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mercredi 13 mars 2024

Un petit tour en France -3- Pierrelatte

 


Je suis allée directement à Pierrelatte, dans un gros restaurant de style Western, fait de rondins énormes, où j'ai retrouvé ma cousine d'Annonay, et ma soeur. La cousine nous avait apporté une pogne au sucre. Un seul pâtissier en fait encore et connaît la recette. Celles des pantins glacés de sucre rose et ornés de perles brillantes est définitivement perdue.

Notre cousine Dany veille à Annonay les tombes familiales. Elle s'est toujours sacrifiée pour tout le monde et elle continue, dans un esprit chrétien qui conduira direct au ciel, sur une compagnie de séraphins, son âme délicate. C'était le seul jour où elle pouvait nous voir, ce qui écourtait le moment où j'aurais pu faire d'autres visites à Cavillargues. Mais elle le méritait bien.

Ensuite, nous avons rencontré des membres de la famille de mon beau-père. Ses contemporains sont tous morts, restent les nôtres. Agnès, avec qui je jouais enfant à la ferme, m'avait apportée, pour me les offrir, de vieilles photos, et des crayons Charrier, cadeaux publicitaires de sa tante Simone, quand elle était visiteuse médicale, dans les années soixante, nous avons dépiauté autrefois des dizaines de ces crayons, faits de bandelettes de papier imprimé Charrier en bleu et blanc, et cela fait bien au moins cinquante ans que je n'en avais plus revu. Et puis aussi une praluline, une brioche aux pralines que cette même Simone nous rapportait rituellement de ses tournées à la même époque. Elle était avec son mari Jean-Noël, ils sont tous deux catholiques, comme ma cousine Dany. Et avec sa soeur aînée, la charmante Geneviève, que mon beau-père surnommait Mimosa, un surnom qui lui est resté jusqu'à ce jour. Nous avons parlé de la ferme, la Surelle, de ceux qui y habitaient, de nos disparus, et j'étais profondément émue. Et puis des descendants des uns et des autres. Tout ça, comme au bon vieux temps, sur la terrasse, au soleil, autour d'un apéritif consistant.

Comme j'avais oublié une bouture de bégonia donnée par mon amie Elizabeth chez les Belges, ils ont offert de me l'apporter sur place et de visiter au passage le musée d'Art Sacré de Pont-Saint-Esprit, qui vaut vraiment le détour. Je leur ai donné rendez-vous dans un salon de thé de Pierrelatte, parce que c'est une endroit ancien qui correspond à notre goût des choses qui ont de l'âme. Le lieu est organisé autour d'une cour intérieure avec des jarres de plantes, il est bourré de diverses antiquités et de vieilles dentelles. Nicolas était satisfait de sa visite du musée, malgré l'esprit antireligieux stupide dans lequel il a été conçu, parce que la maison d'époque romane, avec ses merveilleux plafonds peints, est admirable, et les collections très émouvantes; il s'agit de tout ce dont les paroisses se débarrassaient allègrement dans les années soixante, après Vatican II, pour mieux ressembler à des temples protestants ou à des clubs de bienfaisance. On y voit énormément de reliques, mais aussi des objets de piété populaire, des croix de mariniers, des santons, des saintes Vierges et des petits Jésus de cire sous des globes de verre, des boites vitrées où les Carmélites représentaient, à l'intention de leurs parents, la cellule où elles vivaient, avec une petite poupée habillée en moniale. Nous avons évoqué les musées de l'athéisme soviétique, où des reliques de saints russes ont trouvé asile jusqu'à la Perestroïka. Puis, en parlant de reliques, Nicolas m'a expliqué qu'il avait voulu honorer celles de je ne sais plus quel saint des premiers siècles, dans la région, et que la dame qui lui en avait donné l'accès avait déclaré: "Je suis la dernière catholique du village". Puis, en l'honneur des hôtes belges, elle était allée sonner les cloches au dessus de cette agglomération dont elle était l'ultime lueur. J'ai trouvé l'histoire terriblement triste. 

Il m'a dit aussi que la belle ville d'Uzès périclitait, et que ses abords, jusque là miraculeusement préservés, commençaient à se couvrir de constructions moches. Cela m'a fait penser au peintre Alexandre Pesterev, qui m'avait dit à Ferapontovo: "Laurence, ils détruiront tout. Tôt ou tard, ils détruiront tout." Nicolas a chez lui un beau pastel d'un paysage de guarrigue, il m'a dit que l'héritier de l'artiste en avait des centaines, et que d'une part, ils représentaient des paysages à présent disparus et que d'autre part, ils n'avaient aucune valeur marchande, car le paysage était totalement déprécié au pays des snobs et des esprits forts. "Je me suis beaucoup occupé d'écologie, ce qui nous arrive s'appelle le mitage. Au départ, tu as devant chez toi un beau paysage équilibré, et puis, le voisin massacre une haie, et tu regardes de l'autre côté, où c'est encore très joli, puis on t'y plante un pylône, il ne te reste qu'à regarder droit devant toi, jusqu'au moment où l'on y édifie un supermarché. Nous devons apprendre à nous réjouir de ce qu'il nous reste, de chaque petite beauté qu'il nous reste." De fait, quand j'ai visité la Russie les premières fois, c'était ce que faisaient les intellectuels soviétiques, en extase devant l'église ou la maison de bois qui subsistaient, oubliées au sein d'un chaos de barres de béton. Et c'est ce que je fais à Pereslavl saccagé, où d'un côté on m'a construit un monstre, où l'on défigure en face, et où, dissimulant les disgrâces derrière des buissons, je contemple ce qu'il reste de regardable. Il n'y a rien d'autre à faire. Mais qu'est-ce que c'est que cette civilisation qui nous a transformés en gnomes destructeurs de toute l'harmonie léguée par nos ancêtres? 

