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mercredi 26 octobre 2016

Un coup pour pas grand chose

Près de l'église du Christ Sauveur, dynamitée par les soviétiques pour faire une piscine, reconstruite ensuite "à l'identique" selon la conception de Loujkov, c'est-à-dire forcément pas pareil, et assez kitsch, mais de loin, l'effet n'est pas trop mal.

Je suis partie pour Moscou, afin de récupérer une lettre recommandée arrivée chez mon père spirituel, et de prendre mon premier cours auprès de Dmitri Paramonov, le roi des gousli.
Les cours de gousli ont lieu dans un palais du XVII° siècle, au cœur du vieux Moscou. On y parvient par le pont du Patriarche, une passerelle qui part de l’église du Christ Sauveur, avec vue d’un côté sur le Kremlin et de l’autre sur la fabrique de confiseries «Octobre Rouge » et le monument vraiment monumental dressé à Pierre le Grand par le sculpteur Tsereteli.
Beaucoup d’intellectuels moscovites pensent que ce monument est une horreur. Mais malgré mon peu d’affection pour Pierre le Grand, et mon peu d’enthousiasme pour Tsereteli, ce machin me semble conférer au quartier une dimension fantastique, et le peintre Alexandre Chevtchenko l’a si souvent représenté sur ses toiles que je ne peux plus imaginer ce coin sans lui.
C’est un peu comme la Tour Eiffel, elle est moche mais on s’y attache. Il y a pire.
Le monument à Pierre le Grand

En arrivant dans le palais, j’apprends que Paramonov est malade et a reporté la séance. C’est une situation que j’ai déjà connue par le passé, mais je ne venais pas de Pereslavl Zalesski.
D’autre part, Xioucha a paumé la lettre recommandée, ce qui aurait très bien pu m’arriver, mais du coup, je suis venue pour rien.
Enfin si. J’ai vu Xioucha et fait du tourisme dans le centre de Moscou. Et puis je suis allée acheter de quoi peindre et dessiner dans un grand magasin de fournitures pour artistes.
J’ai rejoint le lendemain Zoïa, qui vient chercher toutes les semaines son fils handicapé, et elle m’a ramenée. Elle est d’une extrême gentillesse.
Cela m’a permis de rapporter un carton à dessins dans lequel j’ai retrouvé un tableau presque fini que je pourrai offrir à Olga. Il était resté en rade chez mon père Valentin. Que n’ai-je pas semé derrière moi au cours de ma vie vagabonde… J’aimerais bien ne plus bouger jusqu’au grand départ, où je n’aurai plus à me préoccuper de mes diverses épaves.
Il fait très froid, aux alentour de 0°, avec un vent agressif qui sent la neige. Rom a répondu à mes appels par des miaulements désespérés. A mon avis, il est resté dehors pendant toute mon absence, car il a peur des ouvriers, il a peur de tout le monde. C’est mon pauvre Français dans la tourmente. J’ai cru qu’il n’allait pas rentrer, mais il a dû se faufiler dans la cave pendant que je l’appelais, il est ressorti quand les ouvriers sont partis.
Il fait 11° dans la cuisine, j’ai sorti les bottes de feutre et le poncho péruvien.

Les nouvelles de France m’affligent profondément. Et la propagande russophobe hystérique et parfaitement mensongère que vomit notre classe politico-médiatique infâme.
Le Kremlin depuis la passerelle
Le monument à Pierre le Grand et la fabrique Octobre Rouge par Alexandre Chevtchenko

