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arbres d'argent |
Trois jours durant, toute notre région est restée cristallisée par le givre, sous un brouillard mat et uni, je n'avais jamais vu cela. Je suis allée me promener dans le marécage, pas un bruit, pas un souffle, pas une âme, des arbres d’argent dans la grisaille, pareils à de précieux fantômes, et quelques mésanges venues voleter tout près de moi, puis le carillon d’une église. J’ai fait un dessin, mes doigts s’engourdissaient, car la température baisse.
De Pereslavl
à Iaroslavl, où je suis allée me produire, conduite par Katia, c’était le même étrange
enchantement, des hectares et des hectares de forêts, de sapins, de bouleaux,
d’herbes folles brusquement transformés en végétations métalliques précieuses,
sous un ciel bas, et très peu de neige, sur la terre brune.
Je devais
chanter, et surtout parler, dans une église de Iaroslavl, que son prêtre essaie de
restaurer. Pour l’instant, elle abrite un centre culturel, et lorsqu’on s’élève
sur l’escalier de fer, on voit sur les murs des traces de fresques médiévales, car elle date
du XVI° siècle, ce qui n’a pas empêché le pouvoir soviétique d’y installer une
usine, peut-être même l’a-t-il fait d’autant plus volontiers. Le prêtre célèbre dans
la première moitié de l’édifice, et puis dans l’église voisine.
Il y avait
pas mal de monde, et j’ai raconté ma vie, à la demande générale, ce dont
on m’a remerciée avec effusion et émotion, j’en suis même étonnée. Une vieille
dame m’a offert un morceau du chêne de Mambré qu’elle avait rapporté de Jérusalem.
Une petite Moldave, réfugiée en Russie, m’a posé des questions profondes, elle
a chanté, d’une très jolie voix et sans singeries désolantes, une belle chanson
« dans cette langue russe qui est devenue la mienne ». Deux jeunes gens sont venus me dire tout le
bien que leur avait fait mon témoignage de spiritualité et de sincérité, et je
ne me sentais pas très digne de l’affection et de l’admiration qu’on me
manifestait, mais j’avais tout à coup l’impression de ne pas avoir vécu pour
rien, d’apporter quelque chose aux autres. Je voyais aussi dans ce public des
raisons d’espérer en la permanence et la résistance de la Russie. Elle a encore des réserves de pureté et de ferveur.
Ces jeunes
gens, m’ont contactée le lendemain, ils étaient à Pereslavl, et prévoyaient
une soirée musicale dans le local d’Irina, qui enseigne le yoga. J’y suis
allée. C’est à côté des bains de vapeur publics. La rue était sombre et
déserte, froide et humide, et j’ai découvert, à mon arrivée, une grande pièce
chaude et vide, où des bougies étaient allumées à même le sol, autour de
bouquets de fleurs blanches, et d’Ira qui se livrait à la préparation en règle
d’une cérémonie du thé ; cela sentait les huiles essentielles, tout le
monde était assis en tailleur sur des nattes, ce que je ne suis plus capable de
faire. J’avais l’impression de retrouver les années soixante-dix sans les
joints. Ici, la musique suffit. Tout cela est très new age, bien sûr, mais je
trouve déjà bien que ces jeunes personnes éprouvent le besoin de créer un
espace poétique odorant, de jouer de la musique ensemble, au lieu d’écouter de
la merde préfabriquée qui détruit les neurones. J’ai donc improvisé avec mes
deux garçons. Et cela m’est très utile, car la musique ne doit pas être en
permanence une occupation solitaire, or beaucoup de gens qui prétendent faire
du folklore ne sont pas dans l’esprit requis, et je n’ai pas envie de
participer. Je m’étonnais d’être là, à mon âge, mais pour me rassurer, il y
avait quand même un autre vieillard, venu avec sa guitare, dont il jouait très
bien. La démarche est la même que pour le folklore : écouter les autres,
et rechercher ensemble une sorte de transe créative collective et un autre
niveau de conscience. C’est juste qu’ils ne connaissent pas leur tradition.
Mais j’ai songé : si les processus sont les mêmes, la renaissance
spontanée d’une création commune, de cette autre façon plus immédiate et plus
profonde de communiquer, est toujours possible. Il y faudra du temps, mais tout
ceci est si profondément ancré dans l’humain que cela reviendra toujours, sous
une forme ou une autre. Et moi, j’ai ainsi la possibilité de jouer avec eux, ce
qui est plus motivant que de le faire seule, dans la seule perspective de me
produire quand on m’invite...
La directrice du musée de Pereslavl, la très honorable Héléna Chadounts, est morte accidentellement d'une chute dans son escalier. Je me suis rendue aux funérailles de cette femme irremplaçable. Tout le pays était là. Elle a été ensevelie au monastère saint Nicolas.
Bravo! Russe de cœur, d esprit, de spiritualité...comment ne pas vous apprécier !
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