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vendredi 24 novembre 2023

Enfin la neige

 


Enfin la neige.  Je dis "enfin la neige", parce que c’est plus gai, plus lumineux et plus vivifiant, quoiqu'à vrai dire, je verrais bien, en ce moment, chez nous, une aurore boréale pour faire plus festif. Mais d’un autre côté, c’est plus périlleux pour les vieilles qui ne tiennent plus bien sur leurs jambes. Mardi, je suis allée à la liturgie de la fête de l’Archange saint Michel et des milices célestes. Il y avait ensuite un office d’intercession dans la chapelle inférieure de l’église du saint métropolite Pierre de Moscou qui est consacrée à saint Michel. Nous avons demandé son aide pour réparer l’église. Un architecte important s’y intéresse. Il voudrait obtenir que la rue qui passe juste devant fût piétonne, car le trafic ébranle les murs. Cependant, on a construit un hôtel en face, d’après ce que j’ai compris en violation des lois, car tout le centre historique est protégé, mais les lois, n’est-ce pas... Je pense qu’une rue piétonne n’arrangera pas cet hôtel, et il faudra prévoir aussi un parking pour les autobus de touristes.

J’ai senti malgré tout un vent d’espoir. Cette très belle église du XVI° siècle  pourrait être sauvée. Et il ne serait pas mal d'aménager les abords de ces monuments, malheureusement, je crains le pire, à moins que l'architecte soit vraiment bon et ne parvienne à calmer les sectateurs, souvent d'ailleurs des sectatrices, du petit massif idiot, de l'allée rectiligne et des réverbères.

On a installé une iconostase, très simple, en bois, qui m’a beaucoup plu. Les icônes sont pour l’instant des reproductions photographiques. Malgré le froid, j'ai éprouvé de la joie à recevoir, de la part d'un père Vassili malicieux, une pluie d'eau bénite.

Le lendemain, je suis partie avec la voiture de la chaîne SPAS, pour Moscou, où je devais participer à une émission. Elle avait lieu dans la nouvelle église du monastère Sretenski, c'est un si bel endroit, l'ancienne église est ravissante, blanche, avec une coupole centrale dorée et des coupoles périphériques d'un vert émaillé. Elle est environnée d'un jardin plein de charme, avec des conifères de petite taille, des buissons de cierges devant des icônes extérieures, et tout cela sous la neige qui commençait, on aurait dit une carte de Noël. La grande église contemporaine est plus officielle, à l'intérieur, c'est très luxueux. Mais tout est fait assez joliment, avec des couleurs harmonieuses, un réfectoire accueillant, où l'on m'a nourrie à mon arrivée. Je devais rencontrer "par hasard" l'écrivain et journaliste ukrainien Ian Illitch Taxior, orthodoxe, monarchiste, arrêté par le SBU, mais libéré à l'occasion d'un échange de prisonniers, et maintenant réfugié à Moscou. Il dirige un programme pour SPAS, et m'a expliqué, dans la cour du monastère, qu'après avoir vu mon interview par la même chaine, il avait trouvé mes propos si profonds et si justes qu'il avait souhaité m'inviter, ce sont je suis extrêmement touchée. J'en étais même un peu intimidée, car il ne m'a pas posé toujours des questions faciles. Je devine que les réactions pourront être un peu mouvementées. Cela portait sur l'idée du père Basile que la Russie devenait l'arche du christianisme, la Russie serait-elle à la hauteur de cette mission? Quelles en étaient les conditions? J'ai répondu d'abord le repentir et la réconciliation nationale, et ensuite un soutien réel à la renaissance culturelle de la civilisation russe. Sur les racines de la russophobie, j'ai dit que cette russophobie était aujourd'hui artificiellement instrumentalisée et suscitée, mais que dans les siècles passés il y avait eu la solidarité catholique avec la Pologne, et puis aussi, l'esprit bourgeois s'étant développé en Europe aux dépens de la spiritualité médiévale en voie de disparition dès la Renaissance, une incompréhension profonde et une hostilité pour un pays qui avait gardé cette spiritualité et se présentait comme un reproche vivant, un énorme truc qui existait autrement, sans mettre les valeurs de réussite matérielle et de travail vertueux au premier plan, avec des habitants "excessifs" qui paraissaient aux besogneux occidentaux complètement fous. Déjà au XVI° siècle, des voyageurs étrangers s'indignaient qu'il n' y eût pas, dans les églises russes, de bancs et de chaises pour "rendre la piété plus agréable". Avant la parenthèse communiste, il n'y avait pratiquement pas d'esprit bourgeois en Russie. De plus, lui ai-je précisé, en ajoutant que je pouvais me tromper et que c'était là une impression personnelle, derrière les bolcheviques, il y avait des empires financiers qui s'attendaient à toucher un gros butin après 17, et Staline, quoiqu'on put penser de lui par ailleurs, leur avait claqué le rideau de fer au nez, permettant une russification progressive du communisme qui ne faisait l'affaire de personne. Puis au moment de la perestroïka, ces prédateurs ont commencé à se servir, mais d'une certaine manière, l'arrivée de Poutine au pouvoir a mis un frein à leur rapacité, d'où leur rancoeur. 

