Translate

dimanche 25 décembre 2022

Joyeux Noël...

 


Il y a quelques temps, une amie qui s'occupe d'aide humanitaire m'avait demandé d'écrire des cartes et lettres pour les soldats du front, car il paraît qu'ils les apprécient beaucoup, que cela leur remonte le moral. Je m'apprêtais à le faire, à l'approche des fêtes, et voilà qu'elle me déclare qu'il faut les porter le lendemain à 10 h, chez les cosaques, une estaffette partant pour le Donbass à 11h, et on n'avait rassemblé que deux cartes. J'ai pris tout ce que j'avais dans le genre carte, principalement les miennes, avec des photos de mes pastels, et écrit un petit mot sur chacune, avec la prière qu'elle puisse servir de sauvegarde à celui qu'elle atteindra. Chaque fois que je vois la photo d'un de ces jeunes hommes tombés là bas, généralement beaux, avec des physionomies claires et honnêtes, et que je pense qu'il est mort, parfois torturé et émasculé par les hommes de main du bon Zelenski et des maîtres qu'il sert, j'ai la larme à l'oeil. Et la colère au coeur, quand je me souviens des calomnies colportées par les journalistes occidentaux et des slavistes comme Markowitz, dont un certain nombre d'imbéciles orthodoxes boivent les paroles, on se demande sur la base de quels principes. Mais pourquoi m'étonner encore, depuis huit ans que cela dure?

Ma voisine Ania, à qui je confiais tout cela, a soupiré que c'étaient toujours les meilleurs qui périssaient et les salauds qui s'en sortaient bien. Elle est prête à écrire des cartes et à en récolter autour d'elle, pour que "les gars, là bas, aient l'impression d'être utiles...". Le problème, c'est que les gens ne sont pas au courant. Il en est de même pour les concerts géniaux du café français, on ne sait pas qu'ils ont lieu. 

Dérapant sur la glace et pataugeant dans la flotte, je suis allée porter tout ça au QG des cosaques. J'ai été reçue par une dame qui s'est réjouie, les cosaques m'ont prise en photo avec Rita dans son sac , et mes cartes. Je leur ai parlé de mon engagement, de la façon dont tout cela était présenté chez nous depuis 2014, de Yelena et ses traductions de vidéos, et je leur ai donné le lien, et aussi de Iouri Iourtchenko et de Dany, "Nous sommes seuls contre tous, m'ont-ils dit, mais Dieu nous viendra en aide". 

Ils apportent régulièrement de l'aide, là bas, traversent toute la Russie en camionnette, par des routes difficiles et dangereuses, ils sont sympathiques, directs, dévoués, ils font ce qu'il leur revient de faire.

Une déclaration récente du patriarche Cyrille sur le métropolite Onuphre et l'Ukraine va tout-à-fait dans le sens de ce que m'a dit le père Valentin: "Ne commentez, pas, ne jugez pas et soutenez".

Je suis tombée sur une longue vidéo très intéressante du docteur serbe Aleckovic-Bataille, complémentaire de ce que j'ai pu voir de bien dans le genre, Ariane Bilherand, Valérie Bugaut, surtout Ariane Bilherand, car elles sont collègues, et considèrent nos dirigeants et les politiques totalitaires du point de vue de la psychiatrie. Elle établit un lien que je discerne moi-même entre la mentalité utilitariste et la mentalité psychopathe totalitaire. Dès ma plus tendre jeunesse, j'ai perçu qu'un société strictement utilitariste se caractérisait par la haine viscérale de ce qui était beau, noble et bon, et son besoin de détruire toute expression culturelle de tels sentiments, ainsi, bien souvent que des personnes qui persistent à y tenir et à les transmettre. Une telle société ne peut produire que la plus extrême laideur, assortie d'un ennui et d'un désespoir sans bornes menant tôt ou tard à la corruption, à la dissolution et au crime.Et cela, quelle que soit l'étiquette idéologique dont elle se pare. Elle exècre et traque tout ce qui n'est pas médiocre, vulgaire, pourri et pervers. Toutes les sociétés humaines pertubées par la modernité sont plus ou moins affligées de tels défauts, mais actuellement, la plus toxique de toutes est bel et bien celle qui fut à l'origine de cette dérive, la société occidentale, incapable de sortir de la logique de sa folie.