Après cette entrevue, j'ai préparé mon retour et mon escale à Marseille, et avant de partir, je suis allée me promener, comme autrefois, dans la plaine. Le mistral avait cédé la place au vent du midi, plus chaud, mais tout aussi violent, et beaucoup plus sombre. J'ai toujours aimé le vent, j'ai grandi avec lui, et je regardais filer les nuages, les vols de cigognes, j'écoutais vibrer les fils électriques, rugir les peupliers qui font un bruit de torrent, je respirais l'odeur des cyprès et des premières floraisons. Question mitage, la plaine est un bel exemple; elle est tout ce qu'il y a de plus mitée. Mais je retrouvais ces sons, ces parfums, ces couleurs, ces formes des endroits familiers. "Te voilà béante de nostalgie, me disais-je, mais quand tu te promenais autrefois, et même encore quand tu t'occupais de maman, lorsqu'elle était malade, tu périssais d'ennui et ne songeais qu'à partir, au fil du vent, derrière les cigognes." Et en effet...


  Cigognes

 

Il nous vient du midi un vent couleur de mer,

Et les voici planant, en leur vol héroïque,

Les cigognes parties des rivages d’Afrique,

Poursuivant au ciel bleu les armées de l’hiver.

 

Hautes voyageuses, que ne me prenez-vous

Sur vos ailes pressées vers les plaines lointaines

Que couvre encore la neige alentour de Moscou,

Où vont tous les élans de ma vieille âme en peine.

 

Loin de toi, ma Russie, me voici prisonnière

De la banalité de tous ces jours français,

Pareille à ces poissons qu’on retire des rivières,

Pareille à ces oiseaux piégés dans les forêts,


A tout ce qui vivant dans les airs et les eaux,

Perdra tout aussitôt qu’on l’aura mis en cage,

Les couleurs de l’écaille et l’éclat du plumage.

 

Et d’un jour repartir aurai-je le courage,

De m’en aller au nord pour l’ultime voyage,

Vers ce qui me sera le chemin du tombeau ?

(les Vents et les envols)

 

je n'avais pas vu de pâquerettes depuis des années

chez ma soeur


promeneurs



mardi 12 mars 2024

Un petit tour en France-2- Solan



 Le samedi, je suis partie pour le Gard. De Pierrelatte à Bagnols-sur-Cèze, c'est une suite ininterrompue de zones pavillonaires et de centres commerciaux ou de zones industrielles. Après Bagnols, on commence à voir des arbres fruitiers et des collines boisées. Mais Cavillargues lui-même est cerné par les pavillons, cela n'est d'ailleurs pas récent, mais cela me sautait davantage aux yeux. Je suis allée directement aux vêpres au monastère, car je n'étais pas sûre de trouver chez eux mes amis hollandais chez qui je devais séjourner. J'ai revu cette jolie route, avec un très beau mas à mi chemin, elle était encore hivernale et sévère, avec quelques floraisons d'amandiers et de pruniers, fragiles et diaphanes. A l'entrée du monastère, cela sentait les néfliers, j'avais oublié cette odeur. J'avais même un peu oublié l'extraodinaire élévation spirituelle des offices dans la très belle église, leur ferveur, leur noblesse, et le bonheur de comprendre tout ce qui se chantait. Le lendemain, c'était le dimanche du publicain et du pharisien. Le père Théotokis a fait un sermon superbe, lorsqu'il officie, il semble qu'il ne touche plus terre. Sa voix plane comme un ange joyeux. Il nous a dit que le pharisien avait un tel ego qu'il ne laissait plus aucune place à Dieu en lui-même, qu'il considérait Dieu comme l'agent de sa propre perfection. "Le péché, expliquait-il, ce n'est pas un vice honteux ou des pratiques méchantes, qui en sont les conséquences, c'est la séparation, la séparation d'avec les autres, d'avec les animaux et la nature, avec le cosmos, avec Dieu qui en est la Source. Nous commençons à nuire à tout le monde quand nous sommes séparés les uns des autres, séparés de Dieu et de tout ce qui vit. Le publicain a une vie tout à fait déshonorante, mais il en est conscient, il est conscient que Dieu seul peut le sortir de son bourbier, alors que le pharisien se croit parfait. Apprenons à être au moins de bons pécheurs, la prière ne peut souvent plus entrer en nous que par le chemin des égoûts de nous-mêmes".

Les paroissiens du monastère m'ont accueillie par de grandes exclamations: "Les Russes t'ont laissée sortir!" Bah oui... Je ne suis pas encore au GOULAG. Photinia, qui était une ermite complètement détachée du monde, se retrouve en première ligne du combat anti covicircus, antivax, complotiste, et ne jouit pas toujours d'une grande compréhension. Je n'en croyais pas mes yeux, quand j'ai vu sa voiture couverte de slogans. Elle est infirmière en EPHAD et subit toutes les persécutions qui frappent les soignants récalcitrants depuis le début de l'affaire. "Ces gens n'ont pas d'âme, me dit-elle, et il ne faut pas exclure de finir sa vie en prison, ou pire, comme les saints martyrs de Russie."





