Translate

dimanche 26 septembre 2021

Léger mieux

 Je ne sais pas quelle radio écoute m'a voisine de chambre, mais elle est d'une grande agressivité envers Poutine, et d'après ce que j'entends la Russie est au bord de l'insurrection, ce que je n'ai vu nulle part ailleurs, mais je n'ai pas la télé. Je n'ai pas beaucoup d'estime pour les députés de Russie Unie, mais je n'ai pas envie de voir s'installer ici une situation à l'ukrainienne qui introduira la dictature globaliste en voie d'installation partout ailleurs. Je ne me sens pas capable de supporter ces nouvelles et encore moins de les commenter avec mes bonnes femmes. Actuellement, je ne crois pas en grand monde, sur le plan politique. Poutine aurait pu depuis longtemps arrêter cette politique schizophrénique ou ses fonctionnaires font le contraire de ce qu'il prône dans ses discours. Il a laissé s'installer une situation culturelle consternante, avec une télé corruptrice qui rend les gens débiles comme partout ailleurs. Avec des ministres de la culture qui ne font rien pour le patrimoine matériel et immateriel du pays mais en favorisent la destruction et la subversion par la dérision, le cynisme, la vulgarité venues de l'ouest. Il fait une politique extérieure souverainiste, mais laisse mener une politique intérieure mondialiste. J'ai vu une émission de Tsargrad où l'on discutait le sujet et la nécessité d'adopter une position nette. On disait que pour la Covid, par exemple, la Russie avait signé des accords avec l'OMS sous Eltsine, et que cette organisation était entièrement passée entre des mains privées mafieuses, ce qui est la vérité, et qu'il fallait en sortir avant qu'on ne fasse ici ce qui se passe ailleurs. Oui, et alors qu'est-ce qu'on attend ? N'empêche que je ne vois pas trop à quoi pourrait mener dans ce contexte un coup d'état à la Maidan. Ou plutôt je le vois trop bien. De plus ces journalistes de la subversion soit disant persécutée ont une voix et des intonations répugnantes. Mes compagnes de chambre gobent cela comme le vaccin, avec confiance. Une amie vient de me dire au téléphone que Moscou était tout ce qu'il y a de plus calme, bien que saccagée par Sobianine et transformée en ville monde de la globalité transhumaniste covidienne. Qu'est ce que c'est que ces excites qui poussent impunément à l'émeute et nous décrivent une situation qui n'existe pas ? 

Tout cela pendant que les Français s'apprêtent à choisir entre deux leurres, Melanchon et Zemmour, parce que ceux-ci disent à chacune de leurs moitiés antagonistes ce qu'elles ont envie d'entendre, sans s'étonner qu'on leur fasse tout à coup une telle promotion. Je ne voterai pas Zemmour, parce que je me suis laissée convaincre de voter Sarkozy, au dernier moment, par des membres de ma famille qui me brandissaient un discours à la Bernanos, pondu pour lui par je ne sais plus quel litterateur, pour mieux nous enfler. Une semaine plus tard je me mordais les doigts jusqu'au coude d'avoir donné ma voix à ce nabot atlantiste qui nous a remis dans l'OTAN, qui a détruit la Lybie pour complaire à ses maimaitres de l'usure internationale et commis beaucoup d'autres méfaits. Non, on ne me fera plus le coup. Je pense, comme Valérie Bugaut, que le système des partis est complètement vicié, en fait il est vicieux par nature. Il repose sur notre division et notre perversion organisée. Notre hypnose, notre abrutissement, notre dégradation. 

Je constate un mieux, je recommence à râler.... C'est long, le joyeux séjour. 

Gilles, le patron du café, m'a proposé de prendre Rita avec lui pendant la journée dans notre établissement préféré, pour la distraire. Je pense que la prendre tout à fait la perturberait plus que de la laisser chez nous, dans son environnement habituel. J'ai pu observer avec mon chien Joulik que le confier à quelqu'un était beaucoup plus effrayant pour lui que de m'attendre à la maison, au milieu de mes affaires. J'espère que la pauvre petite chienne n'aura pas une crise cardiaque en me voyant reparaître.... 

samedi 25 septembre 2021

Orniere

 Grosse chute de moral hier. J'avais mal à la tête et une impression répugnante de faiblesse et de brouillard. Il y a des moments où notre vie semble tomber dans une ornière. C'est la maladie, l'hôpital où bien la prison. Tout devient étrange et l'on ne sait pas bien comment on fera face à ce milieu qu'on n'a pas choisi et à ces heures interminables. J'ai fait la conversation à Alevtina ou plutôt je l'ai laissée parler car je la comprends très mal. Elle s'ennuyait autant que moi et voulait me montrer par la fenêtre du couloir un monument aux morts de la covid et le square qu'on a créé autour et qu'elle trouve très beau: du bitume, quelques bancs et l'inévitable rangée de thuyas... J'essaie de prier mais je n'y arrive pas bien. 

