Petit tour à Moscou. Le plan était de fêter mon permis de séjour avec ma famille russe et tous les gentils "batiouchka" de notre paroisse, mais l'un partait à la datcha, les deux autres ont été invités au dernier moment à l'anniversaire d'un bienfaiteur...
La veille de l'événement, néanmoins, je me suis retrouvée dans la cuisine du père Valentin, avec 50 g de vodka, et, après des considérations diverses sur ma traduction de la vie et la doctrine de saint Grégoire Palamas, sur les vieux-croyants, Ivan le Terrible et l'influence occidentale, voici qu'est arrivée Irina Victorovna, veuve de Viatcheslav Markovitch, voisin du père Valentin et juif converti adorable qui aidait tout le monde. Autrefois, je me retrouvais souvent dans cette même cuisine, avec cette même vodka, et cette même "tante Ira", mais il y avait aussi son mari "oncle Slava", la "matouchka", la femme du père Valentin, et puis aussi Vassili Gueorguiévitch, dit "le Baron", et ils avaient des discussions politiques passionnées, car ils avaient des avis très divergents: le père Valentin et le Baron étaient et sont toujours monarchistes, oncle Slava et sa femme libéraux et la matouchka néostalinienne. Moi, je n'intervenais pas tellement, parce que je ne pouvais pas en placer une. Maintenant, la matouchka et oncle Slava sont dans l'autre monde. Mais tout à coup, là, tous les trois, nous retrouvions un peu de l'ambiance disparue. Tante Ira était en verve. Elle m'a dit: "On vous a donné le permis de séjour? Pas possible! A mon avis, on va vous chasser comme agent étranger!"
Le père Valentin a pris un air gourmand et sarcastique: "Certainement pas, Irina Victorovna, car nos autorités savent bien que Laurence a des idées diamétralement opposées aux vôtres."
Mine excédée de tante Ira: "Vous êtes deux imbéciles!"
Le lendemain soir, chez Xioucha, le père Valentin, le Baron, Iouri, Dany et toute une compagnie. Voilà que Iouri et le baron s'accrochent. La baron est insensible au cinéma. C'est un homme du XIX° siècle qui n'a pas digéré la révolution. Iouri ne la défend pas vraiment, mais il est né en URSS, il prend le paquet tel qu'il est, et lui, le cinéma, il aime, et le cinéma, en Russie, fatalement, s'est développé à l'époque soviétique. Le baron considère que tout le cinéma soviétique est nul et propagandeux, même Tarkovski. Ce qui n'est pas du tout mon avis, et puis, dans ces films, la Russie et le soviétisme sont souvent si imbriqués...La Ballade du Soldat est un film d'esprit complètement chrétien. Andreï Roubliov est ouvertement chrétien. Et Si Ivan le Terrible ne l'est pas, et propose des prélats orthodoxes une vision absolument fausse et caricaturale, la sainte Russie, la Russie tsariste pénètre en filigrane ce qui était censé devenir l'apologie des tchékistes, en tous cas, à 16 ans, ce que j'ai vu, c'était le tsar sacré, le tsar de droit divin, et pas le secrétaire du parti communiste... D'autre part, je ne peux donner tort à Iouri quand il dit que le système capitaliste exerce autant de censure sur les oeuvres d'art que le système communiste: pas de financement, pas d'oeuvres, pas de films, pas de publications, pas de pièces de théâtre, pas d'expositions et quand on n'est pas dans une certaine mouvance, quand on ne joue pas dans les règles, quand on n'est pas d'un certain milieu, on n'a pas trop le droit non plus à la libre expression. Le père Valentin me dit le lendemain que le Baron ne peut accepter, comme Iouri et moi le faisons plus facilement, de prendre la Russie d'aujourd'hui avec ses valises, car ces scories communistes qui subsistent sont pour lui une tragédie, rien n'est pire à ses yeux que les Russes soviétisés. De mon côté, je considère que c'est aussi le soviétisme qui a été russifié, et quand à ceux qui sont purement soviétiques, et applaudissent aux crimes communistes ou les prétendent faux, ou aux post-soviétiques qui ne connaissent ni leur histoire, ni leur folklore, ni les traditions et la foi de leurs ancêtres, ils ont beau parler le russe et avoir un physique slave, je ne les ressens pas comme des Russes, de même que beaucoup de Français contemporains ne sont plus des Français.
