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lundi 11 mars 2024

Un petit tour en France -1- Pierrelatte

Pierrelatte

 Lorsque je suis arrivée à Marseille, le 20 février, dans cet aéroport familier, et que j'ai vu ma soeur, il m'a semblé que nous nous étions séparées il y a quinze jours et que je n'étais jamais partie. Ma soeur est du genre qui ne vieillit pas, ou à peine. Elle m'a fait passer par un rond-point, autrefois dans la campagne, et maintenant cerné par un énorme et horrible centre commercial qui occupe des terres agricoles, pourtant, le fric ne se mange pas et le béton non plus.

Il y a un an, elle a déménagé dans un pavillon des années soixante-dix, qui n'est pas ce qu'on a pu faire de pire dans le genre, il a un jardin, avec un cèdre et un pin parasol, et son style à lui. Il y avait un deuxième cèdre, moins joli, elle l'a fait couper: dans les années soixante-dix, on avait la passion de coller des arbres géants dans des jardins minuscules. Et un olivier solitaire pour faire plus Provence, alors que dans la vraie Provence, l'olivier vivait en troupeau et fabriquait des olives, il ne cherchait pas la lumière sous les trop hautes frondaisons des cèdres, des saules pleureurs frénétiquement élagués ou des pins parasols.

Maintenant qu'il est seul, ou presque, ce cèdre a une autre allure. Et le jardin est quand même assez grand, il y a une terrasse, dont ma soeur a décidé de garder le côté kitsch et homemade, elle n'a peut-être pas tort. La plaine n'est pas loin, avec la belle ferme de mon beau-père, les collines de l'Ardèche. Le joli lac de Pignedoré où j'allais me promener quand j'étais chez maman, et Martine s'y promène à son tour. Sa maison est bien arrangée et facile à chauffer. Son quartier est tranquille, des pavillons de style pseudo-provençal qui, dans leur banalité, ont au moins une espèce d'homogenéité, mais qui dégagent un ennui sans issue. On rencontre, en promenant le chien, des gens fort aimables. Je passe, dès que surgit le soleil, des moments à lézarder, car en Russie, je manque terriblement de lumière, et elle est là, la lumière. Le ciel la déverse à pleins seaux.

Ma soeur étant très pragmatique et organisée, je l'appelle l'efficace Baxter, mon premier jour a été consacré à toutes sortes de démarches, et à cette occasion, nous avons fait le tour du centre de Pierrelatte, qui est complètement sinistré. La plupart des magasins que je connaissais ont fermé, les rues sont vides, on y voit circuler essentiellement des voitures. Je me suis souvenue de photos que j'avais faites au début des années 2000, il y avait encore des jardinières de fleurs partout, et une certaine vie. Maintenant, c'est terminé. Dans les supermarchés errent de vieux Français et le reste des clients, ce sont des femmes voilées, leurs enfants, leurs ados, leurs maris. Pendant que des Françaises se réjouissent bruyemment de l'officialisation constitutionnelle de l'avortement, la nouvelle population se reproduit frénétiquement, j'ai vu passer une mère exotique pourvue de cinq garçons d'âges divers. J'avais parfois l'impression de voir des moniales orthodoxes, mais non, c'est la nouvelle société, et pour être juste, on a plus d'allure avec un voile de matrone romaine sur une robe décente qu'avec des cheveux bleus et des joggings avachis. L'avion marocain était bourré de bourgeois arabes, qui parlaient un français impeccable et portaient des fringues tout ce qu'il y a de plus chic. Un joli petit garçon répétait sans arrêt les deux ou trois mots d'arabe qu'il avait appris dans sa famille, au pays: "Salam aleikum", "Allah akbar", il se montrait prévenant avec la vieille que je suis. A l'issue de cette promenade dans les ruelles vides, nous avons rendu visite au petit coiffeur qui m'adore, et qui travaille avec son mari. 

Je suis allée voir une amie d'école que j'aimais beaucoup, pour son intelligence, son bon sens, son humour et son indépendance d'esprit. Nous avions en commun notre amour de Brassens et du monde paysan. Elle habite aussi un pavillon pseudo-provençal, derrière la ferme de ses parents, qu'habite son frère. Nous avons évoqué le bon vieux temps avec tendresse, examiné ses plantations, puis elle m'a fait comprendre avec délicatesse que Poutine était un affreux dictateur. Oui, bon... Et Macron, non? Enfin, passons. Ensuite, elle m'a parlé de ses petits enfants. Elle a une petite fille lesbienne, bon, c'est son choix, et une autre qui fait une transition de genre, avec les mutilations et les drogues qui vont de pair, et là, ça passe moins bien, et je le comprends. 

Puis j'ai vu une cousine avec qui, comme elle me l'a dit elle-même, j'ai un lien spécial, bien que nous soyons très différentes, et nous avons parlé de nos jeux étranges qui parfois, rejoignaient l'atmosphère du Tour d'écrou d'Henry James, nous nous étions un jour fait tellement peur que nous n'osions plus entrer dans la chambre où nous avions déliré. "Nous nous étions mises en transes", me dit-elle. Puis elle a commencé à m'asticoter sur ma foi chrétienne: "Vous ne concédez pas aux mécréants comme moi la possibilité d'avoir un accomplissement spirituel.

- Tu peux dire que tu connais un accomplissement spirituel? Parce que moi, la chrétienne, je ne suis pas du tout sûre du mien".

Nous nous sommes quittées au bord des larmes.

Ma soeur ne pouvait me passer sa voiture pour des raisons d'assurance. Je voulais en louer une, mais c'était très cher. Cependant, pour aller à Solan, j'en ai pris une pour quatre jours.

Les années soixante-dix

Cette héllébore a veillé notre mère, cela fait dix ans 
qu'elle survit dans ce pot.

dans la plaine




1 commentaire:

  1. Merci pour tout, chère Laurence ! Vous avez bien "croqué" ce qu'est devenue la province de France ; car dans les métropoles, c'est pire.

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