Obligée de mener Rita chez le coiffeur, j'ai dû affronter le dégel, la glace savonneuse sous l'eau sale et les congères vitrifiées. En principe, la période entre la Nativité et la Théophanie est la plus froide de l'année.Ce n'est plus la Russie, c'est l'Angleterre de Dickens. J'ai plus que jamais pitié de tout ce qui est à la rue, c'est-à-dire principalement des animaux. Certains sortent manifestement tout juste, encore tout propres et sidérés, d'un appartement bien chaud, d'où leurs maîtres capricieux ont décidé de les expulser. Comment peut-on faire cela à ces êtres innocents pour qui nous sommes tout??
On sent qu'approche février, tout de même, les bouvreuils commencent à arriver pour se nourrir, ces merveilleuses petites boules écarlates, mais la neige est désormais loin d'être blanche. Moustachon est un chat jouisseur, gourmand, impudent, débonnaire avec les siens et combattif avec les étrangers. Mais c'est aussi un rêveur. Aujourd'hui, j'ai décidé de le dessiner, tandis qu'il s'absorbait dans la contemplation, des décorations de Nouvel an, qui resteront, chez le voisin, pendues jusqu'à Pâques.
Un cosaque de ma connaissance s'indigne d'un petit film où l'on voit une jeune femme moderne d'une consternante bêtise s'égarer, au cours d'une beuverie avec des copines, dans la forêt qui l'entoure et y rencontrer trois femmes qui se révèlent ses ancêtres. J'avais vu la même chose auparavant, mais c'était un garçon qui rencontrait trois hommes, tous guerriers, d'ailleurs. Mon cosaque y voit quelque chose de pas net, parce que deux de ces femmes parlent à leur descendance des traditions de leurs ancêtres, et la troisième est une institutrice soviétique. Et donc, d'après lui, c'est une façon sournoise de gommer toute l'orthodoxie et de réunir le paganisme et le communisme. Et il souligne qu'il n'est nullement question, dans ce petit film, de toutes les grandes figures de l'histoire russe, de tous les saints vénérables etc... A la lecture de ses conclusions, un immense découragement m'a saisie. Je me souviens que le père Barsanuphe détestait plus que tout "la confusion". Il avait bien raison, et cette confusion se répand partout, égarant tout le monde. Pour ma part, j'ai trouvé le film surjoué, autant dans l'imbécilité de la malheureuse héroïne que dans l'angélisme de ses trois ancêtres. Mais je ne vois pas bien où on aurait pu caser l'histoire et l'hagiographie russes dans ce récit, et comment deux paysannes et une institutrice retrouvant leur descendante auraient pu lui faire une conférence sur ce sujet. Elles parlent de leurs traditions qui, en soi, sont belles et pleines de sens et n'entrent pas en contradiction avec la pratique de la religion orthodoxe, du reste l'une d'elles évoque l'Eglise, et quand à l'institutrice, elle est là pour montrer que la grand-mère était digne et dévouée, et ne titubait pas, bourrée, sur des talons aiguilles dans la forêt, ce qui était vrai de beaucoup de ses collègues à l'époque concernée. Quelques jours auparavant, c'est le père Tkatchev qui, stigmatisant un horrible clip ukrainien déjà ancien, où une fille en costume national décapitait un Russe dans un champ de blé, s'en prenait au folklore qui menait au néopaganisme et ainsi de suite. C'est sans doute la raison pour laquelle certains prêtres refusent d'entendre les vers spirituels russes, mais laissent les gens chanter les kitcheries religieuses de sectes américaines que je fuyais au grand galop dans mon adolescence, tellement je les trouvais stupides et vulgaires. Cependant à Rybinsk, ne leur en déplaise, sept mille personnes se sont réunies dans les rues pour chanter des chants de Noël et des chansons de quête, promenant des étoiles de Béthléem, et beaucoup étaient en costume russe, ce qui me réjouit profondément. Si seulement ces contempteurs du folklore pouvaient se déchaîner avec le même zèle contre les horreurs et les vulgarités que diffuse la télé!
Skountsev, folkloriste de premier plan, déteste le néopaganisme, car il lui reproche de ne pas être traditionnel. Ce qu'il reste du paganisme originel, dont on ne sait plus grand chose, a été sanctifié et digéré par l'orthodoxie, le néopaganisme est une reconstruction artificielle, dont la plus grande réussite, sur le plan de la destruction de la mentalité russe, aura été de faire dire au père Tkatchev et à mon cosaque n'importe quoi, et de lancer une offensive contre quelque chose qu'ils devraient d'abord étudier et ensuite soutenir.
Plus je regarde ce qui se passe autour de moi, dans ce crépuscule de l'humanité, et plus je suis persuadée de la profonde sagesse et de la vérité du chant populaire. Ainsi du magnifique chant spirituel "la petite route du Seigneur":
O pourquoi âme damnée,
Chez nous n'es-tu pas entrée?
Par sottise ou grossièreté
Ou bien par cupidité...
Car les vrais sadiques ne sont pas si nombreux, mais la cupidité et la bêtise font faire aux gens des choses terribles. La bêtise au front de taureau, comme disait un de mes amis autrefois, citant je ne sais plus qui..
au front... |
Une amie m'a envoyé l'interview d'Alexandre Dianine-Havard, et je l'ai écoutée subjuguée, parce que non seulement il parle très bien, avec flamme, avec ferveur, mais je partage tout ce qu'il exprime, et le partage, comme lui, malgré tout. C'est là que réside mon optimisme, en dépit de toutes les cicatrices que la modernité idéologique et matérialiste a laissées en Russie, qu'on l'approuve ou la combatte avec le même systématisme idéologique que ses adversaires. J'ai quelques réserves sur la régénération de l'Europe, surtout après les carmagnoles autour de la mort de le Pen. Mais dans le pire des cas, je crois que la Russie peut devenir l'arche de la civilisation européenne, et un refuge pour une partie de ses populations, ou ce qu'il en restera, si les petits démons ne la mangent pas. Je crois comme lui dans le sacrifice de ses nombreux martyrs, ses incroyables souffrances qui ne peuvent pas avoir été vaines, et se répètent aujourd'hui. Il affirme à plusieurs reprises qu'il a foi, et c'est bien de cela qu'il s'agit, moi aussi j'ai foi, et contre toute raison. Je suis fatiguée, mais j'ai foi. Car les Russes ont massivement perdu leur culture, mais, comme l'a remarqué cette spécialiste du cinéma que j'avais déjà citée, malgré des décennies de lavage de cerveau, leur coeur est resté russe. C'est le premier des miracles, et sur le front, d'après ce que j'entends dire, il y en a bien d'autres.
J'ai vu une excellente et pénétrante vidéo de Youssef Hindi, dont je fais profiter les curieux de nature:
Donald Trump à la conquête du Canada
« La bêtise au front de taureau »….
RépondreSupprimerBaudelaire. Les Fleurs du Mal…
Bonne année, Laurence. Et que la fatigue laisse toute la place à la merveilleuse énergie de notre foi !
Amitié en Christ !
Ah oui, c'est vrai que Baudelaire était fin connaisseur en la matière! Merci et bonne année!
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