L'interview s'est déroulée dans le sanctuaire du premier étage, près du baptistère, avec des fresques et des mosaïques partout. Evidemment, j'avais oublié de prendre avec moi l'année 17 de mes chroniques qui intéresserait sûrement cet homme, mais je vais trouver moyen de la lui transmettre. 

Je n'ai pas profité de la voiture de SPAS pour rentrer parce que je voulais voir le père Valentin, Dany, et je devais rencontrer un autre journaliste ukrainien, Igor Drouz, mais ce sera pour la prochaine fois. J'ai réussi à rencontrer Dany dans un salon de thé soi-disant français, c'est une chaîne, il y en a dans tout Moscou, mais moi qui suis la critique gastronomique des pâtisseries, je dirais que c'est mou, crémeux et sucré mais qu'on n'y sent aucun goût par ailleurs. C'est meilleur chez Gilles. Bon, mais au moins nous avons pu bavarder en français, dans un silence d'église, les autres clients solitaires n'ayant personne à qui parler, on n'entendait que nous, et une jeune fille se marrait visiblement, peut-être qu'elle comprenait la langue de Molière. 

Puis j'ai vu la toujours jolie Alla, dans son appartement kitsch, et son adorable petite chienne Iana, avec laquelle Rita a même joué. J'habitais dans ce quartier autrefois, et pour venir du métro je mettais de dix à vingt minutes, maintenant, je mets une bonne demie heure, j'ai quinze ans de plus dans les pattes. Tout a tellement changé, c'est devenu chic, classe, avec des jeux pour enfants, des allées, des grilles, j'aimais mieux avant. Alla m'a raconté que pour "ennoblir", comme on dit ici, les cours, on avait arraché tout ce que les habitants avaient planté. Ils avaient, avec le temps, orné leur espace de flox et de pivoines, de clématites, les fonctionnaires de la mairie et leurs hordes d'ouvriers exotiques ont tout exterminé et replanté dans le style petit massif à la con que ce genre de personnages adore.

Je suis rentrée par l'autobus, que je n'avais pas pris depuis des années. On a entièrement refait la gare routière, et j'étais complètement perdue, mais je dois dire que tout le monde a été extrêmement serviable et gentil, depuis les flics qui vérifiaient mon sac jusqu'au chauffeur du bus en passant par la caissière. Ce qui m'ennuie, avec le bus, c'est de ne pas être indépendante, d'un autre côté, pas besoin de garer la voiture, et au lieu de conduire dans les intempéries, je dors.

Au retour, le taxi s'est extasié sur le blochaus des voisins, ah  oui, c'est gros, c'est neuf, ca en impose. Je lui ai dit que je préférais ma maison.

Je m’attends toujours à trouver Chocha dans mon bureau.

Par moments, il me semble qu’en fait, elle est là. Pas dans la terre gelée, derrière le thuya, où se trouve sa pauvre dépouille. Mais ici, avec moi, sa maîtresse, dans sa maison, peut-être même font-ils tous partie intégrante de notre âme à leur mort, et participent-ils ainsi à notre éternité future.

D’après ma traductrice Nina, le saint évêque Luc de Crimée a dit que les animaux allaient au paradis, où plus personne ne les tourmentait ni ne les exploitait. J’espère les retrouver et me faire pardonner de ne pas avoir été à la hauteur de leur attachement inconditionnel et de leur confiance.

