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jeudi 26 juillet 2018

Les cabines Rouges

Je me fais périodiquement attaquer par des communistes purs et durs qui me reprochent d'être "victime de la propagande occidentale" (qui, dans ma jeunesse, en France, était pro communiste) et me soutiennent mordicus que tout ce qu'on a raconté sur les épurations diverses, c'était de gros mensonges. Ils accusent également Soljenitsyne d'être un menteur et un traître. Or mon opinion s'est forgée au cours de longues années, et Soljenitsyne n'a pas été le seul à m'influencer, loin de là. J'ai juste entendu énormément de témoignages, beaucoup de ces témoignages, d'ailleurs, m'arrivaient par l'émission "Jdi Menia", "Attends-moi", où la télévision aidait des gens à retrouver des parents disparus, des amis perdus de vue. J'ai entendu alors des histoires incroyables, et des gens séparés par les arrestations, il y en avait un paquet. Par ailleurs, des amis me racontaient leurs histoires de famille. Et voilà qu'aujourd'hui, je tombe sur un post de Dmitri Paramonov, le roi du gousli, qui est en vacances dans l'Oural où il a grandi, avec les commentaires de ses amis. C'est un témoignage direct sur ce qu'on a appelé la "dékoulakisation", l'épuration des paysans "riches":




Dmitri Paramonov : Près des cabines Rouges au croisement . C’est dans ces endroits magnifiques que fut déporté mon arrière-grand-père Sémione avec sa famille, après la « dékoulakisation », en automne. Ils vivaient dans des huttes, ils mangeaient de l’écorce. Ils avaient deux sacs de blé et de seigle, mais mon grand-père ne les donnait pas à manger, pour les semer au printemps. Ils tressaient des lapti et les vendaient à la foire de la ville. Grâce à Dieu, ils ont survécu !
Katerina Savelieva : Et d’où venaient-ils et où les a-t-on envoyés ? Mon arrière-grand père aussi a été dékoulakisé mais il s’est enfui. En hiver, sans vêtements d’extérieur, il a parcouru plusieurs kilomètres, s’est planqué chez un ami cheminot et profitant d’une occasion, il est parti à Moscou, s’est fait embaucher à l’usine et a fait venir petit à petit sa famille. Il avait alors 70 ans.
Alexandre Kapoustine. Je suis heureux que tout se soit bien terminé pour ton arrière- grand-père. Le mien a été dékoulakisé deux fois. La première fois parce qu’il avait deux chevaux pour une famille nombreuse. On a déporté toute la famille, sauf mon arrière-grand-mère qui travaillait. Au bout d’un moment, les dékoulakisés se sont faits à leur nouvel endroit, ils ont remonté l’affaire familiale et commencé à envoyer à l’arrière-grand-mère leurs produits : de la crème, du beurre, emballés dans des tonnelets.  Et on les a à nouveau dékoulakisés, on les a jetés au milieu de la steppe en hiver sans vêtements chauds ni instruments de travail, avec des enfants en bas âge, les vouant à une mort certaine.
Dmitri Paramonov : Et chez nous pareil, on a dékoulakisé deux fois.

Ces récits familiaux répondent en tous points à ce qui est décrit pat Soljenitsyne dans "l'Archipel du Goulag": des familles jetées en plein hiver dans des endroits inhabitables qui, avec leur courage et leur résistance russes, réussissent à survivre et à qui on refait le même coup, lorsqu'on constate qu'ils ont recréé une petite exploitation paysanne et qu'ils arrivent à s'en sortir. Cela correspond également à ce que décrit Alexandre Panarine dans la "Civilisation orthodoxe": un acharnement sadique, méticuleux et haineux contre la population paysanne russe. Je ne vois pas pourquoi ces jeunes folkloristes qui échangent des considérations entre eux mentiraient sur ce point.
Maintenant, on me répète sans arrêt de tous les côtés que les Russes ne veulent pas travailler. Les descendants de ceux-là même qui les mettaient dans de telles situations vous diront que c'est un peuple de bons à rien, de feignants et d'alcooliques. Or, au vu de telles histoires, je pense que c'est un peuple extrêmement résistant, héroïque, j'espère que ces qualités n'ont pas été définitivement brisées par le dressage subit.

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