Mes hôtes hollandais ne travaillant plus, ils ne sont pas confrontés au problème, et par principe, ils n'ont aucun moyen d'information, nous avons parlé de la Russie. Cécile rêvait d'aller avec moi au café du Commerce, car elle n'ose pas le faire seule. Mais je n'ai pas pu, car j'ai accompagné son mari chez le garagiste, et après, je n'ai eu que le temps d'aller chez mes amis italiens. Ceux-ci m'ont parlé principalement du projet de village près de Solan, sur un terrain qui reviendra au monastère, et où vivront des familles jeunes et en forme, et les vieux ou les handicapés de la paroisse, qui n'auront ainsi pas le malheur de finir aux EPAHD, piqués au rivotril, dans l'incapacité de voir leurs proches et d'aller aux offices. C'est bien, par les temps qui courent, il faut se serrer les coudes, c'est aussi une forme de résistance.

Après, j'ai réussi à voir une encore jolie dame de ma génération, écolo hippie d'autrefois, qui a eu la chance de trouver un pavillon provençal de base, pas trop loin du monastère, et ce pavillon a un avantage inattendu, un morceau de nature vierge juste derrière. Le jardin, avec petits massifs et gros mimosa, les anciens propriétaires l'ont fait devant, et elle le conserve et l'aménage, mais elle a encore quatre cents mètres carrés derrière de végétation originelle, c'est comme un petit miracle. Les choses ont failli se gâter quand, oubliant où je me trouvais, j'ai parlé de la guerre, car cette amie est une fervente militante bleue et jaune, je l'ai vu au reflet à la fois sauvage et égaré qui est passé dans ses yeux, et j'ai détourné la conversation sur les plantes, les fleurs et les infusions thérapeutiques. 

Ensuite, je suis allée rejoindre mes amis les Belges, dans un petit village près d'Uzès. Ils m'attendaient de pied ferme, car nous correspondons sur internet, et ils m'avaient fait un délicieux repas de chez eux. Ils sont venus s'installer dans une vieille maison en pierre, avec une courette et une terrasse, très jolie. Le village lui-même est ravissant, mais j'ai eu un peu de mal à arriver, car tout autour, c'est un labyrinthe pavillonnaire. J'avais mis mon GPS russe, qui m'a guidée jusqu'à un parking, à peut-être 50 mètres de chez eux, mais de là où j'étais, je ne pouvais soupçonner les ruelles de pierre, les toits de tuiles, les escarpements que j'ai découverts ensuite. Je suis passée par une succession de ronds-points, de dos d'âne, de pistes cyclables, de pistes piétonnes, de massifs, de décrochements en béton pour obliger les gens à slalomer, cela me faisait penser aux billards électriques de mon enfance, ou à un parcours de maternelle. C'était plein de flèches, de rayures, de panneaux, fait pour aller d'un point à un autre, d'une façon déterminée par je ne sais quel personnage dans je ne sais quel bureau, à la limite, je m'étonnais d'être encore au volant, et non pas passivement promenée par un engin téléguidé, mais c'est certainement l'objectif ultime.

Chez les Belges, c'est un autre siècle, d'abord grâce à la nature même de la maison, et ensuite, par son contenu et ses habitants, Nicolas arbore maintenant une barbe fleuve et de tempétueux cheveux d'argent autour de ses lunettes d'intellectuel du XIX° siècle, et Anne, souriante et paisible, est dentellière, toujours un ouvrage à la main. Il m'a raconté, auprès d'un gros poêle ronflant, d'incroyables histoires de persécutions administratives vicieuses s'exerçant à l'endroit d'individus qui déplaisent à des satrapes locaux. J'ai dormi chez eux, et  le lendemain, il m'a fait visiter le village et emmenée chez un vieux prêtre orthodoxe, un breton autrefois converti, qui essaie de remettre en service une chapelle qu'il restaure. Cet homme a presque cent ans, il est petit, avec un regard plein d'amour et de larmes. Il m'a déclaré d'emblée: "Vous avez beaucoup souffert..." 

Sa terrasse domine tout le pays, le rues anciennes, l'église, et les pavillons. Le vieil homme m'a demandé de dire aux Russes que tous les Français ne leur étaient pas hostiles, et quand j'ai demandé sa bénédiction, il m'a pris la tête entre ses mains, l'a attirée sur son épaule et m'a dit: "Je te bénis avec tous ceux que tu aimes et tous ceux qui t'aiment, petit enfant, que le Seigneur vous prenne tous dans sa miséricorde et sa tendresse". Cet être lumineux est complètement ignoré de son entourage, à l'exception de ses amis belges. 

Je n'avais vu ni Hélène, ni Emmanuelle, ni Monique, ni Paul-Serge et Lydia, j'avais juste entrevu les soeurs de Solan, tout juste rencontré après la liturgie la mère Hypandia. Mais il me fallait déjà rentrer, car j'avais rendez-vous pour déjeuner dans un restaurant de Pierrelatte avec ma cousine d'Annonay, qui descendait spécialement pour me voir, et il me fallait ensuite rendre la voiture le soir même.




lundi 11 mars 2024

Un petit tour en France -1- Pierrelatte

Pierrelatte

 Lorsque je suis arrivée à Marseille, le 20 février, dans cet aéroport familier, et que j'ai vu ma soeur, il m'a semblé que nous nous étions séparées il y a quinze jours et que je n'étais jamais partie. Ma soeur est du genre qui ne vieillit pas, ou à peine. Elle m'a fait passer par un rond-point, autrefois dans la campagne, et maintenant cerné par un énorme et horrible centre commercial qui occupe des terres agricoles, pourtant, le fric ne se mange pas et le béton non plus.