Georgette, qui était supplantée par Chocha, que je privilégiais depuis qu'elle déclinait, prend toute la place, elle est tout le temps près de mon clavier, là où se tenait sa rivale aveugle et cacochyme. Après tout, c'est elle, maintenant la doyenne. Pour l'instant, elle est encore en pleine forme.




samedi 18 novembre 2023

Un peu de soleil

 


Toujours pas de neige, mais du soleil, un soleil pâle et transparent, au travers de brillantes guirlandes de nuages pour décorer des arbres de Noël célestes, et au réveil, du givre, sur ce qu'il restait encore de fleurs fanées et de verdure obstinée. Je n'ai pas pu m'empêcher de dégager mon seringat, qui dormira jusqu'au mois de mai, pour voir la dégaine qu'il avait, car il a beaucoup poussé, cet été, et l'année prochaine, il commencera à devenir joli. J'ai regardé la tombe de Chocha et son thuya. S'il subsiste quelque chose d'elle, c'est chez moi et en mon coeur, son petit corps se dissout dans le jardin, comme toutes choses qui y poussent et qui y meurent. Et tous mes chats qui, heureux de revoir la lumière, escaladaient le poirier où se poursuivaient sur la terrasse, finiront de la même manière, rangés dans ce microcosme, avant que je ne disparaisse moi-même, du moins je l'espère.

 Les mésanges s'intéressent beaucoup à moi, elles viennent me regarder par la fenêtre.

Ma présentation de livres s'est bien passée, mais j'ai mis cinq heures à faire le trajet. La voiture de Katia n'a pas voulu démarrer, c'est donc moi qui ai fait le chauffeur dans la mienne. Deux heures de bouchon sur le koltso avant de pouvoir entrer au monastère Donskoï, affamées, et aucun temps pour se remettre, pour laisser aussi ma vielle s'adapter, je l'ai accordée comme j'ai pu, mais elle n'était pas tellement au top, elle est climatodépendante, elle aussi. 

Tous les livres que j'avais apportés sont partis, mais c'est surtout parce qu'une amie businesswoman a raflé tout ce qu'elle pouvait pour ses cadeaux d'entreprise. Cependant, les gens présents se sont sincèrement interessés, avec bienveillance et émotion. Je n'ai vu aucun ami, à part mon futur élève Dima, la mère de Katia Lioudmila, c'étaient tous des inconnus. Pour les amis, il reste la présentation chez Iouri. 

J'étais et je suis encore si fatiguée, parce que la mort de Chocha m'a terriblement secouée, j'ai mal dormi toute la semaine. Je commence juste à revenir à moi, à retrouver mon calme.

J'ai dit au père Valentin que je faisais une dépression saisonnière. "Oui, moi aussi, me répond-il, je commence à me sentir mieux quand je vois arriver Noël, parce qu'après nous basculons de l'autre côté, celui des jours qui grandissent."

C'est exactement ce que je ressens. Quand vient d'abord la neige qui éclaire tout, puis les illuminations festives, les guirlandes, les bougies, les lanternes, les boules, les sapins décorés, tout ce qui est profané et saccagé en France au nom de toutes sortes de conneries viles, stupides et méchantes qui nous font de plus en plus ressembler à l'Ukraine, défigurée par les USA et ses séides.

Il m'a dit que "de l'autre côté", tout nous apparaîtrait dans une perspective bien différente. J'ai eu une pensée pour une amie catho qui s'était écriée devant moi en joignant les mains: "Il nous reste à connaître la mort, c'est passionnant, la mort!"

Il m'a montré trois livres de Céline récemment traduits en russe. Il trouve qu'il ressemble à Varlam Chalamov, de visage et de tempérament.

Le fils d'une amie russe a voulu partir au front bien qu'il ne fût pas mobilisable, pour raisons de santé. Ce jeune homme est une grande plante sensible, un poète, un mystique, avec une chevelure bouclée, sa mère était dans les transes, mais c'était pour lui une question de respect de soi. Il vient d'être démobilisé, la boule à zéro, après deux pneumonies très graves. Il a un air paisible, assuré, il est devenu viril. On ne l'envoyait pas directement se battre, il s'occupait de l'intendance et de l'aide aux blessés. Les autres soldats l'appelaient le samouraï. 

