Il fait soudain très chaud, mais l'automne russe, c'est dans trois semaines, le 1° septembre, des feuilles jaunissent et rougissent déjà. Je suis allée me baigner dans la rivière Troubej, mais en amont de la ville, dans un quartier resté très pittoresque. J'étais absolument seule, et je glissais dans une eau très fraîche, bordée de ravissantes plantes aquatiques, et traversée de reflets dorés et bleus, sous de gros nuages blancs chaotiques qui roulaient au dessus des saules brillants et gonflés comme des mongolfières prêtes a appareiller. Un canard solitaire prenait le soleil sur un ponton. J'ai fait un dessin, dans le fil du vent matinal. Et je remerciais Dieu, pour l'eau, les nuages et les saules, le canard et les libellules.
Puis je me suis occupée de mon jardin, des framboises qui s'abîment si vite. Les poires commencent à dégringoler, je n'ai jamais vu une telle récolte se profiler, d'ailleurs, une grosse branche de mon arbre a craqué sous le poids, ce qui me désole.
A la liturgie, une famille inconnue m'a abordée en français. Le grand-père, qui m'avait paru typiquement russe, était aussi français que moi et se prénommait Jean-Pierre, tous les autres, sa femme, sa belle-fille, qui joue de la vielle-à-roue, et ses enfants, étaient russes. Nous sommes allés prendre le petit-déjeuner au café Montpensier, où je n'allais plus depuis qu'on avait refusé Rita que jusque là, on gâtait de toutes les manières. Mais le big boss de l'établissement a dû se calmer, Rita a été admise sans problèmes. En réalité, j'avais entendu parler de ce Jean-Pierre par le prêtre d'une église de campagne que j'avais visitée. C'est un monsieur charmant. Un prêtre qui était autrefois en poste à Cannes avec le père Antoni, le père Maxime, lui avait dit: "Comment? Vous ne connaissez pas Laurence?' Et il avait décidé qu'il allait faire ma connaissance. Il a découvert l'orthodoxie en se mariant, et il s'est fait baptiser, ce qu'il n'était pas jusqu'alors. Lorsque nous nous sommes quittés, il m'a couverte de signes de croix, comme un vrai Russe.
Je devais participer avec les cosaques au tournage de l'émission "Joue, mon accordéon", qui se faisait, ce dimanche après-midi torride, dans le "parc estival". J'aurais bien préféré rester au frais sur ma terrasse, mais je m'étais mis dans la tête que les cosaques seraient contents de présenter parmi eux une Française russophile qui chantait du folklore, je me faisais un devoir de soutenir la cause, d'autant plus que je rate souvent leurs réunions, la seule chose que je fais régulièrement toutes les semaines, c'est d'aller à l'église le dimanche matin. De plus, comme les chats avaient pissé dans ma seule paire de chaussures d'été présentable, j'avais mis des baskets blanches dans lesquelles je transpirais terriblement.
A mon arrivée, pas de cosaques, et même pas beaucoup de monde. Puis j'ai vu Liocha et son tambour, quelques jeunes filles, et l'oncla Slava, avec son accordéon. Sur scène, se produisait une brochette de grand-mères, dirrigées par une vieille extatique, qui faisaient de l'imitation de l'ensemble Beriozka imitant le folklore, dans les années soviétiques. Oncle Slava me dit: "Tu es venue avec tes gousli?
- Oui, nous allons bien chanter?
- Oui, mais tu comprends, "Joue mon accordéon", c'est uniquement de l'accordéon, mais je vais demander si on veut bien te faire passer...
- Oh non, Slava, si je ne suis pas nécessaire, je préfère rentrer, j'ai très chaud et mal aux pieds, et je ne suis pas toute jeune...
- Bon, alors, oui sans doute il vaut mieux."
