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dimanche 6 décembre 2020

la saint Alexandre

 


Aujourd'hui on fêtait Alexandre Nevsky, à la cathédrale du même nom. Nous avions une liturgie épiscopale, avec monseigneur Théoctyste, les gens étaient très joyeux. Le père Andreï a évoqué saint Alexandre, qui s'est sacrifié pour son pays en nous recommandant de le prier pour qu'il intercède en faveur de la Russie et de sa ville natale de Pereslavl, ce que je ne manque jamais de faire. J'y ai retrouvé Katia que je n'avais pas vue depuis un bon moment, Nadia, et aussi l'arrière-petite nièce de notre nouveau martyr local, saint Constantin de Pereslavl, dernier prêtre de l'église du métropolite Pierre, et assassiné par les bolcheviques en 1918, Irina. Katia ayant disparu, je suis d'abord allée seule avec Nadia au café français, et nous avons longuement discuté de la difficulté de vivre dans une époque comme la nôtre, d'y réaliser des choses aussi simples et vitales que de fonder une famille et d'élever des enfants. Nadia compte s'acheter une maison à la campagne qu'elle ait ou non un mari pour y vivre avec elle.

à gauche, le père Andreï
Ensuite, revenue chez moi, j'ai recu Irina. Elle avait loupé mon expo et je lui avais promis de lui faire une présentation privée. Elle habite Moscou mais comme elle s'occupe activement de l'église de son arrière-grand-oncle et de sa restauration urgente, elle vient souvent ici. Elle brûle de lire Yarilo en russe, parce que c'est une fan d'Ivan le Terrible, qu'elle croit très calomnié. Skountsev, qui m'en a parlé un peu plus tard, le canonise presque, pour lui, vieux-croyant, les Romanov sont des imposteurs.
Irina me conseille, pour la traduction, l'équivalent russe des éditions du Net. Elle y a publié des documents sur son arrière-grand-oncle: "Les éditeurs vont faire pression sur vous pour que vous changiez votre texte. Là, ça ne vous coûte rien, vous pouvez corriger si besoin est, vous faites vous-même votre maquette, et de plus, cela ne vous empêche pas du tout d'être publiée ensuite par un éditeur, mais vous pouvez quand même commencer à le faire connaître". 
Le fait de garder le contrôle de mon livre a beaucoup motivé mon choix de l'autoédition sur internet, le problème, me semble-t-il, c'est que les gens, en France, considèrent que ce qui est publié de cette manière est forcément nul, comme si les éditeurs officiels ne publiaient que des génies, mais c'est comme cela, l'autoédition, c'est de la merde, les sites d'informations parallèles, c'est forcément des fake news. Or nous sommes arrivés à un moment où cela est moins vrai que jamais. Parfois, étant donné l'histoire du covid qui complique encore les choses, les librairies sont toutes fermées, ou en faillite, je suis tentée de lire Yarilo chapitre par chapitre en une série de vidéos; je ne compte pas sur des droits d'auteur pour vivre et qu'adviendra-t-il de nous dans six mois? 
La question se pose pour moi de publier maintenant Epitaphe, dont le contenu subversif me ferme pratiquement toutes les éditions bien pensantes et elles le sont massivement.
Publier la version russe de Yarilo de cette manière, au moins au début, n'est peut-être pas une mauvaise idée, au moins suis-je sur place pour en faire la promotion... Je crois que finalement pas mal de gens attendent de le lire, déjà à Alexandrov, d'après le guide Edouard, ici à Pereslavl, à Moscou.... peut-être pas des milliers, mais déjà plus qu'en France.

La maison du voisin part pour être moins épouvantable que je ne le craignais, d'abord, quelle chance, il met un toit neutre, donc si je plante des arbres, ce qui dépassera se fondra avec le reste. Ce qui me dérange le plus, c'est l'énorme épaisseur de terre qu'il a rajoutée. Et puis la nécessité de créer un écran végétal, sous peine de vivre désormais dans un aquarium, me prive, en plus des perturbations créées par cet apport, du seul endroit où je pouvais faire un potager.


Mais je me pose quand même des questions. Ma maison est très grande et a englouti pas mal d'argent, or je ne l'occupe pas en entier, loin de là, et en louer une partie est à la fois peu rentable et souvent pesant. Je ne sais pas ce qui va se passer avec nos retraites. Je me dis parfois qu'il vaudrait mieux aller dans un coin  encore joli, acheter un studio pour le louer. Je serais sûre de continuer à percevoir ma retraite telle qu'elle est, je l'envisagerais beaucoup moins. Par flemme. Bien que Pereslavl, et mon quartier, ne ressemblent plus à rien. Je ne pensais pas qu'il fut possible de saccager un endroit à ce point. En ce moment, les maisons se vendent bien, car les moscovites fuient la capitale et la tyrannie des masques.

Irina pense que je devrais la garder, et en louer la moitié, en finissant de l'aménager. 

Je me suis amusée à dessiner des arbres, par dessus la bâtisse. le sapin prévu, le noisetier, un saule, et il faudra encore autre chose de taille moyenne qui ne craigne pas l'eau, peut-être une viorne aubier.


 


vendredi 4 décembre 2020

Vampires

 Aujourd'hui, fête de la Présentation au Temple, je suis allée au monastère saint Théodore, car deux personnes de ma connaissance m'avaient invitée à le faire, et les moniales se sont aussi plaintes que je ne venais plus, mais de toute façon, avec le covid, on n'a plus accès au réfectoire et on rentre chez soi direct. La liturgie a été suivie d'une procession, avec bénédiction de l'église et des fidèles. J'ai trouvé particulièrement touchantes les moniales qui riaient comme des petits filles tandis que l'évêque les aspergeait copieusement d'eau bénite avec son air malicieux.

