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dimanche 17 septembre 2017

Fête populaire






Dany est venue ce week-end avec son mari, Iouri Iourtchenko. J’ai emmené Dany voir une exposition des tableaux d’Olga Motovilova-Komova, femme du peintre Ilya Komov, sa peinture nous a beaucoup plu, elle est très lumineuse, très colorée, très joyeuse, des paysages de Yaroslavl, Romanov-Borisoglebsk, Peresavl. Les gens de la rue qui la regardent peindre s'étonnent de ses couleurs vives là où ils ne voient que du gris, et lui reprochent parfois de représenter leur petite maison pittoresque "qu'ils n'ont pas réparée et dont le toit fuit"!

Dany devant nos tableaux préférés d'Olga Motovilova

Le lendemain, il y avait un festival de folklore sur la « belle Place » de Pereslavl, devant la cathédrale de la Transfiguration. Cela commençait par un office d’intercession à l’église saint Alexandre Nevski, dont c'était la fête cette semaine. La manifestation était sous l’égide de l’évêque Théodore, pour lequel les sœurs du monastère du même nom ont beaucoup de vénération. Tout le monde, c’est-à-dire les collectifs de folklore en costumes et les fidèles présents, était invité à chanter. Quand j’ai vu l’évêque, sa noblesse, sa jeunesse, sa calme, douce et lumineuse sévérité, et que nous avons entonné « Roi Céleste, Consolateur, Esprit de vérité, partout présent et remplissant tout », j’ai ressenti un grand afflux de grâce et d’allégresse, tant la ferveur de cet homme et de l’assemblée autour de nous était palpable. Iouri s’est mis lui-même à chanter, bien qu’il ne fréquente pas l’église.
Au dehors, j’ai retrouvé Kolia Sakharov, de l’ensemble Kazatchi Kroug, et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Puis j’ai revu Dmitri Paramonov, le roi des gousli, qui ne m’a tout d’abord pas reconnue, sans doute parce que j’ai vieilli et changé de coiffure, puis m’a joyeusement enlacée de la même manière. Depuis la dernière fois que je l’ai vu, il s’est marié, avec une jolie jeune femme, également folkloriste, comment épouser quelqu’un avec qui on ne peut pas chanter, quand on a retrouvé toute sa dimension poétique et épique, et sa place dans l'espace et le temps du cosmos ? e pas chanter, c'est une infirmité… Ils m’ont présenté une autre jeune femme qui ressuscite le folklore dans un village, entre Rostov et Ouglitch, et dont les petits élèves se produisaient devant nous. Comme d’habitude, dans ce genre de manifestation, les gens étaient beaux, ils étaient radieux, fervents, transportés, épanouis. Ils s’asseyaient comme ils pouvaient, où ils pouvaient, mangeaient n’importe quoi, mais ce n’était pas grave : ils communiaient dans leurs chants et leur musique, et regardant ces enfants, ces jeunes gens, je me disais qu’ils avaient trouvé là de puissants anticorps et contrepoisons contre la pourriture des médias et de la sous-culture : eux ne s’ennuieraient jamais, ne se sentiraient jamais seuls, trouveraient l’époux ou l’épouse qui leur conviendraient et feraient des enfants heureux. Il ne leur en faudrait pas beaucoup pour l’être : chanter et danser ensemble, lutter ensemble pour sauver l’âme russe et sa belle expression. Tous avaient des visages ouverts, gentils, purs et joyeux. C’était une immense consolation de les voir tous évoluer, jouer, chanter de tout leur cœur, sans contrainte académique : ce qu’ils avaient acquis leur était devenu intrinsèque, organique. Leur maintien était naturel, digne et généreux, comme celui de mes amis les chanteurs cosaques ou de Dima Paramanov.
Dima m’a dit que nous devions nous revoir, pour développer ensemble des choses sur Pereslavl, en accord aussi avec le petit musée d’art populaire local « le cheval avec un manteau » . Le propos est de restituer la tradition populaire au maximum de gens. L’évêque Théodore  a fait sur ce sujet une belle homélie : retrouver ses racines et sa tradition, c’est retrouver son âme et le chemin de Dieu. Comme cet évêque semble aimé, et que j’ai de la chance, me disais-je, d’être tombée dans une éparchie dirigée par un tel homme. C'est lui qui a initié ce festival. Le mouvement est soutenu aussi par le kazatchestvo local. On comprend que l’Eglise et le kazatchestvo soient les bêtes noires des libéraux : ils sont les anticorps de l’organisme russe contre les infections globalistes. C’est la même démarche que dans la paroisse où enseigne Skountsev à Moscou : le folklore envisagé comme une thérapie spirituelle.
Et ça marche : il n’est que de voir mon petit voisin Aliocha venu gracieusement et fièrement me saluer dans son uniforme. Ou ces deux fillettes qui voulaient me vendre un petit cheval de tissu, et me faisaient confiance le temps que j’aille chercher de la monnaie. « Il vous portera chance », me dirent-elles lorsque je leur rapportai leur dû. Ou bien encore ces adolescents qui dansaient avec assurance, et des visages clairs, des yeux pétillants.
Le Suisse orthodoxe de Pereslavl, Benjamin, semble avoir été recruté par le kazatchestvo : normal, c’est une vieille tradition cosaque que de s’amalgamer des étrangers, pourvu qu’ils adoptent les usages cosaques et deviennent orthodoxes. Au début du jeu du « mur », quand deux rangs de bonshommes se jettent en hurlant les uns sur les autres, le musicien pour les inviter à se mettre en ligne crie : «Y a-t-il encore des vrais mecs à Pereslavl ? » Le premier à se précipiter est le Suisse Benjamin, ou plutôt Veniamin, à la grande joie de Iouri Iourtchenko. Il faut dire que le Suisse fait deux mètres de haut !