En rentrant, j'ai trouvé chez une amie russe la nouvelle que le petit-fils de De Gaulle voulait obtenir la nationalité russe, ce qui m'a fait un drôle d'effet. Mais tous les échos qui me viennent de France semblent démontrer que les indigènes franchouillards, catholiques ou apostats, n'y sont plus chez eux. 

lundi 13 novembre 2023

L'écho d'un coeur absent.

 

Psychopompe

 

 

Lasse d’attendre et d’espérer

J’espère en Dieu.

Michel archange au ciel arqué

Ailes de feu, glaive dressé,

De nous auras-tu donc pitié,

Quand  nous viendrons à trépasser ?

Parmi les astres écumeux

Sur nous poseras-tu les yeux

Quand nous menant auprès de Dieu

Tu nous découvriras les cieux ?

 

Nous n’avons pas su, de nos ans,

Tirer de l’or et de l’argent,

Nous avons tout dilapidé,

Nous voici vieux et fatigués

Il n’est plus temps.

 

Bel Archange prend donc pitié

De nous et puis de nos parents.

Conduis-nous comme des enfants,

Avec eux dans l’éternité,

Dans les grands champs illuminés

D’après le temps.

 

D’après le temps qui a passé

Sur nous, sans qu’au fond de nos cœurs,

S’éteigne le reflet sacré,

Sous le vent sombre des malheurs.

 

Un peu de vie dans la poussière

Qui fleurira dans la lumière,

Si Dieu le veut et nous reçoit

Aux champs dorés de l’au-delà.





dimanche 12 novembre 2023

Au petit matin

 


Pour Chocha ma décision d'hier n'a pas dû changer grand chose mais pour moi, ce n'était certainement pas la meilleure, elle commençait à s'étouffer, à ne pouvoir ni uriner ni manger, mais cela aurait peut-être pu attendre encore un peu et c’est comme si j’avais interrompu trop tôt quelque chose de mystérieux qui se passait entre nous.

Le père Antoni, à qui je me suis confiée, m’a écrit que pas du tout, que j’avais bien accompagné ma petite chatte.

C’est drôle, elle passait derrière Picasso, de son vivant, et  même derrière Georgette, qui avaient tendance à prendre toute la place. Ce qui me compliquait les relations, c’est qu’elle n’aimait pas qu’on la prît dans les bras ou sur les genoux. Mais pendant ces mois où elle a décliné et où je l’ai parfois engueulée tellement j’en avais assez d’éponger des pisses, j’ai développé avec elle ces liens particuliers dont elle avait toujours rêvé, et c’est cela que j’ai cherché à prolonger et non sa pauvre vie qui ne battait plus que pour moi. C’est pour cette raison que je n’allais pas chez le vétérinaire, et puis hier, j’ai paniqué. Peut-être au fond, parce qu’il était temps, que cela allait devenir affreux... mais j’ai un doute et j’aurais voulu ne pas en avoir. 

Je n’ai pas dormi de la nuit. Dès qu'il a fait jour, un jour gris, triste, froid et pluvieux, j’ai pris le panier rose de Chocha. Moustachon, qui était dehors, est venu le renifler, il était intrigué, je pense qu’il a reconnu son odeur et se demandait ce qu’il se passait. C’est un chat très intelligent, et débonnaire, bien qu’impudent. Ma pauvre princesse était raide, mais comme je l'avais gardée à l'intérieur, elle n'était pas froide, roulée en boule dans mon tee-shirt rose, je l’ai tenue longtemps contre mon coeur, et j’avais l’impression que quelque chose d’elle rayonnait directement dans ma poitrine, au son des gouttes de pluie et des petites notes clairsemées des mésanges. Je lui ai dit que je l’emmenais dans mon coeur, que son corps était dans le jardin et sa petite âme avec moi. J’ai posé deux grosses pierres sur sa tombe, il est difficile d’en trouver, ici, mais les anciens propriétaires avaient dû en apporter de Mourmansk. La neige ne va pas tarder à recouvrir tout cela. Et le temps...


Je m’en vais droit devant moi,

La pluie tombe sur mes pas.

Qu’il fait gris dans le grand nord

Qui sera mon dernier port...

 

Qu’il fait gris dans le grand âge,

Où le soleil ne luit plus

Sur tous les enfants perdus,

Dans les bois des ans sauvages...

 

Qu’il est lointain le jardin

Du printemps bref et doré,

Sa douceur et sa clarté,

Et ses rêves toujours vains.

