Translate

vendredi 11 décembre 2020

Epitaphe

le cimetière de Pougnadoresse



Dans quelques jours, je vais sortir un troisième roman, Epitaphe, aux éditions du Net. Je ne l’ai pas proposé ailleurs, parce qu’il est tellement politiquement incorrect qu’il ne me reste que le samizdat. Et puis, depuis mon bref passage au Mercure de France, j’éprouve une espèce de phobie du milieu éditorial. D'autant plus qu'il faut attendre des mois et que nous ne savons quel sera notre sort à court terme. Un petit éditeur m'a dit qu'il était en stand by à cause des délires covidiens et de la fermeture des librairies... 

Au reste, j’ai toujours été complètement marginalisée, je suppose qu’il faut assumer et continuer. Je créée dans la solitude, que ce soit quand j’écris ou quand je dessine. Qui plus est, il m’est très difficile de faire le commis-voyageur pour mes propres œuvres, qui devraient théoriquement être défendues et propagées par ceux qui les aiment et non pas par moi, qui les écris, d’autant plus que j’ai souvent l’impression de ne pas être pour grand-chose dans le processus qui s’effectue à travers moi, sinon que je m’y prête, et que je mets en forme aussi bien que possible ce que j’ai reçu. 

Je suis une très mauvaise commerciale. J’ai vu récemment une artiste peintre sauter sur tous les clients du café où elle expose pour les traîner devant ses tableaux et les pousser à l’achat, c’est une chose dont je suis complètement incapable, à peu près comme de démarcher avec la bible pour convertir les gens de force. 

Cependant, à notre époque de tohu-bohu médiatique permanent, il faut souvent crier plus fort que les autres si on veut être entendu. Je considère tout ce que je fais, même s’il faut payer quelque chose pour l’acquérir, comme un don à partager. En principe, c’est le cas de tout acte créatif, un pacte, un partage entre celui qui fait et celui qui lit, regarde ou écoute. 

Le fait que je sois marginalisée m’exclus de la considération des intellectuels reconnus et diplômés, je l’ai observé bien des fois : “Qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là, d’où elle sort ?” Encore récemment, m’étant permis une réflexion innocente sur la page d’un écrivain respecté, je me suis fait remettre en place par un de ses admirateurs, dont la page Facebook regorge d’impeccables références artistico-littéraires, pas le moindre petit chat, pas le moindre écho complotiste, et cela simplement, à mon avis, parce que j’avais mentionné que j’avais été institutrice, que peut-il y avoir de plus méprisable pour un intellectuel de haut vol qu’une vieille instit ? 

Dieu sait pourtant que j’étais aussi marginalisée chez les instits que chez les intellectuels, mais passons. Même quand j’ai été publiée, et primée, au Mercure de France pour ma première version de Yarilo, j’ai été traitée comme une moins que rien et une parvenue par la mère Gallimard, paix à sa petite âme mesquine; et j’ai gardé de toute l’affaire, l’impression de m’être égarée là où je n’avais que faire, mais en ce qui me concerne pour d’autres raisons. J’avais éprouvé un peu ce que le Maître du roman de Boulgakov éprouve quand il joue toute sa vie sur la publication de son roman, vilipendé par les intellectuels de la Maison des Ecrivains. 

Donc, si je veux toucher quand même un certain public, il me faudra bien faire un peu de retape. J’avais compté que les lecteurs enthousiastes de mes chroniques se jetteraient sur mes romans, eh bien non, pas tellement. J’ai même fait une expérience étrange. Une lectrice de mon blog voulait m’acheter une aquarelle et m’en demandait le prix. Pour une fois prise d’une inspiration marketing, je lui répondis : “Je vends cela 60 euros, mais j’ai une proposition à vous faire : Yarilo coûte 30 euros, si vous le commandez, je vous offre l’aquarelle et faites-moi de la pub”. Eh bien cette proposition avantageuse n’a été suivie d’aucun écho, du coup, elle a renoncé à l’aquarelle, comme si le livre était potentiellement bourré de Novitchok. 

30 euros, ce n’est pas donné par les temps qui courent ; étant donné son épaisseur, j’ai hésité à le publier dans le format le plus petit et le moins cher, je vais essayer, à tout hasard, mais je crains que le problème ne soit pas dans le prix. Je sais bien que tout le monde veut écrire son livre, de nos jours, et que bien sûr, les gens sont glacés d’horreur à l’idée d’avoir à se presser la cervelle pour dire quelque chose de relativement élogieux sur un truc nul à chier, mais je vous rassure: on peut ne pas être sensible à mon univers, au thème, ne pas aimer par exemple les romans historiques, bien qu’en l’occurrence, en ce qui concerne Yarilo et sa suite, ce ne soient pas à proprement parler des romans historiques, mais c’est correctement écrit et composé et, à tout le moins, ce n’est pas ennuyeux, je l’ai écrit avec passion et même par moment des torrents de larmes... Mais naturellement,  les intellectuels distingués ne sont plus dans ce registre des émotions petites bourgeoises?  

Dans les instructions données par les éditions du Net aux kamikazes de l’auto édition, on recommande de démarcher les librairies pour faire des signatures, elles sont fermées pour cause de Covid et moi en Russie. De faire une annonce sur Facebook, de créer un événement. J’avais ouvert une page Yarilo, donné des extraits, accumulé les photos, payé même des pubs. Cette page est montée jusqu’à 500 likes et j’ai compris que cela n’avait pas de sens, d’autant plus que dernière innovation FB, je n’arrive plus à partager depuis la page sur mon mur, les gens que je connais ne regardent que lui, et n’ont généralement pas le réflexe de mettre leurs commentaires sur la page du livre. 

Du reste, si je publie des extraits, ou si quelqu’un me fait un petit compte rendu élogieux, c’est étonnant le nombre de gens qui se gardent bien de commenter, on dirait vraiment que je touche à un de ces sujets tabous qui vous valent 30 jours d’exclusion sur FB. 

Adressez vos œuvres aux journalistes, continuent les éditions du Net. Les journalistes, en France, qui donc ? Des journalistes, j’en connais, plutôt alternatifs, et l’on pourrait s’attendre à leurs bonnes dispositions, mais non. Ou bien faut-il leur envoyer l’ouvrage? Je vous en prie, si cela vous intéresse, donnez-moi l’adresse en MP, je vous promets qu’aucun de mes livres ne vous explosera à la figure.  

Donc ouvrir une page, j’ai déjà donné. Peut-être un groupe? Combien aurai-je de groupies? 

J’ai même pensé à lire Yarilo chapitre par chapitre en vidéo, pour les flemmards et les fauchés, je n’attends pas après mes droits d’auteur pour vivre, comme vous pouvez bien le penser. Et le tour que prend le monde me laisse à supposer que je n’écris vraiment pas pour la postérité. J’écris par nécessité intérieure pour ceux à qui ces livres pourraient être sinon nécessaires, du moins utiles.  J’écris dans une grande solitude, les seuls avis dont je dispose sont ceux d’amateurs éclairés, et ils ne sont pas nombreux. Je fais moi-même toutes les corrections, et malheureusement, je laisse toujours passer des choses ... 

J’ai écrit Epitaphe pendant le premier confinement, car lorsqu'il a été décrété ici, même s’il n’était pas très sévère, j’avais quand même évité de sortir trop, étant donné mon âge. C’est à la fois une satire de la modernité et une réflexion sur ses causes. Une déploration, également. Comme Yarilo et sa suite, et presque tout ce que j’écris, le livre est influencé dans sa facture par le cinéma et la bande dessinée dont j’ai fait une grande consommation quand j’étais adolescente et étudiante. 

Je me suis fait plaisir et n’ai pas pris de gants. Certaines choses pourront paraître choquantes, je dirais que j’en suis choquée la première, mais je n’ai pas voulu affadir le propos en l’édulcorant. Les dialogues reflètent le type d’expression d’un certain style de gens. En réalité, certaines scènes sont parfois des transpositions de ce que j’ai vu sur Internet, l’éducation sexuelle, par exemple, je n'ai pas changé grand chose, ou de ce que j’ai expérimenté moi-même, même si cela s'inscrit dans une sorte d'éxagération épique plutôt truculente. 