Il y a un an, elle a déménagé dans un pavillon des années soixante-dix, qui n'est pas ce qu'on a pu faire de pire dans le genre, il a un jardin, avec un cèdre et un pin parasol, et son style à lui. Il y avait un deuxième cèdre, moins joli, elle l'a fait couper: dans les années soixante-dix, on avait la passion de coller des arbres géants dans des jardins minuscules. Et un olivier solitaire pour faire plus Provence, alors que dans la vraie Provence, l'olivier vivait en troupeau et fabriquait des olives, il ne cherchait pas la lumière sous les trop hautes frondaisons des cèdres, des saules pleureurs frénétiquement élagués ou des pins parasols.

Maintenant qu'il est seul, ou presque, ce cèdre a une autre allure. Et le jardin est quand même assez grand, il y a une terrasse, dont ma soeur a décidé de garder le côté kitsch et homemade, elle n'a peut-être pas tort. La plaine n'est pas loin, avec la belle ferme de mon beau-père, les collines de l'Ardèche. Le joli lac de Pignedoré où j'allais me promener quand j'étais chez maman, et Martine s'y promène à son tour. Sa maison est bien arrangée et facile à chauffer. Son quartier est tranquille, des pavillons de style pseudo-provençal qui, dans leur banalité, ont au moins une espèce d'homogenéité, mais qui dégagent un ennui sans issue. On rencontre, en promenant le chien, des gens fort aimables. Je passe, dès que surgit le soleil, des moments à lézarder, car en Russie, je manque terriblement de lumière, et elle est là, la lumière. Le ciel la déverse à pleins seaux.

Ma soeur étant très pragmatique et organisée, je l'appelle l'efficace Baxter, mon premier jour a été consacré à toutes sortes de démarches, et à cette occasion, nous avons fait le tour du centre de Pierrelatte, qui est complètement sinistré. La plupart des magasins que je connaissais ont fermé, les rues sont vides, on y voit circuler essentiellement des voitures. Je me suis souvenue de photos que j'avais faites au début des années 2000, il y avait encore des jardinières de fleurs partout, et une certaine vie. Maintenant, c'est terminé. Dans les supermarchés errent de vieux Français et le reste des clients, ce sont des femmes voilées, leurs enfants, leurs ados, leurs maris. Pendant que des Françaises se réjouissent bruyemment de l'officialisation constitutionnelle de l'avortement, la nouvelle population se reproduit frénétiquement, j'ai vu passer une mère exotique pourvue de cinq garçons d'âges divers. J'avais parfois l'impression de voir des moniales orthodoxes, mais non, c'est la nouvelle société, et pour être juste, on a plus d'allure avec un voile de matrone romaine sur une robe décente qu'avec des cheveux bleus et des joggings avachis. L'avion marocain était bourré de bourgeois arabes, qui parlaient un français impeccable et portaient des fringues tout ce qu'il y a de plus chic. Un joli petit garçon répétait sans arrêt les deux ou trois mots d'arabe qu'il avait appris dans sa famille, au pays: "Salam aleikum", "Allah akbar", il se montrait prévenant avec la vieille que je suis. A l'issue de cette promenade dans les ruelles vides, nous avons rendu visite au petit coiffeur qui m'adore, et qui travaille avec son mari. 

Je suis allée voir une amie d'école que j'aimais beaucoup, pour son intelligence, son bon sens, son humour et son indépendance d'esprit. Nous avions en commun notre amour de Brassens et du monde paysan. Elle habite aussi un pavillon pseudo-provençal, derrière la ferme de ses parents, qu'habite son frère. Nous avons évoqué le bon vieux temps avec tendresse, examiné ses plantations, puis elle m'a fait comprendre avec délicatesse que Poutine était un affreux dictateur. Oui, bon... Et Macron, non? Enfin, passons. Ensuite, elle m'a parlé de ses petits enfants. Elle a une petite fille lesbienne, bon, c'est son choix, et une autre qui fait une transition de genre, avec les mutilations et les drogues qui vont de pair, et là, ça passe moins bien, et je le comprends. 

Puis j'ai vu une cousine avec qui, comme elle me l'a dit elle-même, j'ai un lien spécial, bien que nous soyons très différentes, et nous avons parlé de nos jeux étranges qui parfois, rejoignaient l'atmosphère du Tour d'écrou d'Henry James, nous nous étions un jour fait tellement peur que nous n'osions plus entrer dans la chambre où nous avions déliré. "Nous nous étions mises en transes", me dit-elle. Puis elle a commencé à m'asticoter sur ma foi chrétienne: "Vous ne concédez pas aux mécréants comme moi la possibilité d'avoir un accomplissement spirituel.

- Tu peux dire que tu connais un accomplissement spirituel? Parce que moi, la chrétienne, je ne suis pas du tout sûre du mien".

Nous nous sommes quittées au bord des larmes.

Ma soeur ne pouvait me passer sa voiture pour des raisons d'assurance. Je voulais en louer une, mais c'était très cher. Cependant, pour aller à Solan, j'en ai pris une pour quatre jours.