Mila Alekcovic met le doigt sur le fait que depuis des décennies, les classes dirigeantes sont sélectionnées, ou s'autosélectionnent, en fonction de la conformité à ce modèle. Des gens médiocres, pas trop intelligents, psychopathes, sans empathie, assoiffés d'honneurs, de pouvoir et d'argent. Les gens trop honnêtes et trop compétents étant bloqués d'emblée, car moins contrôlables. Elle souligne aussi que la perversité partagée permet aux membres de cette caste de se tenir par la barbichette, car il y a toujours quelque chose de compromettant dans un tiroir pour l'un ou l'autre. Enfin, ces médiocres hystériques sont convaincus d'être très au dessus de nous, sous-hommes, et qu'il leur est permis d'agir envers nous comme avec du bétail. 



Hier soir, j'ai fait un petit Noël catholique pour le gentil cuisinier Laurent, seul à Pereslavl, et j'ai invité quelques Russes. J'avais prévu une blanquette de veau. "Ce n'est pas du veau, me dit le cuisinier, on n'en trouve pas, ici. 
- Mais on me l'a vendu pour du veau.
- Oui, moi aussi, on a essayé de m'en vendre!"
C'était bon quand même, et j'ai donné ce qu'il restait à ma voisine Ania, car Laurent avait apporté aussi du poisson fumé et fait une excellente salade. Il avait pris des gâteaux au café, j'ai donné ceux que nous n'avons pas mangé à Macha pour ses gosses, afin de m'épargner des grammes supplémentaires... 
Laurent veut s'installer ici, il en assez de rouler sa bosse. Il m'a dit pendant la soirée: "Je n'imagine pas un dîner comme celui-ci en France, de nos jours, simple, spontané, détendu, sain, avec des gens qui font de la musique, et personne pour ricaner et les critiquer. je me demande ce qui nous est arrivé pour qu'on en soit là."
A l'église, on fêtait saint Spiridon, j'ai commandé un office d'action de grâce, car il m'a bien aidé. Le soleil est apparu, avec un léger retour de froid qui sera suvi d'un autre dégel-regel, le genre d'hiver dont j'ai horreur. J'ai vu Nounours, avec la voisine Olga. Elle m'a dit que désormais, ils le gardaient à la maison mais le sortaient trois fois par jour, ils ont compris que le mettre à la chaîne ou en laisse était impossible...
Ma soeur m'a appelée pour me souhaiter joyeux Noël. Elle était à Marseille, et j'ai vu sur l'écran du téléphone ma tante Mano et mes cousins, que je n'ai pas vu depuis trois ans. Le voyage est devenu si compliqué, et puis j'ai peur de rester coincée, et je ne me décide pas à venir. Pourtant, je le voudrais bien, pour voir cette famille qui commence vraiment à me manquer. 
Pour nous tous, ici, Noël, c'est le 7 janvier, mais à ceux de là bas, et aux orthodoxes du calendrier grégorien, par exemple ceux de Solan, je souhaite une heureuse fête de la Nativité.








vendredi 23 décembre 2022

Illuminations

Tard le soir, la nuit du solstice, j'ai entendu un grand bruit à l'extérieur, et je me suis précipitée sur la fenêtre pour regarder dans le jardin. J'ai vu quelque chose de sombre dans la neige, et cela s'est soulevé et envolé: un énorme oiseau de nuit.

En plus des nouvelles qui sont traumatisantes au plus haut degré, quelque chose m'a plongée dans le désarroi et le chagrin. Ma voisine m'appelle pour me dire que Nounours gît sur le bord de la rue principale, dans le centre, qu'il faut aller le chercher, car elle est loin de Pereslavl, avec son mari. Une de ses amies l'a vu sur la page des secours aux animaux. Je regarde, en effet, c'est Nounours, je laisse un message: "Je le connais, amenez-le moi!" Entretemps, la responsable et ma voisine s'étaient entendues pour le laisser jusqu'au soir chez la première. Nounours n'était pas blessé, mais tétanisé de terreur par les passants et les voitures. Ce géant inoffensif et sans défense était totalement désemparé, et comment était-il arrivé là? D'habitude, il reste dans le périmètre du quartier. 

Le lendemain, j'aperçois Nounours, comme d'habitude, qui passe dans mon jardin, et je pars faire des coursespendant plusieurs heures. Au retour, je vois une forme prostrée au bout d'une chaîne; Nounours, visiblement décidé à se laisser mourir. Je vais, consternée, le caresser, il ne soulève même pas la tête, déçu qu'il est par toute l'espèce humaine, qu'a-t-il fait pour mériter ça? Je rentre chez moi en pleurant, que faire? Quand j'ai essayé de le garder sur mon terrain, il creusait des tunnels sous le portail...

Quand son patron revient, il n'a pas bougé d'un poil, et ne bouge pas pour lui laisser garer sa voiture. Un chien de pierre. Le voisin essaie de lui parler, de le caresser. aucune réaction. Il finit par le soulever dans ses bras et l'emporter dans la maison. Depuis, je ne l'ai pas encore revu, j'attends la suite. 

