J'ai les honneurs de l'Antipresse!
RECONQUÊTES par Slobodan Despot Le temps des Antigones
Dans cette naissance à soi qu’est le NON radical, j’ai vu des femmes s’illustrer plus entièrement que des hommes. Elles m’ont rappelé que la longue filiation des objecteurs de conscience descend de leur ancêtre Antigone. L’homme commence là où il dit: «non». C’était la devise de ma collection «La Fronde» à L’Age d’Homme. Je ne veux pas parler du «non» qui grogne accoudé à un zinc, mais du NON dressé comme une hallebarde qui risque d’être notre dernière parole. C’est le non qui nous engage bien plus fort que n’importe quel oui. Le non qui protège le dernier rempart du sanctuaire intérieur, celui du «ici je me tiens, je ne peux faire autrement» de Martin Luther. En 2020, j’ai dû féminiser cette devise, du moins la rendre inclusive. Dans cette naissance à soi qu’est le NON radical, j’ai vu des femmes s’illustrer plus entièrement que des hommes. Elles m’ont rappelé que la longue filiation des objecteurs de conscience descend de leur ancêtre Antigone. «Il y a des lois au-dessus des lois». La reconquête de notre liberté n’est rien d’autre que la soumission à ces lois-là, non écrites et donc seules sacrées. Ema Krusi designait et vendait des chaussures de luxe dans le quartier chic de Genève. Le confinement a mis à mal son affaire. Elle en a rajouté. A peine eut-elle rouvert sa boutique qu’elle a décidé de n’imposer à personne le port du masque — et l’a affiché en toutes lettres. Fermeture arbitraire. Procès. Ema s’est lancée corps et biens dans la défense de la raison et des libertés, sur YouTube. Lorsqu’elle m’a proposé un entretien vidéo, j’ai été réticent. Que vient-elle faire là, cette Barbie de la mode? Pourquoi fais-tu cela? lui ai-je demandé. — Pour pouvoir regarder ma fille sans rougir le jour où me posera la question: «Qu’as-tu fait, toi, à l’époque où l’on nous enfermait?» La blonde en stilettos masquait une maquisarde en treillis… Encore une Suissesse: Myriam. Elle a voulu voir la Syrie de ses yeux, visiter Alep et tous les lieux dévastés. Elle a compris la perversité de la fable qu’on lui avait servie dans les médias. Recueilli des témoignages. Réfléchi. Analysé. Décidé d’en faire un spectacle théâtral. C’est sage: les vérités les plus choquantes ont besoin parfois des passerelles de la fiction. Son art est l’inverse exact du cerveaulavage mainstream, qui s’emploie à faire passer la mise en scène pour seule vérité. La pièce doit se jouer en mars, dans l’un des pays les plus imbibés de bienpensance. Myriam y a investi son temps, ses relations, son statut social, sa vie. A Paris, Aude Lancelin avait entamé une belle carrière dans le journalisme bon teint, habile et brillante comme une langue qui flatte. Elle n’a pas tenu. L’impatience est la vertu des héros, ceux qui spontanément bondissent hors de la tranchée. Mieux vaut essuyer le feu que se noyer dans la boue. Aude jette des 1 1 Antipresse 271 pierres dans la façade des rédactions en vue. Pierres intitulées Le Monde libre, puis La Pensée en otage. S’armer intellectuellement contre les médias dominants. Vire à l’extrême gauche. Fonde Quartier général pour suivre la devise de Zinoviev et devenir «un gouvernement à elle toute seule». En 2020, elle signe son kompromat définitif, comme diraient les barbouzes: c’est La Fièvre, roman en hommage au martyre des Gilets jaunes, la plus violente diatribe j a m a i s é c r i t e contre la caste qui les éborgne. Où, nul hasard, c’est un jeune journaliste de Libé, Eliel Laurent — quelle phonétique de la fellation! — qu’on essaie de déniaiser de ses stéréotypes dévots sur le monde et la vie. Mais la cible, c’est