 

C’est demain que je t’enterre,

Ma petite amie fidèle,

Que t’emporte à tire d’aile,

L’ange gardien qui m’éclaire.

 

Au grand jardin bleu des cieux

Où s’en vont fleurir les coeurs

Qui versèrent trop de pleurs,

Attends-moi près du bon Dieu.


Adieu, ma princesse...

 

Chocha dans le Gard

Heureusement que je ne suis pas allée à Rybinsk, Chocha était aujourd’hui  plus mal, et j’ai tardé à l’emmener chez le vétérinaire, car elle s’était finalement endormie dans son panier et je n’avais pas le coeur de l’arracher à son nid bien chaud. Tout commençait chez elle à se bloquer et à se dégrader, j’ai vu qu’entre deux sommes et deux câlins, elle rôdait et pleurait et n’arrivait pas à faire ses besoins.

Comme il va bientôt commencer à geler, je suis allée creuser un trou, entre le plus jeune thuya et la palissade, afin qu’elle puisse y reposer tranquille, et que cet arbre devienne le sien, l’ornement et le gardien de sa petite tombe.

J’ai déjà enterré plusieurs animaux, y compris mon cher Jules et mon cher Doggie, mais cette fois, j’ai beaucoup de mal, encore plus de mal. Curieusement, de faire ce trou m’a apaisée. Je ne la ferai pas incinérer, on me balancerait les cendres à la poubelle. Je serai plus tranquille de la savoir ici, dans mon jardin, où elle faisait la sieste, près de moi.

Je m’étais préparée à communier, mais au moment de partir à l’église, j’ai eu peur de la laisser. Je pense que l’on sent quand les choses deviennent sérieuses, c’est peut-être ce qui m’a retenue de partir à Rybinsk.

Ania est passée et m’a dit qu’il valait mieux aller chez le vétérinaire, elle m’a proposé de m’accompagner et il est arrivé ce que je prévoyais. Les bonnes femmes m’ont dit qu’elle n’allait pas durer longtemps, et dépérir de  faim, et s’empoisonner avec son urée, je me suis décidée pour l’euthanasie, mais j’ai un tel chagrin que je ne peux retrouver mon calme, je pleure et sanglote éperdument. Je la caressais, et elle miaulait plaintivement sur la table de la clinique, la seconde d’après, elle n’était plus , mes paroles et mes caresses ne l’atteignaient plus. Je n’ai pas pu me résoudre à la laisser dans le coffre de la voiture, je l’ai ramenée ici, à la maison, y passer sa dernière nuit. Je me dis par instants que j’aurais dû tenir plus longtemps, mais en même temps, pourquoi faire ? Elle aurait décliné encore plus, elle aurait souffert, elle ne pouvait pas guérir, à son âge avancé, ni reprendre une vie normale, c’était la fin. Alors tenir pourquoi et pour qui ? Pour elle ou pour moi ?

Jusqu’à présent, jusqu’à aujourd’hui, où j’ai vu qu’elle avait du mal à uriner, et qu’elle ne mangeait plus du tout, j’ai tenu pour lui dire adieu et la laisser me dire adieu, pour échanger avec elle, pour la privilégier, même si je l’ai parfois rabrouée, je l’ai quand même aussi beaucoup caressée, je lui ai beaucoup parlé. J’espère lui avoir donné ce qu’il fallait, j’espère qu’elle restera près de moi, dans mon coeur, j’espère que je les retrouverai tous d’une manière ou d’une autre, et que mon peu d’amour sera transfiguré par l’amour divin, et que nous en serons tous comblés. Tous…



Il pleut, il fait froid, gris et sombre. Chocha a passé dix-sept ans avec moi. Dix-sept-ans… Quand je l'ai recueillie, j'étais encore jeune, je travaillais encore au lycée français. Je l'ai emmenée avec moi en France, je l'ai ramenée en Russie, et je priais pour qu'elle mourût avant moi, eh bien voilà, c'est fait.

Je l'avais adoptée en 2006 parce qu'elle chassait les rats et que j'en avais dans mon appartement à Moscou. Elle était tolérée dans la cage d'escalier de l'immeuble où elle s'était réfugiée, en raison de son aptitude à débarrasser l'immeuble de ces rongeurs. Elle avait déjà eu une portée de chatons, puis des bénévoles l'ont fait stériliser et l'ont sortie de sa cage d'escalier, l'immeuble étant déserté et menacé de démolition. 