Il commence en France et s’achève en Russie, ce qui me permet de mettre les deux pays en parallèle. Il ne coûte que 13 euros car ce n’est pas un gros roman, j’ai pu le publier économique. 

J’en présente trois extraits, choisis parmi les plus innocents! 



  

Isaure de Sainte-Bastide poussa la porte du café du Commerce, peut-être le seul endroit de la ville à ne pas avoir changé, il avait même conservé son rideau de capsules de bouteille, et les publicités Orangina accrochées derrière le comptoir. Elle alla s’asseoir à une table. Elle était un peu en avance, Robert n’était pas encore arrivé. 

Il entra dix minutes plus tard, et alla s’asseoir en face d’elle. Elle avait commandé un chocolat. Il prit une bière.  

« Qu’est-ce que tu deviens, Isaure ? Tu es toujours mariée avec… heu… 

Florenpierre ? L’ancien ministre de la culture ? Mon cher Robert, le divorce n’existe pas chez les Sainte-Bastide. Quand on a pris, par étourderie, un imbécile solennel et un salaud on le garde. On essaie même de lui trouver des qualités. Je porte donc dignement ma croix, mais le Seigneur est miséricordieux, c’est lui qui m’a quittée. Nous sommes séparés depuis quinze ans. Mais pas divorcés. 

- Cela ne me semble pas raisonnable. Tu aurais pu refaire ta vie. 

- Voyons Robert, tu plaisantes… Et avec qui ? J’ai vraiment passé l’âge.  

- Pourquoi n’es-tu pas revenue vivre avec ton père ? 

- Mon père m’en voulait d’avoir épousé Florenpierre, et puis j’ai mes enfants… Les deux premiers ont fait de brillantes carrières, mais le troisième est un bon-à-rien qui me reste sur les bras et attend l’héritage de son père. Il y en a toujours un comme ça, dans les bonnes familles. Mon fils Enguerran ressemble beaucoup à mon oncle Charles, celui qui s’est noyé en faisant la bringue à Saint-Tropez, dans la piscine de Sacha Bernstein, le producteur, en 90… 

- Ah oui, je me souviens de cela. Ton père en était très affecté. Une mort bouffonne, répétait-il.  

- Une mort bouffonne pour un bouffon, mais à part papa, nous sommes tous devenus des bouffons, et pas les bouffons du roi, tu peux me croire, le bouffon du roi, c’est le statut largement au-dessus… » 

Robert soupira. Isaure valait mieux que sa vie, et c’était une chose qu’il pouvait dire de lui-même et de Gilou, et de presque tous les gens qu’il avait connus. Comme si on avait joué à tous une mauvaise farce, une farce déshonorante. Comme si la population s’était réveillée d’une cuite malencontreuse, dépossédée de tout par des malfaiteurs facétieux, les femmes de leur vertu et les hommes de leurs couilles. « Tu étais si jolie, dans les années 70, avec tes robes en liberty, tes grands chapeaux de paille et tes cheveux au vent… 

- Tu n’étais pas mal non plus, chez nous, on t’appelait le beau Robert. Curieux que tu ne te sois pas marié… 

- Le paysan n’était déjà plus un parti intéressant dans ces années-là. Peu de femmes avaient envie de travailler comme des brutes avec moi pour gagner des clopinettes. » 

Un silence s’installa, que Rose brisa, sortant d’une indifférence de marbre, comme une statue brusquement animée par un miracle : « Qu’est-ce que vous allez faire du château, mademoiselle Isaure ? 

- Je ne peux pas en faire grand-chose avec tous ces joyeux occupants. Et les mettre à la porte, il n’y faut pas songer, bien sûr… 

- Et votre mari le ministre ? 

- Je ne compte pas dessus. Vous comptez sur les ministres, vous, Rosie ? » 

Le masque de Rosie s’anima d’un retroussement de la commissure droite et d’un éclair dans l’œil : « Vous me faites offense, et déjà pour commencer, jamais je n’en aurais épousé un ! 

- Erreur de jeunesse… » soupira Isaure.  

Elle se leva pour payer, et Robert l’arrêta d’un geste : « Non, Isaure, je te l’offre…je peux t’aider en quelque chose ? Tu dois mettre ses affaires en ordre, là-bas ?  

- Eh bien… oui, en effet. Je dois avouer que d’aller là-bas seule… 

- Allons-y ensemble. Laisse-moi juste passer à la maison chercher mon fusil de chasse… » 


...



Jenny rentrait de la boutique où elle travaillait à mi-temps, faute d’avoir trouvé autre chose.  Heureusement que la maison lui appartenait et que Vanessa avait un travail stable de fonctionnaire, mais il fallait payer tous les impôts et les charges, et l’entretien de Maggy. 

Lorsque Cédric s’était fait tuer au Mali, leur mariage battait de l’aile. Il était toujours au loin, mal payé, et puis à vrai dire, ils n’avaient pas du tout les mêmes idées. Son patriotisme primaire, vaguement raciste, et sa mentalité de mâle alpha lui cassaient les pieds. Sa rencontre avec Vanessa lui avait entièrement ouvert les yeux sur bien des choses. Ce n’était pas elle qui était nulle, mais la société capitaliste oppressive et patriarcale qui en avait fait une pauvre cloche obligée de compter ses sous pour s’offrir une culotte ou un crayon à paupières. Elle avait connu Cédric à dix-huit ans, elle était tout de suite tombée enceinte, et avec ses principes idiots, il l’avait épousée plutôt que de la laisser subir l’avortement dont elle avait déjà décidé la date, lui gâchant irrémédiablement la vie pour de longues années. Oh bien sûr, elle était attachée à sa fille, mais si elle ne l’avait pas eue, cela lui eût semblé aussi bien, celle-ci incarnant l’aliénation permanente de sa vie personnelle. Elle rêvait de bien vivre, de vivre pleinement, sans compter, librement, de faire ce qu’elle voulait, de s’offrir ce qu’elle voulait, des vacances exotiques, des fringues de luxe, des aventures avec des « peoples » sur le bord des piscines californiennes. Et il fallait s’appuyer des boulots chiants et s’occuper d’une gamine qui, de plus, ne pensait qu’à son père mort, refusait de comprendre qu’une femme pouvait le remplacer aussi bien qu’un homme, et la regardait comme une malade parce qu’elle avait enfin compris sa nature profonde grâce à Vanessa. Vivre avec une lesbienne était tellement plus simple, et de plus, valorisant, et l’on ne risquait pas de faire de gosses supplémentaires. Une femme maquée avec un homme ne pouvait être vraiment libre, ni se réaliser, surtout si en plus elle avait des gnards. C’était l’esclavage, la tyrannie des règles, des ovules et de l’utérus, des petits parasites qui attendaient l’occasion de s’y développer et d’empoisonner l’existence de leur génitrice avec leurs besoins matériels et affectifs. 

Ce qui l’ennuyait, c’est que depuis quelques temps, Vanessa devenait autoritaire, et elle évoquait la possibilité pour l’une d’elles d’une insémination artificielle, partant du principe qu’il fallait obtenir pour leur couple les mêmes droits qu’un couple hétérosexuel. « Mais nous avons Maggy !  protestait Jenny, tu ne crois quand même pas que je vais repartir dans une grossesse, un accouchement, les biberons et les couches-culottes ?  

- Maggy, c’est la fille de ton mari, le militaire, elle a génétiquement tout ce qu’il faut pour faire une femme de militaire, une femme objet avec plein de chiards, cela me consterne tous les jours de la voir minauder avec ses tenues de poupée Barbie ! Je voudrais pouvoir élever un enfant adapté aux défis de demain, un être libre, qui fera ce qu’il veut de son corps, au lieu d’être soumis à ce qui nous a toujours aliénés !  

- Oui, mais c’est moi qui suis censée pondre l’androgyne libéré ! Tu t’en fous, toi, tu as un métier intéressant et stable, mais moi qui me suis tout de suite retrouvée mère de famille sans formation, je ne peux faire que la vendeuse ou la femme de ménage, tu crois que ça m’exalte ? Si c’est comme ça, autant faire le gosse avec un type riche qui m’emmènera aux Bahamas ! 

