Ca y est, nous avons basculé dans notre courte et
suave belle saison. J’ai éteint le chauffage et passé pour la première fois ma
tondeuse mécanique, pour une tonte sélective, qui laisse des espaces sauvages,
ou à moitié sauvages, mais structure l’espace. Il souffle du lac un vent doux
et puissant, à l’image du peuple russe au cours de son histoire, à la fois
nonchalant et plein d’une force passive capricieuse et insaisissable, d’un
potentiel d’énergie et de violence, mais aussi de contemplation et d’accomplissement
mystique, oui, c’est là tout ce que je ressens dans ce vent printanier et
solaire de Pereslavl, qui se parfume aux blancs et innombrables petits
encensoirs du poirier en fleur. Le prunier, lui, se couvre de perles blanches,
le ciel est presque sans nuages, ce qui est rare, ici.
Mon jardin est toujours en retard par rapport à
ceux d’autres endroits de la ville. Est-ce son côté marécageux ? Ou bien
les plantes, encore récentes, ont besoin de faire leur trou ? Il y en a
auxquelles je renonce : le terrain n’est pas pour elles. J’ai commandé de
la rhubarbe, et je vais installer plus de fougères et d’astilbes, elles
poussent comme du chiendent, Les iris des marais, aussi.
Il fait si bon que l’on pourrait oublier tous les
signes sinistres de la grave maladie qu’est devenue notre civilisation pour la
planète, maladie des âmes humaines qui s’avilissent toujours plus dans le
reniement de leur destinée spirituelle.
Et pourtant, dès que je quitte mon jardin et ma maison, j’en vois tous
les symptômes, la laideur des habitations, des vêtements, des sons discordants
de notre existence mécanique, et nos monceaux d’ordures, imputrescibles et immondes. Les gens du quartier
encombrent notre unique container avec les branches des arbres qu’ils taillent,
au lieu de réduire tout cela en morceaux qu’ils pourraient utiliser pour
fertiliser leur jardin, je ne mets rien d’organique dans le fichu container, le
résultat, c’est qu’on n’a plus de place pour jeter les déchets de plastique,
verre ou métal qui se retrouvent le long des chemins.
Je n’ai pas trop de temps ou de forces pour le
potager, il s’installera sans doute petit à petit. J'ai fait primer l'esthétique sur l'alimentaire...
Parfois, je me dis que cet îlot de beauté que je
me fais sera ce qui m’amènera au départ dans une relative paix intérieure,
tandis qu’on profane Notre Dame et le centre de Paris avec des innovations
high tech prétentieuses et qu’on bousille à Moscou et ailleurs les derniers
vestiges de la Russie féerique que j’ai
aimée. Il viendra un moment où, sans doute, je finirai par me
concentrer, comme mon évêque, uniquement sur Pereslavl et ses environs, où il y
aurait déjà bien assez à faire. Peut-être même que Dieu nous ramènera à des
dimensions humaines et normales en détraquant tout notre système hideux et son
électronique, alors nous pourrons peut-être panser quelque peu les plaies de la
terre avant le retour du Christ que, malgré ma profonde
inadéquation à ce qu’Il réclame de moi, j’appelle de tous mes vœux, tant ce qui
se déroule et se prépare me fait horreur.
bien caché mais reconnaissable: c'est Rom! |
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