Effectivement, elle m'a tout de suite attrapé un rat, et fait fuir les autres. Mais mon vieux chat Picasso, que j'avais également recueilli depuis assez peu de temps lui-même, et qui ne chassait pas, a commencé à lui faire la vie impossible. Elle essayait de l'amadouer, mais cette carne ne voulait rien savoir. Un jour, je l'ai trouvée serrée contre la vitre, prête à s'enfuir à la première occasion, avec une expression complètement désespérée, et je l'ai prise dans mes bras pour la consoler. Picasso s'est ensuite résigné, sans jamais l'aimer, elle aurait pu, après sa mort, rester seule auprès de moi, mais j'ai recueilli Georgette, dont Chocha était très jalouse et réciproquement.  A un trop bref moment, quand elles étaient toutes les deux seules avec moi, elles arrivaient presque à s'entendre. Mais après est venu Rom... Puis le retour en Russie, et les intrus arrivés depuis. Cependant, elle avait sa place sur mon lit, jusqu'au moment où elle n'a plus pu y grimper, et où je lui ai installé son coussin sur mon bureau, pour que dans la journée, elle fût près de moi, et si elle n'y arrivait pas bien, je la soulevais. Pendant ces quelques mois où elle a décliné, nous avons été plus proches qu'à aucun moment de sa vie, et même si parfois, elle m'horripilait par sa  demande affective incessante, je tenais bon, il me semblait qu'il était très important de lui donner ma présence continuelle avant son départ. Et maintenant, je me sens vidée, amputée de ma princesse russe, qui fut si jolie et qui m'aima si passionnément.. 

Sur ma terrasse, à Cavillargues

à la datcha


 












jeudi 9 novembre 2023

Les cornes

 


Des forces de police armées de mitraillettes sont venues intimider le métropolite Longin, dans son monastère, et enrôler les moines de force dans l'armée ukrainienne. Les orphelins du métropolite, dont on ne sait ce qu'ils vont devenir, sont sortis avec les paroissiens, pour résister. Le métropolite Longin est un saint homme qui a sauvé des centaines d'enfants. Voici son message:"On a attaqué le monastère de Bantchenski. Des centaines de soldats avec des mitraillettes, des collaborateurs du SBU nous sont tombés dessus, comme sur des bandits, ont épouvanté tous les enfants, ont encerclé tout ce que nous avons. Ce gouvernement ne se soucie ni de nous, ni des enfants. Mes enfants sont sur le front, j'en ai dix là bas, dont quatre invalides. 

Que le monde entier sache ce que nous souffrons, combien il est difficile de vivre dans cet état. Nous n'avons aucun droit, la constitution ne nous défend pas, la loi ne nous défend pas. De quoi ce peuple est-il coupable? Pourquoi n'avons-nous pas le droit de vivre dans ce pays? C'est le nôtre. Je demande à tous de revenir à la raison."

Il a aussi demandé aux croyants de toute l'Ukraine d'arrêter ceux qui essayeront de confisquer les objets saints. 

"Nous avons servi cet état, mais on ne sait pourquoi, nous n'avons pas le droit de croire en Dieu et de prier dans notre Eglise. (...) C'était terrible, quand ils sont venus avec des mitraillettes au monastère. C'est contre Dieu qu'ils sont venus avec des mitraillettes, et pas contre moi. Arrêtez ces gens, car l'Eglise est nôtre, Dieu est nôtre. J'ai besoin d'aide maintenant."

Mais non, n'est-ce pas, c'est "l'Eglise de Moscou, l'Eglise soviétique". Bien fait pour le métropolite Longin, et ses enfants. Et pour tous les autres. On peut leur faire les cornes. Avec les démons.





