Le père Andreï, comme je lui disais: "Bon, eh bien, c'est les péchés habituels, mais il faut bien faire le ménage", m'a répondu: "Réjouissez-vous qu'il n'y en ait pas de nouveaux!"
Il faisait beau, mais des engins venaient creuser du côté de l'échappée sur les roseaux et les saules du marais, et je crains que bientôt, cette partie sauvage ne soit colonisée par les baraques mal fichues et prétentieuses de la Russie post-moderne. J'ai bien fait de planter des arbres, en prévision d'un tel désastre, mais ils ne sont pas bien grands.
La veille, je suis allée me baigner à l'embouchure de la rivière Troubej, le matin, avant l'arrivée des vacanciers. Il y avait beaucoup de vent et le lac avait une couleur verte, glacée de bleu. Des nuages en émanaient, comme des pensées confuses, qui dérivaient et dérobaient parfois le soleil, et l'eau s'assombrissait, puis le tumulte des vagues redevenait doré sous les filaments azuréens de leurs milles reflets. Des mouettes scintillaient autour de l'église, où les nourrissaient des touristes. J'avais un peu l'impression d'être à la mer, avec le large, les bateaux, ces vols d'oiseaux blancs criards, et cette surface mouvementée. Mais l'église donnait à tout cela quelque chose d'étrange, de surnaturel, où mes souvenirs de France se télescopaient avec les visions de la Russie. Je pensais au poème spirituel des cosaques Nekrassovtsi:
Il faisait beau, mais des engins venaient creuser du côté de l'échappée sur les roseaux et les saules du marais, et je crains que bientôt, cette partie sauvage ne soit colonisée par les baraques mal fichues et prétentieuses de la Russie post-moderne. J'ai bien fait de planter des arbres, en prévision d'un tel désastre, mais ils ne sont pas bien grands.
La veille, je suis allée me baigner à l'embouchure de la rivière Troubej, le matin, avant l'arrivée des vacanciers. Il y avait beaucoup de vent et le lac avait une couleur verte, glacée de bleu. Des nuages en émanaient, comme des pensées confuses, qui dérivaient et dérobaient parfois le soleil, et l'eau s'assombrissait, puis le tumulte des vagues redevenait doré sous les filaments azuréens de leurs milles reflets. Des mouettes scintillaient autour de l'église, où les nourrissaient des touristes. J'avais un peu l'impression d'être à la mer, avec le large, les bateaux, ces vols d'oiseaux blancs criards, et cette surface mouvementée. Mais l'église donnait à tout cela quelque chose d'étrange, de surnaturel, où mes souvenirs de France se télescopaient avec les visions de la Russie. Je pensais au poème spirituel des cosaques Nekrassovtsi:
Sur la mer océane,
Sur l'écume blanche plane
Une longue roche grise
Où se dresse une belle église
La page Facebook de l'administration de Pereslavl nous incite à publier des photos de la ville, mais je vois surtout s'accumuler celles du lac, ou parfois du bord de la rivière, tant il devient difficile de photographier quelque chose de joli dans cette ville qui fut si féerique. Le soir, voyant de mon atelier des nuages pareils à de formidables pivoines épanouies, je suis partie en vélo sur la plage municipale, où les gens s'attardaient. Mais les nuages fantastiques ne s'étaient pas accumulés de ce côté. J'ai vu le coucher de soleil. Et Ritoulia a fait la vedette sur la jetée, elle s'est même fait photographier par un ouzbek avec une impressionnante rangée de dents en or. Puis elle s'est tapé un morceau de poulet oublié par des pique-niqueurs, et je lui ai arraché les os de la gueule.
La paix qui règne ici rend surréaliste les événements mondiaux que me rapporte l'actualité, et notemment l'actualité française. J'ai parfois l'impression de me trouver, comme dans le roman de Junger du même titre, "sur les falaises de marbre". Dans ma maison arrangée à mon goût, avec tout ce qu'il me reste de ma vie, de mes souvenirs, de ma culture, de mes travaux, après que j'ai perdu tant de choses... Et au dehors, les fleurs, les arbres et les oiseaux qui y chantent, dans ce quartier ravagé, comme tout le reste de Pereslavl, et de plus en plus, le monde entier, par l'effrayante laideur qu'engendre le triomphe du diable. Je reste à vivre des années presque surnuméraires, puisque le psalmiste nous accorde jusqu'à 70 ans, le reste n'étant que "peines et douleurs". Après les iris fleurissent les delphiniums, et pendant trois ans, j'ai cru qu'ils ne se plaisaient pas ici, mais les voilà bien installés, et magnifiques, avec leurs exquises corolles qui semblent une concrétion du ciel au dessus d'eux, de souples cristaux aux couleurs paradisiaques, quelque chose qu'on verrait des anges préraphaélites porter d'un air grave dans les champs de l'autre monde.
Un ami a publié une reconstitution du Christ d'après le suaire de Turin, ce qui provoque l'ironie des athées. Mais tout ce que j'ai lu sur la question est très convaincant, et le plus extraordinaire est que le suaire porte en lui un code permettant de reconstituer cette image, ce qui a été fait. L'empreinte du suaire, retravaillé façon bondieuserie en ajoutant un regard niais aux yeux qu'avaient fermé la mort, est une abomination, mais la reconstitution scientifique est impressionnante: un Christ iconographique et viril, dont la douceur s'accompagne d'une grande force.
Je suis persuadée que le suaire a été laissé en héritage pour qu'au moment voulu, on fît toutes ces découvertes à son sujet, et que les faibles personnes dans mon genre y trouvassent un encouragement. Un prêtre orthodoxe russe a dit qu'on ne saurait jamais à 100% s'il était authentique, bien qu'il y crût lui-même, parce que s'il n'y avait plus de doutes, il n'y aurait plus de libre choix de la foi.
Dans le même temps, les Black Pampers lui reprochent de ne pas être noir, et s'indignent des effigies de saint Michel terrassant un démon noir, pardon, sombre...
Je m'attends à voir anéanti au XXI° siècle tout le patrimoine humain qu'aura encore épargné le XX°, et je ne sais comment je le supporterai.
Comme je le pourrai, avec l'aide du Christ, sur les falaises de marbre, avec les mouettes, face au lac et à ses rêves nébuleux...
Merci pour ces nouvelles.
RépondreSupprimerVous auriez peut être pu écrire : le triomphe "apparent" du diable...?
;)
Yp
De toute façon, s'il y a un diable en dehors de l'ego humain, il n'agit qu'avec la permission de Dieu... Il ne reste plus qu'à faire son signe de croix et embrasser Dieu.
SupprimerEn effet.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimer"Et tout l'univers devient comme une relique de Toi et un mémorial éternel de tes œuvres fidèles."
RépondreSupprimerOdes de Salomon, IIème siècle, Syrie, Anomyme.
Henri, pourquoi avez-vous supprimé tous ces commentaires que je n'avais pas vus?
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