lundi 24 octobre 2016

Un peu de soleil dans l'eau froide





Canards sur le lac et le monastère Nikitski, au loin
Soleil radieux à en devenir euphorique. Tout est transformé, les herbasses du jardin deviennent des ornements dorés qui se balancent au vent (glacial), les feuillages des bouleaux étincellent sur le ciel bleu, et par moments, je pense au midi et au mistral. J’ai passé la journée à me promener et le soleil chauffait presque. J’ai trouvé des aquarelles Léningrad et des pastels gras de fabrication russe, et je suis allée dessiner au bord du lac. J’ai vu encore quelques jolies maisons, modestes et colorées, parmi les gros monstres. Sur la plage, j’ai rencontré un couple, Sergueï et Zoïa. Sergueï est camionneur sur de longues distances. Ils m’ont tout de suite conviée à une chachlik partie, et Zoïa m’a proposée de me prendre en voiture mercredi pour me ramener de Moscou à Pereslavl.
Puis une petite vielle édentée aux yeux très bleus est venue me dire qu’elle aussi dessinait tout ce qu’elle voyait chez elle.
Au retour, j’ai croisé un troupeau de chèvres et discuté avec leur patronne. Je sais qu’Olga la connaît et qu’elle s’appelle Nadia. Le monde de Pereslavl est très petit. Tout le monde se connaît.
Gelée blanche, pellicule de glace en formation sur la rivière Troubej. Il a fait -7 cette nuit.

petit kiosque près du lac

D'après la vielle, cette église est consacrée à saint Nicolas

Le lac dans toute sa grandeur
 
Nadia et ses chèvres.



dimanche 23 octobre 2016

La manière noire



Un étang près de chez moi

Il me semble être partie depuis au moins six mois, tellement j’ai changé de monde, je pense avec affection et nostalgie à Cavillargues, à mes orthodoxes, à ma famille, aux magnifiques promenades quotidiennes dans la lumière et la beauté du midi, mais je ne regrette pas, car je me sens en paix avec moi-même, et en phase avec le milieu où je suis.
Ce matin, je suis quand même retournée chez le père Dmitri, qui a fait aujourd’hui deux sermons, un après l’évangile, et l’autre à la fin de l’office, racontant la vie de tous les saints célébrés au cours de la semaine à venir, comme s'il les avait personnellement connus. Son sermon partait de la compassion, de la solidarité, exprimée par le passage de l’évangile où le Christ ressuscite le fils de la veuve, et aboutissait à l’iconographie, en passant par la foi et le repentir, c’est un prêtre intarissable. A propos de l’iconographie, il a dit : «Un enfant ne dessine pas ce qu’il voit, il dessine ce qui est important pour lui. Dans les icônes, nous peignons ce qui est important. Les icônes nous regardent depuis l’au-delà et reflètent le mystère de toutes choses mieux que n’importe quelle peinture réaliste et académique. » Je ressentais de la paix et de la joie. Une petite fille de quatre ans chantait avec enthousiasme, sa petite voix perçante et très juste voletait au dessus de celles du chœur, dirigé par Olga. Elle connaissait tout le symbole de Nicée, et beaucoup de répons.
Au moment de la communion, un type d’une quarantaine d’années m’a glissé : «Vous me donnez quelque chose pour acheter du pain ? » Il avait l’air d’avoir honte, je lui ai donné.
L’église  du père Dmitri est ornée de très belles icônes contemporaines, et le mobilier en est bien choisi, simple, et les chants aussi sont simples et beaux. A la fin de l’office, je suis allée vénérer la croix et lui baiser la main et il m’a embrassée et accueillie comme l’enfant prodigue, en m’invitant à sa table et en me demandant où j’étais passée. «J’ai essayé plusieurs fois de vous appeler, votre numéro ne marchait plus, mais je n’ai pas cessé de prier pour vous. »
A table, après la soupe, les pirojkis, les salades composées et le petit verre de vin doux, il a déclaré aux paroissiens présents : « Laurence, notre paroissienne française nous est revenue. Pour longtemps, j’espère ? Peut-être pour toujours ?
- Si on ne me chasse pas, oui, j’ai l’intention de rester…
- Mais même si l’on voulait vous chasser, nous ne vous laisserions plus partir ! »
Moi qui n’étais pas sûre qu’il arrivât à me reconnaître…
D’après le plombier Rouslan, le père Dmitri a tout un espace dans son église pour donner des concerts, et il s’intéresse beaucoup au folklore, ce que je savais déjà. Il doit être possible d’organiser des choses avec lui, de faire venir les cosaques, ou des joueurs de gousli et de balalaïka.
Pour l’instant, les gens du cru me conviennent parfaitement. Je ne ressens pas la nécessité d’un public plus choisi, de relations moscovites. Je me sens dans mon élément.
Le soleil étant revenu, je suis allée me promener avec mon chien dans la direction du lac, et j’ai fini par le trouver, mais il n’était pas encore très accessible de ce côté. Finalement, Kostia m’a montré comment parvenir à la plage de la ville, un endroit idéal pour aller rêver devant l’espace bleu. Puis je suis allée chez Olga, en traversant d’immenses ondulations de terre parcourues d’herbes sèches et de bouleaux transis, dans les vestiges dorés de leur fête automnale. Sa mère, Anastasia, une grand-mère en fichu encore belle et très digne, m’a accueillie avec un sourire timide et m’a brusquement saisie dans ses bras. Olga préparait des varenniki au fromage de ses chèvres, pour ma venue, et m’a montré comment on les faisait. Puis nous les avons mangés, avec de l’infusion de sorbes, avant de passer à l’étuve. On m’a prévenue qu’elle était « à la manière noire », c’est-à-dire que la fumée ne s’évacue pas par un conduit, et que la pièce est noire de suie. Je suis entrée dans la délicieuse chaleur d’une cabane ténébreuse où nous étions  nues comme des sorcières, dans la faible lueur d’une seule lampe, à transpirer sur une serviette. Nous nous sommes fait un gommage avec du marc de café, et nous nous sommes fouettées avec des branches de bouleaux. Puis nous nous sommes aspergées d’eau plus ou moins froide, à notre convenance. On sort de là bien mieux récuré qu’après un bain ou une douche, et merveilleusement détendu.
A l’issue de ces procédures, nous sommes allées nous étendre dans l’isba, manger à nouveau des varenniki et boire du vin de groseille fabrication maison : outre qu’il est plein de vitamines, il est excellent pour le cœur, car il dilate les vaisseaux et favorise la circulation du sang. On met un volume de fruits pour un volume d’eau, une livre de sucre et on laisse fermenter, avec un gant de chirurgie enfilé sur le couvercle : tant que le gant reste gonflé et dressé, c’est que le processus n’est pas fini.
Olga et sa mère ont deux chèvres, un potager et vivent presque en autarcie. En hiver, tout le monde se replie dans une seule pièce, celle où se trouve le poêle russe.
Elles m’ont reçue avec une immense gentillesse. Kolia l’électricien m’a raccompagnée. Le ciel était plein d’étoiles et je ne les avais pas revues depuis ma terrasse de Cavillargues, quand je dormais sur mon hamac par les nuits du mois d’août.
Comme Olga se désole de ne pas avoir un seul tableau chez elle, je lui ai promis de lui en faire un.