Il paraît que la télévision de Iaroslavl me cherchait à l'éparchie, pour une petite interview. J'observe que pour me trouver, on s'adresse plutôt à l'éparchie qu'au café français!

L'élégance des bâtiments du monastère m'a frappée, ils sont du XVI° et XVII° siècle, très sobres. Malheureusement, beaucoup de détails kitsch à l'intérieur, le kitsch écclésiastique de la firme Sofrimo, qui produit mobilier, icônes et chasubles pour tout le patriarcat.


J'ai dernièrement eu un échange avec une vieille intellectuelle russe émigrée sur Ivan le Terrible, au sujet duquel est sortie une série télévisée qui ne fait pas l'unanimité, elle rend même certains journalistes fous de rage. La vieille intellectuelle la trouve fidèle à la vérité historique. Je lui ai objecté que cette vérité était remise en question, et pas seulement par des nostalgiques de Staline auquel ils s'obstinent à comparer le tsar, ou par des illuminés qui voudraient le canoniser. Elle m'a rétorqué qu'elle ne prenait en considération que les historiens sérieux, soit ceux du XIX° siècle. Ce n'est pas que je ne les considère pas comme sérieux, et du coup, j'ai commencé à lire une somme de divers textes sur la question qui m'a été offerte par je ne sais plus qui. Mais les historiens que j'avais vus rassemblés à Alexandrov ne m'ont pas fait l'effet de rigolos, alors que j'en avais rencontré un qui m'avait inspiré la plus grande méfiance par son révisionnisme forcené. Or ces historiens disent avec certitude qu'on ne sait pas grand chose, que la plupart des sources ont brûlé, qu'officiellement, de façon vérifiée, ses répressions ont fait 8000 victimes ce qui est loin du bilan des guerres de religion ou de Staline dont on fait son équivalent moderne. Et enfin, on ne trouve pas trace de tout cela dans le folklore. Alors que dans ce même folklore, le tsar présentable qu'est Pierre le Grand pour tout le monde est présenté comme le chat joyeusement enterré par les souris. J'ai laissé tomber la discussion assez vite, je ne suis pas assez spécialiste, et mon interlocutrice était trop catégorique.

Cela dit, le supplice de son mage anglais raconté par sir Jerôme Horsey fait froid dans le dos, et je ne pense pas qu'il l'ait inventé. Mais ne peut-on mettre parfois en doute ce que raconte Kourbski qui l'a trahi et l'opritchnik allemand Staden, peu recommandable? Bref, personnellement, j'incline à penser qu'entre le film d'épouvante et la réalité, il y a peut-être une marge. Lui-même dit dans une lettre à Kourbski: "Quel souverain serait assez fou pour exterminer son propre peuple"? Et en effet, dans la mesure où, à son époque, le sort d'un souverain et celui de son peuple étaient étroitement liés. Cependant, qu'il ait eu la main très lourde avec son aristocratie, que son Opritchnina se soit livrée à toutes sortes d'exactions, qu'il ait sombré à ce moment-là dans la débauche et la cruauté, je ne le nie pas.

Il reste qu'à mon avis, cette âme sombre n'était pas sans lueur, un peu comme un personnage de Dostoievski, et c'est ainsi que je l'ai montré, dans mon roman qui est beaucoup plus un conte qu'un récit historique. De la série, je n'ai vu que deux épisodes, je les ai trouvés plutôt plats. Après quoi, j'ai vu dans les commentaires de ceux qui ont regardé la suite, que cela devenait très caricatural. Les ébats amoureux du tsar et des cruautés hallucinantes. En ce qui concerne les ébats amoureux, les commentateurs notent que deux de ses tsarines sont montrées en train de le chevaucher, ce qui était impossible à l'époque, qu'ils supposent puritaine, et ce n'est pas mon avis; je pense qu'on était certainement moins puritain à l'époque que plus tard, et pourtant, ce genre de fantaisies érotiques ne devaient pas être pratiquées pour une autre raison: le tsar et les hommes russes de l'époque étaient beaucoup trop machos pour l'envisager. Je pense que de toute façon, on peut exprimer la sensualité du tsar sans recourir à des scènes de ce genre.

Ensuite, on montre Basmanov père et Basmanov fils s'entretuer dans un cachot sous les yeux du tsar qui avait promis la vie sauve au vainqueur. Je connaissais trois versions de la fin de Fédka Basmanov et celle-ci ne m'avait pas convaincue, puisqu'il avait décapité son père sur l'ordre de ce même tsar, après quoi, soit il aurait été exécuté dans la foulée, soit expédié avec sa famille à Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc où il serait mort de maladie assez rapidement. La série a choisi la plus immonde. J'ai choisi la plus acceptable, en fonction du fait que le jeune homme avait épousé la nièce de la tsarine Anastassia, et je donne une version personnelle du parricide et de ses suites.

Pour ce qui est du personnage de Fédia, j'ai bien conscience d'avoir probablement, comme me disait Iouri Iourtchenko, "fait d'un vrai salaud un ange déchu", il y a certainement de cela, car dans mon oeuvre littéraire, j'ai mis beaucoup de moi-même, et Fédia, devenant un peu mon double, s'en est trouvé considérablement adouci. Cependant, mon intuition me dit que ce garçon détestait son père parce que celui-ci l'avait peut-être profané, en tous cas maltraité; il me semble que le jeune homme aimait le tsar; il avait épousé sa nièce, donné son prénom à l'ainé de ses fils. Enfin, je pense que le parricide a été partiellement assumé pour sauver ses deux enfants chéris en supprimant un père détesté. C'est comme ça que je vois les choses, avec mon intuition d'écrivain, qu'il ait été un salaud fini ou un ange déchu.