A la suite de cette conversation, qui s'est terminée par le départ offensé du Baron, Xioucha a évoqué sa mère, la matouchka, devenue communiste devant les ravages du libéralisme eltsinien qui la scandalisaient à juste titre, racontant qu'elle avait découvert dans l'étude des textes, à mes yeux insupportables, des penseurs et leaders communistes que cette doctrine était absolument conforme au christianisme. Je me suis récriée qu'une orthodoxe ne pouvait dire une chose pareille. "Mais la seule différence, me dit Xioucha, c'est que les communistes ne croient pas en Dieu.
- D'abord ce n'est pas la seule différence, loin de là, mais quand bien même ce serait la seule, elle est énorme. Et pour un chrétien, les choses sont très simples, ce qui n'est pas conforme à l'enseignement du Christ est hérétique et vient de l'antéchrist, point à la ligne! Soit on est chrétien orthodoxe, et notre Royaume n'est pas de ce monde, soit on est communiste, et on entend installer le paradis sur terre en écrasant tout ceux qui lui font obstacle activement, ou par leur seule résistance passive à un monde nouveau où ils n'ont pas envie de vivre, ce qui est mon cas! "
Je suis repartie avec l'impression que nos si belles civilisations respectives, la française et la russe, ont connu, avec leurs révolutions, des massacres et des destructions culturelles qui les ont laissées divisées et confuses, comme des familles où des intrus malfaisants ont détruit à jamais l'affection et l'harmonie initiales. Et qu'avons-nous obtenu à présent, au bout de deux cents ans de cette expérience pour les Français et de cent ans pour les Russes? Des lendemains qui chantent? La démocratie nous a tous livrés aux mafias à qui elle a donné un pouvoir mondial exorbitant, et absolument dépourvu du moindre frein, de la moindre espèce de conscience, et si on ne parvient pas à les arrêter, c'est la vie même, dans son ensemble, qui risque de prendre fin sur la terre. Capitaliste ici ou communiste là, la modernité nous a tous profondément avilis, diminués, abêtis et asservis. Ce que nous faisons est massivement moche, à se pendre d'ennui et de désespoir, et notre vie ne nous regarde plus et n'a plus aucune transcendance. Les quelques avantages du soviétisme des dernières décennies qui remplissent une partie des Russes de nostalgie valent-ils toutes les existences qu'on leur a sacrifiées, et vivre dans le béton, et les meubles en contreplaqué poli tous pareils, habillés d'oripeaux tristes est-ce là le summum radieux de l'histoire humaine? Le supermarché, la télé, le foot, est-ce là l'horizon qui justifie les massacres de Vendée, la destruction de l'esprit de la France, de ses traditions, de sa paysannerie en deux siècles de république bourgeoise et maçonne? Et où en sommes-nous, maintenant, livrés par nos propres gouvernements félons, promis à un destin de sous-hommes que l'on croise comme des vaches, pour obtenir une "nouvelle humanité" sans nous demander notre avis?
Aujourd'hui c'est le 14 juillet, dans quelques jours le centenaire de l'horrible assassinat de la famille impériale. Le mensonge est devenu inextricable, comme un gigantesque taillis de ronces. Une supercherie après l'autre, nous courons après les vessies que nous prenons pour des lanternes, et les ténèbres s'épaississent.
Heureusement, il reste encore assez d'églises et de saints pour éclairer, de place en place, le chemin de ceux qui cherchent une issue...
Au cours du dîner, j'ai levé mon verre à la défunte matouchka: "Je voudrais rappeler, au moment où j'obtiens mon premier permis de séjour, ce que me disait toujours Inna: vous mourrez avec nous, vous mourrez avec les Russes. On dirait que je suis en bonne voie pour réaliser sa prédiction!"