Il se trouve que j'ai en fin de compte des coliques nephretiques, et ce matin, le médecin m'a dit qu'on me garderait le temps que finit la crise, et ensuite, il me faudrait aller chez un spécialiste pour pulvériser les cailloux au laser ou bien les dissoudre avec un médicament. Je suis rassurée de ne pas devoir me faire opérer et si Dieu le veut, je ne traînerai pas ici trop longtemps. Cette perspective m'a encouragée. Je compte les jours, les heures, les minutes, ma conscience du temps et de la vie se transforme. 

Il m'a ordonné un médicament pour hâter la fin de la crise, Ania doit me l'apporter. Ania tient absolument à me nourrir, alors que de toute façon j'ai un régime et que je n'ai pas faim. Elle assaillie l'hôpital de coups de fil. Elle m'a apporté une petite bouilloire électrique pour le thé, car tout est souvent froid ici, elle a toutes sortes d'attention. Alevtina insiste aussi pour me refiler des bonbons en dépit des instructions médicales.

L'hôpital me fait plutôt bonne impression, en dépit de sa vétusté, le personnel est attentif, les médecins aussi. Je suis soignée gratuitement, le temps qu' il faut. Quand j'avais été opérée dans une clinique de luxe à Moscou, j'avais été quasiment foutue dehors, au bout de trois jours, dans un état affreux, et c'était une collègue et son mari qui m'avaient recueillie... 

La vieille qui ronflait à été remplacée par une femme qui ronfle encore plus. En revanche, sa conversation m'intéresse davantage, car elle porte sur le mauvais œil et les procédés pour s'en garder, les vertus de l'ammanite tue-mouches et les différents miracles auxquels elle a assisté. C'est mieux que nos transformations physiques et les cimetières....

La mère Hypandia, higoumene du monastère de Solan, m'a fait part des vœux de guérison et des prières de sa fraternité, par mon amie Annamaria. 

jeudi 23 septembre 2021

Deuxième jour d'hosto

 La gentille Ania m'a apporté des affaires. On ne l'a pas laissée venir jusqu'à moi. Je l'ai remerciée par téléphone. "Merci à vous d'exister, me répond-elle, nous voulons vous garder !"

Les deux vieilles sont un peu saoulantes, d'autant plus que je ne les comprends pas toujours très bien. Mais elles sont adorables, surtout Alevtina qui se précipite pour aider tout le monde. Et j'aime bien ses yeux bleus, son sourire spontané. Toutes deux parlent santé, famille et cimetière. "J'ai plein de bleus, dit Alevtina en se marrant, je n'ai pourtant plus d'homme à la maison !" Elle a une thrombose.

Une jeune femme est arrivée, enjouée, décontractée, elle a range ses affaires, disparu une demie heure et la voilà qui nous revient endormie sur un brancard, déjà opérée.

Le chirurgien chef qui passe le matin avec son équipe n'a vraiment pas l'air commode. "oui, me disent les deux vieilles, mais dans son service, tout est propre et tout fonctionne." Il paraît que l'hôpital a un nouveau chef, venu de Iaroslavl, qui remet de l'ordre et fait des travaux. C'est une bonne nouvelle...

L'une des vieilles en est à son troisième vaccin. Je les ai entendu dire qu'on exigeait le vaccin pour opérer les gens. Quand je disais qu' on me le ferait le pistolet sur la tempe, ce sera peut-être le cas, si je me tords de douleur au bord de la péritonite...

D'après l'autre vieille, Galina, on ne devrait pas me garder trop longtemps, parce qu'on a besoin de places en chirurgie. Pourtant ce n'est pas surpeuplé. Je vis très mal de me retrouver loin de mes pauvres animaux et de Rita, qui le vit très mal aussi. Je me suis réveillée dans la nuit, et je les cherchais sur le lit.

Bourrée d'antibiotiques, je vais mieux, je ne pouvais rien manger ce matin, mais à midi, j'ai avalé le bouillon et la bouillie....je suis fatiguée et somnolente. 