Les années soixante-dix

Cette héllébore a veillé notre mère, cela fait dix ans 
qu'elle survit dans ce pot.

dans la plaine




Quatrains français

 

 

Et le mistral souffle et fait chanter les arbres

Emaillés de soleil et d’azur qui se cabre,

Entre ses forts genoux et sous sa voix sonore,

Jetant de grands rayons aux oiseaux qui l’adorent.

 

D’où vient à mon coeur lourd le sentiment poignant

De visiter déjà les lieux gris des enfers ?

De venir y chercher tous ces petits enfants

Qui jouaient avec moi dedans ces jardins verts ?

 

De tenter prudemment, les prenant par la main,

Au seuil de nos tombeaux, d’ouvrir les horizons

Vastes, illimités, d’éternels lendemains,

Par delà les détours des paisibles prisons ?

 

Paisibles et figées, étroites et mortelles,

Où tout ce qui chancelle a les orbites creuses

Des cauchemars polis, des anges privés d’ailes,

Des destins fracassés, des défaites spongieuses...

 

...

 

Je me gorge de toi, France triste et bourgeoise,

Qui périt enlisée dans les marais paisibles,

Et me joue la musique étrange et inaudible,

De nos élans trahis, dans nos vies qu’on déboise.

 

Car je ne sais déjà si je te reverrai,

Pauvre petit berceau de mon enfance ardente,

Si vers ceux que j’aimais un jour je reviendrai,

Sous la lisse ténèbre des futures tourmentes.

 

Car tout ce qui m’inquiète est de l’ordre invisible,

Rampe et grouille sans bruit, sous le calme apparent,

Et déploie tout soudain des symptômes risibles

Qui vont glacer mon coeur de noirs pressentiments.

 

Comment te rattraper, dans le gouffre où tu sombres,

Ma soeur pleine d’effroi, trop tôt prête à mourir ?

Si je lâche sur toi, pour t’arracher aux ombres

Le vol d’un ange d’ or, sauras-tu le saisir ?

... 

Croulent les autrefois dans la mémoire du temps,

Où la nôtre se perd, hagarde, épouvantée,

Et nos pas ralentis rôdent au bord des ans

Qui vont détricotant le fil des nuits lâchées.

 

Dans la quiète grisaille et la mort silencieuse,

Brille l’astre discret des prières éclairées

Dans la lampe de pierre où les âmes songeuses

Veillent les braises d’or des promesses données.

 

Des quatre cavaliers le galop se précise,

Aux oreilles fermées des esprits somnambules,

Qui plutôt que d’aller réchauffer les églises

Se referment frileux dans leurs milliers de bulles.

 

Tu jettes sans écho, trompette archangélique,

Le grand éclat cuivré de ta sainte musique

Dedans le tintamarre où les âmes damnées,

Dérivent sans savoir vers leur fin annoncée. 

...

Elle est comme l’envers de mon coeur exalté

Qui jamais ne se lasse de chercher la lumière,

Au gré des tristes flots où nos destins couplés

Glissent vaille que vaille à l’ombre de la guerre.

 

Et par delà l’espace où nos âmes parfois

Se cherchant, se frôlant, se séparent en pleurant,

Nos anges affligés ne se rencontrent pas,

Et le temps vient déjà du grand embarquement.

 

Pourvu qu’en ces jours gris qui passent et s’écroulent,

Pressés et titubants, au bord du gouffre amer,

Elle prenne avec moi le large de la mer,

Sur le blanc bâtiment qui fend la sombre houle.

 

Pourvu que tous les miens, se prenant par la main,

Dérivant sous le vol des gardiens vigilants,

Arrivent au bon port du jour sans lendemain

Qui se lève bientôt dessus les derniers temps.  


 



Cathédrale passagère

 

Les platanes du bord des routes

Avec leurs piliers et leurs voûtes,

Leurs démons et leurs angelots,

Leurs gargouilles et leurs vitraux

 

Sous le vent guident ma voiture

Vers l’horizon de lumière pure

Où le soleil dans ses draps blancs

S’est étendu comme un gisant.

 

Les nuées passent éplorées

En agitant leurs encensoirs

Sur l’autel des forêts couchées

Qui s’assombrissent dans le soir.

 

A travers mes larmes priant

Sur les chemins bleus du midi,

Je pense encore à toi, maman,

A ceux qui sont déjà partis.

 

Partis, je le crois, juste à temps

Avec le pays rayonnant

Où je cueillais des coquelicots

Et qui ne sera plus bientôt

 

Qu’un champ de ruines sous le vent,

Soumis à ces démons errants

Qui nous guettaient depuis longtemps

Et nous ont trouvés consentants.

 


vendredi 8 mars 2024

Sur la pointe des pieds.

 

Marseille by night

Je suis partie en France sur la pointe des pieds. Je ne voulais pas que des commentaires pussent entamer ma résolution, ni attirer sur moi le regard de l'oeil de Sauron. Le séjour fut riche en émotions et enseignements, mais le voyage, en revanche, l'a été en toutes sortes de mésaventures, et je ne suis pas en mesure d'écrire pour l'instant la chronique de ces deux semaines, car le petit portable russe où j'avais tout noté est resté dans ma valise à Casablanca.

Depuis les sanctions, on ne peut plus aller en France, comme dit l'expression russe, qu'à travers l'oreille gauche, et tous les voyages sont des chemins de croix généralement ruineux. Le mien l'était. Ruineux et pénible. J'avais choisi Air Maroc, parce qu'il n'y avait qu'une seule correspondance, classique, sans avoir réceptionner ses valises et repasser toutes les formalités de douane à chaque correspondance, et il y en a parfois deux ou trois. 

