu, j'ai donc évité le triste sort de Gussie Fink Nottle.
J'ai beaucoup sympathisé avec Natacha l'animatrice, elle est comme ses dessins animés: simple, sensible, discrète et profonde. Je ferai peut-être même un de ces jours le voyage à Saint-Pétersbourg pour aller la voir. Nous avons dîné ensemble au restaurant de mon hôtel qui n'est pas cher, bon, avec des produits frais, et nous nous sommes trouvé en plus des amis communs, comme c'est souvent le cas en Russie, ou bien est-ce parce que je commence à avoir beaucoup, et même trop de relations?
Demain, toutes les manifestations auront lieu au monastère, action de grâce après la liturgie, repas au réfectoire présidé par le métropolite, et c'est seulement ensuite que je reprendrai le chemin de Moscou. Heureusement, les autoroutes, contrairement à la légende, sont parfaites, et en grande partie payantes, d'ailleurs.
Tatiana, la poupée russe, est très préoccupée par la tombe de l’ecclésiastique qui a fondé la cathédrale saint Alexandre Nevski, à Paris, et ordonné le père Vladimir Guettée. Elle est complètement à l'abandon, dans le cimetière de la laure saint Alexandre Nevski de Saint-Pétersbourg, et elle cherche des financements pour lui rendre sa croix et son identité.

