Lettre de la sœur Marie-Rose à ma mère, quand j’étais à la
maternelle du Sacré-Cœur d’Annonay
Pour ce qui est de son comportement, Laurence est très
épanouie, contente, très spontanée. Cependant, l’absence de sa mère lui pèse
parfois, surtout après un retour de Pierrelatte. J’ai égard à ce petit chagrin
qui se manifeste d’une façon plus ou moins consciente. Laurence est une enfant
rêveuse, calme, elle est concentrée, très affective. Ce qui me pose un problème
pour elle, c’est son monde merveilleux… que vous connaissez aussi. Il suffit de
faire l’analyse de ses dessins pour comprendre de monde psychique qui s'y révèle.
Vous le savez, entre 5, 6 ou 7 ans, c’est la période de transition entre le
monde merveilleux et le monde réel. Laurence semble installée dans le
merveilleux et ses réflexions spontanées nous le montrent bien.
Je ne voudrais pas grandir.
Je voudrais, après 5 ans, avoir 3 ans encore.
Ce sera très triste, lorsque tous les petits enfants seront
de grandes personnes.
Vérité qui exprime bien le monde psychique si compliqué
chez l’enfant. Et je ne voudrais pas, chère madame, vous causer de la peine ou
vous effrayer, en vous disant que chez Laurence, l’obsession de ce monde
merveilleux s’est accentuée. C’est normal, c’est un mode de compensation, chez
Laurence. Je lui fais faire beaucoup de dessins libres en arrivant en classe,
où Laurence m’explique que « le petit Poucet a trouvé une petite fille
triste, alors le petit Poucet l’a accompagnée chez madame la Fée ». Ainsi
mise au courant, je peux davantage comprendre Laurence et l’aider en fonction
de ses besoins. Nous, grandes personnes, nous avons aussi nos problèmes, mais
en les analysant, nous pouvons les résoudre, l’enfant ne peut pas, il faut donc
l’aider à surmonter, afin d’éviter chez lui les échecs et les refoulements. Je
pense, madame, que vous comprendrez le problème qui se pose pour moi, comme
aussi pour vous, et je n’ai pas hésité, en conscience, à vous le livrer. Vous
avez accepté de nous laisser Laurence afin de faciliter son travail, sachez que
ces sacrifices ne seront pas vains. L’absence du papa est aussi une cause à ce
monde merveilleux. J’ai mis le centre d’intérêt sur la fête des papas, Laurence
dessine des dessins sur le ciel, le soleil etc. Les réactions de Laurence sont
dûes à un ensemble de choses que vous savez. Et sachez que je porte au Seigneur
tous les problèmesqui compliquent l’éducation de votre petite Laurence.
Laurence a la joie de posséder des grands-parents qui
prennent grand soin d’elle. Françoise vient attendre Laurence à 11h1/2. Elles s’aiment
beaucoup. Pour faire plaisir à Laurence, nous invitons Françoise à venir passer
une journée chez nous.
Recopié par maman sur
un papier à en tête de l’Hotel du Rocher qu’elle dirigeait alors, depuis la
mort de mon père.
Laurence et Françoise |
On croit rêver : en cette époque qui n'est pas si loin de nous, une enseignante - une religieuse, en l'occurrence - prenait le temps d'écrire cette belle et longue lettre, dans son souci d'aider au devenir de l'enfant dont elle concourait à l'éducation. Aujourd'hui, une fois abattues les trente-cinq heures par semaine, on laisse froidement tomber l'école, les enfants et le reste… En règle générale, la notion de responsabilité est passée aux oubliettes, et ne parlons pas du dévouement ! Ces religieuses, qui avait certes leurs défauts, et les limites qui étaient caractéristiques de leur temps et de leur époque, étaient néanmoins dévouées corps et âme à leur ministère. L'enseignement était un mode de vie, et l'on avait encore l'ambition de former les esprits, et d'apprendre à accorder ses participes passés… Cette lettre est un admirable exemple du dévouement à son meilleur, et de la haute idée de ses responsabilités, qui était présente à l'esprit de cette religieuse.
RépondreSupprimerOui, la soeur Marie-Rose m'a laissé un souvenir impérissable, et je prie pour elle tous les jours. en tant qu'institutrice, il m'est arrivé de prendre très à coeur certains enfants "compliqués", d'en discuter longuement avec les parents, et de les voir ensuite saboter par d'autres enseignants ou par les parents eux-mêmes, ou les deux. Après la soeur Marie-Rose, j'ai eu en CP une institutrice bête et méchante qui s'était fait un devoir de me dire que le père Noël n'existait pas, et avait incité toute la classe à me faire les cornes parce que je m'étais trompée dans une opération!
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