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jeudi 8 novembre 2018

Belsatzar


Le père Constantin m’a donné à lire un numéro de la revue épiscopale consacré à la famille impériale, à son chemin de croix, celui du tsar, celui de sa famille, de son petit garçon intelligent, délicat et sensible qui est mort de si affreuse façon.
Sur le mur de la maison Ipatiev, les traces sanglantes du massacre étaient restées indélébiles, elles ressortaient toujours, quelles que soient les couches de badigeon dont on les recouvrait. Est-ce cet étrange miracle, ou la fameuse inscription "Belsatzar fut la même nuit tué par ses esclaves", ou encore quelque autre secret qui a motivé la destruction de la maison du crime juste avant l’ouverture de la Russie au capitalisme mondialiste et le démembrement de l’URSS par ses propres apparatchiks ? D'après une conférence à laquelle je viens d'assister, en plus de l'inscription cabalistique, les murs de la cave où l'on a massacré ces pauvres gens étaient couverts de graffitis injurieux et obscènes.
Les gens se demandaient si on pourrait restaurer une monarchie, je suis profondément monarchiste, mais je vois cela assez mal parti, d’ailleurs tout est mal parti, le prochain roi ou tsar dont nous verrons peut-être l’avènement, c’est le Christ...

J’ai vu d’anciens parents d’élèves, Luc et sa femme Victoria, parents de Pola, que j’avais eue en moyenne et grande section, dans ma classe préférée. Nous avons déjeuné au restaurant japonais du tadjik Berkhrouz, en face du café français, qui fournit les desserts. Luc  pense que s’il y a des contradictions entre ce que dit le gouvernement russe et ce qu’il fait, c’est que l’opposition ne s’exprime pas dans les partis, mais à l’intérieur du gouvernement lui-même. Il pense que la France s'enfonce et que la Russie remonte, et que les niveaux de vie vont devenir équivalents puis se croiser.
Luc et Victoria sont orthodoxes et vont régulièrement consulter un starets à la laure de la Trinité saint Serge.
Rien ne me déprime plus que les commentaires enragés des néostaliniens qui  justifient tous les crimes de leurs affreuses idoles, des bourreaux de leur propre peuple. Enfin, quand je dis leur peuple... les bourreaux du peuple. Maintenant, je n’arrive plus à les lire. Nous sommes entrés dans l’ère de la folie et de l’infâmie déchainées. L'un d'eux, par exemple, déclare que tous ceux qui n'aiment pas Staline sont des ennemis de la Russie. Mais ce qu'il appelle la Russie, c'est l'Union Soviétique, fondée dans l'horreur de la Russie et sa destruction systématique en vue de construire un pays nouveau qui n'aurait plus rien de commun avec elle. Sa mentalité idéologique, la plaie de notre époque, quelle que soit l'idéologie, le conduit forcément à estimer que tout contradicteur est un ennemi à abattre. Et de ces "ennemis", on en a abattu beaucoup, énormément. De toutes sortes. Savants, artistes, ecclésiastiques, simples croyants, paysans, cosaques... En fait, tout ce qui constituait la Russie, qui n'était pas l'Union Soviétique.
J'ai rencontré un autre soviétique nostalgique en allant faire encadrer un tableau qu'on m'a offert. Celui-ci parle sans arrêt de "l'esprit russe" et trouve que les monastères de Pereslavl, ceux qui sont restaurés, n'ont plus l'esprit russe. "Ils ne sont pas toujours bien restaurés, ai-je objecté mais la plupart tombaient complètement en ruines, je m'en souviens très bien, avant que l'Eglise ne les reprenne." Il prétend que l'URSS conservait pieusement tous les monuments du passé, parce qu'il y avait quelques  restaurateurs d'icônes au fond des musées. L'existence de quelques musées justifiait la destruction massive de tout ce qui n'y entrait pas. Mais ces destructions ne dérangent mon interlocuteur que lorsqu'elles sont libérales, lorsqu'elles ont eu lieu après la perestroïka, avant c'était légitime. Et il préfère les monastères abandonnés et en ruines que rendus à leur destination première. Je ne vois pas bien ce que tout cela a à voir avec l'esprit russe. L'esprit russe tel qu'il apparaît pendant les mille ans d'existence de la Russie, et non les 100 ans de démolition culturelle et spirituelle qui ont suivi, avec des survivances académiques: ballets, concerts, bibliothèques...
J'ai observé qu'un certain nombre de gens ont dans la tête une sorte de paradis fantasmé qui ne correspond ni à ce que j'ai vu et ressenti, ni aux textes et aux photos que j'ai lus, ni aux nombreux témoignages que j'ai entendus de mes oreilles, et directement, de vive-voix. Je crois que l'homme pourvu d'une mentalité idéologique aime la grille d'interprétation de la vie qu'on lui a fournie plus que la vie elle-même. Si le discours est séduisant, et la réalité en complète et affreuse contradiction avec ces belles paroles, tout ce qui compte pour lui, c'est le discours, c'est l'incantation et l'hypnose. Si le discours est sentimental, le pouvoir est bon, en dépit des injustices et des  atrocités. Et souvent d'ailleurs, ce discours est double, et l'on n'en entend qu'un seul, celui qui nous rassure dans notre aveuglement, et pas celui, beaucoup plus cynique, qui pourrait nous ouvrir les yeux. L'illusion masque les cadavres, les réduit à des statistiques, ils ne sont plus qu'un détail. On a réhabilité les victimes dans les années 50, ceux-là sont prêts à les déshonorer de nouveau, parce qu'ils ont de l'affection pour leurs bourreaux. Ils en arrivent même à justifier l'assassinat d'un grand-père prêtre ou "koulak", c'est le complexe de Pavlik Morozov. A l'époque, ils seraient peut-être allés les dénoncer. Cette mentalité rejoint celle du gauchiste français, sans doute parce qu'elle sort de la même matrice. Ainsi j'ai vu la vidéo d'un monstre ordinaire de la modernité bien de chez nous qui, pour faire l'émancipée, ne voulait pas emmener son enfant malade d'une otite chez le médecin, parce que c'était à son père de le faire et qu'elle ne voulait pas céder. On a dû crever le tympan de l'enfant. Mais sa mère n'a pas cédé. Elle a préféré ses idées mortes à l'enfant vivant. Et elle se donne en exemple de féministe réussie. Elle est très fière de n'avoir plus de coeur.
Joseph Roth fait dire, dans la "Marche de Radetzky", un vieux médecin juif à son fils révolutionnaire: "l'embêtant avec toi, c'est que tu n'as pas de coeur".
Le soir, levant le nez de l’ordinateur, j’ai vu un ciel si extraordinaire, si tendre, un passage de légers embryons angéliques, de rêves innocents et calmes, comme on en a dans la petite enfance. Tout cela se déroule au dessus de notre planète qui meurt, dans de hideuses convulsions, comme si de rien n’était, en toute sérénité... Ou peut-être comme un rappel, que nous ne sommes pas seuls, et que plus nous sommes menacés et calomniés par les créatures des ténèbres, avec tout ce qui nous est cher, plus nous nous approchons de Celui qui a enduré tout cela pour nous attirer jusqu’à lui.





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