Il pleut, le ciel est de ce gris uniforme et décourageant qui fait descendre le moral au 36ème dessous. Mais par les fenêtres, on voit seulement des arbres. Nulle lumière n'anime leurs feuillages jaunes, mais ils me fascinent néanmoins par leur mystérieuse mélancolie. Des ramures noires soulignent l'élégant brouillard de quelques bouleaux effeuillés, pareils à de hautes et légères fontaines. 

mercredi 22 septembre 2021

Hopital

 Me voici à l'hôpital de Pereslavl pour une crise de douleurs abdominales violentes. C'est une vieille histoire de colite chronique, mais la douleur ne passait pas. Je crois d'ailleurs que je préfère la migraine. On est complètent abruti et l'on dort, alors que les douleurs abdominales ne laissent pas de répit. La fille du SAMU local ne semblait pas trop savoir que faire, à part m'emmener à l'hosto, ou disait-elle, il n'y avait pas de spécialistes. Gilles, sa femme et leur collaborateur Sacha sont allés m'acheter des médicaments peu efficaces. Puis j'ai vu arriver ma voisine Ania qui a proposé de m'emmener quand même à l'hôpital. J' avais eu un mot de Mâcha, la fille du père Valentin, pour me dire que le médecin de famille Sonia considérait qu'il fallait m'opérer à Moscou. Liena, de son côté, me disait que si je venais chez eux, ses filles risquaient de me contaminer avec leurs habituels problèmes ORL. Ania insistait: il fallait d'abord sortir de cet état avant d'aller à Moscou.

L'opération, dans le cas qui nous occupe est une mesure extrême consistant à couper un morceau d'intestin, je ne suis pas trop pressée. Je n'avais pas envie non plus de faire cela à Pereslavl, mais deux heures de transport dans les douleurs sans savoir où j' allais atterrir.... Ania m'a accompagnée tout le long des interminables procédures d'admission. On m'a fait des analyses, et une radio puis une tomographie des poumons pour m'exclure de la covid, que je n'ai pas, mais il paraît que j'aurais une pneumonie d'un poumon, ce qui m'étonne grandement, j'ai eu une bronchite il y a un an et n'ai plus tousse depuis. Enfin ils n'en sont pas sûrs et moi non plus. Le chirurgien ne juge pas nécessaire de m'opérer mais il veut me garder une semaine au moins, les Russes adorent vous faire traîner des siècles dans les hôpitaux.

Je me suis enfin retrouvée dans une chambre avec deux vieilles et deux injections d'analgesiques dans la fesse. La chambre n'est pas flippante, je dois même observer qu'elle a des rideaux simples accordés à la couleur des murs. L'hôpital est vétuste mais propre. Vraiment pas surpeuplé. Le personnel brusque et peu avenant au premier abord, mais comme bien souvent en Russie, cette écorce rude cache une véritable humanité !

Enfin Dany va mieux dans son usine à covid et me voilà hospitalisée de mon côté. Rita était complètement paniquée et j'ai hâte de la retrouver sans compter que je vais m'emmerder comme un rat mort. 

mardi 21 septembre 2021

la laure sous la pluie


Nil avait un deuxième jour de congé pour faire du tourisme. Mais il y a longtemps que je n'avais pas vu un mois de septembre aussi pourri. Le chauffage s'étouffait tout le temps à cause des bourrasques de vent, et Nil n'avait pas songé à brancher le convecteur électrique, de sorte qu'il avait pris froid. J'ai fait venir le plombier Rouslan, qui a commencé à entretenir Nil, par mon intermédiaire, de divers sujets philosophico-religieux. Il lui a dit que le pape était noyauté par les corporations transnationales et qu'il allait fonder la "Religion du futur" évoquée par le père Séraphim Rose. Mais la Russie orthodoxe allait faire obstacle à tout cela, car si les Hébreux avaient été le peuple élu de l'ancien Testament, les Russes, par leur respect millénaire de l'Evangile, étaient devenus le peuple théophore. Cependant les moscovites ne comprennent pas ces choses, les moscovites ne comprennent plus rien et à la limite, ne sont même plus tellement russes, même leur langue ne ressemble plus à rien, alors qu'à Pereslavl, on a gardé et la langue, et l'esprit...
Malgré les rideaux de pluie, nous nous sommes lancés dans la visite de Serguiev Posad. Nous étions gelés l'un et l'autre et sommes d'abord allés nous réchauffer dans le restaurant Pelmennaïa, rue Karl Marx. On peut y manger ce qu'on mangeait en Union Soviétique, dans le décor correspondant, c'est-à-dire que les objets datent de cette époque, mais la déco pas du tout. Mais c'est joli, chaleureux, bon et pas cher.
Après, par chance, nous avons eu une petite éclaircie, ou disons un épisode sans pluie. J'étais transie jusqu'aux os, à mon avis, Nil aussi. On a beaucoup plus froid en automne qu'à la fin de l'hiver, parce qu'on se figure, dans nos vêtements d'été, que c'est pour toujours, et quand le temps se gâte, on est terriblement surpris... Nil aurait cette fois préféré que le café français se trouvât en Crimée! Je dois dire qu'il n'est pas gâté, rien n'est plus déprimant que ce genre de temps en Russie. Moi aussi, dans ces cas-là, je me demande ce que je fous ici!
Nous sommes entrés dans l'église de la Trinité, prier saint Serge. Je lui ai recommandé ma copine Dany, qui est malade à Moscou, et pour laquelle je me fais du souci. Je lui ai recommandé aussi Nil et sa mère, tous ceux qui veulent venir ici, et ceux qui y sont déjà. On chantait l'acathiste. Je l'ai prié avec toute la ferveur possible. 
Cette église est si belle, si légère et si dorée qu'on croirait une apparition. 
Nous devions acheter une icône de saint Serge que la mère de Nil veut offrir à sa paroisse, mais les icônes peintes sont plus chères, forcément. Nous en avons trouvé une encore abordable. Le vendeur et la vendeuse ont été très empressés, cela leur plaisait beaucoup, que l'icône partît dans une paroisse orthodoxe en France.