C'est que le problème est délicat. Un chien qui se promène, ici, peut très mal finir. Il y a plein de gens qui ont peur des chiens les plus paisibles dès lors qu'ils sont gros, qui ne connaissent rien aux animaux et leur sont même systématiquement hostiles, sans parler des brutes qui se cherchent des victimes. Déjà, sur la page des secours aux animaux, une bonne femme critique les inconscients qui laissent vaguer leurs chiens. "Que faire? demandai-je. Il ne partait jamais. Il faut le mettre à la chaïne?

- Non, me répond-elle, c'est trop dur, mais dans une volière, au moins, ils ont chaud!"

Et de mettre une photo atroce de chiens du refuge derrière des barreaux... Ah c'est sûr que c'est nettement mieux! La cage, c'est plus humain que la chaîne, le top du top serait les deux, dans le genre épouvantable. Nounours n'a jamais froid, il a une fourrure extraordinaire et déteste être enfermé, c'est le cas aussi de son frère. Mais il aime faire son petit tour, un peu chez moi, chez Ania dire bonjour à César, il inspecte le pâté de maison, il rencontre deux ou trois copains.

Il a maintenant encore un autre petit frère, car mes voisins ont enfin opéré leur chienne, mais elle a eu encore une portée, et le dernier du lot sera dur à caser. Il ressemble bien vaguement à un chien des Pyrénées, mais il a de grandes taches grises et les yeux bleus: le chien du voisin de droite engrosse tout le quartier. Comme aucun de ces chiens ne sont pure race, le mieux serait de stériliser tout ça, mais jamais de la vie, leurs propriétaires mâles ne s'y résoudront pas, mieux vaut laisser pulluler les chiots que l'on ne sait à qui refiler et qui ne sont pas forcément adaptés à un environnement semi urbain. 

Mes voisins Vitia et Macha qui avaient tiré du container à ordures trois chiots de ce même simili husky, ont réussi à les fourguer à divers amis de Moscou. Mais qu'adviendra-t-il des prochaines portées?

Comme le cuisinier de la future partie restaurant du café est seul pour Noël et qu'il est catholique, nous allons le fêter chez moi, ce sera pour moi un avant-goût, puisque je le fête le 7 janvier. J'ai fait le grand jeu pour les décos, il faut dire que les ténèbres du solstice incitent tout le monde à mettre partout des trucs qui brillent et qui restent généralement quasiment jusqu'à Pâques! 

J'ai mis encore un miroir dans mon salon, une amie l'avait trouvé à la poubelle, au village d'Elizarovo, qui était le fief de Fédia Basmanov. J'hésitais, mais il ne va bien que là, et puis la pièce est jolie, mais si sombre, surtout en ce moment, que les surfaces réfléchissantes sont les bienvenues, j'espère que cela ne fait pas trop bordel des années 30...

Une amie VK venue chez moi a tracé de moi ce portrait plutôt flatteur et amusant qui m'a touchée:

Une femme très singulière

Qui dévoile sa nature angélique à partir de 9h30 du matin et pas avant !
Avant cette heure salvatrice,
Il lui faut user de mots d'amour singuliers comme "connards de chats!"
Ou encore " ah, ces salauds" !
Ou encore " tais-toi connasse!'
Mais ça, ce sont des tendresses pour ses chats presque tous recueillis et sauvés de la misère et pour sa Rita ! (un petit spitz roux adorable et si futé ....qu'elle fait sa loi devant des chats aussi gros qu'elle !)
Un langage qu'eux seuls peuvent comprendre.
Parce que juste après ça, et même avant de se servir à elle-même quoique ce soit,
Elle les nourrit et les gâte
Si ce n'est pas de l'amour ....

Le langage amoureux a plusieurs palettes !
;O)

Une femme aux nombreux talents,
Peinture, écriture, musique
Joie de vivre

Elle s'entoure de beau à l'intérieur et à l'extérieur
C'est parfois une petite fille, parfois une ado émue, parfois une belle femme qu'on imagine altière dans un costume traditionnel russe,
Mais on ne peut jamais la regarder comme une femme de 70 ans
Il y a chez elle une fraîcheur, quelque chose qui contrairie les rides de son visage
Peut-être est-ce ses yeux ?
Où luit, sans l'ombre d'un doute,
Une espièglerie joyeuse
Toujours prête à jaillir
Ou peut-être seulement le fait qu'elle est inclassable ?
Aucun stéréotype ne semblant lui convenir
Tellement, elle est singulière
Sans artifice et c'est peut-être là qu'on pourrait, si on le voulait parler de ses 70 ans
De cette sagesse de l'âge qui fait qu'on n'a plus rien ni à prouver, ni à justifier
Il y a de la grande dame chez cette petite fille de 70 ans
Il y a de la grande âme et beaucoup d'innocence
Une pure et merveilleuse bienveillance