le film présenté par Natacha


Celui-ci a des sous-titres français

jeudi 16 mai 2019

Lipetsk

les sifflets du potier de Zadonsk
Première journée de notre congrès. Lipetsk m'est apparue au petit matin comme une ville d'une laideur absolument fantasmagorique. Des cages de béton gigantesques posées n'importe où, n'importe comment, sans aucun urbanisme, au milieu de terrains vagues et de friches industrielles. Je suppose que si j'en avais vu des photos anciennes, j'aurais eu envie de pleurer. Elle était sûrement pittoresque sous les tsars. Maintenant, il n'y a absolument plus rien à voir. Il paraît que Voronej et Elets, c'est pareil, (d'après Ekaterina Igorevna, qui n'arrête pas de me faire des conférences, sur le siège à côté) alors que Bounine, qui y a grandi, en faisait des descriptions pittoresques. En plus des soviétiques, ici, les Allemands ont sévi pendant la guerre.
A Zadonsk, un monument montre une paysanne dont les six fils sont morts à la guerre.
L'Université de Lipetsk offre un aspect défraîchi, aucune marche d'escalier n'est d'équerre et les carreaux se chevauchent, mais j'ai été reçue comme une princesse, les gens sont avec moi d'une si extrême gentillesse que j'en oublie leur ville hideuse, et c'est souvent comme cela, en Russie, c'est ce qui nous attache!
Rita s'est conduite d'une manière irréprochable, au fond de son sac, silencieuse, mais elle a eu tant de succès que j'ai dû la laisser passer de bras en bras, et on lui a fait toutes sortes d'offrandes.
Le congrès a débité par un concert de "cosaques". C'était une vraie parodie. D'abord, ces chansons de mecs étaient interprétées par toute une troupe de bonnes femmes étincelantes de paillettes, avec juste un seul garçon. Ensuite, ce qui les accompagnait était un play-back orchestral lourdingue diffusé à plein volume. J'ai reconnu des chansons du répertoire de Skountsev, mais terriblement déformées. Toutes ces filles n'avaient aucune spontanéité et s'étaient bien exercées à sourire coûte que coûte et à faire des gestes scéniques style chanson de variété. Quand l'une d'elle a chanté a capella, sa voix était assez jolie, mais son chant tellement artificiel que cela n'avait aucun intérêt et ne transmettait aucune émotion. Il y a deux jours, j'avais assisté à une soirée folklore dans un petit théâtre de Moscou, et m'étais réjouie de voir des jeunes s'être complètement intégré, de façon organique, ces chansons, qu'ils chantaient sans costumes typiques, comme quelque chose qui faisait partie d'eux-mêmes. Après ce petit ensemble, nous avions eu droit à une espèce de jazz folklorique, et là, déjà, ce n'était plus ça. La fille nous exhortait à chanter avec elle, mais ce n'était pas possible, car c'était du jazz folklorique, et pas du folklore, et donc on ne pouvait envisager de "chanter avec elle" qu'à l'issue de plusieurs répétitions, pour en faire une prestation unique, devant un public, incapable de participer autrement que par son écoute, c'est là d'ailleurs le critère pour différencier du vrai folklore de sa contrefaçon. Au moins avions-nous quelque chose d'assez joli et d'assez créatif, comme résultat. Alors que les "cosaques" d'aujourd'hui... Le pire étant leur dernière chanson, très choeurs de l'Armée Rouge, grosse caisse et clairon sonnant la charge, avec le même geste mécanique du bras, qu'elles ont dû bien étudier devant la glace.
Après j'ai assisté à une série de conférences d'un haut niveau sur la linguistique ou la littérature. Un professeur expliquait par la linguistique le caractère divin du langage et le rôle de l'enseignant, qui devait donner à sa voix et à son expression le pouvoir de transmettre l'amour des hautes valeurs humaines et de la patrie à des enfants ou des étudiants dont il était censé faire des anges. J'écoutais tout cela en regrettant d'avoir manqué le début, et en me disant qu'on était très très loin de la pédagogie française.
Mais justement, un autre conférencier, un évêque poète ancien militaire, très jovial et très expressif, expliquait que l'enseignement était soumis de la part des pouvoir publics à une vraie tentative de démolition qui rappelle ce qui sévit chez nous depuis des décennies.
Ensuite, les deux conférences suivantes portaient sur le "Don paisible" de Milkaïl Cholokhov, comme expression de la "sobornost' russe. "Sobornost" est un mot difficile à traduire qui a la même racine que "sobor", cathédrale, et signifie une communion mystique, cosmogonique, comparable à celle qui était sans doute la nôtre au moyen-âge quand nous construisions Notre Dame, à présent profanée, et trop souvent la risée des descendants dénaturés de ceux qui l'ont construite. C'est là la clé du patriotisme russe, charnel et spirituel, qui fait de tout un peuple une sorte de famille unie autant par une communauté de foi et de mentalité, de culture, que par un fond génétique, ce que le mondialisme cherche à détruire avec une haine dont sa première manifestation, le bolchevisme, a donné de si hideux exemples.
Et justement, dans la foulée, on a évoqué la façon dont les cosaques ont été systématiquement exterminés et leur culture soigneusement anéantie, ce qui rejoignait les récits de Skountsev. Le miracle est que quelque chose ait survécu, et c'est à présent souvent auprès de Skountsev et de ceux qu'il a formés que des formations militaires cosaques reconstituées viennent retrouver le folklore et les traditions de leurs ancêtres. La propagande occidentale, si prompte à évoquer le "holodomor" et à le coller sur le dos des Russes, passe soigneusement sous silence la "décosaquisation" dans le Don, et ses horreurs, pourtant tout à fait comparables. Et je songeais avec douleur, au vu des événements d'Ekaterinbourg, que le mal qui nous ronge tous pourrait finir par triompher de la solidarité séculaire qui faisait la force et le génie de la Russie. Le défilé du "régiment immortel" auquel j'avais assisté il y a quelques années m'avait fait penser, comme le père Valentin, que c'était un beau moment encourageant de réconciliation nationale. Mais les tentatives de récupération néostalinienne enragée, et le dénigrement tout aussi enragé et injuste des libéraux en font une pomme de discorde.
J'ai été interviewée par la télé locale, et une dame m'a demandé si une de ses amies journalistes pourrait le faire aussi, par Skype. La directrice de l'université m'a dit avec émotion que "j'avais enchanté tout le monde", et pourtant, je n'ai pas encore, par ma conférence, fait concurrence à Gussie Fink Nottle et ses tritons, que j'évoquais hier, c'est pour demain. "Tu ouvres la journée, tout de suite après le discours du métropolite", m'a dit Ekaterina Igorevna! Le moins qu'on puisse dire est que je vais devoir me montrer à la hauteur!
C'est incroyable comme les Français conservent une aura extraordinaire, et à présent assez peu méritée... J'en suis quelquefois vraiment confuse en voyant fondre devant moi tous ces docteurs es lettres ou science, qui n'arrivent pas à croire qu'ils voient "une vraie Française".
J'ai rencontré l'auteur de tous ces merveilleux films d'animation orthodoxes que j'ai quelquefois partagés sur Facebook, Natacha Fidenko. Je l'ai ramenée à Zadonsk, avec Ekaterina Igorevna, et une autre dame adorable qui a l'air d'une de ces poupées russes que l'on mettait sur les théières pour les tenir au chaud. En chemin, nous nous sommes arrêtées pour boire à la source miraculeuse des douze Apôtres, ce qui a permis à Rita de respirer et de se dégourdir les pattes et à notre compagnie d'entonner "Christ est ressuscité" au grand air...
Ensuite, ayant aperçu un écriteau indiquant "potier", je suis allée voir si c'était du lard ou du cochon, et j'ai eu la surprise enchantée de tomber sur de vrais artisans et une adorable collection de sifflets en argile qui, de plus avaient un très joli son. J'en ai acheté une petite collection, de diverses formes et sonorités.
Après quoi pour terminer cette journée bien remplie, j'ai accompagné Ekaterina Igorevna et Natacha l'animatrice dans une promenade vespérale jusqu'au Don. Natacha était euphorique, car elle habite Pétersbourg, où le climat est encore plus rude qu'à Pereslavl, et là, on aurait presque pu se croire sur les bords du Rhône à Pierrelatte. Le mauvais goût des maisons neuves lui paraissait regrettable, et les maisons traditionnelles comme partout ailleurs, disparaissent. Mais tout de même, et je l'avais remarqué aussi, elle trouvait ce sud de la Russie plutôt prospère. Disons que nous sommes loin de l'image misérabiliste que l'on présente de la province russe, même si ce n'est pas le grand luxe, cela ne respire pas la pauvreté tragique, plutôt une certaine douceur de vivre nonchalante, et les gens sont très aimables.
Le Don à son début est quand même aussi large que le Rhône à Pierrelatte et beaucoup plus puissant, avec un courant impressionnant. Les saules, les aunes, me rappelaient ma région de France. Et aussi les herbes folles et les fleurs sauvages, les petits chemins conduisant à la rivière. Mais le pêcheur rencontré sur la berge avait une vraie tête de Russe au nez en pied de marmite. Il espérait pêcher un brochet.
Mes trois copines à la fontaine

le calvaire

Tatiana (qui m'a conseillé de soigner mon genou avec des feuilles de bardane)

Le monastère à Zadonsk

Maison traditionnelle rescapée. 

Le Don. On pourrait presque se croire à Pont-Saint-Esprit.

Natacha et Ekaterina Igorevna