Je n'avais pas pris Rita, qui en a été si affectée qu'elle n'a pas touché à la friandise que je lui avais donnée pour la consoler. Après m'avoir fait des fêtes, ou m'avoir engueulée, au fond je ne sais pas, peut-être les deux, elle a récupéré la chose pour la mâcher en ma présence.




lundi 20 septembre 2021

Hiérarchies angéliques

 


Cinq petits degrés, vent et pluie. Nous avons visité le kremlin de Rostov. La salle des icônes était fermée, impossible de les voir. Nous avons suivi le chemin de ronde qui nous menait d'église en église autour de cet endroit féérique, et sera bientôt fermé pour l'hiver. Nil regrettait que le café français ne fût pas à Rostov, mais Pereslavl aussi était féérique, avant que son administration et ses habitants ne l'eussent saccégé à ce point, et il n'est pas dit que le même destin ne menace pas Rostov. 

Les fresques sont si profuses que l'on peut difficilement tout regarder. C'est un grouillement de scènes bibliques ou évangéliques, de saints, d'auréoles, d'anges et de séraphins, il faudrait éditer des albums, avec des fragments de ces fresques. Quelle lumière, quel mouvement serein, concentré et harmonieux habitent cette foule de personnages divins et paradisiaques... Nul doute que ceux qui les ont peints et ceux qui les regardaient en étaient eux-mêmes perpétuellement remplis. J'entendais les plaintes du vent à l'extérieur, il faisait gris, sombre et froid. Dans la première église, deux types proposaient de chanter gratuitement pour les visiteurs. Je pensais que ce ne serait pas terrible, à voir leur air de fonctionnaires blasés, mais quand ils ont commencé, il m'a semblé que j'étais soulevée dans les airs et j'ai senti monter un afflux de larmes. Le psaume 50: "Aie pitié de moi, ô Dieu selon ta grande miséridorde et dans ton immense compassion, efface mon péché..." C'était un chant très ancien, avec un "isson", une basse continue. Ils étaient seulement deux, et c'était comme si tous ces anges, séraphins et chérubins qui se bousculaient sur les piliers et les voûtes s'étaient mis à chanter en même temps. C'était une façon de nous démontrer quelle acoustique régnait dans les églises anciennes, et de nous pousser à acheter leur disque, mais je crois qu'il se passait quelque chose de plus miraculeux que l'acoustique. Ce chant faisait partie de la routine de ces deux bonshommes. Mais les hiérarchies angéliques présentes sur les voûtes leur faisaient pourtant écho, qu'ils fussent ou non conscients eux-mêmes du phénomène... 

Ensuite, nous sommes allés à Godenovo voir la Croix miraculeuse. En dépit de la Croix, et de la jolie petite église de campagne où celle-ci a été cachée si longtemps et où elle est toujours, cet endroit me met mal à l'aise. Ces photos géantes de la famille impériale le long de la route, j'aime profondément la famille impériale, je compatis à son sort affreux, mais ces photos, le simple principe de ces panneaux énormes, me rappelle trop les portraits de Lénine ou de Staline. On a commencé à édifier cette grosse réplique de sainte Sophie de Constantinople qui sera là bas complètement déplacée. On dirait qu'on va faire du sanctuaire de la Croix quelque chose dans le genre de Lourdes.