J'éprouve parfois une espèce de peur irrationnelle, de répugnance insurmontable à lire ou voir des choses sur le tsar Ivan qui me paraissent  outrées, à tel point que parfois je me pose des questions sur la nature de telles réactions. C'est comme si on crachait sur des gens de ma famille, ou comme si la fureur ulcérée qui s'emparait de moi n'était pas la mienne mais passait par moi.

Quand j'écrivais mon livre, un écrivain belge avait vu en rêve que depuis l'enfance, j'étais escortée par une âme orthodoxe du XVI° siècle, morte tragiquement, qui attendait de moi sa délivrance. Or à ce moment-là, il ne savait pas que j'étais prise par ce roman.

Je me demande si la mission a été accomplie, car un lien puissant m'unit à ces deux êtres, me laisseront-ils tranquille lorsque le livre sera traduit, édité peut-être? J'ai parfois l'impression d'être en communication permanente avec ces deux fantômes qui ne sont pas de tout repos, et fort ombrageux, et même un tantinet vampiriques. Et peut-être ce que j'ai écrit n'est-il pas exact historiquement, mais pour eux mystérieusement salvateur.





jeudi 3 décembre 2020

OVNI


 En complément de mes réflexions d'hier, j'ai trouvé aujourd'hui cet aphorisme du starets Nicolas Gourianov: "Nos pensées et nos paroles ont une forte influence sur le monde environnant, les animaux, les plantes. Priez avec des larmes pour tous les malades, les faibles, les pécheurs, pour ceux pour lesquels personne ne prie. Pour les fleurs, les pierres, les plantes. Ne faites pas de mal aux oiseaux, faites leur la charité. Demandez à Dieu que nous restent sur la planète de l'air et de l'eau pure, et invoquez fermement le Très Doux Sauveur du monde: "Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi pécheur".

J'en suis persuadée et c'est d'ailleurs prouvé, je pense du reste que l'expérience spirituelle et l'expérience artistique humaines vont beaucoup plus loin dans l'appréhension de la véritable réalité du monde que l'approche scientifique matérialiste (car il existe aussi une approche scientifique que ne bornent pas les aprioris matérialistes) et évidemment que "l'intelligence artificielle", qui est l'intelligence du diable, la contrefaçon de l'intelligence. Cela est très sensible dans le plus beau livre que j'ai lu sur le moyen âge, "les quatre vies d'Arséni" de Evguéni Vodolazkine, sur un guérisseur russe qui finit dans la peau d'un starets.

Je ne prie pas assez, mais le peu que je prie, je le fais dans cet esprit, et avec des larmes. D'un seul coup, en lisant cela, j'ai d'ailleurs été réconfortée d'avoir un tel pensionnat d'emmerdeurs à quatre pattes, emmerdeurs au sens souvent propre du terme. Que serait-il advenu de chacun d'entre eux? Les mésanges et autres passereaux survivent en partie grâce à mon restau dans le poirier, à mon grand chagrin, monsieur Moustachon recueilli par pitié, lui aussi, est un chasseur démoniaque et me rapporte de petits cadavres ailés, mais malgré ces "prélèvements", comme disent les "défenseurs de la nature", cette nourriture est utile à une population que l'hiver décime plus que chez nous. Je pense que si la neige se décidait à tomber pour de bon, Moustachon deviendrait beaucoup plus visible et moins dangereux. Je prie pour les miens, pour ceux qui sont malades et malheureux, pour ceux qui ne connaissent que le malheur et meurent de façon atroce, pour les animaux que nous faisons vivre de cette manière, et pour la création que nous profanons sans arrêt.

Dans le même esprit, j'évite d'arracher des plantes, et mon voisin ne comprend pas du tout que ses propositions, qui consistent à recouvrir tout ce que j'ai planté ou laissé pousser d'une tonne de terre pour me mettre au niveau de sa digue ne me conviennent pas. Depuis trois ans, j'ai planté toutes sortes d'humbles choses, parfois déplacé de "mauvaises herbes" que je trouvais jolies, dans des endroits où elles ne gêneront pas et se mêleront harmonieusement aux autres ou entre elles. Lui n'envisage que le gazon ratiboisé avec régularité façon moquette, les fleurs en rang dans des massifs, bref, propre, banal, ennuyeux, comme on aime chez les extraterrestres.


Mon voisin d'en face, le vieil oncle Kolia, m'a dit que les constructeurs des quatre merdes prévues derrière son isba avaient fait la même chose. Il se retrouve un mètre plus bas que leur terrain artificiel bétonné sur le marécage. Evidemment qu'un tel poids de terre sur notre faible croûte flottant sur la nappe phréatique va provoquer des résurgences chez nous en premier lieu, cela me paraît clair.

Autrement l'OVNI me prive moins de lumière que prévu, sauf que bien sûr, un sapin devient impératif, si je ne veux pas contempler un mur de plastique quand je lève les yeux. Et d'autres arbres pour ne pas voir ça l'été et pour ne pas avoir l'impression de vivre dans un aquarium.

Les Russes voilent tellement leurs fenêtres qu'on ne voit plus rien à travers mais moi, quand je n'ai pas de voisins dont la vue plonge chez moi, je ne mets de rideaux que pour la nuit, car j'aime que ma maison soit emplie de lumière, et traversée de pans de ciel et de feuillages frissonnants. Evidemment, dans un cas comme cela, il ne reste plus que les doubles ou triples séries de voilages. Ou bien les écrans végétaux. S'enfermer derrière des rideaux, c'est aussi se couper du monde, et à force de se couper du monde, on devient un extraterrestre.