J'ai regagné ma terrasse avec bonheur, enlevé mes chaussures, savouré à l'ombre le peu d'air qui circulait, en pensant au midi de la France, où il peut faire 35 ou 40 à cette époque de l'année, finalement, me disais-je, tout est bien... En réalité, j'ai vu cette émission je ne sais combien de fois, quand j'étais en poste à Moscou, et je suis bien certaine qu'on n'aurait pas trouvé à y redire, peut-être même au contraire. C'est souvent kitsch au possible, mais à priori, tout ce qui est folklorique de près ou de loin y a sa place, une Française avec des gousli d'autant plus. Mais si Slava n'y tenait pas, je n'avais rien à y faire... J'aurais fait le pied de grue des heures, dans mes baskets trempées, en écoutant tout ce malheureux folklore russe dénaturé, c'est bien de moi d'aller toujours me créer des obligations qui n'ont pas lieu d'être! Une bonne leçon, que je n'oublierai pas! Les cimetières sont pleins de gens qui se croyaient indispensables.
Aujourd'hui, j'ai vu une artiste-peintre, qui avait séjourné chez moi un été, et qui m'a invitée à prendre le thé. Elle loue un appartement ici, que j'ai trouvé très bien, mais la propriétaire est odieuse, et lui parle comme à un chien, bien qu'elle paye régulièrement le loyer. Ici, le locataire n'a pratiquement aucun droit. Elle m'a raconté que les places de cimetière à Moscou étant rares et chères, on lui contestait la tombe de ses ancêtres, pour récupérer la concession et faire du fric avec. Elle devait aller s'occuper de cette affaire pénible, d'après elle, les gens qui dirigent l'endroit sont de vrais truands, et elle n'est pas trop armée pour les affronter. Elle m'a dit aussi qu'il y a deux jours, quand je me baignais en amont de tout cela, il y avait eu une catastrophe écologique au lac, une rivière empoisonnée, les poissons tués par centaines, la baignade interdite. Mais elle ne savait pas la cause de cet événement sinistre. Après avoir défiguré toute la ville, si maintenant on pollue le lac, je me demande comment on attirera les touristes dont tout le monde dit se préoccupper si fort... Cette nouvelle m'a consternée, la bêtise du triste produit qu'a enfanté la philosophie matérialiste du progrès exponentiel ne cesse de m'affliger et de m'indigner.
Sur vkontakte, quelqu'un a mis une citation de Victor Hugo, issue de son roman Quantre-vingt-treize, qui m'est allée droit au coeur: ❝ La nature est impitoyable ; elle ne consent pas à retirer ses fleurs, ses musiques, ses parfums et ses rayons devant l’abomination humaine ; elle accable l’homme du contraste de la beauté divine avec la laideur sociale ; elle ne lui fait grâce ni d’une aile de papillon ni d’un chant d’oiseau ; il faut qu’en plein meurtre, en pleine vengeance, en pleine barbarie, il subisse le regard des choses sacrées ; il ne peut se soustraire à l’immense reproche de la douceur universelle et à l’implacable sérénité de l’azur. Il faut que la difformité des lois humaines se montre toute nue au milieu de l’éblouissement éternel. L’homme brise et broie, l’homme stérilise, l’homme tue ; l’été reste l’été, le lys reste le lys, l’astre reste l’astre.❞
Morceaux épars de lumière blanche
Qui flottent bleutés sur l’azur,
A la recherche d’avalanches,
Croulant aux pieds du ciel trop pur,
Sous les oiseaux pressés qui
passent,
En jetant des ombres blessées,
Sur le jardin vert où se lassent
Des fleurs déjà presque fanées,
De quel corps céleste êtes-vous
Le rêve ou le lointain projet,
De quel esprit les songes doux,
Les jeux confus ou les
secrets ?
Que médite le Créateur
Au ventre lourd de l’univers,
Brassant des astres les ardeurs
Dans le lait bleu des fleuves
d’air ?
Où m’emmènent ses mains fermées
Sur l’effroi de mon coeur marri,
Qu’il emporte au sein des nuées,
Toujours palpitant et surpris ?
Comme un papillon chamarré,
Dérobé par l’enfant ravi,
Comme un passereau capturé,
Que le vent fit tomber du nid...
Aura-t-il de moi compassion
Quand au fil de l’éternité,
Je plongerai dans les éons,
De son oeil d’or sur moi fixé ?
😘
RépondreSupprimer😘
RépondreSupprimer