Pour ce qui est des compliments, tout le monde ne sera pas d 'accord avec elle, mais en effet, j'ai bien conscience d'être une ado éternelle, une petite fille qui a vieilli, c'est pourquoi je suis toujours embarrassée par les gens qui voient en moi un substitut de leur grand-mère. Non, j'ai l'âge d'une grand-mère, mais je ne suis pas une grand-mère, je n'ai même pas été une mère, je ne sais pas comment on fait. 
Et jusque vers neuf heures du matin, je suis aussi l'incroyable Hulk. Après, je reprends figure humaine.





mardi 20 décembre 2022

Pub

 

Extrait:

Fédia, à l’étape de Pereslavl, au retour de Rostov, réussit à fausser compagnie au convoi pour revenir au village. Alors que tout le monde était couché au monastère saint Nicétas, il annonça au détachement cosaque son intention d’aller se baigner nuitamment dans la source de saint Nicétas le stylite, ce qui déclencha toutes sortes de commentaires grivois auxquels il fit semblant de ne rien comprendre. Il se fit ouvrir la porte et s’esquiva discrètement à cheval.

 La lune inondait la surface du lac, et des nuages y miraient leur troupe évanescente, aux draperies blêmes et métalliques. Il longeait ses vastes berges escarpées et désertes, couvertes de graminées et de fleurs sauvages que balayait un vent doux. Avec exaltation, il revit la plage où il avait incarné Yarilo et dansé jusqu’à l’extase. Il mit pied à terre, s’agenouilla sur le sable humide, baigna ses joues d’eau fraîche, laissa son cheval boire et marcher tout seul. Le monastère, posé sur la colline, se désintégrait dans la pénombre brumeuse et lunaire, ses coupoles allumaient des étoiles sourdes audessus de l’eau argentée qui se plissait en chuchotant.

 Il atteignit le hameau, et vit qu’une lumière brillait encore, à la fenêtre de l’isba où vivait la rouquine, une faible lumière. Il attacha son cheval à distance, dans un bosquet, et s’approcha pieds nus, ses bottes à la main. Il enjamba la barrière. Le chien, qui le reconnut, vint le renifler en jappant, il le caressa pour le faire taire. La porte s’entrouvrit et il chuchota : « Paracha… C’est moi. Yarilo… »

Il voyait sa chevelure rousse enflammée par la lueur qui provenait de l’intérieur de l’isba. Elle s’élança à sa rencontre, et il la reçut sur sa poitrine, entre ses bras ouverts qu’il referma aussitôt, la faisant tourner et la soulevant, et l’embrassant à pleine bouche. Elle l’entraîna dans l’isba, où elle lui annonça qu’elle était enceinte, et qu’elle aurait de lui un enfant magnifique, car son mari ne lui en avait jamais donné, mais Yarilo l’avait investi, lui, Fédia, pour remédier à cet état de choses. « Comment pourrait-il te faire un enfant, il n’est jamais là ? » s’étonna Fédia.

 Elle éclata de rire : « Il est parti faire un chantier, à Yaroslavl.

– Et il est content de la perspective ?

– Oui, il est content, nous aurons quelqu’un pour s’occuper de nous, dans nos vieux jours…

 – Je suis heureux de vous avoir rendu ce service… »

 Fédia en était vraiment heureux. Si le tsar le faisait mourir demain, sa descendance continuerait à danser sur la plage pour la saint-Jean d’été.

Il fit passionnément l’amour avec la rouquine, puis passa aux choses sérieuses : « Dis-moi, Paracha, tu m’as parlé des puissances cachées et du sachet qui les faisait voir…

– Oui, oui, barine chéri, ce sont des champignons… Tu sais le rouge, avec des petits points blancs…

– Le tue-mouches ?

– Ne te trompe pas dans les doses. Dans un sachet, tu as juste la dose, avec d’autres ingrédients qui tempèrent. Tu veux essayer ? »

 Elle lui confectionna une potion. Fédia était un peu anxieux, mais il lui faisait confiance. Il l’ingurgita, elle aussi, et ils sortirent dans la prairie, sous les étoiles. Ils s’éloignèrent vers le lac, à travers le bois. Fédia entendait les moindres bruits avec une netteté inhabituelle, et il voyait les visages frustes et bosselés des arbres qui tanguaient à sa rencontre, leurs prunelles d’ombre mouvante, leurs multiples mains dansantes, leurs bouches qui ruminaient le vent, et la lune aveuglante, et les ponts de lumière que se lançaient de l’un à l’autre les astres dans la nuit. Tout cela fonctionnait ensemble, le ciel et la clairière, les arbres et le lac, dont il s’approchait fasciné, et qui le regardait de ses innombrables yeux fugaces, bleuâtres sur l’eau noire, et étrangement malicieux, presque impudents.