Cette vidéo apporte une réflexion différente et complémentaire, à voir avant qu'on ne la censure, en se demandant pourquoi on le fait si vite...

mercredi 2 décembre 2020

Harmonie



 Je fais beaucoup de progrès avec Skountsev; en même temps, je  vois à quel point tout cela demande d'investissement, quand on ne l'a pas sucé avec le lait de sa mère, pour ainsi dire déjà commencé à l'assimiler dans ses entrailles, comme c'était le cas autrefois. Il paraît que les enfants des cosaques Nekrasovtsi, qui avaient conservé leurs traditions 300 ans en Turquie, où ils s'étaient réfugiés après le schisme, les perdent depuis qu'ils sont dilués dans la Russie contemporaine, qui les perd également, avec sa paysannerie, bien que pas mal de jeunes y reviennent, en quête d'authenticité, en quête d'eux-mêmes. C'est déjà quelque chose, en France, ceux qui retournent à la terre sont loin de revenir à la tradition française. 

Apprendre ces chansons et jouer de ces instruments développe beaucoup de facultés, évidemment la mémoire, la concentration, la coordination, le sens de la place du détail dans l'ensemble, l'attention à ce qu'on fait, et à ce que font les autres, l'adaptation à un rythme, en dehors naturellement des aspects artistiques, mais ces aspects artistiques découlent eux-mêmes de l'harmonie de tout le reste. Et ceux qui pratiquent cela depuis l'enfance ont indéniablement quelque chose de plus que ceux qui n'en ont aucune idée, et aucune tablette, aucun ordinateur ne développera une personnalité et son intelligence de manière aussi complète, surtout si l'on y ajoute les interactions avec le milieu naturel, et la vie spirituelle, à laquelle tout ceci introduit. 

Je l'avais constaté sur les enfants que j'avais eu en maternelle deux ans de suite. Et pourtant, nous étions loin de pratiquer cela tout le temps, mais je crois que dans tout ce que je faisais avec eux, j'amenais précisément cet esprit qui relie les détails dans une harmonie supérieure, car c'est ainsi que bon an mal an, je me suis formée moi-même.

Je peux donc tranquillement assurer que notre éducation contemporaine, notre milieu contemporain servent principalement à fabriquer des crétins et des monstres. Ceux qui échappent à l'un et l'autre destin et restent normaux n'ont plus qu'à vivre plus ou moins comme des parias et à se trouver une niche écologique quand cela reste possible. Cela je l'ai toujours su. Dès qu'on m'a mise à l'école.

Ce milieu contemporain exerce d'énormes pressions sur les individus, même quand ils reçoivent une éducation normale. Il est très difficile de rester soi-même, de rester vrai, j'en faisais déjà l'expérience dans les années 70. Car on se retrouve dans une grande solitude. Et lorsqu'on est jeune, on a envie d'avoir des amis, d'avoir un compagnon ou une compagne.

Une jeune fille que j'avais eue en moyenne et grande section m'a retrouvée et m'envoie de temps en temps des lettres. Elle m'appelle toujours maîtresse... Elle m'avait dicté alors un ravissant petit poème, qui ressemblait à un haiku. C'était une petite fille avec de longs cheveux blonds, à moitié russe. Elle me dit qu'elle écrit toujours, grâce aux encouragements que je lui avais prodigués alors. J'ai beaucoup aimé tous ces enfants, ils avaient presque tous quelque chose, une espèce de grâce. Ceux de ces deux classes. Ils étaient de milieux dits privilégiés, ce qui ne rend pas forcément les choses plus faciles, car les parents ont souvent des attentes particulières...

Skountsev dit que les gousli ont un effet thérapeutique. C'est vrai, je le sens. A mon avis, ils font faire aux gouttes d'eau des cristallisations harmonieuses, et c'est un autre avantage du folklore, à un niveau qui n'est plus celui de l'apprentissage, mais de l'être. La musique traditionnelle exerce un effet bénéfique sur l'organisme de ceux qui la pratiquent et j'irais jusqu'à dire sur le milieu environnant. Mais elle déchaine souvent l'agressivité des pauvres décérébrés qui écoutent en boucle à tue-tête le tohu-bohu préfabriqué qu'on leur distille à longeur de radio et dans tous les restaurants et supermarchés. Ce sont ceux-là qui construisent des horreurs, scient des arbres séculaires, massacrent des animaux pour le plaisir, pataugent dans les tripes de la vie éventrée et profanée avec une sorte de frénésie grossière et sombre.

Un paysan et ses gousli. Quelle serenité et quelle dignité... né en 1904, contemporain de mon grand-père


Je suis ce matin allée faire une prise de sang, les analyses rituelles. J'ai trouvé une généraliste qui est en même temps cardiologue, dans un centre de diagnostic. Elle est sympathique, et cherche à soigner avant tout le terrain de son patient. Elle m'a confirmé que le masque à longueur de temps était une hérésie et tout, sauf une mesure médicale destinée à sauver les gens. Néanmoins, la pieuvre mondialiste empoisonne également la Russie, de gré ou de force, peut-être de force, car tout cela est moins oppressif que dans d'autres pays, où cela prend une tournure si inquiétante qu'il faut être extrêmement hypocondriaque ou complètement abruti pour ne pas soupçonner quelque chose de pas net.

J'ai noté que l'on ne faisait pas les tests covid sadiques qui se pratiquent en France, les gens doivent eux mêmes prélever dans le nez, le plus haut possible et dans la gorge, mais personne ne va les ramoner jusqu'au cerveau. En revanche, une vieille qui venait se faire tester, dûment masquée jusqu'aux yeux, me collait à la réception, m'interrompant pour demander des renseignements à la bonne femme de service, j'espère qu'elle n'était pas malade, car je ne comptais ni sur son masque à la con ni sur le mien pour éviter la contagion...

