J’ai passé la semaine à ranger mon déménagement, et
j’ai encore des affaires que je ne sais pas où mettre, bien que ce que j’ai pris représente un très petit volume. Contrairement
à ce que j’avais cru au départ, mon déménagement était complet, j’ai tout
retrouvé, y compris mes livres de prières en français, qui dégageaient un
parfum de myrrhon, parce que Claude Ginesty m’en avait envoyé dans une
enveloppe, et je l’avais glissée dans la
brochure des acathistes ; elle était accompagnée d’une lettre de la mère
Hypandia, quand ma mère était mourante, où elle me conseillait de ne pas la
retenir sur terre, de la remettre à Dieu et de lui laisser traverser des
épreuves qui lui facilitaient le passage. Or la fin de maman me laisse souvent
un sentiment de culpabilité, que cette lettre retrouvée et relue remettait un
peu à sa place.
Il y avait également un livre de prières, un
évangile en slavon très beaux, et des dyptiques, que m’avait offert « oncle
Slava », le voisin juif converti à l’orthodoxie du père Valentin, un homme
adorable qui est mort depuis. Il a été portraituré, sous la forme d’un prophète,
sur l’iconostase de l’église, où il a fait tant de bien et aidé tant de monde.
La pièce où je travaille a beaucoup changé, elle
se retrouve investie par des objets qui ont tous une grande charge émotionnelle,
qui sont passés avec le temps du stade d’éléments de décoration à celui de
précieux souvenir, en raison de mon âge et du naufrage de la France. La statue
qui était sur la cheminée de l’Armençon, dans mon enfance, le vase 1900 que
m’avait donné la tante Camille, des aquarelles de Pierrelatte ou de
Cavillargues, le petit pot doré où je mettais le tabac à rouler et le papier,
quand j’étais jeune, à Paris, deux vases que j’avais offerts à maman, d’autres
qui me viennent d’elle, une lampe des
années 70 que je lui avais offerte également, je l’avais achetée dans une jolie
boutique de déco à Montpellier, le pied est un parallélépipède de bois incrusté
de cuivre, tout simple. Un brûle-parfum que j’avais acquis dans un mas du Gard,
avec Cécile, on peut y brûler du bois de cade en poudre, et ainsi de suite,
tout cela représente les seules traces qu’il me reste de ma vie et de la
France, de ceux qui m’étaient proches et pour lesquels, chaque jour, je prie
avec des larmes, qu’ils soient morts ou encore sur terre.
J’arrange tous ces objets et ces tableaux de telle
façon qu’ils se mettent tous en valeur les uns les autres, qu’ils soient en
harmonie, et cela me demande beaucoup de temps et d’efforts. Je ne sais combien
de fois j’ai fait cela autrefois, et c’est probablement la dernière, et puis je
mourrai et tout cela sera dispersé je ne sais où.
A la mort de ma tante Jackie, j’avais rêvé que je
me promenais sur une grève déserte et que les vagues m’apportaient en chuchotant des objets
qui lui avaient appartenu et que je ramassais.
De tout ce que j’avais, livres, et affaires de
famille, il ne me reste pas grand-chose, une sorte de quintessence, mais même
cela, je ne l’emporterai pas avec moi, en tous cas pas sous une forme
matérielle.
Ma tante Mano me dit que mon grand-père et ma grand-mère auraient été bien étonnés d'apprendre que la ménagère de leur mariage annonéen, leur sculpture d'albâtre et leurs photos de famille échoueraient un jour à Pereslavl Zalesski.
Le matin, depuis mon lit, je regarde le thuya que
j’avais planté en arrivant, il y a presque trois ans, éclairé par le soleil il
prend une patine de bronze, et de beaux reliefs tourmentés, finalement, ce n’est pas un
cyprès, mais cela peut y ressembler, un arbre en forme de flamme, comme sur les
tableaux de Van Gogh. Bientôt il me cachera la maison du voisin. J’ai beaucoup
de travail dans ce jardin et le ferais volontiers, mais les forces me manquent
et la forme physique, entre les rangements, le jardinage et les offices de la
semaine sainte et de Pâques, je suis fatiguée et j’ai mal au genou. J’ai vu les
remontrances du père Tkatchev aux gens qui s’écroulent après Pâques, au lieu
d’aller joyeusement à l’église, et perdent le bénéfice du Carême, c’est
justement ce que je fais. En général pour moi, la semaine lumineuse, c’est les
vacances… Or nous attendent de grandes épreuves, et je ne sais vraiment pas si
je ferai face.
Je vois sortir, promesses de l'été, des plantes de ce qui était un
paillasson beigeasse et boueux il y a encore peu de temps, des iris, des astilbes, des jonquilles, des
primevères, des delphiniums, des pivoines, des asters, des hémérocalles et des
lupins, tout ce que j’ai planté depuis que je suis arrivée dans ce qui était un
terrain vague. Et tandis que je m'active, me parviennent, des églises et des monastères de Pereslavl, des carillons de Pâques.
L’autre jour, j’ai rencontré Kostia, qui m’a fait
les travaux, il est venu me proposer de me donner un hectare
de terrain. Il en quarante, et il m’en donne un. Depuis, je me perds en
conjectures.
Magnifique.
RépondreSupprimer