« Barine, barine, souffla sa compagne, ne va pas là-bas, tu serais une proie de choix pour les ondines… »

 Il entrouvrit les lèvres dans un sourire enivré : « Je n’ai pas peur d’elles. Ce sont elles qui pourraient avoir peur de moi ! Je n’ai encore jamais violé d’ondine !

– Barine, écoute-moi, il ne faut pas faire le présomptueux… écoute-moi. Si tu veux te baigner, il faut se concilier les ondines. Je vais t’apprendre cela… »

Paracha prit dans le sac qu’elle avait apporté, avec une couverture qu’elle étendit sur l’herbe, du pain, dont elle alla jeter quelques morceaux en offrande, dans le lac. Puis elle se mit à chanter de son étrange voix perçante :

 

« La semaine des ondines,

les voilà toutes assises

 Oui, tôt le matin, les voici assises

 Les ondines étaient assises

Tôt le matin, elles regardaient les filles

 Elles regardaient les filles, elles leur demandaient :

 Hé les filles, donnez-nous une chemise

Tôt le matin, donnez-nous une chemise,

Une jolie chemise verte bien brodée,

 Oh, tôt le matin, bien brodée. »[1]

 

Fédia se déshabilla et se glissa dans l’eau, qui était déjà un peu fraîche, mais son corps brûlait. Il fit quelques brasses dans ces ténèbres glissantes, et les vit qui le convoitaient de leurs prunelles brillantes, avec leurs longues chevelures, et leurs membres souples, couleur de lune. Elles traçaient une ronde autour de lui, dans un nuage de bulles, et lui disaient des mots aquatiques inaudibles. Paracha l’avait protégé, elles n’approchaient pas, mais ce n’était pas l’envie qui leur en manquait, et elles essayaient de le persuader de venir plus près, avec des sourires enjôleurs.

Paracha vint le rejoindre dans l’eau et traça autour de lui des signes de croix, pour les faire reculer, puis, le prenant par la main, elle le ramena au rivage. Elle le fit asseoir dans l’herbe, et s’étendre sur la couverture qu’elle avait apportée. Le vent passait sur eux avec des frôlements soyeux. Son esprit en suivait les moindres mouvements, en percevait les moindres murmures, par-delà, les stridulations des grillons, et soudain, le cri terrifiant d’un oiseau de nuit qui venait de loin, se rapprochait, et traversait l’espace. « Barine, dit la jeune femme, c’est dangereux pour toi comme pour moi de venir me voir.

 – Je voudrais apprendre ce que tu sais…

– Il n’est pas sûr que l’idée soit bonne. Qui apprend trop vieillit vite….

– Je t’apprends l’amour, tu m’apprends la magie…

– Tu n’as pas besoin d’apprendre la magie, barine, tu es la magie. Je veux mettre ton bel enfant au monde, le nourrir et l’élever, sans qu’on vienne ici me faire mourir avec lui, tu comprends ? »

Fédia, pris de vertige, lui saisit la main. Il lui semblait que la lune l’aspirait comme un gouffre. « Tu vas te marier, barine, dit-elle.

– Moi ? Tu plaisantes ?

– Avec une belle princesse, très jeune, plus jeune que toi. On te la prépare déjà…

– Je ne veux pas me marier. Je peux mourir du jour au lendemain…

– Tu l’aimeras, tu auras des enfants avec elle. C’est parce que tu es magique, que le tsar t’aime, barine.

– Mais je vais changer et mûrir, me couvrir de poils et de barbe, comme mon père et comme le tsar. »

La jeune femme se retourna sur le ventre pour le regarder, sous la lune. Il avait juste une ombre de duvet soyeux sur la lèvre supérieure. Elle lui massa le visage et souffla doucement dessus : « Cela ne viendra pas tout de suite, et tu seras ensuite un très beau loup velu avec des joues qui piquent ! »

Des nuages écharpés se déchiraient au ciel, la lune maléfique roulait entre eux comme une balle, qu’ils se disputaient à coups de becs et de griffes. « Tu restes encore longtemps, barine ?

