C’est
la fête de l’unité russe, c’est-à-dire celle de Notre Dame de Kazan, et du
triomphe des Russes
réunis dans un soulèvement général contre les Polonais qui
occupaient Moscou et avaient emprisonné le patriarche Hermogène. A l'issue de tout cela, Michel Romanov, jeune homme de 16 ans que l'on était allé chercher en procession à Kostroma pour le faire tsar, monta sur le trône. Le prêtre a
rappelé tout ça dans son sermon, et il y avait du monde, à l’office. Je sens que
l’Eglise se mobilise. Le prêtre, le père Jean, je crois, a évoqué le fait que
chacune de nos âmes est pareille à l’univers entier, ce qui permet à la plus
humble prière d’arriver à destination.
Le premier et le dernier Romanov en un seul monument |
J’avais
eu du mal à venir, comme d’habitude, et j’ai du mal à prier, parce que sans
doute je travaille trop. Je traîne trop sur internet également, mais cela
rejoint mon travail. J’ai ouvert un groupe de soutien au métropolite Onuphre
qui, dit-on, savait qu’il prenait le risque du martyr quand il a accepté la
métropole de Kiev. Comme dit l’un de ses fidèles dans un post, je suis fière
d’appartenir à la même Eglise que lui. Un tel métropolite, à Kiev, en un tel
moment, est pour moi un signe, comme une bannière plantée dans la confusion et
les ténèbres : être de son côté, c’est être du bon côté, celui des
persécutés, et non des persécuteurs. Cela m’apporte une certaine sérénité, dans
cette affaire. Oui, tout est infâme et terrible, oui, le diable se déchaîne contre la
Russie en particulier et la chrétienté en général, mais il y a le métropolite
Onuphre, que rien n’ébranle dans la tempête.
Le métropolite Onuphre: "Mieux vaut être serviteur chez le Christ que tsar chez le diable. |
Comme
pour la grande procession panukrainienne, je suis amenée à collecter des
témoignages sur lui à travers les divers posts sur les pages et les groupes des
réseaux sociaux.
Parallèlement,
je termine une traduction ingrate et ennuyeuse.
Donc
après l’office, j’ai vu que le vent emportait de formidables nuages russes et
qu’à travers leurs énormes ténèbres, apparaissait le soleil qui frappait de ses
flèches, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et j’ai décidé d’aller à pied
jusqu’au lac, le beau temps, au mois de novembre, il ne faut pas le laisser filer, ici. Ce fut difficile, marcher me fait mal, décidément, la petite
sirène d’Andersen m’aura poursuivie toute ma vie. Rita m’a suivie volontiers,
allègrement. Rosie était avec des copains en ville, je l’ai vue de loin, mais
me suis bien gardée de me manifester, parce qu’elle m’aurait suivie dans le
magasin où j’allais entrer, et après j’ai perdu sa trace.
Le
lac était agité par un vent violent mais pas très froid, presque un vent de
printemps, enfin de printemps russe, naturellement. Il était d’un vert sourd,
un vert de reptile ou de poisson, et traversé de frissons blancs et de reflets
bleus, ses berges violacées s’illuminaient et s’assombrissaient tour à tour,
étendant, parmi ces sombres couleurs, de soudaines et éphémères bannières de
brocart, dorées et brillantes : la berge du côté du monastère saint
Nicétas, ou bien un banc de roseaux, tout à coup illuminé, un bouquet d’arbres.
Cela valait le coup de souffrir, et de supporter le spectacle des maisons
moches, pour voir toute cette beauté. Et comme bien souvent, j’aurais
éperdument souhaité revenir mille ans en arrière, quand cette beauté était si
intacte et si puissante que toute l’existence des gens en était imprégnée et
transfigurée, leurs vêtements, leurs maisons, leurs chants, leurs danses, la
beauté les habitait et rayonnait d’eux, alors que de nous n’émane plus que la
laideur et la banalité, en un mot, la mort. D'ailleurs, cela sentait l’égout, près du lac, et j'ai vu sur la berge des ordures échouées, du plastique, comme d'habitude, ce poison secrété par une humanité complètement déchue.
Au retour,
une vieille s’est extasiée sur Rita et nous avons un peu discuté. J’étais près
de cet hôtel qu’avait construit à prix d’or la femme de Loujkov, dans ce style
caractéristique, résultat des amours incongrues de Staline avec Walt Disney. Le
machin n’a jamais été exploité, il a été pillé, et maintenant tombe en ruines.
Rita
me vaut de grands sourires, alors que Rosie m’attire des cris et des reproches
la plupart du temps.
La
vieille habitait à côté, mais elle a absolument tenu à m’accompagner un bout de
chemin, car elle ne comprenait pas comment je pouvais me promener seule avec un
chien : il me fallait de la compagnie. Sur le trajet, nous avons longé de grosses
maisons particulièrement épouvantables, elle les trouvait très belles. « Ah
bon ? me suis-je insurgée. Moi je les trouve affreuses. Elles sont riches,
oui, elles ont dû coûter cher, mais elles sont affreuses. » Le problème, c’est
que riche égale beau. Après 70 ans de communisme, quelle ironie, mais le style
communiste ne se caractérisait ni par son harmonie, ni par sa fantaisie, c’est
le moins qu’on puisse dire. Passer du moche pauvre au moche riche n’est pas un
grand pas à faire.
Après la vieille, j'ai rencontré deux ivrognes, assis sur un tronc d'arbre, avec un pique-nique et une bouteille, et une chanson de Vissotski en fond sonore, bien éraillée. "Bonne fête! m'ont-ils lancé.
- Bonne fête!
- Portez-vous bien!
- Et vous aussi!"
Ils semblaient un peu surpris, je me demande pourquoi.
Presque comme si j'étais retournée aux Solovki, sur la mer Blanche... |
L'église des 40 martyrs de Sébaste |
Le côté de saint Nicétas |
Tiens? |
Que me veut cette grosse chose? |
Le mieux est de l'ignorer... |
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