D'ailleurs le médecin m'a dit que je faisais bien de me tenir à l'écart des hôpitaux si ce n'était pas indispensable.  

La fille qui m'a fait le prélèvement n'était pas fort aimable, la parole brève, et je ne pouvais pas voir son visage à cause du masque, mais je le devinais très fermé. A l'issue du processus, je lui ai dit merci. J'ai vu son regard s'illuminer comme celui d'un enfant.

Je pense que dans ce genre d'endroits, beaucoup de Russes prennent un air rébarbatif pour faire sérieux. J'ai constaté cela aussi dans les services d'immigration.  

                                 




dimanche 29 novembre 2020

Les braises

 Un ami folkloriste, Dima Paramonov, répond à mon cri du coeur devant des photos de la magnifique petite ville de Mojaïsk: "Russes! Je ne veux pas voir disparaître tout cela, vos cottages en plastique, c'est de la merde, et aucun peintre n'a envie de les dessiner" que la civilisation russe est terminée et que tout disparaîtra. De la part d'un garçon qui est très actif dans la renaissance du folklore, c'est dur à entendre. Il est vrai qu'il avait ouvert un musée des gousli à Moscou, où l'on donnait des cours, et à la faveur du Covid, on le lui a fermé. Il est parti vivre dans un village de l'Oural, sans doute espère-t-il retarder ainsi le moment où il sera rattrapé par le siding et la tuile mécanique bleu pétard, accompagnés de la radio à tue-tête, ce qu'il pense inéluctable pour l'ensemble du pays. 

Je dis "à la faveur" du Covid, parce qu'évidemment, tout ceci est voulu. Tous les gros ploucards du business mafieux transhumaniste détestent viscéralement tout ce qui est russe de chez russe, comme ils détestent chez nous tout ce qui est français. Et ce sont eux, comme chez nous d'ailleurs, qui forment les mentalités, détiennent les médias, et le fric des investissements, eux qui décident de laisser pourrir la patrimoine ou d'en hâter la fin par des incendies, eux qui soutiennent tous les spectacles dégradants, la musique de merde, la sous-culture de masse transnationale. 

Le peintre Alexandre Pesterev, dans son isolat de Férapontovo, me disait exactement la même chose que Dima: tout ce que nous aimons est condamné.

La Russie du XIX° siècle était encore un monde jeune et extrêmement vivace, avec une riche culture populaire, une vaste paysannerie, qui faisait beaucoup d'enfants. Le début du roman de Cholokhov le Don paisible, rend bien cette impression de vitalité. J'avais lu autrefois les souvenirs d'une dame française partie en Russie avec son mari dans les années 1850. Sa description du sud de la Russie est prenante, fascinante. Il lui semblait déboucher dans un autre monde, il lui semblait, dès qu'elle quittait les bâtiments officiels des villes de province, ses fonctionnaires et nobles locaux, être la proie d'une hallucination permanente tellement elle était AILLEURS. Et elle évoque un jeune cosaque de son escorte qu'elle voyait jouer avec un aigle.

Ce monde étrange, extrêmement original, très homogène, avec un folklore qui, selon des musiciens italiens du XVIII° siècle, révélait une seule mélodie de base, dans tout l'empire, depuis la Sibérie et le nord jusqu'à l'Ukraine et la Bielorussie incluses; une seule mélodie avec des milliers de variantes, reflet de l'âme russe, cette communion de personnes unies transversalement et horizontalement en Dieu, avec toutes leurs nuances personnelles qui entraient en résonnance harmonieuse, c'est sans doute un peu ce que nous avions en occident au moyen âge. Nous avons dit de ce monde russe qu'il était attardé, alors qu'il était seulement miraculeusement conservé. Et il s'est conservé d'ailleurs en partie,  au delà de la catastrophe communiste, sans doute jusqu'aux années Brejnev;  

Il en a fallu de l'acharnement et de la cruauté, pour le faire disparaître. Au XVII° siècle, il s'est dressé toutes classes confondues pour évacuer les Polonais. Avec Pierre le Grand, c'était déjà plus difficile, le schisme des vieux-croyants ayant introduit une fracture inguérissable dans un peuple qui, plus qu'aucun autre en Europe, était une grande famille, avec ses querelles internes et ses mauvais sujets, mais une profonde parenté spirituelle et culturelle entre tous ses représentants. Pierre le Grand a inoculé l'occident à la Russie, il a été le premier à mépriser tellement son propre peuple et à le méconnaître qu'il a donné un nom étranger à sa capitale. Mais quand les Français sont venus apprendre la vie aux Russes, ils se sont encore levés comme un seul homme pour les mettre dehors. Y compris les nobles de Pétersbourg coupés de leur culture, et même les étrangers phagocytés par cet étrange et captivant pays, les Allemands, les Italiens, les émigrés français russifiés.

Que dire du bolchevisme introduit à la faveur de la trahison des élites, travaillées par toutes les idées qui, parties d'un occident devenu fou, ont fini par infecter toute la planète? Avec quelle méchanceté méthodique se sont-ils acharnés sur la Russie, précisément sur la Russie, paysanne, croyante, poétique, contemplative, artistique, pour la transformer en fourmillière mécanique sans mémoire? Séduite, violée, battue, assommée, dressée, endoctrinée, poussée à se détester elle-même et à traquer en elle tout ce qui pouvait lui rappeler sa vraie personnalité... Aujourd'hui, les descendants post-soviétiques des ardents komsomols qui ricanaient en 73,  lorsque je leur disais que les nouveaux bâtiments de Moscou étaient tous plus affreux les uns que les autres, détruisent les derniers vestiges de ce que leurs ancêtres russes avaient mis des siècles à bâtir ou se transmettaient depuis la nuit des temps. Le beauf international aux gosses maussades cramponnés à leurs écrans remplace peu à peu le Russe authentique, avant sans doute, comme nous le sommes nous-mêmes à la suite de processus analogues, d'être remplacé à son tour par le surplus délinquant et abruti de l'Asie ou de l'Afrique.