La dernière fois que j'y étais allée dans les mêmes dispositions, vénérer la Croix m'avait procuré le même sentiment de grâce que l'écoute du psaume au milieu des séraphins et de leur immobile tourbillon. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, Dieu m'avait déjà parlé. J'avais perçu cette symphonie visuelle, ces chatoyantes et immobiles présences dont le mouvement et le foisonnement s'envolaient sur les ailes de ces deux voix devenues multitude...

J'ai fait prier pour les orthodoxes malades que je connais.



dimanche 19 septembre 2021

Mila


Il y a deux jours, j'ai eu la visite d'une ancienne maman de l'école, Mila, et de sa fille Héloïse. J'ai eu les trois enfants de cette famille qui m'a, en plus, acheté mes meilleures aquarelles. Quand je suis revenue en Russie, passant un jour près de l'ambassade, j'ai vu venir à ma rencontre, sur le passage piéton, une femme qui m'ouvrait les bras, c'était Mila. Elle est venue visiter Pereslavl et me rencontrer. 

Tous ces enfants font maintenant de brillantes études à Paris. Le garçon, Anton, était plutôt un emmerdeur. Il avait un côté taquin. Il lui arrivait de dire à ses petits camarades des choses qu'il aurait mieux fait de garder pour lui, mais je n'en faisais pas une affaire d'état non plus. Et là, j'apprends que lorsqu'il était déjà au collège, sur dénonciation d'une jeune fille de sa classe, qui n'était pas directement concernée par l'incident, on l'avait exclu trois jours pour "propos racistes et homophobes"....

Comme il courait derrière une élève africaine et qu'elle n'allait pas assez vite, en éducation physique, il lui avait dit: "Si on te mettait un steak au bout d'une canne à pêche, peut-être que tu te dépêcherais?" Si la fille avait été blanche, aurait-il été dénoncé et exclus? Mila ne m'a pas précisée en quoi consistaient les propos homophobes...

Lorsque j'avais des problèmes de "racisme", et il arrivait, par exemple, que des petites filles russes ne voulussent pas s'asseoir auprès de l'enfant "marron", ou autres réactions de ce genre, je disais: "Il y a des petits chats blancs et des petits chats noirs et on les aime tous bien quand même." 

D'un autre côté, je n'ai jamais pu souffrir les cafards. Sur Facebook, je n'ai jamais dénoncé personne, même quand la vilenie des commentaires me donne envie de vomir. La dénonciation en soi me paraît quelque chose d'insupportable. C'est la marque du régime totalitaire. Le régime totalitaire encourage et récompense la dénonciation. Et les gens qui la pratiquent se prennent pour des justiciers.

En dehors de ce détail, j'étais très heureuse de revoir cette dame, avec qui je m'entendais bien, qui avait de l'humour, et d'évoquer ma classe d'alors. Elle était très étonnée d'apprendre que je n'avais pas la grande vocation d'institutrice et que j'aurais bien préféré ne pas travailler. J'ai pris de l'intérêt à mon métier, j'aurais pu faire pire, mais cela me surmenait beaucoup, car je suis du genre nerveux et distrait, je déteste le bruit depuis mon enfance. Lorsque je devais faire plusieurs choses à la fois, j'étais complètement stressée, et c'est précisément le sort de la maîtresse d'école. Il me fallait surveiller les enfants, les aider, répondre aux parents, ramasser tous les papiers administratifs qu'on distribuait sans arrêt pour les récupérer signés, et naturellement, je les perdais tout le temps, ainsi que mes lunettes. Et puis tout le reste, la hiérarchie, les réunions, la mentalité, je ne peux pas dire que j'étais bien dans mon élément.

J'expliquais à Nil que la plupart du temps, le travail qu'on fait n'a pour nous pas de sens. Ce qui a un sens, c'est de travailler sa terre pour en vivre, mais on nous explique depuis 200 ans que c'est juste pour les imbéciles, que les gens intelligents travaillent "de toutes leurs forces pour leur patron" selon l'expression du célèbre monsieur de Maesmeker, ou bien sont eux-mêmes patrons ou ministres. Mon travail d'institutrice, heureusement pour moi, avait quand même du sens, car il me permettait de donner aux enfants des choses dont ils sont généralement privés, il avait une dimension humaine et spirituelle. Du reste, mon père Valentin me l'avait dit. Il m'a fait grandir.