Je n'avais pas vu les miens, ni mon pays natal, depuis quatre ans. Fin 19, j'étais revenue avec la ferme intention de ne pas laisser passer trop de temps, et d'y aller au mois d'avril. Et puis, le covid... Comme je ne voulais ni voyager étouffée pendant des heures sous une couche-culotte, ni subir le test absurde et sadique qui consiste à aller chercher jusqu'au cerveau des traces du virus si contagieux, ni surtout la piquouse du bon docteur Fauci et de tous ses pareils, j'attendais la fin de cette folie furieuse. En novembre 21, je l'ai attrapé à l'hôpital, et le temps de guérir, déjà début 22, c'était l'intervention russe en Ukraine... J'ai remis à des temps meilleurs, mais il s'avère que ceux-ci se font vraiment attendre, et ce qui pointe à l'horizon n'est pas encourageant. Je suis donc partie, sur la pointe des pieds, et à "l'ombre de Mars", de ces événements répugnants et de ces déclarations inquiétantes. J'en parlerai quand j'aurai récupéré la valise et le petit portable.

Hier, j'ai quitté ma tante que j'adore, et j'ai marché jusqu'au métro, car on n'est sûr de rien, à Marseille, quand on appelle un taxi, et il me fallait prendre la navette pour Marignane. Ma valise n'était pas trop énorme mais quand même, il faut monter et descendre des marches, je n'ai plus vingt ans. Après quelques stations, on s'arrête à la Timone, et débroullez-vous: incident technique. Je monte, complètement perdue, l'escalier, avec ma valise, et une beurette me dit: "Je vais aussi à Saint-Charles, je vais vous montrer." Elle a même insisté pour qu'on m'acceptât dans le bus bondé.

Une fois à Marignane et la valise enregistrée, j'ai entamé une longue hibernation  sur une chaise, à écouter les annonces feutrées, et voir passer et repasser tout le Mahgreb, avec beaucoup d'enfants. L'avion est parti avec un quart d'heure de retard, et il a accentué ce retard en vol, puis au lieu de se fixer à un tunnel d'accès, il nous largue au diable vauvert, avec des bus qui mettent des heures à se remplir. J'avais vingt minutes pour faire la correspondance avec l'avion de Moscou. On m'avait indiqué une porte qui n'était pas la bonne, j'ai dû courir en sens inverse, haletante et au bord de l'infarctus. Je suis montée dans l'avion in extremis. Mais pas ma valise.

On va me la livrer dans le courant de la semaine, mais outre le petit portable, j'ai là dedans les bégonias des fidèles de Solan dans une boîte hermétique avec du sopalin humide, et de la semence pour faire du kéfir de fruits...

Ces péripéties ont duré pratiquement vingt quatre heures, et je ne ferais pas ça tous les jours, mais je suis contente de l'avoir tenté, au cas où. Je regardais, sur la route de Iaroslavl, défiler le paysage hivernal et chaotique, et je pensais à la France qui périclite et s'étouffe sur elle-même, de plus en plus baillonnée, liée de bandelettes sournoises par les sectateurs de Mammon, préssés de l'achever. Les chats avaient visiblement décidé que je les avais abandonnés, qu'il leur faudrait désormais s'accommoder de la dame venue, sur la fin du séjour, adoucir leur solitude. Quand je suis entrée dans le jardin, j'ai vu Moustachon immobile, les yeux exorbités, qui semblait se demander s'il n'avait pas la berlue, et s'est approché en bondissant, dès que le son de ma voiх lui eût prouvé que c'était bien moi. Aussitôt a rappliqué Robert. Puis Blackos. Georgette, sur le bord de la fenêtre, semblait elle aussi penser qu'elle avait une hallucination. Mais Rom, qui avait pratiquement disparu pendant mon absence, n'osait même pas approcher, et poussait des cris déchirants en me regardant de loin! Enfin il a décidé que ses sens ne le trompaient pas, et il est venu se frotter frénétiquement sur mes jambes, en tapissant mon jeans de poils. Rita revient demain, j'irai la chercher au café français, il paraît qu'elle languit, moi aussi.



                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Je recommande cette vidéo très éclairante sur la situation de la France et la mentalité  qui l'a permise.


                                                                                                                                 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

lundi 19 février 2024

La lutte finale

 