- Tu le trouveras où, ton type riche ? Dans ta boutique de fringues bas de gamme ? Tu ne pourrais pas passer un peu au-dessus de tes rêves de midinette consommatrice pour entrer dans le combat de titans qui fera de nous une humanité nouvelle délivrée des servitudes de la nature ? Tu restes vraiment une petite nana niveau caissière ou coiffeuse… 

Ca c’est la meilleure, tu ne cesses d’accuser les hommes de tous les maux, et tu me reproches d’être une femme ! 

Être une femme, ça se mérite, ça se choisit, une femme et une nana ce n’est pas la même chose, la nana, c’est la caricature de la femme ratée, et la femme réussie, c’est celle qui n’est plus ni homme ni femme mais choisit d’être l’un ou l’autre ou les deux, celle qui est au-delà de ces concepts éculés et répressifs ! Tiens, j’ai vu aujourd’hui un gay qui comprend mon point de vue, et il est lui-même avec une espèce de nouille gluante, qui a adopté un petit Russe endoctriné et facho pour jouer à la femme au foyer ! Vous feriez bien la paire ! 

- Eh bien mais pourquoi tu te mets pas avec son chéri, alors ? 

- Parce que je n’ai pas envie des hommes, et lui, il est velu comme un singe ! » 

Jenny enfila ses pantoufles, alluma la télé et s’installa sur le canapé : « Et autrement, ça s’est bien passé, l’anniversaire ? » 

Vanessa alluma un cigarillo. Brusquement, elle rappela presque à Jenny Clint Eastwood dans « pour une poignée de dollars » : « On aurait plutôt dit un mariage, les deux fiancés au bout de la table, derrière une forêt noire pleine de bougies, muets comme des carpes et cérémonieux… Comme par hasard, le blanc est allé vers le blanc, ta Marguerite ne copinerait pas avec un petit black ou un beur, c’est pourtant pas faute de les redresser dès la maternelle, mais chez certains, le racisme, c’est congénital, le sexisme aussi, d’ailleurs… 

- Je suis quand même contente qu’elle soit moins seule. 

- Eux aussi sont contents que leur Ruscof ait une copine ».  

Jenny entrevit du coin de l’œil sa fille qui se faisait un sandwich à la cuisine : « Alors poussin, c’était bien ta journée ? 

- Très bien maman.  

- Je suis désolée, j’ai pas la force de te faire à manger… 

C’est pas grave, maman, je me débrouille. 

- J’ai pris des mousses au chocolat…  

- Oui, j’ai vu. » 

Jenny regardait une émission où des petites filles, maquillées comme des voitures volées, interprétaient des chansons d’adultes, en se trémoussant dans des tenues sexy, et des animateurs impudents et pailletés leur attribuaient des notes, en les couvrant, avec des mines surfaites, de compliments d’ogres. « Tiens, je la verrais bien dans un truc comme ça, Maggy, dit Vanessa. Et au moins ça te rapporterait peut-être du fric… » 


...



 

Lorsque Xioucha avait quitté la Russie, cette idée de communauté n’avait pas encore pris forme. Son père hésitait entre partir la faire en territoire cosaque, où depuis la révolution, il n’avait plus d’attaches, mais où il avait participé à des expéditions et des festivals, recueilli du matériel ethnographique, ou bien restaurer cette église et ce village du nord qui se mouraient, et dont sa femme était originaire. Après tout, il y avait des cosaques à Moscou et dans ses environs, ils vivaient et agissaient où ils pouvaient.  Longtemps, l’isba des parents de sa femme avait servi à sa famille de datcha d’été, et il s’était attaché à ce paysage, ces grandes maisons de bois violacé, cette église dont il avait de longues années redouté l’effondrement total, et que depuis qu’il avait pris sa décision, il restaurait avec amour.  

Xioucha s’en réjouissait, car elle avait passé son enfance à son ombre, et le village était un endroit que n’avait pas touché la hideur contemporaine. Que son père s’attachât à le sauver lui paraissait une belle œuvre.  

Elle s’en alla aider tante Galia à faire la vaisselle, puis à nourrir les poules. Ensuite, elle rencontra Sérioja qui emmenait les vaches au pré, et elle le suivit, par un chemin défoncé, bordé d’orties et de bardanes, où des flaques mettaient sous leurs pas de mouvantes lueurs bleues. « J’espère que le batia vous ramènera votre petit garçon, dit le jeune homme. Il a beaucoup de relations, et il est tenace. » 

Sérioja semblait beaucoup admirer son père à qui il donnait ce nom respectueux de batia, père. « Oui, dit-elle, je lui fais confiance ». 

Le jeune homme déplaça une barrière, faite de longues branches parallèles assemblées, et laissa les vaches se disperser dans un espace fleuri qui descendait en pente douce jusqu’au lac. Puis il la referma et se percha dessus. Xioucha fit de même. Si son fils avait été à son côté, elle se fût sentie profondément heureuse. Il faisait bon, le soleil chauffait, mais un vent frais soufflait depuis le lac, et ridait une surface d’un bleu nacré irréel où se miraient des nuages, pareils à d’énormes pivoines qui laissaient tomber sur l'horizon de blancs pétales. Le pré déployait ses ondes mordorées, ses riches amas de lupins, de carottes sauvages, on ne voyait plus beaucoup, en France, de prairies pareilles, avec tout ce que les derniers agriculteurs balançaient comme poisons dans la nature, ni de papillons s’en élever et tournoyer parmi les abeilles et les bourdons. Tout était beau, alentour, intact et d’une sérénité à la fois douce et grandiose. Les vaches meuglaient de temps à autre. Les mouettes criaient. Les feuillages bruissaient au vent. Et tout à coup la voix de Sérioja s’éleva et se perdit dans le ciel ; il chantait sans aucune retenue, et ce son puissant et modulé de son âme trouvait sa juste place au sein de tout le reste, il résonnait avec le vent, avec les herbes vibrantes, avec les appels et les rires des bénévoles, sur le clocher, l’aboi sporadique des chiens.  Les pivoines célestes, s’épanouissant, se confondaient en un énorme tourbillon de lumière ascendante, au-dessus de la mystérieuse zone d’ombre qui s’approfondissait au ras des flots. « Il y aura peut-être un orage, dit Sérioja. 

- En France, observa Xioucha, si quelqu’un chante, les autres lui disent qu’il va faire pleuvoir. » 

Sérioja se mit à rire : « Et ça marche ? 

- Je ne sais pas, parce qu’en général, quand on leur dit ça, les gens se taisent tout de suite ! 

- Quand les gens ne chantent plus, c’est grave, dit Sérioja. Et ils chantent de moins en moins. Quand je chante, peut-être que parfois je fais pleuvoir, et parfois venter, mais je sens que le monde est heureux et qu’il vit, et il me répond avec reconnaissance, nous chantons ensemble. 

- Cela m’est arrivé une fois, là-bas, de chanter dans la campagne, répondit-elle, leur campagne est très belle mais terriblement silencieuse, quand elle ne résonne pas des bruits mécaniques, les tronçonneuses, les tracteurs, les camions… Son calme a quelque chose d’un peu mort, de peut-être secrètement menaçant. Et j’ai senti tout à coup le vent répondre, un oiseau chanter, tout ce magnifique paysage médiéval s’éveillait, se réenchantait autour de moi. Mais une moto est arrivée en pétaradant et a commencé à aller, venir, tourner, je suis sûre que le motard le faisait exprès, pour anéantir ce début de miracle, et j’ai même commencé à avoir peur.  