 – Deux ou trois jours… »

 Fédia eut tout à coup peur que le tsar, en l’envoyant à Pereslavl, l’eût précisément dirigé sur l’origine du pétale d’iris, des gousli et du collier d’amulettes, et en eut froid dans le dos. Une présence montait dans le ciel, comme un immense archange glacial et fulgurant.

 « Écoute-moi, dit Paracha la rouquine, je vais te transmettre mes dons. »

Elle se releva et se mit à tourner autour de lui, tantôt chantant et tantôt chuchotant, dans un sens puis dans l’autre, et ses cheveux volaient, ses yeux brillaient, il lui semblait voir parfois une petite fille et parfois une vieille femme. Il ne comprenait pas les mots qu’elle disait. Il avait le vertige. L’archange fuligineux plongeait au loin, dans le lac, ses pieds d’or, et levait un glaive rayonnant qui fendait les nuées obscures. Elle s’arrêta, posa ses paumes sur les siennes, et il sentit une grande chaleur irradier ses bras, presque jusqu’aux coudes. « Je ne transmets pas de mauvais dons, je ne fais pas cela, barine. Tu pourras soigner : les verrues, les brûlures, les maux de tête, les articulations. Ton tsar aura mal à la tête, tu mettras tes mains sur ses tempes, sur son front, comme cela, sur sa nuque, et cela lui passera, barine. Il sera content, car il aura de plus en plus mal à la tête, et mal aux os, et fais bien attention, des gens cherchent toujours à l’empoisonner, mais toi, tu devineras le poison dans les coupes. Il te suffira de sentir le liquide ou les aliments, et je te donnerai aussi des contrepoisons, mais pour les simples, il faut juste apprendre, et les dons, c’est autre chose. Tu lui donneras le sommeil, tu le lui donnes déjà. Et pour les mots, les mots qu’il faut dire, tu les trouveras seul, les mots des forces, de tes forces… Ceux qui te viendront sur les lèvres seront les bons, car la magie est en toi… »

 Elle posa les doigts sur la bouche du garçon, sa chair vibrait, il claquait des dents. Depuis la forêt monta un long cri modulé, mélancolique. Et Fédia aperçut un loup qui s’aventurait dans la prairie. Il serra la main de la rouquine, qui restait impassible, fascinée. C’était un loup parfaitement noir, avec des yeux phosphorescents. Les pieds de Fédia lui semblaient pousser de profonds prolongements dans la terre, sa tête ballait dans le vent et les étoiles, comme la cime des arbres, la main de la rouquine était son seul point d’humanité brûlante, tout le reste se fondait dans le végétal, l’animal et le minéral environnant. Il voyait le loup avancer avec calme, comme s’ils n’étaient pas là, comme s’ils n’étaient qu’une partie de la forêt, mais c’était quand même sur eux qu’il se dirigeait, sur eux que se posaient ses yeux brillants, deux croissants de lune dans le velours mat de son pelage. Il les renifla, décrivit autour d’eux deux ou trois voltes. Puis il s’éloigna.



[1] Incantation populaire

Le livre existe en version électronique

dimanche 18 décembre 2022

Gouffre blanc

 


Valérie est tombée malade, juste après avoir acquis sa maison. Tout le monde est malade, mais au moins, on ne parle plus de covid et on n’emmerde pas les gens avec des masques, des tests et des vaccins. Nous avons tous la grippe, la bonne vieille grippe. C’est en train de m’arriver aussi, je prends des vitamines, de l’infusion anti grippe du Cubain Ibrahim...

Hier, j’ai vu que le métropolite Onuphre condamnait les prêtres qui commémoraient encore le patriarche Cyrille. J’en ai été très affectée, et j’ai appelé le père Valentin qui s’est écrié rageusement : « Et que voulez-vous qu’il fasse, dans la situation où il est ? Qui pourrait lui jeter la pierre ?

- Je ne veux rien du tout, à part savoir ce que vous en pensez...

- Personne ne juge ni ne commente ce que dit ou fait le métropolite Onuphre en ce moment, et cela, du haut en bas de la hiérarchie !

- D’accord, ce que vous me dites me suffit. »

C'est pourquoi je ne m'occupe plus du groupe de soutien que j'avais créé il y a plusieurs années. 