Митрополит Лонгин о визите СБУ: Они к Богу с автоматами пришли, не ко мне - Новости - новости Православия - Союз православных журналистов (spzh.news)

«Позор вам!»: в Банченах тысячи прихожан оттеснили силовиков от монастыря - Новости - новости Православия - Союз православных журналистов (spzh.news)

mercredi 8 novembre 2023

La lumière

 


Je voulais montrer à Valérie le plateau large et magnifique qui domine la "colline d'Alexandre" et le lac. Un endroit qui donnait envie d'ouvrir ses ailes et de planer. J'en avais fait de belles photos en 17, quand le cosaque Boris me l'avait fait découvrir. Beaucoup de mes amis aimaient à aller y contempler le coucher de soleil. Mais nous n'avons pas pu passer, parce que des sauvages y construisent une zone pavillonnaire. Terminé. Le site est absolument fichu. Ce qui donnera prétexte à continuer joyeusement le saccage.

Je me souviens que le peintre Alexandre Pesterev m'avait dit, à Ferapontovo: "Ils détruiront tout." Oui, nous avons, en "éteignant au ciel des étoiles qui ne se rallumeront jamais", lâché des démons insatiables. Je n'ai plus les forces de partir plus loin, et continuerai donc, cernée par les barbares, à conserver mon microcosme fleuri, naturel et poétique, mon refuge pour les papillons, les mésanges, les couleuvres, les hérissons. 

Pour nous consoler de cet affreux spectacle, nous avons suivi le circuit nature des bords du lac, qui reste inviolé mais payant, où l'on peut contempler une nature russe digne des illustrations de Bilibine, et du prince Alexandre, qui allait méditer à l'endroit que les cupides et les stupides, comme toujours dans le merveilleux nouveau monde, se sont alliés pour massacrer. Il y faisait frais, gris et venteux, l'eau prenait des teintes verdâtres austères et transparentes. Pauvre lac, pauvre ville, pauvre nature, pauvre Russie, pauvre de nous tous.

Petite déprime saisonnière, tout me paraît insurmontable. De plus l’interminable déclin de ma vieille chatte Chocha est difficile à vivre. Elle est très dépendante de moi, elle pisse partout dans la maison, quémande sans cesse mon affection, se frotte contre moi quand je travaille d’une façon obsessionnelle et j’en suis parfois complètement horripilée. En même temps, je ressens cette épreuve comme une façon de racheter mes défaillances avec maman, ma négligence avec mon petit chien Doggie, toutes mes trahisons à l’égard de ces êtres qui m’aimaient avec la confiance la plus totale.

Normalement, je devais aller à un concert à Rybinsk avec Katia, mais avec la chatte et ma chienne Rita, c'est un peu compliqué. J’adore le groupe qui se produit, Ottava Io, mais je me demande si je ne préfère pas désormais écouter tout cela tranquille chez moi. Je n’ai pas envie de faire de la marche à pieds dans Rybinsk, par un temps pluvieux, de passer plusieurs heures dans le bruit et une ambiance survoltée. J’ai sans doute surestimé mes forces.  Il me faudra laisser Rita dans la voiture. Et puis il me faudra aussi  laisser Chocha trois jours, et cela m’angoisse, d’autant plus que la semaine suivante, je fais une présentation de livres à Moscou. J’avais pensé, par la même occasion, faire le dimanche suivant la même chose chez Iouri et Dany, mais cela me ferait rester quatre jours là bas, avec cette chatte mourante qui n’arrive plus à rejoindre son coussin sans mon aide, mange peu et souvent, je ne voudrais surtout pas la retrouver morte dans la solitude, à mon retour. 

Il fait un temps anormalement doux, et naturellement pluvieux, bien qu’il y ait des éclaircies, et un pâle soleil, dont je profite autant que je peux.

Avec Katia et son amie Elena, nous avons discuté de la folie qui s’empare du monde et de l’étrange calme dont nous jouissons ici, au milieu de cette tourmente générale. Slobodan Despot et ses collaborateurs continuent à faire la tableau clinique de l’Occident hystérique que le reste des nations regarde avec une appréhension grandissante. Il dit que, contrairement à ce que lui dicte sa paranoïa, personne autour de lui ne souhaite la chute de « l’occident collectif », car elle aura des répercussions sur tous ses voisins.