- Bien sûr, consciemment ou non, il le faisait exprès. J’ai remarqué que les gens déchus détestaient le chant, quand il ne sort pas d’une boîte, avec beaucoup de bruit autour. Tu peux faire tout le bruit que tu veux, et assourdir tout un quartier avec ta radio, mais chanter, pas possible. Un jour, je revenais de concert avec votre père et les cosaques, et vous savez comment c’est, dans ces cas-là, ils ne peuvent plus s’arrêter, ils chantent dans la rue, dans le métro, le bus, eh bien nous avons eu un conducteur de bus écumant de haine, qui nous a insultés, comme s’il nous en voulait de posséder encore ce qu’il avait perdu.  Ici, nous pouvons chanter autant que nous le voulons. Et petit à petit, tout le monde s’y met, même les bénévoles qui refont l’église. Nous avons banni la radio et la télé… D’ailleurs internet ne passe pas, tout ce que nous avons, c’est le téléphone. » 

Un moment de silence s’installa entre les jeunes gens. Ils écoutaient le vent, et se lançaient des regards furtifs. « Avant de rencontrer votre père, j’aimais le bruit. J’aimais la musique bruyante et martelée qui fait exploser la tête. Après l’armée, je ne savais pas quoi faire de ma vie, j’ai conduit des camions, ça m’amusait ; je me sentais puissant, et je roulais en écoutant du heavy metall. Dès que je n’entendais plus de vacarme, je ressentais un vide angoissant. A part rouler comme un dingue et me saouler le samedi, je n’avais pas de perspectives. Je vivais dans les odeurs d’essence, le béton, et sur les routes que je parcourais sans les voir. J’avais l’impression que ma vie n’avait aucune importance pour personne et même pas pour moi, que si je mourais le lendemain, cela ne ferait aucune différence. Et j’avais beau aligner les conneries, je ne la trouvais jamais assez intense, dès que je redevenais sobre, elle m’apparaissait triste, banale, insensée. J’allais de cuites monstrueuses en paris dangereux, des filles de rencontre aux copains de débauche, avec de fréquentes bagarres, parfois de la drogue. Et rouler sur des kilomètres et des kilomètres, avec le bruit du camion, et le martèlement du rock, et la route béante. Parfois, je dois dire, devant moi se révélaient des visions, des nuages grandioses, des paysages, des lumières, et je me demandais pourquoi je fonçais, pourquoi je m’étourdissais, pourquoi je ne m’arrêtais pas pour regarder. Ce que je faisais parfois, juste cinq minutes. Sous prétexte de me dégourdir les jambes, de fumer une cigarette, de prendre un café. Le silence se faisait dans la cabine, ou plutôt, le bruit lui devenait extérieur, et intermittent. D’autres camions qui passaient et disparaissaient, des voitures. J’ouvrais la porte et le vent du matin me sautait à la figure, je voyais un croissant orange dans un ciel à peine décoloré, une étoile brillante. Ou bien encore une étourdissante colonne de nuages, pleine d’éclairs et de pluie. Je me disais : « C’est peut-être juste ça, la vie, et tu passes à côté ».  

- Moi, j’ai toujours su que la vie, c’était ça et que tout le reste n’avait aucun intérêt, observa Xioucha, le reste ne sert justement qu’à nous faire oublier l’essentiel… Mais comment faire ? Il faut étudier, travailler, entrer de gré ou de force dans cette sarabande… 

- Oui, oui, au fond, avec mon camion, je ne voulais pas entrer dans cette sarabande. Je cherchais une issue. Et j’ai fini par me retrouver en prison, pour avoir envoyé un type à l’hôpital, au cours d’une bagarre. Ça m’a donné le temps de la réflexion. Je ne l’avais jamais vraiment eu. Je suis un enfant de l’orphelinat. Avec des parents indignes. Jamais seul, toujours dans le bruit, et les querelles.  En prison non plus je n’étais pas seul, et ce n’était pas le bruit qui manquait, mais j’avais le temps de penser. Et puis de lire, aussi. » 

Sérioja émit un rire gêné et son regard glissa sur le côté : « Je ne devrais sans doute pas vous raconter ma vie… je ne la raconte pourtant pas si souvent. 

- C’est sans doute que vous en éprouvez le besoin… et comment avez-vous rencontré mon père, là-dedans ? 

- Je l’ai rencontré en sortant. En prison, j’ai trouvé la foi, je me suis fait baptiser. Et le prêtre, qui voulait m’aider, m’a présenté votre père, pour lui donner un coup de main, ici. Viatcheslav Ivanovitch m’a tout de suite plu, et réciproquement. Il m’a dit : « Je te prends si tu apprends à chanter et jouer de l’accordéon. » Je lui ai demandé : « Pourquoi ? 

- Parce que je ne veux pas le faire tout seul. » 



Mon beau-père, qui m'a inspiré le personnage de Robert



jeudi 10 décembre 2020

666

 


J''ai reçu deux coffres paysans que j'avais commandés chez un antiquaire de Moscou. Le jeune livreur qui me les a déchargés me dit: "J'ai quand même une question, pourquoi donc achetez-vous ces vieux coffres? 

- Mais parce qu'ils sont beaux! ils ne sont pas plus chers que des meubles Ikea, mais ils ont de l'âme, ils ont été faits avec goût et amour...

- Ils ont combien? 200 ans?

- Mais non, il y a encore 30 ou 40 ans, les gens fabriquaient toute cette beauté. Ils sont peut-être du XX° siècle ou du XIX°..."

Aujourd'hui, je retourne au lac, côté église des quarante Martyrs. Mais j'avais des semelles glissantes, donc je n'ai pas trop fait la maline. Cependant, les couleurs étaient irréelles, toute la disgrâce du néo Pereslavl que ne masquent ni la verdure, ni les fleurs, ni  la neige, enchâsse de grands vitraux miroitants qui jettent de toutes parts des lueurs surnaturelles. Le lac étend à perte de vue des bleus paradisiaques, des glacis dorés et fulgurants, et des cygnes au loin déambulent, comme des anges que notre impureté tient à l'écart, mais qui sont là, attentifs. Et là, tout à coup, dans cet instant magique, cette fugace trouée ouverte sur l'éternel,  j'entends le tintamarre d'une "musique" atroce, et me retourne pour voir d'où cela venait: une jeune mère, sur patins à glace, avec une poussette-luge, faisait tout ce qu'elle pouvait pour transformer son bébé en un abruti à son image, incapable de contempler le monde en silence. Sa grand-mère, à sa place, aurait sans doute chanté à l'enfant une merveilleuse chanson russe. Ou peut-être déjà son arrière-grand-mère. Car les joyeux komsomols élevés dans le monde nouveau soviétique n'ont évidemment pas transmis grand chose de plus aus générations suivantes que chez nous les soixante-huitards des trente glorieuses...



J'ai fait un rapide dessin, et je suis allée au café français, où j'ai trouvé Gilles et sa femme en train d'emballer des myriades de chocolats de rêve dans des ballotins blancs, doublés de doré. Ils m'ont recrutée pour installer les décos de Noël dimanche. Pour ce qui est du concert du 25, en raison des mesures Covid à la noix, il sera conçu comme une soirée privée, parce que tout de même, il est bien connu que tout le monde fait semblant. Donc, nous recevrons, sans publicité, des amis pour fêter la Noël française, avec vielle-à-roue, gousli, balalaïka, et si je trouve quelqu'un pour s'en charger, Katia par exemple, lecture en russe d'un ou deux chapitres de Yarilo. Plus, expo de mes aquarelles dans les locaux, celles qui ont été faites en France, puisque c'est un café français... J'en ai un certain nombre et peut en encadrer encore.









J'ai vu ce matin une émission qui m'a remonté le moral. Si, si! C'est une émission politique de grande écoute, celle de Soloviov sur la chaîne 1. Il y avait là différents politologues, je veux dire de différents horizons politiques, dont Sergueï Mikheïev, politologue orthodoxe dont je suis souvent les émissions. D'abord ce qui m'a frappée, par rapport à tous les débats des médias officiels français, c'est la liberté de ton et la courtoisie qui régnaient sur ce plateau. Pourtant le thème, en France, aurait provoqué des cris d'orfraie chez nos journalistes: ces gens, quel que fût leur analyse personnelle de la situation, étaient tous d'accord pour constater que les thèses "complotistes" se réalisaient les unes après les autres et que si on ne faisait rien, nous allions nous retrouver devant un asservissement et un avilissement sans précédent de l'humanité, si ce n'est l'extermination pure et simple de la plupart d'entre nous. Ils concluaient tous au caractère pervers des mesures anticovid, que la maladie fût ou non aussi grave qu'on cherche à nous le faire croire. Tous d'accord pour constater que l'on visait l'anéantissement de l'économie traditionnelle, de la société traditionnelle, et de toutes ses fondations spirituelles et culturelles, morales, y compris la famille et les sentiments humains.