Les nouvelles d’Ukraine sont effrayantes. Toujours les mêmes démons ont réussi à nous jeter les uns sur les autres, comme en 1789, comme en 14, comme en 17, comme en 40, prêts à tirer les marrons du feu qu’ils nous ont allumé. Je suis en colère contre les duettistes orthodoxes que j’ai virées et tous ceux qui leur ressemblent, éternels dupes enthousiastes de ceux qui nous détruisent. Actuellement, le gouvernement polonais rêvant, dans son infinie stupidité,  de revanche sur les Russes, une partie de sa population, envahie par les réfugiés ukrainiens, fout le camp en Allemagne, car elle n’a pas envie de participer au remake de la guerre de 40 que s’efforce de réaliser l’OTAN en Europe, contre la volonté de la majorité des gens, ou à leur insu. Du coup, on se demande où vont se réfugier les Allemands et Dany affirme qu’il ne restera plus aux Français qu’à se jeter à la mer... Personne ne veut se faire trouer la peau pour la finance mafieuse ni la reconstruction du mythique empire khazar sur les ossements des slaves orientaux. Nulle part. Les Russes qui y vont, et les combattants du Donbass, savent bien qu’ils sont la cible de cette bande de malfaiteurs, et qu’on ne les laissera pas tranquilles jusqu’à la destruction de leur pays façon Lybie, mais les autres, on a beau les affoler de propagande et les confire dans la haine, ils sentent bien qu’on les pousse à l’abattoir, ils renâclent. Ils ne sont pas portés par le genre de motivation qui peut soulever de grands mouvements massifs, à part celle du sauve-qui-peut. Histoire d’utiliser une recette bien éprouvée, on essaie d’officialiser la thèse du « génocide » des Ukrainiens par les Russes, soit l’holodomor, dont ces derniers ont été largement victimes eux-mêmes, car si génocide il y avait, c'était façon Vendée, un génocide de paysans chrétiens et non pas exclusivement "ukrainiens"; mais il vaut mieux ne pas faire remarquer qui étaient les bourreaux des uns et des autres et qui jetait les Russes les uns sur les autres. Tant de perfidie et de vilenie soulève le coeur. Je suis heureuse de me trouver là où les gens qui recourent à de tels procédés ne règnent plus tout à fait, et s’ils parviennent à leurs fins, alors je mourrai avec les Russes, car il n’y aura plus rien d’autre à faire.

En dépit de tout cela, je sors le matin déneiger dans le vent et le silence ouaté, sous des nuages lumineux et irisés, où le soleil transparaît comme un beau secret, ou un souvenir, ou une promesse. 
Ce matin, il était tombé tellement de neige que je ne voyais plus l'escalier. Dégager tout cela m'a pris une heure, et encore n'ai-je pas fignolé. Valérie devait communier, moi aussi, et j'avais proposé d'aller à l'église des quarante Martyrs, mais arriver jusque là par un temps qui frôlait la catastrophe climatique, c'était l'exploit. Je suis restée bloquée deux fois en essayant de me garer, et j'ai été secourue par le gardien géorgien de l'église qui déneigeait, lui aussi. Quand il a su que nous étions françaises, il nous a demandé "un euro en souvenir". Valérie lui en a trouvé un, car moi, je n'en ai plus depuis longtemps. Il s'est enquis de ce qui se passait chez nous, qu'est-ce que c'était que ces hordes qui cassaient tout dans les rues dès que nous avions un match de foot. "Restez ici, nous dit-il, là bas, c'est la pagaille!"
Nous pensions trouver Jason a l'église, mais il avait été moins fou que nous, il n'y était pas. Nous avons vu son père spirituel, le père Jean. Quand il a quitté l'Amérique, son père spirituel de là bas lui a dit de le remplacer par le prêtre le plus gros qu'il pourrait trouver, car il serait sûr qu'il était bon. Et en effet, le père Jean est très réputé avec une communauté soudée, et il est très gros. Sa liturgie est avec office d'intercession intégré, tout le monde chante un psaume avant d'aller baiser la croix. Pour le fervent Jason, c'est parfait, pour moi, c'est un peu trop, j'aime ma cathédrale.
A la sortie, la tempête de neige n'avait pas cessé. Je pensais montrer le lac à mes amies, mais, au son d'un carillon ouaté et intermittent, nous nous sommes retrouvées devant une béante et énorme blancheur, un gouffre sans limites, vaguement phosphorescent, vaguement irisé. 
Je leur ai montré le musée de Pereslavl, et j'ai été une fois de plus ébahie par la beauté et la force spirituelle des icônes qui y sont exposées. Les icônes, dans mon jeune temps, m'ont convertie mieux que n'importe quel texte religieux. Ces icônes du XVI siècle ou plus anciennes, proviennent toutes d'églises de Pereslavl et de la campagne environnante, j'imagine que toute la Russie d'alors était peuplée d'images semblables, et de même que dès l'enfance, les gens étaient imprégnés de musique, de contes, de poésie et d'épopées, ils avaient dès l'enfance, de pareilles visions sous les yeux. On traite Ouspenski d'extrémiste, parfois, mais je voyais la preuve de ses thèses devant moi. Au XVII° siècle, déjà, seulement cent ans plus tard, sous l'influence occidentale introduite par les Ukrainiens, nous n'avons plus que des tableaux religieux anecdotiques et ornementés, au lieu de pures visions pleines de grâce qui nous ouvrent un autre monde, l'au-delà tout à coup très proche, et splendide, captivant. Je regardais une Mère de Dieu à la fois complètement disproportionnée et totalement harmonieuse et je voyais un autre univers où le corps transfiguré n'avait plus de limites et où la couleur devenait profonde, comme le temps qui s'ouvre sous la surface du présent. Le malheur est que même les icônes "canoniques" d'à présent n'ont ni cette force, ni cette transparence, ni cette présence, à part celle de père Grégoire, et de ce même Ouspenski.

