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vendredi 5 mai 2023

Le merisier fleurit

 


Mes amies de France ont souhaité visiter Rostov, et nous y sommes allées hier, car on annonçait du froid et du mauvais temps, pour le lendemain, c'est le moment où le merisier fleurit. Quand le merisier fleurit, le Russe se caille.

Elles ont été conquises par la beauté de la ville, et le père Alexandre nous en a fait la visite guidée. C'était particulièrement intéressant, car, en temps que prêtre cultivé, original, il donnait une lecture spirituelle des événements de la ville. Il lui voit ainsi trois baptêmes: celui, officiel, qu'est venu accomplir saint Vladimir au X° siècle, et que commémore une croix sur la rive du lac. Puis celui de saint Léonce, qui enseignait aux enfants à lire et écrire, mais ne leur prêchait la loi de Dieu que par son exemple personnel, ce qui lui valut d'être poussé à partir par les habitants, puis martyrisé, et enfin celui de saint Avrami, ermite parmi les païens finno-ougriens. Le deuxième "baptême" fut le moment où les gens furent confrontés à ce saint, et à l'opinion de leurs enfants éclairés par l'instruction, qui ne se gênaient pas pour leur faire remarquer ce qui n'allait pas chez eux; ils furent confrontés à ce qu'impliquait le premier. Enfin le troisième, toujours par la vertu de l'exemple, fut celui de la conversion des païens locaux par le moine Avrami qui, au début, tout feu tout flamme, voulait briser leur idole et en fut empêché par une force mystérieuse, jusqu'au moment où, les ayant convertis par sa sainteté, il la fit tomber par le seul contact d'un roseau. Le père Alexandre n'en voit finalement qu'un seul en trois phases, l'immersion, l'onction, et la communion. Que les trois événements fussent séparés par de grands laps de temps ne le gêne pas, car il y a le temps, et l'éternité, et tout est en correspondance. Il nous a mis en lumière le caractère complémentaire des églises et des bâtiments, sensible dans l'architecture et l'ordonnance des fresques, la chute, la rédemption, la passion, la résurrection, le monde déchu, le Jugement Dernier, la Jérusalem céleste, et il a même établi le lien avec la Nouvelle Jérusalem bâtie dans les environs de Moscou par le patriarche Nikon. Dans l'église du Jugement Dernier, il nous a chanté des motifs "znamenié", le chant ancien des Russes, issu du chant byzantin, qu'a supplanté la musique d'opéra, après le schisme et le transfert de la capitale à Saint-Pétersbourg. En dehors du caractère naturel et cosmique du chant znamenié, comme du chant byzantin, il a le mérite de servir le texte des prières, ce qui n'est pas du tout le cas de la musique, si souvent à la limite du mauvais goût, qui sévit depuis l'intrusion occidentale dans l'orthodoxie russe. Cette musique adapte le texte à ses fioritures, ce qui le rend souvent incompréhensible.

Il a une belle voix forte, et l'acoustique était exceptionnelle, j'écoutais cela en pensant à ce Grec venu à Solan, qui avait chanté comme un ange, malgré un physique de tenancier de taverne à sirtaki. Le père Alexandre est, lui, un Russe typique d'un puissant gabarit. Genre Chaliapine, et d'ailleurs, on lui en a fait interpréter le rôle, l'an dernier, au festival de la datcha du peintre Korovine. Dans la pénombre et le silence, face aux fresques, où, parmi les damnés, figuraient des occidentaux à fraises et culottes bouffantes, la voix de notre colosse en soutane planait comme un séraphin redoutable et serein.

Puis j'ai emmené tout le monde au musée d'art populaire et celui qui en a constitué les collections magnifiques, Alexandre, a pris le relais. Il m'a invitée à venir chanter au festival qu'il a lancé, le 25 mai. Je ne partage pas toutes les idées du père Alexandre ou d'Alexandre du musée, mais cela étant, je n'en reviens pas d'avoir autour de moi autant de gens qui partagent mes intérêts et les comprennent, et qui ont une pensée personnelle, une vision du monde complexe et sacrée. 