Certains étaient communistes et restaient coincés dans la rhétorique de la lutte des classes, de la gauche et de la droite, et l'un d'eux finissait par donner la Chine en exemple d'aboutissement socialiste, alors que justement, la Chine et sa dictature électronique sont l'exemple de ce que les libéraux occidentaux cherchent à imposer à tout le monde. Ce qui m'a prouvé une fois de plus à quel point capitalisme privé et capitalisme d'état procédaient au fond de la même racine maudite. J'ai entendu avec intérêt déclarer que Staline n'avait fait que mettre la "culture bourgeoise" à la portée du peuple. C'est-à-dire qu'il a répété ce qui a été fait chez nous par la République, il a privé le peuple de sa culture originale pour lui imposer une culture de musée à laquelle il n'a jamais eu vraiment accès et qui a enfanté des milliers de profaillons académiques et d'intellectuels de broussailles qui ont dévitalisé tout ce que l'humanité avait créé avant eux dans la spontanéité, la vérité et la simplicité. D'où le mauvais goût post-soviétique. D'où mon livreur de coffres qui méprise les créations des paysans, d'où la patineuse qui bousille l'oreille et l'intellect de son gosse avec le tapage de la culture de masse importée. 

Mikheïev a commencé par déclarer qu'il n'était pas spécialiste des questions abordées, qu'il n'était pas scientifique et qu'il n'était même pas sûr d'être extrêmement cultivé mais qu'il était orthodoxe et que cela lui suffisait pour reconnaître ce qui était en train de se passer. "Qu'est-ce que Dieu? L'Evangile nous dit: au commencement était le Verbe, et si Dieu est le Verbe, le diable, lui, c'est le chiffre, le diable a un numéro: 666." Soloviov lui a fait remarquer que dans la tradition juive, tous les événements des écritures ne se reféraient pas au passé mais concernaient aussi le présent et même le futur, ce qui était aussi naturellement l'avis de Mikheïev. Ce dernier a fait remarquer à ses collègues que le débat gauche droite, la lutte des classes et tous ça était complètement dépassé, car les mouvements de gauche étaient les premiers à promouvoir cette dictature électronique ultracapitaliste et qu'on pouvait justement voir en Chine le monstre enfanté par la combinaison des deux tendances, qui ont la même origine et aboutissent, pour finir, à la même chose. Il pense même que pour nous imposer le cauchemar totalitaire planifié, on aura recours comme d'habitude à de grands discours humanistes. Bref, il est le seul qui ait vu le phénomène dans toute son ampleur métaphysique. 

Si tout cela me remonte le moral, c'est qu'un tel débat à la télé russe dans une émission très regardée est plutôt bon signe, en dépit de toute la grosse propagande du covid et des mesures universelles qui l'accompagnent, et qui sont ici appliquées plus ou moins, selon la ferveur mondialiste des fonctionnaires locaux. En un mot, quelque chose ou quelqu'un résiste encore en Russie alors qu'en France, l'état et les médias sont entièrement au service de la pieuvre. Or de la résistance de la Russie peuvent dépendre beaucoup de choses pour tout le monde. L'émission s'est terminée par un appel à l'oubli de nos divergences dans une lutte commune contre ce danger sans précédent.

Pour ceux qui comprennent le russe:



L'émission est très longue mais ce qui concerne le covid fait environ une heure

mardi 8 décembre 2020

Crépuscule sur la glace

 


Il fait beau, froid, mais pas de neige. Cependant, le lac est transparent comme du verre et je voulais voir cela de plus près. Je suis partie à pied vers le marécage, avec Rita emmitouflée dans mon sac à dos. Les horribles maisons poussent sur l'escarpement comme des champignons vénéneux, la gangrène de la modernité. Je leur ai tourné le dos et me suis enfoncée dans les taillis, sur le chemin des pêcheurs, ce que je n'avais pas fait depuis longtemps, à cause de mes genoux qui maintenant, vont beaucoup mieux. Moins de laitage, les doses massives d'huile de poisson que je prends, quelques kilos en moins?

J'ai pu constater que le chemin était plus encombré, des arbres sont tombés, des roseaux ont poussé. Bon an mal an, je suis arrivée aux roseaux, à la glace, au lac. J'ai trouvé là deux patineurs, qui m'ont joyeusement accueillie. J'avais l'impression de marcher sur l'eau, car la surface dure était complètement translucide, avec les calligraphies laissées par les patins qui s'entrecroisaient au dessus des gribouillis jaunes des algues du fond. j'aurais eu un beau point de vue sur le monastère Nikitski, n'étaient les différentes baraques posées sur l'escarpement comme des valises à la consigne.

Les couleurs étaient paradisiaques, des bleus d'un autre monde, sur des collines et des roseaux mordorés. Je me suis mise à dessiner rapide, debout sur place. Le soleil baissait, mais il était encore aveuglant, le temps que le dessin fût fini et fixé, il avait disparu. J'ai pensé qu'il était temps de rentrer, mais voilà, je ne retrouvais pas le chemin des pêcheurs. Il y a deux ans, l'hiver, il était très visible, mais là, le niveau du lac a baissé, les roseaux se sont multipliés...  Je me suis dit que je le rattraperais un peu plus loin, mais une de mes jambes est passée à travers la glace et s'est enfoncée dans l'eau froide. Je l'en ai retirée à grand peine, et suis repartie vers le lac. Au loin, je voyais deux jeunes patineurs, et je leur faisais de grands signes, tout en allant à leur rencontre. Ces deux gamins semblaient sidérés de voir surgir cette vieille du marécage: "Mais d'où sortez-vous? Vous êtes passée à travers les roseaux? Et pourquoi faire?

- Pour voir le lac, le ciel, dessiner..."   

   



Je voulais trouver un chemin pour rejoindre la route qui longe l'escarpement, mais ils n'en connaissaient pas, et m'ont accompagnée sur la glace jusqu'à la plage municipale, cela devait faire presque deux kilomètres, et j'en ai fait presque autant sur le bitume, avec mon pied mouillé, pour rejoindre ma maison.

En arrivant, j'ai eu du mal à retirer mes affaires, car la guêtre qui recouvrait ma jambe côté chaussure trempée avait commencé à geler, elle était dure et raide. 

Néanmoins, cette balade m'a changé les idées. Il est difficile de vivre une époque comme la nôtre, quand on ne peut plus se raccrocher à rien, quand tout ce que nous aimions, et qui faisait notre grandeur, est réduit à néant. Là bas, sur le chemin, dans cette campagne déserte où j'étais la seule à marcher, j'ai croisé un concombre masqué cycliste: auprès de qui craignait-il de se contaminer? Les herbes folles, les arbres nus?

On me reproche d'être pessimiste, alors que je pense avoir eu l'espoir chevillé au corps toute ma vie, et je l'ai même encore. J'espère un miracle, car étant donné que les populations marchent quand même majoritairement dans la combine de la mafia, avec plus ou moins de zèle et d'aveuglement, il y a toutes les chances que le cauchemar se poursuive et s'amplifie, avec les "vagues" à répétition, le torchon sur la gueule ad vitam aeternam, et des populations accrochées aux vaccins comme les drogués à l'héroïne. Et si ce miracle ne survient pas, alors il ya toutes les chances que le bordel introduit dans nos génomes et notre environnement par ces mafias conduisent l'humanité à une rapide dégénerescence et à sa disparition, mafieux compris, d'ailleurs.

Ne voyant pas d'autre issue, je vais dire le soir à 10 heures, heure locale, des prières pour le monde, c'est ce que recommande le mont Athos. Pour créer un égrégore bénéfique qui contrarie le leur, leur énorme, leur ténébreuse entité tentaculaire, qui rend les gens fous et ignobles et fait de notre environnement un enfer.

J'écris comme on fait ses valises, et je publie sur le Net, comme on jette une bouteille à la mer. Comme l'orchestre qui continuait à jouer sur le pont du Titanic. Pour les quelques uns qui lisent encore et qui en auront peut-être le temps.

Dans un sens, cela me donne une espèce d'insouciance, de je m'en foutisme. Je vis au jour le jour. Je fais ce que j'ai à faire, enfin j'essaie. Pour l'honneur.