Hier soir, je suis allée au «Hérisson repu » avec Katia. Elle voulait me présenter une amie artiste-peintre qui a magnifiquement et simplement arrangé une isba dans un village du coin, mais elle n’avait pas pu venir. Elle fait de très beaux tableaux, qui me rappellent un peu Zinaïda Serebriakova, pas du tout dans la facture, mais dans l’esprit, le style d’inspiration, du moins en partie, parce qu’elle peint aussi beaucoup de portraits de soldats, qui ne sont pas joyeux. Cette artiste, Arina Fedtchina, s’habille plutôt style russe, elle semble sensible et forte, et se dévoue à la cause des soldats russes, particulièrement à ceux qui sont à l’hôpital ou qui reviennent de celui-ci ou du front sans aucun point de chute, orphelins ou anciens détenus. L’un d’eux a été débarqué en fauteuil roulant sur le quai de sa gare de destination en pleine nuit, avec 300 000 roubles en poche, et démerde-toi. Beaucoup de soldats sont mal reçus dans les restaurants et les cafés, car ils rappellent la réalité des choses aux gens qui veulent s’amuser tranquilles, ce qui m’a rappelé l’histoire de mon oncle et ma tante, vieillards dignes et encore beaux, qui avaient cessé d’aller à la plage parce qu’on leur avait fait comprendre qu’ils étaient indésirables : on voulait attirer le client avec des pin up et des play boys. D’autres sont agressés par ceux qui épousent la cause occidentale. Arina fait des loteries avec ses tableaux pour recueillir de l’argent, des expositions de portraits de soldats. Je suis consternée par ce qu’elle a dit à Katia, on dirait qu’il y a deux mondes parallèles, le pays réel qui conserve les qualités russes, et toute une frange de beaufs et de dégénérés. C’est le cas dans pratiquement tous les pays, en tous cas, les pays de civilisation européenne et chrétienne, particulièrement visés et soumis à des pratiques dissolvantes dans tous les domaines de la vie, pourrir la culture, anéantir la spiritualité, calomnier l’histoire, discréditer le sentiment d’appartenance nationale et tout notion de fidélité, d’honneur et de sacrifice. Katia m’a parlé d’un rapper russe qui s’élève contre des vidéos au contenu satanique, désespérant et suicidaire destinés aux enfants et adolescents, et au festival de cette tendance, qui a lieu deux fois par an, sous le nom sarcastique de « festival du futur ». De sorte que nous avons d’un côté les jeunes soldats qui retournent à la foi, avec des visages purs et transfigurés, les jeunes qui retournent aux traditions nationales, les jeunes de la tradition orthodoxe, et des gamins déstructurés qui se jettent dans le satanisme et la débauche, sous l’influence de ce qui a perdu l’occident lui-même. On peut en ce sens, parler de guerre civile mondiale, entre ceux qui se donnent à l’autodestruction de la civilisation dont ils sont isssus, et ceux qui la défendent. Mais comment la défendre, si le gouvernement, même ici, ne nettoie pas fondamentalement les écuries d’Augias ? Je crois qu’il le faudrait par l’union, l’organisation et les actions ciblées. Boycott de toute firme qui promeut ce qui nous détruit, pétitions, manifestations, promotion de tout ce qui peut s’opposer à cet acide chlorydrique qui nous défigure. On voit de façon de plus en plus net se dessiner un tableau apocalyptique en tous points conforme à celui des Ecritures. Il faut choisir son camp. Et lutter.

https://vk.com/wall230253225_876

Nous avons aussi évoqué la Palestine, et le massacre intégral de ses habitants devant une « communauté internationale » qui ne bout pas plus d’indignation que devant le Donbass ou le Yemen. Il y a des criminels toujours blanchis, parce que ce sont eux qui détiennent le pouvoir, de façon ouverte ou occulte.

Nombreux sont les gens à penser comme moi que c’est l’Occident qui a liquidé Navalny, et pas seulement lui, d’ailleurs.

Ici un article qui analyse les choses en ce sens :

 https://reseauinternational.net/la-derniere-farce-de-navalny/

D’autre part, j’ai vu passer la vidéo d’un chef d’entreprise français installé en Russie qui me semble donner une très juste appréciation de la Russie actuelle :

https://twitter.com/camille_moscow/status/1758818051519091040?s=20

 

Arina Fedtchina

samedi 17 février 2024

Aliocha et Ivan




Curieux. Juste au moment où l’interview de Poutine fait un carton planétaire et sème la panique chez les globalistes de la caste, voilà que Navalny meurt fort opportunément en détention. Cela donne une merveilleuse occasion de crier et de pleurer à ces gens qui laissent crever Assange en prison et ont laissé crever ce bloguer américain dans les geôles de Zelenski. Je ne connais pas encore les détails mais j’inclinerais à penser que l’OTAN a soudoyé quelqu’un pour lui faire la peau, d’ailleurs, c’est ce que j’ai toujours pensé à propos de Nemtsov, qui ne représentait aucun danger pour Poutine, mais qui pouvait beaucoup mieux servir ses adversaires mort que vivant. Il vient un moment où les traîtres ne peuvent plus être utilisés que sous forme de martyrs. Le prochain, demande un commentaire russe, ce sera Zelenski, que l’on mettra sur le dos de Poutine ?

J’ai vu une horrible vidéo de gamins défilant dans la rue, en Espagne, habillés en putes, avec des bas résille et des drapeaux arc-en-ciel, et les badauds, parmi lesquels, sans doute, leurs parents qui ne voudraient surtout pas passer pour des rétrogrades, prennent des photos avec des airs attendris.

https://vk.com/wall-211086013_4455

Pendant ce temps, circule la vidéo russe d’une fillette qui dit, les larmes aux yeux, un poème à son père parti au front, poème de sa composition, qui fait référence à la guerre précédente, celle de quarante, certes, nous ne sommes pas ici au pays des woke et des transgenres... J’étais tombée auparavant sur un extrait de film soviétique sur cette même guerre, avec des sentiments de sacrifice, de fraternité, de dépassement de soi, et je comprenais que cette mentalité russe de la communauté sacrée, d’un sentiment national charnel et mystique, m’avait séduite dès mon adolescence, que je l’avais trouvée dans toutes les expressions du christianisme orthodoxe, mais qu’elle apparaissait encore jusque dans les films soviétiques, comme la Ballade du soldat, et je la retrouvais dans cette petite fille et son poème. Et puis ensuite, j’ai vu un autre poète, un jeune soldat. Qui dit ses propres vers, sur la fin de la guerre, et le moment où les enfants du Donbass qui grandissent dans des caves ne seront plus qu’un chapitre d’une histoire déjà lointaine, et je regardais ses yeux, car c’est tout ce qu’on voit de lui, avec son masque, des yeux doux et fervents, tristes et très purs, je souhaitais de tout mon coeur qu’il revînt vivant, que prît fin cette horreur et  que saint Michel terrassât le dragon.

