Robert et Moustachon |
La femme du père Vassili m'a dit qu'une famille d'Allemands étaient arrivée à Pereslavl. Leurs enfants sont avec les siens au lycée orthodoxe. Les gens sont à l'église si gentils... Il y a des endroits, comme cela, où l'on se sent vraiment en Russie et où s'abolissent un moment les horreurs périphériques. Mais à d'autres moments on se retrouve en URSS, et pas au temps planplan de Brejnev. L'écrivain Prilepine, à l'instar d'une journaliste de Libé qui avait cru bon, il y a une dizaine d'années de faire une liste noire de tous les soutiens français du Donbass qu'elle qualifiait "d'agents de Poutine", a composé une liste de personnalités à épurer où figure la fleur de l'intelligentsia orthodoxe patriotique, monarchiste, enfin tous ceux qui rejettent ses tentatives de blanchiment des rouges et de récupération de l'Eglise. Il faut dire que même si l'on trouve des orthodoxes staliniens, quand même, les milliers de martyrs font un peu désordre, et on ne va pas les décanoniser, n'est-ce pas? Je redoute terriblement ces personnalités à mentalité idéologique systématique pour lesquelles tous ceux qui ne marchent pas dans leur délire sont des ennemis à abattre. Il y en a plein en France, les facs post-soixante huitardes en étaient bourrées et tout cela fait des petits...
Rom |
Chateaubriand décrit la Restauration, et l'on sent peu à peu s'imposer chez lui la certitude découragée que c'est fini, que la France a péri avec son roi, et que ses tristes successeurs sont bien peu convaincants. Et puis les gens ont pris le goût de l'irrespect, de la fronde, ils sont travaillés par la presse, les nobles n'ont plus d'honneur, les princes n'ont plus de stature. Et cette déliquescence n'a fait, en quelque deux cents ans, que s'accentuer, emportant toute l'Europe dans cet enlisement sans gloire dont nous voyons le terme. Y compris la Russie, dont le destin a découlé du nôtre, mais je caresse l'espoir d'ilôts de salut en son sein, car malgré les Prilepine d'un côté, et les divers libéraux de l'autre, il y a les funérailles de la matouchka à la Laure, la cathédrale, son évêque et le père Andreï qui m'a dit, avec une bienveillance pleine d'humour, que mes animaux m'avaient déjà pardonné de n'avoir pas toujours su m'occuper d'eux, les défendre, les soigner à temps. Il y a le père Nikita au Donbass, qui est si bon, si actif, priez pour sa santé, ceux qui le peuvent, ceux qui en ont l'habitude. Il y a Iouri et Dany. Katia et Fédia. Le père Valentin. Les cosaques, les balalaikers. Ania Osipova. Et tous ceux qui viennent, selon la prophétie de l'higoumène Boris, chercher ici refuge.
Je suis allée faire tamponner mon permis de séjour, avec passage chez la juriste pour préparer le dossier et lui présenter mon amie de Suisse. Elle n'en peut plus de perplexité, la juriste. La première fois qu'elle m'avait vue, elle n'arrivait pas à comprendre comment on pouvait quitter le sud de la France pour la Russie. Et là maintenant, c'est la Suisse... Mais il y a quelques temps, elle s'est occupée d'une famille d'Allemands russes qui étaient partis en Allemagne au moment de la Perestroïka et reviennent à présent, je pense qu'il s'agit de ceux dont m'a parlé la femme du père Vassili.
J'ai vu une vidéo d'Aldo Sterone sur l'Angleterre qui m'a serré le coeur, car d'une part je suis pleine de compassion pour lui, et d'autre part, ce qu'il décrit de l'Angleterre peut être plus ou moins transposé à la France. Pour lui, la destruction de nos pays est intentionnelle, programmée, et c'est aussi mon avis. Or que font tous les gens censés chez nous penser et réagir? Ils fouettent la cavale droit dans l'abîme, et je ne peux plus entendre leurs discours délirants, haineux, absurdes ni voir leurs grimaces. J'ai l'impression, à ce spectacle, d'être tombée dans une maison de fous ou un tableau de Jérôme Bosch.
Aujourd'hui, j'ai fini mon livre de souvenirs, j'y ferai encore sûrement quelques retouches, mais dans l'ensemble, il est fini. J'ai mis plus de cinq ans à l'écrire, avec de grandes interruptions. Depuis cet été, j'y ai travaillé plus ou moins tout le temps. Il m'a restitué toute une partie de ma vie. Et mon père. C'est lui que j'ai retrouvé au bout de cette aventure, après soixante-douze ans de séparation, et je sais qu'il m'accompagne, que c'est lui qui viendra me chercher à l'heure de ma mort. Sur une photo de 1934, ma mère et ses deux soeurs aînées exultent dans les vagues à Sanary. Ces petites filles sont toutes mortes, je connais leur destin et je regarde leurs visages neufs et radieux, je n'ai jamais connu une telle expression à ma tante Jacquie, au centre, celle qui, d'ailleurs, avait horreur des photos de famille, parce qu'elles lui fichaient le cafard. Dieu veuille leur rendre cette joie et qu'elles exultent en Lui, comme elles le faisaient dans la mer...
My heart belongs to daddy...
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