Si vous me trouvez pessimiste, renseignez-vous bien. Un sursaut général nous sauverait. Mais les optimistes roupillent. Je ne mettrai pas cette fois de vidéo sur ce thème, on me les censure. Mais je rapporterai ce que m'écrit un ami, beaucoup plus pessimiste que moi, car incroyant: 

Sinon tout  va bien nous sommes en train de vivre la dissémination des laboratoires de virologie génomique comme jadis nous avons connu la dissémination de l'arme nucléaire   Le Covid est probablement le premier essai et chaque labo, à l'instar d'un Etat met en place sa propre "Force de Dissuasion covidienne"  en faisant la démonstration qu'il est capable de protéger une population et surtout son économie par une modification du génome humain en quatrième vitesse quels que soient les risques. C'est une première mondiale à grande échelle. Nous assistons à un pas de plus vers le remplacement des Etats souverains par des entreprises états mafieux. Voilà. J'ai terminé et j'en pleure de rage; 


J'ai vu un compte-rendu de l'exposition "Visages de vieux-croyants" dont je fais profiter ceux qui me lisent, car ce sont de vrais visages russes, dans toute leur pureté, leur beauté et leur noblesse, c'est la Russie que je suis venue trouver, celle que mon âme a reconnue comme sienne dès mon adolescence. Je prie chaque jour pour la réunion des vieux-croyants et des nikoniens, et quand je regarde le visage du métropolite Corneille, je vois un saint homme russe de la Russie éternelle, comparable au métropolite Onuphre. Pas besoin de paroles, le film est accompagné par un chant.



Le lac aujourd'hui:






dimanche 6 décembre 2020

la saint Alexandre

 


Aujourd'hui on fêtait Alexandre Nevsky, à la cathédrale du même nom. Nous avions une liturgie épiscopale, avec monseigneur Théoctyste, les gens étaient très joyeux. Le père Andreï a évoqué saint Alexandre, qui s'est sacrifié pour son pays en nous recommandant de le prier pour qu'il intercède en faveur de la Russie et de sa ville natale de Pereslavl, ce que je ne manque jamais de faire. J'y ai retrouvé Katia que je n'avais pas vue depuis un bon moment, Nadia, et aussi l'arrière-petite nièce de notre nouveau martyr local, saint Constantin de Pereslavl, dernier prêtre de l'église du métropolite Pierre, et assassiné par les bolcheviques en 1918, Irina. Katia ayant disparu, je suis d'abord allée seule avec Nadia au café français, et nous avons longuement discuté de la difficulté de vivre dans une époque comme la nôtre, d'y réaliser des choses aussi simples et vitales que de fonder une famille et d'élever des enfants. Nadia compte s'acheter une maison à la campagne qu'elle ait ou non un mari pour y vivre avec elle.

à gauche, le père Andreï
Ensuite, revenue chez moi, j'ai recu Irina. Elle avait loupé mon expo et je lui avais promis de lui faire une présentation privée. Elle habite Moscou mais comme elle s'occupe activement de l'église de son arrière-grand-oncle et de sa restauration urgente, elle vient souvent ici. Elle brûle de lire Yarilo en russe, parce que c'est une fan d'Ivan le Terrible, qu'elle croit très calomnié. Skountsev, qui m'en a parlé un peu plus tard, le canonise presque, pour lui, vieux-croyant, les Romanov sont des imposteurs.
Irina me conseille, pour la traduction, l'équivalent russe des éditions du Net. Elle y a publié des documents sur son arrière-grand-oncle: "Les éditeurs vont faire pression sur vous pour que vous changiez votre texte. Là, ça ne vous coûte rien, vous pouvez corriger si besoin est, vous faites vous-même votre maquette, et de plus, cela ne vous empêche pas du tout d'être publiée ensuite par un éditeur, mais vous pouvez quand même commencer à le faire connaître". 
Le fait de garder le contrôle de mon livre a beaucoup motivé mon choix de l'autoédition sur internet, le problème, me semble-t-il, c'est que les gens, en France, considèrent que ce qui est publié de cette manière est forcément nul, comme si les éditeurs officiels ne publiaient que des génies, mais c'est comme cela, l'autoédition, c'est de la merde, les sites d'informations parallèles, c'est forcément des fake news. Or nous sommes arrivés à un moment où cela est moins vrai que jamais. Parfois, étant donné l'histoire du covid qui complique encore les choses, les librairies sont toutes fermées, ou en faillite, je suis tentée de lire Yarilo chapitre par chapitre en une série de vidéos; je ne compte pas sur des droits d'auteur pour vivre et qu'adviendra-t-il de nous dans six mois? 
La question se pose pour moi de publier maintenant Epitaphe, dont le contenu subversif me ferme pratiquement toutes les éditions bien pensantes et elles le sont massivement.
Publier la version russe de Yarilo de cette manière, au moins au début, n'est peut-être pas une mauvaise idée, au moins suis-je sur place pour en faire la promotion... Je crois que finalement pas mal de gens attendent de le lire, déjà à Alexandrov, d'après le guide Edouard, ici à Pereslavl, à Moscou.... peut-être pas des milliers, mais déjà plus qu'en France.

La maison du voisin part pour être moins épouvantable que je ne le craignais, d'abord, quelle chance, il met un toit neutre, donc si je plante des arbres, ce qui dépassera se fondra avec le reste. Ce qui me dérange le plus, c'est l'énorme épaisseur de terre qu'il a rajoutée. Et puis la nécessité de créer un écran végétal, sous peine de vivre désormais dans un aquarium, me prive, en plus des perturbations créées par cet apport, du seul endroit où je pouvais faire un potager.


Mais je me pose quand même des questions. Ma maison est très grande et a englouti pas mal d'argent, or je ne l'occupe pas en entier, loin de là, et en louer une partie est à la fois peu rentable et souvent pesant. Je ne sais pas ce qui va se passer avec nos retraites. Je me dis parfois qu'il vaudrait mieux aller dans un coin  encore joli, acheter un studio pour le louer. Je serais sûre de continuer à percevoir ma retraite telle qu'elle est, je l'envisagerais beaucoup moins. Par flemme. Bien que Pereslavl, et mon quartier, ne ressemblent plus à rien. Je ne pensais pas qu'il fut possible de saccager un endroit à ce point. En ce moment, les maisons se vendent bien, car les moscovites fuient la capitale et la tyrannie des masques.

Irina pense que je devrais la garder, et en louer la moitié, en finissant de l'aménager. 

Je me suis amusée à dessiner des arbres, par dessus la bâtisse. le sapin prévu, le noisetier, un saule, et il faudra encore autre chose de taille moyenne qui ne craigne pas l'eau, peut-être une viorne aubier.


 


vendredi 4 décembre 2020

Vampires

 Aujourd'hui, fête de la Présentation au Temple, je suis allée au monastère saint Théodore, car deux personnes de ma connaissance m'avaient invitée à le faire, et les moniales se sont aussi plaintes que je ne venais plus, mais de toute façon, avec le covid, on n'a plus accès au réfectoire et on rentre chez soi direct. La liturgie a été suivie d'une procession, avec bénédiction de l'église et des fidèles. J'ai trouvé particulièrement touchantes les moniales qui riaient comme des petits filles tandis que l'évêque les aspergeait copieusement d'eau bénite avec son air malicieux.

Il paraît que la télévision de Iaroslavl me cherchait à l'éparchie, pour une petite interview. J'observe que pour me trouver, on s'adresse plutôt à l'éparchie qu'au café français!

L'élégance des bâtiments du monastère m'a frappée, ils sont du XVI° et XVII° siècle, très sobres. Malheureusement, beaucoup de détails kitsch à l'intérieur, le kitsch écclésiastique de la firme Sofrimo, qui produit mobilier, icônes et chasubles pour tout le patriarcat.


