Notre évêque. Photo de l'éparchie |
.J’ai été avertie qu’un tadjik organisait une
expédition certificats médicaux, pour l'immigration, rendez-vous le lendemain, c’est-à-dire le
Grand Vendredi, à quatre heures du matin. Les deux autres tadjiks de l’équipe,
injoignables au téléphone, nous ont fait poireauter trois quarts d’heure. Ils
nous ont finalement rejoints à Yaroslavl même au centre du SIDA, pris d’assaut
par des hordes de leurs compatriotes, et aussi des ouzbeks, car d’une part, les
fêtes de mai sont à l’horizon, et d’autre part, l’été et les divers chantiers
où ils se font embaucher. L’opération s’est terminée à quatre heures et demie
du soir. Je n’ai même pas pu me reposer, libérer ma chienne, manger quelque chose ni mettre une jupe
avant d’aller à l’office du Grand Vendredi, et j’avais apporté un livre pour
suivre, mais parfois je m’endormais sur les pages. Les vieilles me font
maintenant de la place avec un sourire narquois : «Venez, venez, ne restez
donc pas debout, hé, hé, on n’a plus vingt ans… » Je fais plus jeune
qu’elles par mon style de vêtements, mais mon squelette est dans le même état
que le leur, et elles le savent bien !
La veille, j’avais suivi les Évangiles de la
Passion de la même manière. Il n’y a pas beaucoup de monde à ces offices qui,
pourtant, me plaisent plus que celui de Pâques, car ils sont plus recueillis et
les chants plus retenus. La joie pascale a donné matière à toutes sortes de
trilles et de débordements mondains aux compositeurs du XVIII° siècle importés
par Pierre le Grand et Catherine II, et en plus, on allume généralement tous
les lustres électriques, et cette « lumière de la Résurrection » me
rappelle trop souvent celle d’un hall de gare…
Tout est très modeste dans notre humble
cathédrale, où, à la place de l’autel, les soviétiques avaient installé des
douches et des toilettes. Elle est restaurée n’importe comment et à moitié. Les
paroissiens sont fauchés, les prêtres aussi, d’ailleurs, ça va ensemble !
Même notre évêque, si j’ose dire, tire le diable par la queue… Mais que de ferveur,
il se produit ici une sorte de précipité spirituel, parce que Dieu nous a donné
un bon évêque, humain, profond, intelligent et simple, et que les gens le
sentent, et se bousculent pour avoir sa bénédiction, moi la première. Sa bénédiction chaleureuse me fait penser à
celle de la mère Hypandia. L’un et l’autre
pourraient être mes enfants, et j’éprouve pour eux une admiration de petite
fille pour des êtres sages et bons qui, spirituellement, m’ont largement
dépassée.
On fait beaucoup de sermons dans notre cathédrale,
sans doute pour éduquer la province, ceux de l’évêque sont substantiels et
courts (en général ça va de pair), et Katia le suit dans ses déplacements à
travers nos diverses paroisses, pour en bénéficier.
Malgré la pauvreté du diocèse et de sa cathédrale,
la beauté de l’Orthodoxie subsiste, cette beauté noble et médiévale dont tout,
à l’extérieur, conspire à nous priver. Celles des rites, des vêtements. J’aime
particulièrement les chasubles de carême, à la fois sombres et brillantes.
Quelque chose comme les moirures du ciel étoilé qui descend sur nos prêtres,
avec sa sérénité pleine de mystère.
Le père Constantin lui-même s’émerveille de ce qui
se passe en ce moment chez nous, comme si Dieu nous avait conduits les uns vers
les autres, afin de nous permettre de supporter ensemble l’abomination de la
désolation qui se précise de plus en plus. Je le crois profondément. Il fait de
petits paquets, à travers le monde, autour des lampes allumées de ses derniers
sanctuaires. D’un côté Solan et Cantauques, de l’autre le métropolite Onuphre
et ses fidèles, et ici, à Pereslavl, l’évêque Théoctyste et les siens, et il y
en a bien entendu, encore beaucoup d’autres, partout où de vrais pasteurs et de
vrais moines rassemblent autour d’eux des fidèles souvent désemparés ou
faibles...
Diverses photos de l'éparchie
le père Ioann |
le père Constantin |
le père Andreï |
de simples fidèles.... |
***
Ramsès |
Mon déménagement est enfin arrivé, mais il manque
des affaires, en particulier tous mes tableaux, et les aquarelles que j’ai
faites au cours de ma vie, du moins celles que je n’ai pas données ou vendues.
J’essaie de répartir tout cela dans la maison, et
je vois surgir des épaves de France, des souvenirs de maman, ou de mes
grands-parents, des choses qui me tirent des larmes, et cela devient vrai: je suis une émigrée..
Rita étant courtisée par un affreux basset de
basse estrace, je me suis dépêchée de lui trouver, dans mon désarroi, car l’empêcher
de sortir était très compliqué, un fiancé digne de son rang qui répond au noble
nom de Ramsès. Ses patrons veulent un chiot pour eux, ma voisine également, et
les spitz en font très peu. Ce sont deux jeunes gens modestes, qui vivent dans
un appartement soviétique de base. La jeune femme est ravissante, et ses deux
enfants ont l’air très intelligent. Le petit dernier a dans les neuf mois, et
déjà un regard attentif impressionnant, et un sourire plein d’humour.
Comme je le prévoyais, Rita s’est crue abandonnée,
et a poussé toute la nuit des sanglots déchirants, pour aller se cacher en
grognant, au matin, sous le divan. Elle a manifesté une joie touchante en retrouvant sa maison, ses chats et une "vkousniachka" pour la consoler...
Tout cela m'a coûté tellement cher, prend si peu de place, et me cause une telle pagaille.... avant, après.
les étagères se garnissent |
J'avais offert cette lampe à maman dans les années 70, le vase orange 1900 me vient de la tante Camille, d'Annonay... |
La seule aquarelle qui me soit parvenue, une vue de la Garde Adhémar... |
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