Elle me prédisait aussi que je finirais par lui donner raison. Partiellement, peut-être, très partiellement. Son voisin, "oncle Slava", lui rétorquait quand à lui: "Pourquoi veux-tu obligatoirement, parce que je ne peux pas partager ton enthousiasme stalinien, me classer parmi les suppôts du capitalisme? Pourquoi devrais-je choisir entre deux tas de merde, puisqu'ils sentent la même chose?"
Je pense souvent à cet ouvrage historique de Jean de la Viguerie "les Deux Patries". D'abord parce que j'en ai deux, la France et la Russie, et que lorsque je suis dans l'une, je pense à l'autre et réciproquement, mais ce n'est pas le propos de Jean de la Viguerie, son propos est que dans la patrie française, et je vois que dans une certaine et moindre mesure, c'est valable aussi pour la patrie russe, il y a deux patries: la patrie charnelle, spirituelle, celle de nos ancêtres, de leur foi, celle de leur culture, celle de notre histoire et ce golem idéologique, ce Moloch insatiable qu'ont créé les révolutions, au prix d'une extraordinaire violence et avec une méchanceté acharnée. Il y a ceux qui sont désormais les produits du golem: ils ne reconnaissent la France qu'à partir de 1789, ou la Russie à partir de 1917. Tout ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire tout ce qui a fait nos génies respectifs, n'est que ténèbres. Pour ceux qui ne sont pas du golem, c'est le contraire. Et puis il y a les hybrides, plus ou moins de l'une ou plus ou moins de l'autre patrie. Du genre les Russes qui adorent la famille impériale, détestent les bolcheviques et adorent Staline, parce qu'il a tué Trotski et "gagné" la guerre, une guerre que je crois gagnée par l'héroïsme du peuple russe et sa faculté de s'unir, quand son entité encore vivace est menacée.
La veille de l'événement, néanmoins, je me suis retrouvée dans la cuisine du père Valentin, avec 50 g de vodka, et, après des considérations diverses sur ma traduction de la vie et la doctrine de saint Grégoire Palamas, sur les vieux-croyants, Ivan le Terrible et l'influence occidentale, voici qu'est arrivée Irina Victorovna, veuve de Viatcheslav Markovitch, voisin du père Valentin et juif converti adorable qui aidait tout le monde. Autrefois, je me retrouvais souvent dans cette même cuisine, avec cette même vodka, et cette même "tante Ira", mais il y avait aussi son mari "oncle Slava", la "matouchka", la femme du père Valentin, et puis aussi Vassili Gueorguiévitch, dit "le Baron", et ils avaient des discussions politiques passionnées, car ils avaient des avis très divergents: le père Valentin et le Baron étaient et sont toujours monarchistes, oncle Slava et sa femme libéraux et la matouchka néostalinienne. Moi, je n'intervenais pas tellement, parce que je ne pouvais pas en placer une. Maintenant, la matouchka et oncle Slava sont dans l'autre monde. Mais tout à coup, là, tous les trois, nous retrouvions un peu de l'ambiance disparue. Tante Ira était en verve. Elle m'a dit: "On vous a donné le permis de séjour? Pas possible! A mon avis, on va vous chasser comme agent étranger!"
Le père Valentin a pris un air gourmand et sarcastique: "Certainement pas, Irina Victorovna, car nos autorités savent bien que Laurence a des idées diamétralement opposées aux vôtres."
Mine excédée de tante Ira: "Vous êtes deux imbéciles!"