Publication

 



Extrait: 

Lorsqu’elle fêta ses dix ans, son grand-père lui dit: « Tu vois, ma chérie, c’est fini maintenant, il y aura toujours deux chiffres à ton âge, jusqu’à ce que tu deviennes centenaire, si tu as de la chance... »

Lucile en fut si triste et terrorisée que, dans sa belle robe de fête en Liberty à volants de dentelles, elle s’enfuit dans la forêt en abandonnant tous ses cadeaux, le gâteau et les dix bougies. Etait-il possible que bientôt, elle devînt vraiment grande et stupide et laide, comme toutes ces adolescentes qu’elle voyait à la sortie du lycée, avec leurs coiffures ridicules, leur maquillage bariolé et leurs ricanements de chèvres? Qu’elle se mît à fréquenter le café du Commerce et à fumer des cigarettes? Puis à travailler et à faire ses courses, comme les mères de ses camarades d’école, le cheveu permanenté, les traits tirés, l’air morne, pareille à une espèce de poupée en plastique complètement défraîchie?

Perdue dans ses tristes pensées, elle suivait son sentier habituel, celui qui longeait la lisière des bois et ramenait le promeneur vers le village au bout de quelques centaines de mètres. Mais il semblait aujourd’hui n’avoir pas de fin, et la lumière déclinait quand la fillette s’avisa qu’elle se retrouvait, elle ne savait comment, devant la même assemblée de grands sapins où elle avait aperçu le mystérieux manoir.

Son coeur se glaça et elle se hâta en sens inverse. Mais la lune apparaissait déjà dans le ciel mauve qu’inexplicablement, elle n’avait toujours pas identifié son sentier familier et ses pas la ramenaient au même endroit, près du manoir.

Le coeur battant, elle grimpa dans un chêne pour essayer de se situer: la forêt s’étendait à perte de vue, comme si son village n’avait jamais existé ou se trouvait à des kilomètres et des kilomètres. L’étoile du berger, palpitante et vive, accompagnait à présent le croissant, dans les voiles assombris du soir, et une chouette s’éleva, grise et silencieuse.

Effarée, Lucile commençait à comprendre qu’elle n’avait d’autre choix que de passer la nuit sur son arbre ou d’aller se réfugier au manoir et ne savait, de ces deux possibilités, laquelle l’effrayait le plus.

Alors des rires d’enfants lui firent baisser les yeux: ils étaient là, au pied du chêne, le petit garçon et la petite fille, ils lui faisaient signe. « Je me suis perdue, leur dit-elle, au bord des larmes.

- Mais non, tu es chez nous, lui répondirent-ils, viens! »

Lucile se laissa tomber de la plus basse branche dans l’herbe épaisse. Il ne faisait pas noir, encore, mais les choses avaient perdu leurs couleurs, elles étaient toutes d’un bleu cendré, seules les limites du ciel reflétaient encore les feux du soleil disparu. Plus que jamais, les deux inconnus avaient l’air de fantômes. Mais leurs mains étaient douces et tièdes, une brise légère secouait leurs dentelles et, à travers le grave frémissement des frondaisons, s’élevaient les trilles enchantés d’un rossignol.

A la suite des enfants, Lucile s’enfonça dans le bois de sapins. Il y faisait tout à fait nuit, mais le manoir était vivement éclairé: toutes ses fenêtres brillaient d’un éclat doré où scintillaient d’innombrables flammèches, des lueurs dansaient sur sa façade et sur le chemin qui menait à la grille grande ouverte et débarrassée de ses ronces. Lucile entendait de la musique, des cris et des rires et voyait passer, entre les piliers noirs du portail, des tourbillons colorés d’étoffes virevoltantes et de joyeux visages enfantins. Cela ressemblait à un bal masqué.