https://vk.com/video-34840857_456243899

https://vk.com/video-34840857_456245417

Dans ma jeunesse, j’avais vu quasiment au même moment « Andreï Roublev » de Tarkovski et « le Septième Sceau » de Bergman, deux films à thème médiéval et à contenu métaphysique que j’avais beaucoup aimés, et en lesquels j’avais constaté une profonde différence entre la spiritualité orthodoxe et la spiritualité occidentale, si l’on peut parler de spiritualité dans le film de Bergman, qui la cherche douloureusement, mais ne la trouve pas. Et puis Bergman, c’est le protestantisme, encore faut-il le dissocier lui-même de la partie catholique et latine de l’Europe ; mais c’est en fin de compte le protestantisme qui est devenu ce qu’on appelle aujourd’hui l’Occident, qui a pris le dessus au cours des cinq derniers siècles. La religion médiévale que montre Bergman dans son film est une caricature protestante et contemporaine du catholicisme de l’époque, quels que soient les sentiments qu’on puisse éprouver à son égard. Toujours est-il qu’à la veille de ma conversion à l’orthodoxie, la comparaison entre les deux univers avait contribué à me décider pour celle-ci.

Je suis tombée sur un article du magazine orthodoxe «Thomas » qui établit la même comparaison entre les univers respectifs des deux cinéastes et jette un éclairage supplémentaire sur la nature du choix que j’avais fait alors. Ce qui est pour moi intéressant, c’est que Tarkovski, dont la spiritualité cosmique est très proche de la mienne n’est pas un orthodoxe pur et dur du point de vue de l’auteur de l’article, il est sous toutes sortes d’influences, un intellectuel russe des années soixante. Oui, en effet, et sans doute que moi non plus, le père Barsanuphe me disait que j’avais un chemin particulier, la mère Hypandia aussi, mais pour le père Barsanuphe, en tous cas, et sans doute aussi pour la mère Hypandia, il ne sortait pas pour autant du cadre de l’orthodoxie.

Ce qui me frappe, c’est que Tarkovski, d’après l’article, est « ensorcelé par la beauté cosmique de ce monde, que les gens abîment, perdus qu’ils sont sur les chemins d’une voie civilisationnelle mal choisie qui détruit cette harmonie. Tarkovski ne cherche pas de coupables individuels mais les destructeurs globaux de ce monde magnifique, qui ont finalement eu recours à l’arme atomique. »

Cette démarche s’oppose à celle de Bergman, « fils révolté de Dieu » qui « de film en film s’adresse au Sauveur, tantôt attendant de lui une réponse, tantôt lui demandant de se justifier pour la souffrance de l’homme devant le silence de Dieu ».

Mais c’est que justement, Dieu ne répond pas aux questions, et cette confrontation me rappelle celle d’Aliocha Karamazov et de son frère Ivan, je savais déjà en mon coeur, quand j’ai lu les frères Karamazov et que j’ai vu ces deux films, que Dieu se connaît à la façon d’Aliocha se prosternant pour baiser la terre sous le ciel étoilé, ou d’Andreï Tarkovski, dans sa perception sacrée et communautaire de l’humanité et du monde qu’elle occuppe, et non comme au tribunal, sous le feu de questions indignées et souvent à côté de la plaque, où d’ailleurs le Christ lui-même se taisait. Mais comment faire comprendre l’attitude d’Andreï et d’Aliocha à Ivan et Ingmar ? Ivan et Ingmar sont partis sur ces chemins erronés qui mènent le premier au suicide et le second à la danse macabre finale de son film plein d’épouvante et de désespoir. Dieu se connaît par l’élan du coeur, la gratitude, l’émerveillement, et la conscience de sa petite place dans l’immense cathédrale de son Existence qui nous respire. 

Тарковский и Бергман: что они говорили о Боге? И о чем — с Богом? - Православный журнал «Фома» (foma.ru)


J’ai vu que le nouveau café « le pain d’épices de Pereslavl » proposait une soirée rencontre des créatifs de la ville, pour prendre le thé ensemble et échanger des idées. Les créatifs étaient une quinzaine, mais c’était plutôt des créatives, aucun homme parmi nous. Il y avait des sortes de brioches moelleuses et caramélisées absolument délicieuses et bien sûr, des pains d'épices, aux si jolis moules, dans l'esprit des moules anciens. J’ai joué des gousli et chanté des chansons gaies, parce que c’est bientôt la maslennitsa. Les créatives étaient un peu étonnées ; cela n’entrait visiblement pas dans leur appréhension de la Française typique. Mais après un départ un peu froid, tout le monde a commencé à rigoler et à fraterniser, les gosses sont même venus danser. Et la céramiste qui expose à la galerie locale m’a proposé d’y mettre mes livres en vente, ce qui m’arrangerait bien, car j’en ai tout un stock. «Finalement, nous ne savons vraiment pas apprécier notre propre culture... ont observé toutes ces dames.

- Ne m’en parlez pas, c’est là dessus que je disserte à longueur de pages ! »