Le lendemain soir, chez Xioucha, le père Valentin, le Baron, Iouri, Dany et toute une compagnie. Voilà que Iouri et le baron s'accrochent. La baron est insensible au cinéma. C'est un homme du XIX° siècle qui n'a pas digéré la révolution. Iouri ne la défend pas vraiment, mais il est né en URSS, il prend le paquet tel qu'il est, et lui, le cinéma, il aime, et le cinéma, en Russie, fatalement, s'est développé à l'époque soviétique. Le baron considère que tout le cinéma soviétique est nul et propagandeux, même Tarkovski. Ce qui n'est pas du tout mon avis, et puis, dans ces films, la Russie et le soviétisme sont souvent si imbriqués...La Ballade du Soldat est un film d'esprit complètement chrétien. Andreï Roubliov est ouvertement chrétien. Et Si Ivan le Terrible ne l'est pas, et propose des prélats orthodoxes une vision absolument fausse et caricaturale, la sainte Russie, la Russie tsariste pénètre en filigrane ce qui était censé devenir l'apologie des tchékistes, en tous cas, à 16 ans, ce que j'ai vu, c'était le tsar sacré, le tsar de droit divin, et pas le secrétaire du parti communiste... D'autre part, je ne peux donner tort à Iouri quand il dit que le système capitaliste exerce autant de censure sur les oeuvres d'art que le système communiste: pas de financement, pas d'oeuvres, pas de films, pas de publications, pas de pièces de théâtre, pas d'expositions et quand on n'est pas dans une certaine mouvance, quand on ne joue pas dans les règles, quand on n'est pas d'un certain milieu, on n'a pas trop le droit non plus à la libre expression. Le père Valentin me dit le lendemain que le Baron ne peut accepter, comme Iouri et moi le faisons plus facilement, de prendre la Russie d'aujourd'hui avec ses valises, car ces scories communistes qui subsistent sont pour lui une tragédie, rien n'est pire à ses yeux que les Russes soviétisés. De mon côté, je considère que c'est aussi le soviétisme qui a été russifié, et quand à ceux qui sont purement soviétiques, et applaudissent aux crimes communistes ou les prétendent faux, ou aux post-soviétiques qui ne connaissent ni leur histoire, ni leur folklore, ni les traditions et la foi de leurs ancêtres, ils ont beau parler le russe et avoir un physique slave, je ne les ressens pas comme des Russes, de même que beaucoup de Français contemporains ne sont plus des Français.
A la suite de cette conversation, qui s'est terminée par le départ offensé du Baron, Xioucha a évoqué sa mère, la matouchka, devenue communiste devant les ravages du libéralisme eltsinien qui la scandalisaient à juste titre, racontant qu'elle avait découvert dans l'étude des textes, à mes yeux insupportables, des penseurs et leaders communistes que cette doctrine était absolument conforme au christianisme. Je me suis récriée qu'une orthodoxe ne pouvait dire une chose pareille. "Mais la seule différence, me dit Xioucha, c'est que les communistes ne croient pas en Dieu.
- D'abord ce n'est pas la seule différence, loin de là, mais quand bien même ce serait la seule, elle est énorme. Et pour un chrétien, les choses sont très simples, ce qui n'est pas conforme à l'enseignement du Christ est hérétique et vient de l'antéchrist, point à la ligne! Soit on est chrétien orthodoxe, et notre Royaume n'est pas de ce monde, soit on est communiste, et on entend installer le paradis sur terre en écrasant tout ceux qui lui font obstacle activement, ou par leur seule résistance passive à un monde nouveau où ils n'ont pas envie de vivre, ce qui est mon cas! "
Je suis repartie avec l'impression que nos si belles civilisations respectives, la française et la russe, ont connu, avec leurs révolutions, des massacres et des destructions culturelles qui les ont laissées divisées et confuses, comme des familles où des intrus malfaisants ont détruit à jamais l'affection et l'harmonie initiales. Et qu'avons-nous obtenu à présent, au bout de deux cents ans de cette expérience pour les Français et de cent ans pour les Russes? Des lendemains qui chantent? La démocratie nous a tous livrés aux mafias à qui elle a donné un pouvoir mondial exorbitant, et absolument dépourvu du moindre frein, de la moindre espèce de conscience, et si on ne parvient pas à les arrêter, c'est la vie même, dans son ensemble, qui risque de prendre fin sur la terre. Capitaliste ici ou communiste là, la modernité nous a tous profondément avilis, diminués, abêtis et asservis. Ce que nous faisons est massivement moche, à se pendre d'ennui et de désespoir, et notre vie ne nous regarde plus et n'a plus aucune transcendance. Les quelques avantages du soviétisme des dernières décennies qui remplissent une partie des Russes de nostalgie valent-ils toutes les existences qu'on leur a sacrifiées, et vivre dans le béton, et les meubles en contreplaqué poli tous pareils, habillés d'oripeaux tristes est-ce là le summum radieux de l'histoire humaine? Le supermarché, la télé, le foot, est-ce là l'horizon qui justifie les massacres de Vendée, la destruction de l'esprit de la France, de ses traditions, de sa paysannerie en deux siècles de république bourgeoise et maçonne? Et où en sommes-nous, maintenant, livrés par nos propres gouvernements félons, promis à un destin de sous-hommes que l'on croise comme des vaches, pour obtenir une "nouvelle humanité" sans nous demander notre avis?