Il se trouve de ces descendants pour verser dans le négationnisme et justifier le massacre et le dressage de leurs ancêtres non conformes au modèle moderniste. Cela valait le coup de s'infliger tout ça, pour avoir une salle de bains dans son clapier en béton et aller dans le cosmos nous installer la toile d'araignée électronique qui fera de nous tous des esclaves hagards.

Pourtant, dans ce bordel hideux que devient la Russie, il surnage des ferments de renouveau, des cellules saines, plus peut-être qu'en Europe. Le folklore séduit beaucoup de jeunes, il reste pas mal de gens qui sont patriotes, qui aiment leur pays, qui voudraient le sauver. Une goutte dans la mer, me dit Dima Paramonov. Je dirais un peu plus que cela, un courant, une sorte de discret Gulf Stream.

Et quel autre choix avant nous que de souffler sur les braises qu'il nous reste? 

Derrière l'isba de l'oncle Kolia surgit une structure à deux étages du genre de celle que construit mon voisin. Si je reste ici, il ne me reste qu'à boiser à mort. Je déménagerais bien, j'ai vu une isba ravissante à Koupanskoié. En aurai-je le courage, et son environnement restera-t-il ce qu'il est? 

La maison du voisin, c'est un échafaudage d'allumettes, avec de l'isolant entre deux couches de contreplaqué, et le siding par dessus, je pressens qu'il sera façon fausse pierre, pourquoi s'emmerder avec du vrai quand il y a le plastique, qui  "dure éternellement" et qu'on a  été tellement nourri de faux, qu'on ne sait même plus ce que c'est que l'authentique? J'espère au moins que son toit ne sera pas bleu électrique ou rouge sang de boeuf...




J'ai fait ce dessin en 2000,  près du monastère musée qui domine la ville. Il y avait toute une enfilade de petites maisons semblables, qui s'inscrivaient de manière parfaitement organique dans l'ensemble et qui ont été remplacées par d'horribles OVNIS qu'on a envie de pousser pour mieux voir.


mercredi 25 novembre 2020

Pseudopodes

 J'ai écrit à l'évêque pour lui communiquer mes réflexions, et il m'a répondu qu'il n'avait sans doute pas mis l'accent où il fallait mais qu'il n'était pas plus optimiste pour la Russie que moi pour la France. C'est drôle, moi si. Le moyen âge en Russie a duré jusque dans les années 60, il est encore proche, et puis il y a l'orthodoxie. Quelques braises dans l'âtre...

Voici ce que m'écrit un ami:

Le 2 octobre dernier, nous avons été à trois à Marseille.

 

Nous avions rendez-vous avec Sœur Minodora du saint monastère Sainte-Élisabeth de Minsk pour y emporter une icône de sainte Anne en route depuis plus d’un an ( !).

 

Le rendez-vous était à la petite salle située à côté de l’accueil de la basilique Notre-Dame de la Garde.

 

Sœur Minodora tenait en effet une petite exposition (comme chaque année) à cet endroit pour vendre les produits artisanaux du monastère.

 

Elle était dépitée car elle n’avait vu quasi personne depuis trois jours !

 

Notre-Dame de la Garde EST DEVENUE DESERTE, depuis la crise sanitaire (et le 2 octobre, nous étions pourtant déconfinés !).

 

Le personnel du magasin ne voit plus personne.

 

Les Marseillais ne montent plus prier.

 

Quant aux touristes, qui étaient des dizaines de milliers (arrivés principalement par les bateaux de croisière qui sont désormais interdits !), on ne les voit plus.

 

Et cette situation risque de durer.

 

Tu peux expliquer cela à ton évêque : il perdra ainsi quelques illusions…

 

C’est, une fois encore, pour ce qui concerne la basilique Notre-Dame de la Garde (mes réticences quant au tourisme de masse, destructeur de l’environnement tout autant que du patrimoine culturel, religieux… sont énormes et je me réjouis de la diminution de l’impact environnemental du tourisme de masse), les « fidèles » représentent aujourd’hui très exactement le degré de « fidélité » à Notre Dame de la Garde…

 

Pour le reste, gardons intacte notre Espérance en Dieu !

Iakov m'a téléphoné de Rostov, il me dit que là bas aussi, on commence à tout saccager, et il médite de se retirer à la campagne, loin des cottages et des châteaux américains. Là bas aussi, on convoite les rives du lac Nero. Ces vénérables villes historiques, si elles perdent leur visage, priveront les générations russes futures d'un repère essentiel, de la beauté léguée par leurs ancêtres, cette beauté que détestent spontanément ceux qui n'en ont pas cultivé en eux les récepteurs sensibles. Une âme privée de beauté l'est souvent de vérité et de bonté, de profondeur. Elle devient grossière et stupide, banale et vulgaire, et aisément malléable. Un être privé d'ancêtres et de mémoire n'a plus aucun ancrage dans la vie, dans la dimension cosmique de la vie.

Conduisant ma voiture à travers les rues de Pereslavl, je songeais que la ville était déjà si abîmée qu'on ne la reconnaissait plus. Elle reste un tout petit peu elle-même du côté du val, la fortification de terre médiévale, et des églises du centre, et puis de la rivière et du lac. Les maisons traditionnelles ont presque complètement disparu, soit défigurées, soit remplacées par des châteaux arméniens, des cottages boursouflés, des cabanes plastifiées.

