J’ai regardé un documentaire intitulé « la
Mission de la Russie », où un intellectuel élevé par le communisme, auquel
il adhérait pleinement, et converti ensuite à l’Orthodoxie, exposait les idées
qu’il a développées dans un livre du même nom.
Il expliquait qu’il avait autrefois l’impression
d’appartenir à un pays unique et puissant dont il était fier, et que l’idée
socialiste était inscrite dans le tempérament russe et dans le christianisme,
son propos est donc de faire la synthèse des deux pour sauver son pays du
capitalisme destructeur.
Que le capitalisme soit destructeur et prenne un
tour absolument monstrueux, c’est à présent une évidence absolue. Pour dire le
contraire, il faut soit participer à l’horreur capitaliste parce qu’elle vous
est profitable, soit en être resté au capitalisme de papa, qui y participait
aussi sans le savoir, d’ailleurs, dans la foulée de ce que j’appellerai
l’économie traditionnelle. Qui plus est, ce capitalisme a le pouvoir pervers de
prendre toutes sortes de formes, et on le voit à présent soutenu chez nous par
la gauche, sous celle d’une espèce de libéral-bolchevisme acharné à détruire ce
qu’il nous reste de beauté, de noblesse, de ferveur, d’authenticité, en bref,
de sentiments humains, insupportables aux « Démons » qu’a si bien
décrits Dostoïevski.
Cet homme, au demeurant sympathique et plein de
bonnes intentions, a de l’URSS de son enfance une série d’images d’Epinal dans
la tête. Mais dans un sens, je le comprends : tout le monde avait sa place
dans une société stable, c’étaient en
quelque sorte les trente glorieuses des soviétiques : pas de guerre, plus
d’arrestations pour un oui ou pour un non, l’ordre, une certaine vertu sociale,
du moins dans les modèles familiaux et patriotiques proposés. Personnellement, je pense que les
destructions humaines et culturelles n’en valaient pas la chandelle, car si la
révolution n’avait pas eu lieu, un pays qui avait les ressources de la Russie pouvait
connaître un essor économique et civilisationnel remarquable. Sa population n’aurait
pas été saignée par la guerre civile, les répressions, puis la guerre de 40,
enfin en principe. Car il est possible que l’occident ait trouvé un autre moyen
que la révolution pour abattre cet empire trop différent. Ou qu’il l’ait favorisée plus tard.
La question de savoir si l’occident capitaliste
laisse le choix aux sociétés qui ne partagent pas ses valeurs est un autre
vaste débat. Pour l’heure, je me suis
penchée sur celui que soulevait mon intellectuel à propos du présent de la
Russie et de son avenir. Tout cela a eu lieu, il faut faire avec.
Le communisme est-il inscrit dans le tempérament
russe ? Le tempérament russe est communautaire au sens où on l’était au moyen
âge. Pas au sens de la fourmilière ou, comme le dit cet intellectuel, de la
ruche, car la communauté humaine chrétienne est un ensemble de personnes distinctes. Mais
en même temps, son image de la ruche n’est pas dénuée de vérité : elle
représente un peuple de créatures unies par des liens familiaux autour de leur
reine, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une monarchie, où n’existent pas de partis,
car tous, mus par ces liens fraternels
mystérieux, coopèrent, et la reine est le cœur de cet organisme, garante de sa
vie et du bien commun. Je suis bien persuadée qu’en effet, c’est bien un modèle
social auquel les Russes aspirent. L’intellectuel dit alors que dans les ruches
peuvent apparaître de fausses reines, qui engendrent des parasites, pour
lesquels les ouvrières s’épuisent à travailler, et que Poutine est un leurre de
ce genre. Les gens croient voter pour un
patriote, et la politique de son parti consiste à poursuivre la destruction du
pays. C’est une hypothèse que je n’exclue
pas, la seule autre hypothèse plausible à mes yeux étant qu’il puisse être
soumis à des chantages que nous ignorons. Mais peut-être que cela ne change
rien au problème, car des termites sont manifestement au travail dans la
société russe, et personne n’entreprend de désinfection.
Cependant, je ne crois pas à une restauration
tsariste, ni même à celle d’un modèle traditionnel du passé, même si j’estime
qu’on pourrait y trouver des directions et des idées. Et je ne souhaite pas non plus une
restauration communiste, je ne la crois d’ailleurs pas possible dans sa forme
initiale. De ce côté-là, mon intellectuel non plus, car il regrette les
persécutions religieuses inouïes qui ont eu lieu alors, pas seulement
religieuses d’ailleurs. Pour ce qui est des modèles du passé, Soljenitsyne s’était
penché sur la question dans son livre « Comment restaurer notre Russie ». Je crois en tous cas que le capitalisme
libéral est incompatible avec l’esprit russe, je pense qu’il est incompatible
avec tout esprit traditionnel normal, et qu’en effet, si la Russie ne doit pas devenir un espace
démembré et chaotique de colonisation sino-occidentale, et survivre encore dans
un état décent juqu’à la fin des temps, il est nécessaire d’opérer une
réconciliation nationale qui fasse à nouveau du pays ce tout organique qui est
son état naturel et le modèle qu’il peut offrir au reste du monde.
Cette réconciliation nationale, j’en avais vu la
manifestation dans les premiers défilés du régiment immortel, où la nation
toute entière communiait dans la fierté de la célébration de la victoire, par
delà les clivages politiques et les ressentiments. Mais ce phénomène est
largement récupéré par des néostaliniens de plus en plus virulents, qui
justifient les pires horreurs du communisme pour blanchir leur idole
moustachue. Or qui dit pardon, dit repentance, comment pardonner à ceux
qui profanent la mémoire d’innombrables
victimes innocentes, toutes censées être des traîtres ou des erreurs de
parcours sans importance ? S’il y a une chose que je n’admettrai jamais, c’est
de clamer avec tous ces gens que ces victimes méritaient leur sort. C’est aussi
impossible à mes yeux que de donner au Christ le baiser de Judas.
Il est un travers dans lequel il est tentant de tomber
et auquel je ne peux succomber jusqu’au bout, c’est de fermer les yeux sur ce
qui paraît nuire à la défense d’une cause. C’est ce que font l’ensemble des
gens qui épousent une cause politique. C’est ce que j’appelle la pensée
systématique, source de bien des malheurs.
Or donc, il faudrait débarrasser la Russie (et à
mon avis le monde entier) du capitalisme libéral et de tous ses avatars, mais
comment, et qui va jouer le rôle de la Reine ? Et quelles seraient les
règles du jeu de la nouvelle ruche ?
Il se peut que la transformation de la Russie en
un grand Donbass assiégé fasse émerger ce nouveau modèle social. Or c’est une
éventualité que je n’exclue pas non plus.
C’est en tous cas ce que ses ennemis cherchent à obtenir. Et je me
demande si la population réagira comme au Donbass, beaucoup de gens autour de
moi pensent que oui.
A moins qu’on n’arrive à la pourrir complètement
de l’intérieur, en choyant les parasites et en épuisant les ouvrières, mais je
pense que cela risque quand même de ne pas être si simple.
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