le tout-Paris, c’est l’entre-soi des cachemires roses et de la bande à Duhamel, ce sont les rites d’une insondable hypocrisie devenue religion officielle. Lancelin ne tombe pas dans le maniérisme de la déchéance façon Houellebecq, elle veut d’évidence dire les choses, aller au plus pressé. Son roman est un acte d’accusation. Et son procureur, la voix du souterrain et de l’inaltérable conscience humaine, n’est autre qu’un homme de ménage, le nettoyeur de chiottes qui ne verra d’autre issue à ces cascades d’immondices que l’intervention surnaturelle. «Je ne crois plus qu’à ça, à vrai dire: la sortie d’Egypte! Je ne sais pas encore quelle forme elle prendra, mais je sais qu’elle viendra un jour…» (p. 171) La sortie d’Egypte! En lisant La Fièvre, j’ai pu croire qu’elle se rapprochait un peu. Très loin de là, à Pereslavl-Zalesski, Laurence Guillon mène un tout autre combat. Orthodoxe, son père spirituel lui a recommandé de quitter la France tant qu’elle en avait la force. Elle s’est installée, seule, dans sa patrie spirituelle. Et là encore, sur son lac menacé, cernée de néorusses spirituellement illettrés, elle lutte contre la laideur uniforme qui s’étend sur le monde. Elle fait redécouvrir aux locaux leurs propres chants que leurs parents ont oubliés. Elle combat les constructions sans âme ni goût, peint dans ses Chroniques de Pereslavl(1) les dérélictions de l’âme et la mue des saisons. Ses cinq chats et sa chienne sont des êtres doués d’âme, j’en témoigne de visu. Et même sa vielle à roue(2). Tant que les Antigones existeront, l’humanité sera épargnée.
NOTES 1. chroniquesdepereslavl.blogspot.com 2. Vidéo: Laurence avec sa vieille à roue chantant une vieille chanson cosaque (4 min). • Texte paru simultanément dans le n° 188 (Février 2020) de la revue Éléments.
https://antipresse.net/aparchive/271643/Antipresse-271.pdf?mc_cid=bdd296797d&mc_eid=afabf62dac
Je la chante trop mou, mais j'étais un peu malade. J'en ai fait une adaptation française qui ne trahit pas du tout le sens.
Les pigeons gris
Nous avons dormi, beaucoup trop dormi
Et laissé passer le Royaume promis
Et laissé passer le Royaume promis
Sont venus volant deux beaux pigeons gris
Sont venus volant deux beaux pigeons gris
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Non ce ne sont pas des pigeons volants
Mais des anges d’argent, deux beaux anges blancs
Mais des anges d’argent, deux beaux anges blancs
De mon âme en peine les gardiens vigilants
De mon âme en peine gardiens éplorés
Qu’as-tu fait mon corps, qu’as-tu donc méfait?
Qu’as-tu fait mon corps, qu’as-tu donc méfait?
De ce beau Royaume ne t’es pas soucié
De ce beau Royaume ne t’es pas soucié
Le feu de l’enfer tu m’as préparé
Le feu de l’enfer tu m’as préparé
Le feu dévorant, pour l’éternité
Le feu dévorant, pour l’éternité
Maintenant, mon corps, on va t’enterrer,
Maintenant, mon âme, on va te juger.
Maintenant, mon âme, on va te juger.
Devant le Seigneur, tombe donc à ses pieds
Devant le Seigneur, tombe donc à ses pieds
Seigneur tends moi la main, Seigneur, prends pitié
tres sympa mais trop feministe . ET mon colis Laurence des news
RépondreSupprimerBonjour Laurence,
RépondreSupprimerComme toujours, j'apprécie le texte de Slobodan, mais je ne suis plus si enthousiaste en ce qui concerne Aude Lancelin ; dans une interview à Sud Radio, elle comparait le traitement réservé aux Gilets Jaunes à celui de Navalny en Russie. Elle est russophobe, comme pratiquement tout ce petit milieu parisien qui se prend pour le centre du monde.
Je ne l'ai pas lue. Mon livre Epitaphe est certainement aussi antigonesque que le sien. Sinon plus.
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