J'ai dernièrement eu un échange avec une vieille intellectuelle russe émigrée sur Ivan le Terrible, au sujet duquel est sortie une série télévisée qui ne fait pas l'unanimité, elle rend même certains journalistes fous de rage. La vieille intellectuelle la trouve fidèle à la vérité historique. Je lui ai objecté que cette vérité était remise en question, et pas seulement par des nostalgiques de Staline auquel ils s'obstinent à comparer le tsar, ou par des illuminés qui voudraient le canoniser. Elle m'a rétorqué qu'elle ne prenait en considération que les historiens sérieux, soit ceux du XIX° siècle. Ce n'est pas que je ne les considère pas comme sérieux, et du coup, j'ai commencé à lire une somme de divers textes sur la question qui m'a été offerte par je ne sais plus qui. Mais les historiens que j'avais vus rassemblés à Alexandrov ne m'ont pas fait l'effet de rigolos, alors que j'en avais rencontré un qui m'avait inspiré la plus grande méfiance par son révisionnisme forcené. Or ces historiens disent avec certitude qu'on ne sait pas grand chose, que la plupart des sources ont brûlé, qu'officiellement, de façon vérifiée, ses répressions ont fait 8000 victimes ce qui est loin du bilan des guerres de religion ou de Staline dont on fait son équivalent moderne. Et enfin, on ne trouve pas trace de tout cela dans le folklore. Alors que dans ce même folklore, le tsar présentable qu'est Pierre le Grand pour tout le monde est présenté comme le chat joyeusement enterré par les souris. J'ai laissé tomber la discussion assez vite, je ne suis pas assez spécialiste, et mon interlocutrice était trop catégorique.

Cela dit, le supplice de son mage anglais raconté par sir Jerôme Horsey fait froid dans le dos, et je ne pense pas qu'il l'ait inventé. Mais ne peut-on mettre parfois en doute ce que raconte Kourbski qui l'a trahi et l'opritchnik allemand Staden, peu recommandable? Bref, personnellement, j'incline à penser qu'entre le film d'épouvante et la réalité, il y a peut-être une marge. Lui-même dit dans une lettre à Kourbski: "Quel souverain serait assez fou pour exterminer son propre peuple"? Et en effet, dans la mesure où, à son époque, le sort d'un souverain et celui de son peuple étaient étroitement liés. Cependant, qu'il ait eu la main très lourde avec son aristocratie, que son Opritchnina se soit livrée à toutes sortes d'exactions, qu'il ait sombré à ce moment-là dans la débauche et la cruauté, je ne le nie pas.

Il reste qu'à mon avis, cette âme sombre n'était pas sans lueur, un peu comme un personnage de Dostoievski, et c'est ainsi que je l'ai montré, dans mon roman qui est beaucoup plus un conte qu'un récit historique. De la série, je n'ai vu que deux épisodes, je les ai trouvés plutôt plats. Après quoi, j'ai vu dans les commentaires de ceux qui ont regardé la suite, que cela devenait très caricatural. Les ébats amoureux du tsar et des cruautés hallucinantes. En ce qui concerne les ébats amoureux, les commentateurs notent que deux de ses tsarines sont montrées en train de le chevaucher, ce qui était impossible à l'époque, qu'ils supposent puritaine, et ce n'est pas mon avis; je pense qu'on était certainement moins puritain à l'époque que plus tard, et pourtant, ce genre de fantaisies érotiques ne devaient pas être pratiquées pour une autre raison: le tsar et les hommes russes de l'époque étaient beaucoup trop machos pour l'envisager. Je pense que de toute façon, on peut exprimer la sensualité du tsar sans recourir à des scènes de ce genre.

Ensuite, on montre Basmanov père et Basmanov fils s'entretuer dans un cachot sous les yeux du tsar qui avait promis la vie sauve au vainqueur. Je connaissais trois versions de la fin de Fédka Basmanov et celle-ci ne m'avait pas convaincue, puisqu'il avait décapité son père sur l'ordre de ce même tsar, après quoi, soit il aurait été exécuté dans la foulée, soit expédié avec sa famille à Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc où il serait mort de maladie assez rapidement. La série a choisi la plus immonde. J'ai choisi la plus acceptable, en fonction du fait que le jeune homme avait épousé la nièce de la tsarine Anastassia, et je donne une version personnelle du parricide et de ses suites.

Pour ce qui est du personnage de Fédia, j'ai bien conscience d'avoir probablement, comme me disait Iouri Iourtchenko, "fait d'un vrai salaud un ange déchu", il y a certainement de cela, car dans mon oeuvre littéraire, j'ai mis beaucoup de moi-même, et Fédia, devenant un peu mon double, s'en est trouvé considérablement adouci. Cependant, mon intuition me dit que ce garçon détestait son père parce que celui-ci l'avait peut-être profané, en tous cas maltraité; il me semble que le jeune homme aimait le tsar; il avait épousé sa nièce, donné son prénom à l'ainé de ses fils. Enfin, je pense que le parricide a été partiellement assumé pour sauver ses deux enfants chéris en supprimant un père détesté. C'est comme ça que je vois les choses, avec mon intuition d'écrivain, qu'il ait été un salaud fini ou un ange déchu.

J'éprouve parfois une espèce de peur irrationnelle, de répugnance insurmontable à lire ou voir des choses sur le tsar Ivan qui me paraissent  outrées, à tel point que parfois je me pose des questions sur la nature de telles réactions. C'est comme si on crachait sur des gens de ma famille, ou comme si la fureur ulcérée qui s'emparait de moi n'était pas la mienne mais passait par moi.

Quand j'écrivais mon livre, un écrivain belge avait vu en rêve que depuis l'enfance, j'étais escortée par une âme orthodoxe du XVI° siècle, morte tragiquement, qui attendait de moi sa délivrance. Or à ce moment-là, il ne savait pas que j'étais prise par ce roman.

Je me demande si la mission a été accomplie, car un lien puissant m'unit à ces deux êtres, me laisseront-ils tranquille lorsque le livre sera traduit, édité peut-être? J'ai parfois l'impression d'être en communication permanente avec ces deux fantômes qui ne sont pas de tout repos, et fort ombrageux, et même un tantinet vampiriques. Et peut-être ce que j'ai écrit n'est-il pas exact historiquement, mais pour eux mystérieusement salvateur.





jeudi 3 décembre 2020

OVNI


 En complément de mes réflexions d'hier, j'ai trouvé aujourd'hui cet aphorisme du starets Nicolas Gourianov: "Nos pensées et nos paroles ont une forte influence sur le monde environnant, les animaux, les plantes. Priez avec des larmes pour tous les malades, les faibles, les pécheurs, pour ceux pour lesquels personne ne prie. Pour les fleurs, les pierres, les plantes. Ne faites pas de mal aux oiseaux, faites leur la charité. Demandez à Dieu que nous restent sur la planète de l'air et de l'eau pure, et invoquez fermement le Très Doux Sauveur du monde: "Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi pécheur".

J'en suis persuadée et c'est d'ailleurs prouvé, je pense du reste que l'expérience spirituelle et l'expérience artistique humaines vont beaucoup plus loin dans l'appréhension de la véritable réalité du monde que l'approche scientifique matérialiste (car il existe aussi une approche scientifique que ne bornent pas les aprioris matérialistes) et évidemment que "l'intelligence artificielle", qui est l'intelligence du diable, la contrefaçon de l'intelligence. Cela est très sensible dans le plus beau livre que j'ai lu sur le moyen âge, "les quatre vies d'Arséni" de Evguéni Vodolazkine, sur un guérisseur russe qui finit dans la peau d'un starets.

Je ne prie pas assez, mais le peu que je prie, je le fais dans cet esprit, et avec des larmes. D'un seul coup, en lisant cela, j'ai d'ailleurs été réconfortée d'avoir un tel pensionnat d'emmerdeurs à quatre pattes, emmerdeurs au sens souvent propre du terme. Que serait-il advenu de chacun d'entre eux? Les mésanges et autres passereaux survivent en partie grâce à mon restau dans le poirier, à mon grand chagrin, monsieur Moustachon recueilli par pitié, lui aussi, est un chasseur démoniaque et me rapporte de petits cadavres ailés, mais malgré ces "prélèvements", comme disent les "défenseurs de la nature", cette nourriture est utile à une population que l'hiver décime plus que chez nous. Je pense que si la neige se décidait à tomber pour de bon, Moustachon deviendrait beaucoup plus visible et moins dangereux. Je prie pour les miens, pour ceux qui sont malades et malheureux, pour ceux qui ne connaissent que le malheur et meurent de façon atroce, pour les animaux que nous faisons vivre de cette manière, et pour la création que nous profanons sans arrêt.