Le monde qui s'annonce, celui des concombres masqués dans les débris profanés de l'histoire humaine, est si affreux qu'on ne sait où le fuir. Sans doute déjà dans une autre dimension. Certains vont méditer dans des endroits sauvages encore beaux, mais les satanistes au pouvoir font tout pour les en empêcher. D'autres lisent, créent, mais là encore, les gnomes ferment les librairies, les lieux de culture et de rencontre. Même la famille, dernier et plus sûr refuge de l'individu persécuté par une société inhumaine et folle, est menacée par les pervers qui nous dirigent.

On m'a envoyé une vidéo d'une Russe installée en Italie. On y expliquait que sans recourir à l'injection de nanoparticules dans nos organismes, nous étions déjà sous l'influence permanente d"ondes agressives, néfastes et indiscrètes, mais que chacun d'entre nous avait le pouvoir de les contrarier et de créer des ondes antagonistes. Ce que l'intelligence artificielle cherche à créer, une interconnection permanente entre les machines, les individus isolés, et le pouvoir des surhommes transhumanistes, parodie dans le registre affreux et contrefait de Frankenstein et du golem, ce que Dieu et la nature offrent de toute éternité à l'homme et à toutes les créatures, dans un registre bénéfique, à la fois organique et spirituel; car à part le monde mécanique et désespérant, et profondément laid, de l'homme technologique luciférien, tout est sacré dans l'univers, tout est baigné par l'Esprit, "que chaque souffle loue le Seigneur"... Tout ce qui vit dans cette dimension cosmique de l'Esprit est beau et engendre de la beauté. Tout ce qui s'en exclut est laid et produit des monstres.

Parallèlement, j'ai vu une vidéo d'un intellectuel marxiste qui voyait en la tentative d'asservissement et peut être d'anéantissement des masses par les "élites" richissimes au pouvoir exorbitant, le refus acharné d'accepter l'inévitable effondrement du système capitaliste, et d'une certaine manière, je pense que c'est vrai, que toute cette enflure démesurée de la civilisation technologique capitaliste, qui n'est pas viable, qui viole sans arrêt la vie, et a fait tant de victimes, aussi bien parmi les hommes que parmi les animaux qui peuplent la terre, est en train de retomber, de basculer, de dérailler, et que ceux qui cherchent à nous manipuler ne pourront empêcher l'échafaudage de s'écrouler également sur leurs têtes. En ce sens, oui, notre monde ne sera plus "comme avant", et nous sommes en train de détruire aussi les traces de ce qui était avant cet avant, soit celles d'un monde encore normal et équilibré. Tout ce que nous pourrons sauver, nous servira de foyer dans les ténèbres; de lumière, de chaleur. 

Beaucoup de gens qui se croient réalistes et me considèrent sans doute comme une passéiste et une illuminée, sont à mon avis justement dans le déni d'un réel qu'ils ne sont pas prêts à accepter, car ils ont été entièrement modelés par cette modernité capitaliste technologique cupide et si on la leur enlève, ils ne leur reste plus rien. Ceux qui voient la réalité telle qu'elle est sont ceux qui nous proposent un retour à la vie ancestrale améliorée par des trouvailles récentes, quand c'est encore possible et si c'est encore possible, mais on ne donne à ceux-là ni audience ni moyens. "Nous n'allons pas vivre comme des Amish", s'est écrié Macron. Mais si, si, c'est ce qu'il faudrait faire, ce serait la seule issue, comme des Amish, des vieux-croyants ou des agroécologistes. Tant que nous ne l'aurons pas compris, nous continuerons à nous préparer un cauchemar inimaginable. 

Si je soutiens tellement la pratique du folklore, c'est qu'elle rétablit entre les gens une communication saine, entre les gens et aussi avec le milieu environnant, et avec les générations précédentes. Elle recentre, elle relie. Il en est de même d'une religion bien vécue. Ce n'est pas un hasard, si l'on ridiculise le folklore, si on vilipende "les religions", si on casse la famille et les valeurs éternelles, si on détruit le patrimoine, si on déconstruit la culture, et même le langage, si l'on poursuit en hélicoptère un promeneur solitaire en forêt, alors que les concombres masqués s'entassent dans le métro ou les supermarchés, si l'on interdit l'accès aux lieux de culte. Il faut nous empêcher de contrarier les sortilèges du Mordor par la réunion des ondes bénéfiques de la culture, de la prière, de l'amour, de la création, de l'émulation, de la contemplation. Quand en Italie, des gens jouaient de la musique sur leur balcon, pendant le confinement, ils faisaient de la résistance. En réalité, pour combattre le monstre obèse aux mille bras qui entenèbre toute notre vie et propage jusque dans nos maisons ses pseudopodes indiscrets, il nous faut créer des égrégores bénéfiques de cet ordre. Pratiquer des arts, de préférence en commun, prier tous ensemble à la même heure, faire de la musique d'un balcon à l'autre. Quelqu'un a proposé de couper l'éléctricité pendant une demie heure. Oui, par exemple, couper l'électricité, allumer des bougies, et prier, ou chanter, ou dire des contes à plusieurs, ou se marrer. Et puis rallumer. Périodiquement.

Je vais essayer de faire venir Skountsev pour un stage pour les cosaques, en vue de l'organisation ultérieure de cours sur Skype à trois personnes, pour que cela fasse moins cher, et pour chanter en choeur. Skountsev, victime de toutes les mesures covidiennes, est fauché comme les blés, les cours qu'il me donne contribuent à le tirer d'affaire, mais ils sont aussi pour moi un moyen de ne pas succomber à cette chape qui nous tombe dessus. Les cours à distance qu'ils nous installent pour nous isoler peuvent devenir un moyen de nous réunir.

Et puis pour les plus jeunes, il faut tourner le dos aux villes et à la vie qu'on nous y propose. L'intelligent et profond docteur Fouché fait de la permaculture. Il faut refuser en bloc tout le système, avec ceux qui nous l'imposent. Et arrêter de croire qu'il est une fatalité.