En France, les gens commencent à réaliser que leur pays dissous dans l’UE est une colonie anglo-sioniste où ceux-là même qui hurlaient à la shoah pour nous sidérer depuis des décennies, sont prêts à exterminer les Palestiniens jusqu’au dernier, comme l’ont fait des indiens leur alter ego protestant américain. On a beau avoir été dressé à avaler des couleuvres, elles prennent ces temps-ci des dimensions de boa constrictor. Les Français regardent des sionistes éructer à longueur d’antenne, vouer leurs ennemis, ou plus généralement leurs contradicteurs, aux gémonies, et réalisent que ces gens constituent, en fin de compte, un état dans l’état, que leurs intérêts sont différents des leurs et priment sur eux, cela les rend nerveux, et du coup, les colons peuvent dénoncer l’antisémitisme à grands cris, car s’ils ne nous aiment pas beaucoup, c’est clair, nous, nous sommes censés les aimer, les servir, et mourir pour eux, et la moindre critique d’un membre de la communauté, qu’il soit ou non pourri, mafieux et sanguinaire, implique, dans leur narratif, un futur holocauste.

Katia et son amie psychologue observent la même chose ici, toutes proportions gardées, des intellectuels et journalistes juifs russes, jusque là calmes et de bonne compagnie, qui se mettent à éructer et à appeler au massacre. Naturellement, ce n’est pas chez la communauté en question une attitude monolithique, tout le monde n’est pas sioniste chez les juifs, certains juifs se sentent même avant tout français, russes ou même éventuellement soviétiques. Ce qui me désole, c’est la naïveté des Français qui se solidarisent, par crainte du grand remplacement, avec ceux qui se sont si volontiers proposé de le favoriser chez nous, et qui le mettent en oeuvre dans leur Terre promise en éliminant le peuple qui y vivait avant leur venue. Un tel propose que nous mettions tous une kippa par solidarité, les a-t-on vus porter la croix quand on a égorgé des prêtres ou brûlé des églises ? Tel autre envisage de vitrifier la Palestine avec une bombe atomique, et devant l’effet produit, même sur les plus serviles, parle de « métaphore ». Pardonnerait-on à Poutine de telles « métaphores », s’il se les permettait lui-même ?




.J'ai raccompagné Valérie à Serguiev Possad, chez la matouchka Alexandra. Nous sommes allées voir la magnifique exposition du peintre Constantin Soutiaguine, au musée local. Nous y avons été tellement bien accueillies par le personnel: d'abord, c'était gratuit pour les vieux, et puis, découvrant que nous étions françaises, c'est tout juste si l'on ne nous a pas déployé le tapis rouge. Partout, ensuite, à la Laure, dans les magasins, c'était l'enthousiasme francophile, malgré Macron et tous les idiots hystériques des médias fançais.

J'avais déjà vu les tableaux de Kostia consacrés à la Bible et l'Evangile, mais il y en avait quelques uns de nouveaux, de merveilleux rois mages à cheval, guidés par une extraordinaire étoile de Noël palpitante dans un air que l'on devinait frais et qui semblait pétiller de lumière. Kostia, qui est fondamentalement bon, simple, joyeux et bienveillant, met de la lumière, une lumière spirituelle, inspirée, dans tout ce qu'il regarde et peint, son appartement, communautaire, la fenêtre neigeuse, le bouquet de lilas sur la table, auquel fait écho un lointain lilas dans la rue, et je songeais qu'il fallait juste faire pareil, envers et contre tout, dans notre monde apocalyptique.

La salle suivante était consacrée aux oeuvres des élèves iconographes de la Laure, mais si tout cela était bien doré et bien peint, je n'y sentais pas la lumière de Kostia, qui n'est pas iconographe, je n'y sentais à vrai dire pas grand chose, je préfère carrément les icônes naïves, celles que j'ai dans ma cuisine, par exemple. Quand je pense à l'effet que produit sur moi n'importe quelle icône du musée de Pereslavl, pourvu qu'elle soit du XVI° siècle maximum, parce que dès qu'on passe au XVII°, c'est fini, tout devient opaque. Et alors le XVIII°... Mais dans toute l'Europe, c'est le début de la fin, et justement les Romanov ont décidé à ce moment-là d'accrocher leur wagon à ce mauvais train.

Constantin Soutiaguine, les trois Anges à la table d'Abraham

Constantin Soutiaguine, les lilas


 La mère Alexandra me demande comment ça va, et m'interrompt: "Dis-moi plutôt: ca va comme en novembre. Comment peut-on aller, en novembre?"

Et lorsque je lui parlais de mes diverses douleurs: "J'ai la solution, tu ouvres ton passeport et tu regardes ta date de naissance. Eh bien voilà, tout est clair, pas besoin de médecin!"