Les collectifs étaient excellents, Dima Paramonov a chanté, accompagné par nous tous le poème spirituel : «l’homme pécheur », puis un chant sur le prince Dmitri Donskoï, et je l’écoutais, les yeux fixés sur la cathédrale du XII° siècle et les nuages sombres, traversés de grandes lueurs, avec soudain la certitude mystique que c’était là, malgré la nostalgie que j’emporte de ma France trahie et blessée à mort, ma profonde patrie orthodoxe, ce que je ne devais lâcher à aucun prix, ce que j’étais venue retrouver ici, mon dernier moyen âge : l’évêque Théodore et tous les gens d’Eglise qui lui ressemblent, Kolia Salharov, Dima Paramonov, Volodia Skountsev, les enfants et les ados danseurs, les dames enthousiastes qui recueillent les vêtements traditionnels du nord russe et en cousent de nouveaux, parce que là est l’esprit russe, et dans l’esprit russe, l’esprit européen perdu, l’Esprit tout court, la beauté, la noblesse, la simplicité, la générosité, la grâce… Ce n'était pas un hasard à mes yeux si cette fête faisait suite à celle d'Alexandre Nevski et à mon entrevue avec le service d'immigration, c'était là le signe que j'étais ici de par la volonté de Dieu et que j'y avais des choses à faire...
Et cela indépendamment des médias, des intellos, des oligarques, de tout ce qui pue et corrompt,  sans plus prêter attention aux glapissements insensés des démons, peut-être jusqu'au combat final...

Ils approchent, ils approchent les derniers jours
Et sècheront les sources des rivières
Le soleil et la lune perdront leur éclat, 
Les claires étoiles tomberont du ciel
L'archange Michel montera sur la colline escarpée
Il jouera de sa trompette d'or
"Levez-vous, vivants et morts!"

(poème spirituel russe)

Des enfants qui chantent hardiment et de tout leur coeur


Iouri et Dany


Kolia Sakharov, au centre.
Défilé en chantant:Sakharov à gauche avec Dmitri Paramonov
Filage à la quenouille
L'évêque de Pereslavl, monseigneur Théodore
Photo Dany Kogan
la "belle Place"

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