Je suis en train d'apprendre cette chanson de quête, avec Skountsev. On chantait ce genre de chansons dans la période entre Noël et la Théophanie, on allait de maison en maison demander des friandises. Etant donné son contenu, elle est d'avant Pierre le Grand, car la résidence du tsar est encore à Moscou, et il y est question des guerres avec les Tatars, elle remonte vraisemblablement à Ivan le Terrible.















dimanche 22 novembre 2020

Exil

 Je suis allée hier aux vigiles, c'était l'évêque qui officiait. J'y ai vu les enfants de la famille cosaque, mes petites élèves et leurs frères et soeurs. Mais ce matin, je n'ai pas eu le courage d'aller à l'église, et je n'arrive pas à sortir d'un état de fatigue profonde. Je soupçonne que la situation générale me mine, et le climat est dur, l'entrée dans l'hiver, les journées très courtes. 

L'évêque a eu le covid, sans symptômes trop graves, et sans doute pour cette raison, ne donnait pas sa main à baiser, il se trouve que la petite Dounia, de la famille Rimm, ne comprenait pas et voulait absolument le faire, il a fini par craquer. Au moment de me donner sa bénédiction, il m'a demandé comment j'allais, je lui ai parlé du souci que je me faisais pour la France, et il semblait découvrir la situation. Je lui ai raconté ce que m'avait dit le père Placide. Il m'a cité le cas d'un scientifique allemand qui, devant la montée du nazisme, n'était pas parti, parce que les autres Allemands ne pouvaient pas se le permettre. Il pense que cela ne va pas si mal, car il a vu que Notre Dame de Lagarde à Marseille était bourrée de croyants, et que donc, il en reste suffisemment en France pour sauver le pays. Quand j'avais rapporté les dires du père Placide et son insistance à me renvoyer en Russie, au père Syméon Tomachinski, qui me proposait une traduction, il s'était écrié: "Oh si un patriote comme le père Placide vous a dit une chose pareille, c'est que réellement, là bas, vos affaires vont mal."

Au moment où j'ai pris ma décision, des orthodoxes françaises m'avaient dit que le père Placide était clairvoyant, et un Russe exilé à Nice que lorsque le père Ioann Krestiankine l'avait expédié en France, il avait fait ses valises et était parti. La motivation de mon départ ne résidait pas seulement dans la perspective de l'avenir français que pressentait le père Placide. Car je me trouvais dans la situation de tous ceux qui ont vécu entre deux pays, prise entre deux nostalgies, et j'avais pensé que la Russie était celui où j'avais réussi à me faire une vie, où j'avais beaucoup d'amis avec lesquels je partageais la même vision du monde, alors que j'en avais peu en France. Enfin, il arrive qu'on ne veuille pas être du mauvais côté quand se préparent des forfaits, ce qui a poussé certains intellectuels à quitter l'Allemagne nazie quand d'autres décidaient d'y rester, par solidarité avec leur peuple égaré. Beaucoup de Russes éperdument patriotes ont dû quitter la Russie après la révolution, d'autres ont fait le choix, souvent fatal, d'y rester. En ce qui me concerne, je considère depuis longtemps que notre gouvernement et ses médias sont antifrançais, ils sont également antirusses, en fait, ils sont anti peuple. Ils me paraissent être l'émanation de quelque chose de profondément étranger à ce que nous sommes tous. Ils sont même hostiles à la nature et à la vie. Et une grande partie des fonctionnaires russes qui envoient leur argent et leurs gosses à l'étranger sont dans le même cas.

Néanmoins, au moment où le père Placide, appuyé par le père Valentin et le père Basile, m'a incitée à partir, j'étais résignée à rester en France, je pensais que si la maladie de maman m'y avait ramenée, c'était que la volonté de Dieu était que j'y finisse mes jours. Il m'a même été difficile de m'y décider. Aujourd'hui, je pense que je supporterais très mal ce qui s'y passe, le joug de cette bande de malfaiteurs, leur duplicité, leur cynisme arrogant, tout ce cirque des masques et des confinements, la profonde malhonneteté de tout ceci, et le consentement ou même la collaboration des imbéciles. Je suis ici inquiète et perturbée, je serais là bas complètement enragée.

Mais ce qui me frappe, c'est que l'évêque ne prenne pas en considération ce que m'a dit le père Placide, auquel j'ai obéi, et aussi l'impression que pour lui, si Notre Dame de Lagarde est bourrée de gens, peu importe qu'ils soient catholiques ou orthodoxes. Or pour moi, cela importe beaucoup. D'abord parce que malheureusement, la mentalité du catholique français d'aujourd'hui n'est majoritairement plus très proche de celle de Marie Noël, Gustave Thibon ou Georges Bernanos, sans parler même de celle des bâtisseurs de Notre Dame ou des églises romanes. La mienne a été modelée par l'orthodoxie, et on peut se poser la question de savoir ce qui m'a manqué, pour que je me jette sur la Russie et l'orthodoxie à l'âge de quinze ans, comme sur une patrie perdue et sa foi essentielle et consubstantielle. C'est une question que je me pose souvent, et je pense qu'elle sera centrale aux souvenirs d'enfance que j'ai commencé à rédiger. 

Pourtant, je ne peux écouter Debussy ou Satie sans pleurer, ni les chansons de Brel, Brassens, Fauré ou Cora Vaucaire. Les coins les plus modestes et les plus banaux des lieux qui m'ont vue grandir me remontent au coeur, y versant la douce amertume du temps perdu qui ne se retrouve pas, ou du moins pas en ce monde. 

amandier à Saint-Pons-la-Calm