Le père Alexandre ne cessait de me taquiner sur les emprunts à l'étranger de la culture russe médiévale que je trouve si originale, et j'ai fini par lui dire: "Mais nous empruntons tous à droite ou à gauche, et ce n'est pas cela qui me gêne, et cela n'empêche pas l'originalité. Le moyen âge français a beaucoup emprunté à Byzance, mais il a transformé ces emprunts à sa façon. Ce qui m'ennuie, c'est la copie servile, artificielle et imposée. Et la perte de sens, de vie, de naturel". 

A propos du musée, de son esprit, et des réflexions du père Alexandre, mon amie Anna Osipova m'a écrit: "Les emprunts, c'est une part naturelle de probablement toute culture, mais ces influences extérieures s'enracinent dans le terreau local, avec sa vision personnelle de la beauté, du sens et de la tradition. J'aime cette plaisanterie que j'ai lue quelque part: ce qui est plagiat pour l'homme contemporain, est pour nous, artisans, qui aimons nos racines, la tradition".

заимствования - это естественная часть любой, наверное, культуры, но эти внешние влияния укореняются на местную почву с ее собственным вИдением красоты и смыслов и традицией. Мне нравится шутка, которую где-то прочитала: что для современного человека плагиат, то для нас, мастеров, ценителей корней - традиция.

A ce sujet, Alexandre du musée m'a montré une icône contemporaine qui pour une fois, ne fais pas dans l'imitation figée mais témoigne de la même liberté et spontanéité de trait que celles du moyen âge. Car il y a malheureusement une iconographie "traditionnelle" académique, où plus rien ne se passe, où figé par le respect, on ne fait plus que copier, se copier soi-même n'est guère mieux que de copier les autres, quand on n'est plus irrigué par la Vie...

le père Alexandre dans le "jardin du métropolite"


Au bar du café a eu lieu le vernissage de l'exposition de Xénia Naoumova, une illustratrice qui m'avait rendu visite, une amie des Asmus et de Natacha, la rédactrice de ma traduction des chroniques. Son oeuvre est surtout graphique, assez poétique et inventive. 


J'ai revu ensuite Natacha au café. Elle a fini la rédaction de l'année 17, que je suis en train de relire. Et nous allons la publier, mais après je marquerai un temps d'arrêt, si je ne trouve pas de sponsors. Elle m'a dit qu'une de ses amies écrivait un ouvrage pour réhabiliter les Basmanov et n'avait pas approuvé le mien qui "inventait beaucoup". Mais d'abord, j'ai écrit un roman, et pas un ouvrage historique, à ce compte-là, je ne suis vraiment pas la seule à l'avoir fait, à commencer par Eisenstein. Et puis honnêtement, je ne pense pas que les Basmanov aient été des saints, je ne le pense vraiment pas, et le tsar non plus, le tsar a une image assez glorieuse dans le folklore, mais pas les Basmanov, ni l'Opritchnina. Enfin chacun ses manies. Mais en ce moment, on réhabilite beaucoup, parfois à tort et à travers, et je tombe là au milieu. Pourtant, d'une certaine façon, je réhabilite, en offrant une vision plus subtile des relations du tsar avec ce jeune homme et du jeune homme lui-même, et aussi de leur époque. J'ai écrit quasiment en état de transe, avec mon âme, et même quelque chose de plus profond et de plus collectif qui la dépassait.

Il me semble que je n'aurai plus la force d'écrire un roman, pas plus que de déménager, ce qui pourtant, au prix absurde qu'atteignent les maisons et les terrains à Pereslavl, serait sûrement une opération qui m'assurerait de finir ma vie sans problèmes d'argent. J'écrirai des vers, ce qui est totalement confidentiel mais relève quasiment de la prière.

2 commentaires:

  1. Bonjour Laurence. J'aurais bien voulu voir l'icône contemporaine. Je ne t'écris jamais car je n'ai rien d'important à dire, ne lis presque plus fb (désintoxication assez réussie), et te sais trop sollicitée. Porte-toi très bien, ainsi que tes petites bêtes. Isabelle

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    1. Malheureusement, je ne l'ai pas photographiée, elle n'était pas exposée, il me l'a juste montrée. N'hésite pas à écrire, j'aime bien les commentaires! Je vais moins sur FB, car je le prends très mal, même avec un VPN, et beaucoup de choses m'agacent. Je suis plus sur VK.

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