Aujourd'hui c'est le 14 juillet, dans quelques jours le centenaire de l'horrible assassinat de la famille impériale. Le mensonge est devenu inextricable, comme un gigantesque taillis de ronces. Une supercherie après l'autre, nous courons après les vessies que nous prenons pour des lanternes, et les ténèbres s'épaississent.
Heureusement, il reste encore assez d'églises et de saints pour éclairer, de place en place, le chemin de ceux qui cherchent une issue...
Au cours du dîner, j'ai levé mon verre à la défunte matouchka: "Je voudrais rappeler, au moment où j'obtiens mon premier permis de séjour, ce que me disait toujours Inna: vous mourrez avec nous, vous mourrez avec les Russes. On dirait que je suis en bonne voie pour réaliser sa prédiction!"
Elle me prédisait aussi que je finirais par lui donner raison. Partiellement, peut-être, très partiellement. Son voisin, "oncle Slava", lui rétorquait quand à lui: "Pourquoi veux-tu obligatoirement, parce que je ne peux pas partager ton enthousiasme stalinien, me classer parmi les suppôts du capitalisme? Pourquoi devrais-je choisir entre deux tas de merde, puisqu'ils sentent la même chose?"
Je pense souvent à cet ouvrage historique de Jean de la Viguerie "les Deux Patries". D'abord parce que j'en ai deux, la France et la Russie, et que lorsque je suis dans l'une, je pense à l'autre et réciproquement, mais ce n'est pas le propos de Jean de la Viguerie, son propos est que dans la patrie française, et je vois que dans une certaine et moindre mesure, c'est valable aussi pour la patrie russe, il y a deux patries: la patrie charnelle, spirituelle, celle de nos ancêtres, de leur foi, celle de leur culture, celle de notre histoire et ce golem idéologique, ce Moloch insatiable qu'ont créé les révolutions, au prix d'une extraordinaire violence et avec une méchanceté acharnée. Il y a ceux qui sont désormais les produits du golem: ils ne reconnaissent la France qu'à partir de 1789, ou la Russie à partir de 1917. Tout ce qu'il y avait avant, c'est-à-dire tout ce qui a fait nos génies respectifs, n'est que ténèbres. Pour ceux qui ne sont pas du golem, c'est le contraire. Et puis il y a les hybrides, plus ou moins de l'une ou plus ou moins de l'autre patrie. Du genre les Russes qui adorent la famille impériale, détestent les bolcheviques et adorent Staline, parce qu'il a tué Trotski et "gagné" la guerre, une guerre que je crois gagnée par l'héroïsme du peuple russe et sa faculté de s'unir, quand son entité encore vivace est menacée.
