Il a fait si froid cette nuit que la neige est tombée et que j'ai vu toutes les fleurs piteusement penchées, je ne pensais pas qu'elles allaient se redresser, mais elles l'ont fait, héroïquement, c'est tenace, la vie... Cependant, le coup de froid n'est pas terminé. J'ai mal à la gorge et un début de bronchite. Je me suis traînée à l'église, et là, une femme m'aborde pour me dire qu'elle est en train de lire Yarilo, que c'est très bien écrit, et que je jette un éclairage nouveau sur un personnage qu'elle pensait totalement négatif, et que j'arrive à rendre humain. Après la réaction de l'historienne de Natacha l'avant-veille, j'ai presque eu l'impression d'un signe encourageant, et cela me fut confirmé plus tard par l'avis sur ce même livre d'un jeune homme orthodoxe français, fasciné par Ivan le Terrible et son époque.
J'avais un sentiment de tristesse et d'angoisse, à cause de l'attentat contre Prilepine, dont pourtant je ne partage vraiment pas toutes les vues, mais c'est une drôle de méthode que de faire sauter les intellectuels qui vous déplaisent. A ce compte-là, BHL mériterait, bien plus que Prilepine, de prendre sur la figure, au lieu d'une tarte à la crème, une grenade dégoupillée, avec tout le mal qu'il a fait. Pourtant Dieu, contrairement à moi, aime jusqu'aux individus dans son genre, et lui a donné une soeur lumineuse qui prie sans doute pour lui: il faut bien que quelqu'un s'en charge...
http://russiepolitics.blogspot.com/2023/05/lattentat-contre-prilepine-ou-la.html
Toujours à l'église, j'en parle à Génia Kolesov qui me répond: "Ne vous en faites pas, on s'en sortira. Dieu n'est pas avec eux."
Hier soir, je suis allée au concert de l'Art-Bar, c'était un groupe de folklore, Repeï, quatre femmes qui chantent et jouent de diverses flûtes archaïques, flûtes de langue, flûtes de Pan, flûtes doubles... Autrefois, ces instruments étaient surtout pratiqués par les femmes. Après le concert, pendant lequel on nous a demandé de ne pas applaudir, pour ne pas compromettre une magie dans laquelle on entre lentement, les artistes nous ont dit que leur musique soignait, qu'elle était pure, qu'elle était le produit de la nature et de la méditation, et c'est bien ainsi que je la ressens, cette musique est l'antithèse et l'antidote du vacarme et de la vulgarité dans lesquels nous baignons et qui nous détruit. Leur chant complexe et envoûtant, le son de ces flûtes m'évoquait les rossignols qui commencent à chanter dans les saules, le vent qui passe, l'eau qui coule et ses reflets, les étoiles, la pluie, les nuages. Il est pour moi vertigineux de penser que l'humanité obscure d'avant les Lumières du Progrès pouvait se réunir afin de méditer en commun, par le chant, la musique et la danse. Les gens qui grandissent avec cette musique et la pratiquent n'ont rien à voir avec ceux qui balancent des centaines de tonnes de terre dans le marécage, plastifient les isbas et détruisent les maisons art nouveau. Ou avec ceux qui inventent les fermes de mille vaches, et broient les poussins surnuméraires. Ni avec ceux qui trafiquent les enfants et leurs organes. Ni avec Laurent Alexandre ou Machin Harari, les transhumanistes abominables, persuadés que les trois quarts de l'humanité doivent disparaître au profit de malades dans leur genre. Pourtant, parmi les imbéciles, ce sont eux les pires, puisque ils considèrent leurs esprits mécaniques et glacés comme infiniment supérieurs à ceux des foules qu'ils contribuent à lobotomiser dès l'enfance.
Quand je m'asseois sur la terrasse et joue des gousli, j'éprouve exactement ce que décrivent ces quatre femmes, j'entre en résonnance avec la nature environnante et avec ses souffles qui, c'est bien connu, louent tous le Seigneur. J'oublie les gnomes, à moins qu'une noria de camions ou une séance de débroussailleuse ne m'obligent à me réfugier à l'intérieur.
Le ciel est si beau, le ciel mystique de la Russie, j'ai fait une photo hier de l'isba de l'oncle Kolia au coucher du soleil, car je pressens que je ne la verrai pas longtemps dans son état originel. J'ai vu une équipe la visiter hier, les moscovites qui en ont acheté la moitié vont probablement détruire les jolies fenêtres pour n'en faire qu'une seule, grande, banale et disproportionnée, c'est très à la mode. Et plastifier la façade. Une voisine m'a expliqué comment transformer la maison d'Ania, par exemple, en gros monstre prétentieux, c'est très facile... Je regrette que, dans mon optimisme et mon insouciance, je n'ai pas songé dès le début à m'isoler derrière des arbres. Maintenant, tout ce que je fais dans ce jardin consiste à me protéger de la vue des différents saccages qui menacent. Que nous soyons condamnés à vivre dans un monde de plus en plus laid et de plus en plus tyrannique nous oblige à chercher la beauté en nous-même, et à recourir au patrimoine immatériel de la musique. Ou bien à fuir dans les endroits déserts, ce qui n'est plus de mon âge. Le plus dur est de surmonter ce sentiment de colère impuissante, de chagrin et de perpétuelle agression, pourtant inconsciente, car "ils ne savent pas ce qu'ils font". Mais ils le font.
Je suis terriblement sollicitée, des gens m'envoient même leurs amis, de passage dans la ville, comme si je faisais partie des curiosités locales. D'autres me demandent de traduire ou de corriger des traductions que je n'ai pas faites. On m'envoie des centaines de vidéos et d'articles, en message privé, sur les réseaux sociaux, ou pire, sur ma boite mail, ce que curieusement, je ne fais pour ma part que rarement, j'ai une page où je mets ce qui m'a intéressée, et qu'on peut aller voir, je n'ai pas besoin d'envoyer à des particuliers tout ce que je vois passer. Les messages privés, je les réserve aux amis proches, à la famille, aux documents que je préfère ne pas rendre publics avant d'avoir eu un avis ou qui concernent seulement une personne précise. Il est vrai que parfois, dans tout ce fatras, quelque chose peut naturellement attirer mon attention, mais je n'ai absolument pas le temps de tout voir, il me faudrait commencer le matin et m'y tenir jusqu'au soir... On s'adresse à moi comme si j'étais un expert, mais non, pas du tout. Il y a des politologues, il y a des économistes, des psychologues, des prêtres, je n'en fais vraiment pas partie. Moi, je suis le café du Commerce, je fais dans le pressentiment et la réaction épidermique, je suis un témoin de la vie. Dans cette perspective, je suis en revanche toujours attentive aux lettres personnelles. Mais j'en ai beaucoup moins.
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