Dans le même esprit, j'évite d'arracher des plantes, et mon voisin ne comprend pas du tout que ses propositions, qui consistent à recouvrir tout ce que j'ai planté ou laissé pousser d'une tonne de terre pour me mettre au niveau de sa digue ne me conviennent pas. Depuis trois ans, j'ai planté toutes sortes d'humbles choses, parfois déplacé de "mauvaises herbes" que je trouvais jolies, dans des endroits où elles ne gêneront pas et se mêleront harmonieusement aux autres ou entre elles. Lui n'envisage que le gazon ratiboisé avec régularité façon moquette, les fleurs en rang dans des massifs, bref, propre, banal, ennuyeux, comme on aime chez les extraterrestres.


Mon voisin d'en face, le vieil oncle Kolia, m'a dit que les constructeurs des quatre merdes prévues derrière son isba avaient fait la même chose. Il se retrouve un mètre plus bas que leur terrain artificiel bétonné sur le marécage. Evidemment qu'un tel poids de terre sur notre faible croûte flottant sur la nappe phréatique va provoquer des résurgences chez nous en premier lieu, cela me paraît clair.

Autrement l'OVNI me prive moins de lumière que prévu, sauf que bien sûr, un sapin devient impératif, si je ne veux pas contempler un mur de plastique quand je lève les yeux. Et d'autres arbres pour ne pas voir ça l'été et pour ne pas avoir l'impression de vivre dans un aquarium.

Les Russes voilent tellement leurs fenêtres qu'on ne voit plus rien à travers mais moi, quand je n'ai pas de voisins dont la vue plonge chez moi, je ne mets de rideaux que pour la nuit, car j'aime que ma maison soit emplie de lumière, et traversée de pans de ciel et de feuillages frissonnants. Evidemment, dans un cas comme cela, il ne reste plus que les doubles ou triples séries de voilages. Ou bien les écrans végétaux. S'enfermer derrière des rideaux, c'est aussi se couper du monde, et à force de se couper du monde, on devient un extraterrestre.




Cette vidéo apporte une réflexion différente et complémentaire, à voir avant qu'on ne la censure, en se demandant pourquoi on le fait si vite...

mercredi 2 décembre 2020

Harmonie



 Je fais beaucoup de progrès avec Skountsev; en même temps, je  vois à quel point tout cela demande d'investissement, quand on ne l'a pas sucé avec le lait de sa mère, pour ainsi dire déjà commencé à l'assimiler dans ses entrailles, comme c'était le cas autrefois. Il paraît que les enfants des cosaques Nekrasovtsi, qui avaient conservé leurs traditions 300 ans en Turquie, où ils s'étaient réfugiés après le schisme, les perdent depuis qu'ils sont dilués dans la Russie contemporaine, qui les perd également, avec sa paysannerie, bien que pas mal de jeunes y reviennent, en quête d'authenticité, en quête d'eux-mêmes. C'est déjà quelque chose, en France, ceux qui retournent à la terre sont loin de revenir à la tradition française. 

Apprendre ces chansons et jouer de ces instruments développe beaucoup de facultés, évidemment la mémoire, la concentration, la coordination, le sens de la place du détail dans l'ensemble, l'attention à ce qu'on fait, et à ce que font les autres, l'adaptation à un rythme, en dehors naturellement des aspects artistiques, mais ces aspects artistiques découlent eux-mêmes de l'harmonie de tout le reste. Et ceux qui pratiquent cela depuis l'enfance ont indéniablement quelque chose de plus que ceux qui n'en ont aucune idée, et aucune tablette, aucun ordinateur ne développera une personnalité et son intelligence de manière aussi complète, surtout si l'on y ajoute les interactions avec le milieu naturel, et la vie spirituelle, à laquelle tout ceci introduit. 

Je l'avais constaté sur les enfants que j'avais eu en maternelle deux ans de suite. Et pourtant, nous étions loin de pratiquer cela tout le temps, mais je crois que dans tout ce que je faisais avec eux, j'amenais précisément cet esprit qui relie les détails dans une harmonie supérieure, car c'est ainsi que bon an mal an, je me suis formée moi-même.

Je peux donc tranquillement assurer que notre éducation contemporaine, notre milieu contemporain servent principalement à fabriquer des crétins et des monstres. Ceux qui échappent à l'un et l'autre destin et restent normaux n'ont plus qu'à vivre plus ou moins comme des parias et à se trouver une niche écologique quand cela reste possible. Cela je l'ai toujours su. Dès qu'on m'a mise à l'école.

Ce milieu contemporain exerce d'énormes pressions sur les individus, même quand ils reçoivent une éducation normale. Il est très difficile de rester soi-même, de rester vrai, j'en faisais déjà l'expérience dans les années 70. Car on se retrouve dans une grande solitude. Et lorsqu'on est jeune, on a envie d'avoir des amis, d'avoir un compagnon ou une compagne.

Une jeune fille que j'avais eue en moyenne et grande section m'a retrouvée et m'envoie de temps en temps des lettres. Elle m'appelle toujours maîtresse... Elle m'avait dicté alors un ravissant petit poème, qui ressemblait à un haiku. C'était une petite fille avec de longs cheveux blonds, à moitié russe. Elle me dit qu'elle écrit toujours, grâce aux encouragements que je lui avais prodigués alors. J'ai beaucoup aimé tous ces enfants, ils avaient presque tous quelque chose, une espèce de grâce. Ceux de ces deux classes. Ils étaient de milieux dits privilégiés, ce qui ne rend pas forcément les choses plus faciles, car les parents ont souvent des attentes particulières...

Skountsev dit que les gousli ont un effet thérapeutique. C'est vrai, je le sens. A mon avis, ils font faire aux gouttes d'eau des cristallisations harmonieuses, et c'est un autre avantage du folklore, à un niveau qui n'est plus celui de l'apprentissage, mais de l'être. La musique traditionnelle exerce un effet bénéfique sur l'organisme de ceux qui la pratiquent et j'irais jusqu'à dire sur le milieu environnant. Mais elle déchaine souvent l'agressivité des pauvres décérébrés qui écoutent en boucle à tue-tête le tohu-bohu préfabriqué qu'on leur distille à longeur de radio et dans tous les restaurants et supermarchés. Ce sont ceux-là qui construisent des horreurs, scient des arbres séculaires, massacrent des animaux pour le plaisir, pataugent dans les tripes de la vie éventrée et profanée avec une sorte de frénésie grossière et sombre.

Un paysan et ses gousli. Quelle serenité et quelle dignité... né en 1904, contemporain de mon grand-père


Je suis ce matin allée faire une prise de sang, les analyses rituelles. J'ai trouvé une généraliste qui est en même temps cardiologue, dans un centre de diagnostic. Elle est sympathique, et cherche à soigner avant tout le terrain de son patient. Elle m'a confirmé que le masque à longueur de temps était une hérésie et tout, sauf une mesure médicale destinée à sauver les gens. Néanmoins, la pieuvre mondialiste empoisonne également la Russie, de gré ou de force, peut-être de force, car tout cela est moins oppressif que dans d'autres pays, où cela prend une tournure si inquiétante qu'il faut être extrêmement hypocondriaque ou complètement abruti pour ne pas soupçonner quelque chose de pas net.

J'ai noté que l'on ne faisait pas les tests covid sadiques qui se pratiquent en France, les gens doivent eux mêmes prélever dans le nez, le plus haut possible et dans la gorge, mais personne ne va les ramoner jusqu'au cerveau. En revanche, une vieille qui venait se faire tester, dûment masquée jusqu'aux yeux, me collait à la réception, m'interrompant pour demander des renseignements à la bonne femme de service, j'espère qu'elle n'était pas malade, car je ne comptais ni sur son masque à la con ni sur le mien pour éviter la contagion...

D'ailleurs le médecin m'a dit que je faisais bien de me tenir à l'écart des hôpitaux si ce n'était pas indispensable.  

La fille qui m'a fait le prélèvement n'était pas fort aimable, la parole brève, et je ne pouvais pas voir son visage à cause du masque, mais je le devinais très fermé. A l'issue du processus, je lui ai dit merci. J'ai vu son regard s'illuminer comme celui d'un enfant.

Je pense que dans ce genre d'endroits, beaucoup de Russes prennent un air rébarbatif pour faire sérieux. J'ai constaté cela aussi dans les services d'immigration.