Le père Valentin et sa matouchka |
Merci de nous ouvrir une fenêtre sur les sympathiques moments passés avec vos amis et connaissances - réunions animées, où se croisent et s'affrontent des opinions très diverses ! Merci également de nous laisser faire connaissance avec le Père Valentin, qui est une belle personnalité. Assurément, certains Russes sont plutôt contradictoires, en « adorant la famille impériale, détestant les bolcheviques et, du même mouvement, adorant Staline, parce qu'il a gagné la Grande Guerre patriotique »… En fait, cette « Grande guerre » fut la collision de deux impitoyables dictatures - nazie et bolchevique - qui toutes deux méprisaient totalement l'être humain, et on fait démesurément souffrir les populations. - Si, de votre côté, vous faites l'apologie de la « culture authentique » de la Russie d'avant 1917, et de la France d'avant 1789, j'ai plutôt la pensée que chaque époque a été un mélange de « bonnes » et de « moins bonnes » choses… Car il faut avouer que tout le monde a été totalement ravi de sauter à pieds joints dans notre époque qui a inventé le chauffage central, les soins médicaux et l'eau chaude ! Personne ou presque, n'a envie d'habiter les isbas délabrées, avec un toit de goudron noir, entourées d'un jardin en friche où pousse le chiendent, qui sont ce qui subsiste de la culture ancestrale. Personne n'a envie d'aller chercher son eau dans le puits à balancier, si pittoresque que cela puisse être. Personne n'a envie de supporter la belle-mère et le grand-père, dans ce prétendu paradis que furent les relations intergénérationnelles. - Pour ma part, je pense que, en Occident, la pire époque fut les années 50 et 60. C'est là où l'on voulait raser tout ce qui était ancien et beau, pour couler du béton et tracer des autoroutes. On éliminait les meubles sculptés, pour laisser place au plastique et aux accessoires chromés. Depuis lors, s’est produite une lente évolution : on a progressivement découvert la nécessité de respecter l'environnement, et de sauvegarder les biens culturels. Maintenant, je me réjouis de voir que l'on restaure les bâtiments anciens, autant que possible, malgré les destructions précédentes, que l'on plante des arbres dans les espaces publics, et que l'on reconstitue le mobilier urbain au profit des piétons, faisant reculer les voitures, bien que très timidement jusqu'à présent. La Russie est un pays immense, et son évolution est lente - plus rapide dans les grandes villes où se trouve un milieu intellectuel - plus lente, s'il y en a une, dans les profondeurs des campagnes, où rien ne semble avoir bougé, depuis des temps immémoriaux. Il me semble qu'il y a peu près une cinquantaine d'années d'écart entre l'évolution de la Russie et l'évolution de la société occidentale : en Russie, on voit les premiers balbutiements d'une notion de respect de l'environnement, après les ravages terribles exercés lors de l'époque communiste, où l'on a jeté dans le paysage les débris radioactifs, quand ce n'était pas les ossements humains. Vous déplorez l'envahissement du lotissement aux alentours du monastère de saint Nicétas à Péréslavl, mais on voit que déjà, il existe une ou deux personnes qui prennent conscience de la nécessité de préserver les alentours de ce monument historique, bien que ce soit trop tard pour le faire, apparemment. Petit à petit, en Russie, progresse l'idée de la nécessité du respect de la personne et de la diversité des opinions, bien que ce soit, là aussi, une évolution très lente. C'est un mélange de traits de caractères qui sont admirables d'un côté, et « appelant un progrès », de l'autre. Après tout, on peut aimer la Russie et sa culture, en étant « pour », sans devoir nécessairement être « contre » tout ce qui existe par ailleurs.
