Liena m’a passé un coup de fil. Elle a reçu la nationalité russe, revu sa mère, sa famille. Marioupol est en grande partie reconstruite, et on y vit paisiblement. Les gens lui font des récits fantasmagoriques des horreurs de la guerre, et cela ne correspond pas du tout à ce que racontent les médias de grand chemin. Je lui ai parlé d’amis, ex-soutiens du Donbass, qui disent maintenant sur la Russie des conneries qui font honte à lire. «Mais tu sais, me dit-elle, moi aussi j’ai des exemples. J’ai une excellente amie qui soutenait le Donbass depuis le début et qui a complètement viré de bord, elle ne veut même plus me voir. Son frère, qui a toujours soutenu les Ukrainiens, a vu de ses yeux vu, à Marioupol, que c’étaient précisément eux qui les tiraient comme des lapins, et pas les Russes, qui n’étaient pas arrivés, et il l'a dit. Cependant, il soutient toujours le pouvoir de Kiev ».
Cela m’a rappelé
les communistes irréprochables dont parle Soljénitsyne et qui, envoyés
néanmoins au Goulag, continuaient de professer leur foi dans le Parti et les
lendemains qui chantent. Certains conditionnements sont si ancrés dans les
cervelles qu’on ne peut anéantir le programme sans détruire le disque dur.
Je suis tombée
sur une vidéo de Donbass Insider sur la trafic d’enfants et d’organes, cela va
généralement ensemble, quoique les morts et blessés de la guerre soient aussi
un vivier pour ce genre de récoltes. Des enfants qui disparaissent au Donbass,
j’en entends parler depuis des années, bien avant qu’on retourne l’accusation
contre les Russes, qui en ont évacué sur l’arrière pour les mettre à l’abri,
souvent avec leurs parents. J’avais commencé à regarder auparavant un documentaire
polonais sur cette question affreuse, mais je n’ai pas encore réussi à le voir
jusqu’au bout, c’est absolument glaçant. Cette fille enceinte qui envisage sans
frémir, en toute connaissance de cause, de vendre son bébé à des gens qui en
feront une exploitation pornographique, avant de le sacrifier avec des
raffinements de sadisme pour le revendre en pièces détachées... Elle s’en fout,
cela ne la concerne pas, elle s’en débarrasse et pourra s’acheter une voiture
avec le fric. Je veux dire, même si ce n’était pas son propre enfant, cela serait
en soi insoutenable. Mais ce bébé croit innocemment dans le ventre de cette
extraterrestre qui lui prépare un destin de cauchemar. Je dis innocemment, mais
peut-être ressent-il à qui il a affaire, pauvre gosse... Le journaliste demande
à l'un de ces trafiquants s’il ne craint pas la justice divine. « Non,
répond-il, Dieu n’existe pas, car s’Il existait, avec ce que j’ai fait, il y a
longtemps que je serais mort. »
Je pense qu’à
partir du moment où l’on a permis certaines pratiques au nom de considérations « humaines
et raisonnables », on a ouvert la porte aux pires des démons. Je me
souviens que la mère Hypandia n’approuvait pas les transplantations d’organes,
eh bien quand on voit où celà mène, on se dit qu’il vaut mieux mourir quand c’est
l’heure plutôt que de participer à des choses pareilles... Et quand à l’avortement,
dont la contestation arrache des cris scandalisés à la plupart des bourgeoises
françaises, les « victimes de viol », les « victimes d’inceste »
etc... il a habitué tout le monde à considérer l’enfant à naître comme un amas
de cellules encombrant, pourquoi ne pas en faire quelque chose de rentable ?
Au nom de la science ? Et puis, si l’on découpe un foetus de trois mois
pour l’extirper de son nid, pourquoi pas un enfant prêt à naître ou un enfant
déjà né ? Du reste, la créature du documentaire le dit, à un moment, c'est un amas de cellules, quand on est si petit, on ne souffre pas...
Un ami me fait
part de son indignation devant la mise à mort de l’Eglise ukrainienne, la
persécution de ses dignes hiérarques et de ses croyants fervents, la mise-à-sac
de la Laure de Kiev, et l’exhibition au Louvre de ses icônes profanées. Et tout
cela sous les applaudissements enthousiastes des soutiens orthodoxes, parfois d’origine
russe, des néo trotskistes nazisionistes, trop heureux de finir le travail
bâclé de la révolution bolchevique, et de tordre le cou à ce qu’il reste de la
sainte Russie. En effet, au vu de tout cela, on se demande ce qu’attend le feu
du Ciel, car nous avons depuis un bon moment outrepassé Sodome et Gomorrhe... cependant, justement, on nous a prédit l’abomination de la désolation, pour les
derniers temps, il faut peut-être s’y préparer, je dois dire que j’ai du mal.
Et d’autre part, il se peut que la justice immanente se fasse l’instrument de
la justice divine, c’est souvent le cas.
L’été prend fin
aujourd’hui, dans un prélude pluvieux à un refroidissement progressif. Je suis allée hier nager dans la merveilleuse
rivière Troubej. Je descends au fil de l’eau, en brasse, pour contempler ce qui
m’entoure, et jouir du silence et de ses sons discrets. Puis je remonte en dos
crawlé, pour détendre ma colonne vertébrale et mes muscles atrophiés. Alors
défilent au dessus de moi de blancs nuages sur un ciel d’azur, et les
feuillages écumants des saules qui moussent et s'écartent dans la lumière. Ce ne sont pas seulement toutes les fibres
de mon corps qui se relâchent, mais aussi tous les noeuds de mon âme qui se
défont.
Soudain, j’ai vu
une nageuse blonde, et arrivant à son niveau, me suis exclamée, surprise :
« Katia ! » Pereslavl est une ville où même quand on va nager
dans un endroit désert, on croise quelqu’un que l’on connaît !
Je me remets à
dessiner, j’ai essayé de le faire au bord de la rivière, mais comme j’étais à l’ombre
sous le couvert des arbres, je me suis fait dévorer par les moustiques, bien
que théoriquement, au mois d’août, ils soient censés nous foutre la paix. Je n’ai
donc pas tenu longtemps. Et chez moi, c’était pareil. Seule la terrasse reste
fréquentable, car il y a de l’air, et du soleil, ils aiment l’ombre et la
vapeur immobile. Des hordes de choucas se jettent sur mes poires, ils me regardent
avec inquiétude, malgré leur apparence patibulaire, mais il y a largement assez
de fruits pour eux et pour moi, ils s’attaquent d’ailleurs aux plus mûrs, qui
sont aussi les plus inacessibles, sur les branches du sommet. Je pense au
célèbre tableau, emblème du printemps russe « les freux sont arrivés »,
où l’on voit un bouleau encore dénudé couvert de ces oiseaux noirs. Je pourrais
faire un pendant à cette oeuvre : « Les choucas se préparent à partir ! »
Inachevé, pour cause de moustiques... |
De l’été,
c’est le dernier jour,
Limpide
et doux comme le miel,
Comme
les mots de bel amour
Qu’on
adresse au Coeur éternel.
L’air
est suave et déjà léger
Folâtre,
enfantin, lumineux,
Il nous
vient de ta bouche, ô Dieu,
Qui
respire en tout ce qui est.
Au fil
fugace des flots verts
Glisse
mon corps régénéré,
Sous
les nuages à l’envers,
Les vagues des saules grisés.
L’eau d’or
tour à tour tiède et fraîche
Apporte
les fragments perdus,
Cassés,
froissés et puis fondus
Du ciel
d’azur aux berges rèches...
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