RépondreSupprimerVous avez une représentation assez caricaturale des isbas paysannes. Evidemment, quand on les voit en ruines, avec une petite grand-mère isolée qui va chercher son bois sous la pluie... Moi j'ai vu de grandes et magnifiques isbas paysannes, dans le nord, par exemple. Bien sûr que la plupart des gens et moi la première va vouloir l'eau courante et le chauffage central, et cela d'autant plus, d'ailleurs, que je suis seule, ce que personne d'ailleurs ne semble comprendre ici: comment peut-on être seule? Ils ont encore aujourd'hui une existence communautaire dans leurs appartements ou leurs isbas, et intergénérationnelle, ce qui a ses qualités et ses défauts, comme je l'ai vu aussi en France. Quand je m'échinais sur le terrain de ma datcha, ma vieille voisine me lançait: "Sans mec, tu ne t'en sortiras pas!" mais le jour où le sien est venu, bourré, me draguer, elle l'a récupéré en me disant: "tu te rends compte que j'ai passé 50 ans avec cet imbécile?" Lequel imbécile répliquait: "Cette vieille est folle, mais je l'aime, comment pourrais-je faire autrement?' Je sais très bien qu'il n'y a pas de société idéale et que la société d'autrefois pouvait être très dure, je dis qu'elle était psychologiquement plus simple et nous offrait une transcendance. D'autre part, tout dépend de l'orientation des gens, dans la vie. Moi qui suis orthodoxe, mais en même temps Française, bonne vivante et flemmasse, je me rends compte que pratiquement tout ce qui est proposé pour nous simplifier la vie a de grands effets pervers et nous asservit d'une autre manière, plus irrémédiable. Si l'on se réfère à l'Evangile et la tradition chrétienne, on se rend compte que la porte qui mène à Dieu est étroite, et qu'il ne fait attendre ni bonheur ni confort sur cette terre, bien qu'il ne faille pas non plus, à mon sens cracher systématiquement dessus, bien sûr, mais disons que ce n'est pas cela le but de la vie, et que nous avons sacrifié des choses essentielles, et des choses qui nous rendaient heureux, malgré la belle-mère, le barine, les mongols ou les lansquenets, par dessus les aléas de la dure existence. De plus, je me rends de plus en plus compte qu'il s'agissait d'un marché de dupes, le coup du "bonheur" qui est "une idée neuve en Europe", une escroquerie, et que le réveil va être terrible, on en voit tous les signes. Cela dit, si vous avez vu mon article suivant, il est aussi possible de récupérer du passé ce que nous avons perdu ou du moins de sauver ce qu'il en reste, sans cracher sur ce que le présent offre d'avantages (bien qu'à mon avis nous ayons à nous passer d'un certain nombre de choses si nous voulons que la planète survive), c'est la démarche de l'agroécologie et de la permaculture, celle des maisons écologiques, et du retour au folklore d'une partie de la jeunesse russe, la seule qui soit vraiment russe, d'ailleurs. Je suis seule et m'en accommode, par la force des choses. J'aurais même sans doute du mal, à présent, à ne plus l'être au quotidien, et je ne sais pas ce que c'est que de composer avec des emmerdeurs domestiques. Cependant, j'ai conscience que cela n'est pas normal. Je ne sais d'ailleurs pas ce qu'il adviendra de moi si j'ai une vraie merde genre maladie d'Alzheimer, je prie Dieu de m'emporter comme ma tante, d'une crise cardiaque. Dans le quotidien, je suis terriblement égoïste, je ne supporte pas grand chose. Est-ce bien?
RépondreSupprimerLes environs du monastère sont peut-être sauvés, il paraît qu'une partie des barrières a disparu. A Moscou se commettent des ravages irréparables, le maire a vite fait bien fait détruit toute une série d'anciens hôtels particuliers aux environs du Kremlin, sans l'autorisation de l'UNESCO. Dire que toutes les époques sont pareilles, que cela a toujours été comme ça etc. est à mon avis une grande erreur. Aucune époque n'est comparable à la nôtre. Il y a toujours eu des horreurs et des injustices, et certains traits de caractère humain sont éternels, mais notre époque n'a pas son équivalent, et met en danger notre humanité, physiquement, moralement, culturellement, spirituellement, et aussi tout le vivant qui nous entoure. Il faut regarder comment tout cela est arrivé, et dans quel sens nous allons, c'est ce que je fais sans arrêt, assemblant les pièces de mon terrible puzzle.
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec vous que la guerre fut l'affrontement de deux totalitarismes, en réalité, nous avons affaire à un serpent à trois têtes, avec un seul et même corps, qui s'appelle progressisme matérialiste. Maintenant, nous nous trouvons devant la troisième tête, le libéralisme mondialiste, qui sera à mon avis beaucoup plus pervers et destructeur que les deux premiers.