Apparition du lac
Ma rue

Une trouée de lumière

Ma maison se couvre de planches. Un taxi a trouvé la couleur sensationnelle.
On la voit de loin.




samedi 22 octobre 2016

L'insensibilité de pierre





Ma maison dans son état actuel


J’ai des problèmes de chauffage et d’eau, visiblement, les tuyaux n’avaient pas servi depuis cent ans, cela s’écoule mal. Le plombier propose de mettre une pompe. Dans la cuisine, l’eau ne coule plus. Tout le monde me dit que cela va très bien s’arranger. Bon…
J’ai demandé au plombier s’il connaissait des bains de vapeur décents où je pourrais aller. «Pourquoi voulez-vous attraper des champignons ? Je vais demander à Olga, elle dirige le chœur de l’église saint Syméon le Stylite, et elle vous fera profiter de  son étuve, elle est très hospitalière, elle vit à la campagne, elle a des chèvres… »
Il s’avère qu’Olga est la sœur de mon électricien, et c’est elle qui est venue peindre des planches avec lui et qui m’a saluée hier en français. En plus de diriger le chœur de l’église, c’est une passionnée de folklore, elle chante des chants traditionnels. Nous avons parlé de tout cela avec le plombier, de mes amis folkloristes et des possibilités d’organiser des concerts ou des rencontres, car le chant populaire, c’est l’âme de la Russie. Comme je lui disais que peu d’intellectuels russes semblaient comprendre l’importance de cet art collectif extraordinaire, il m’a répondu avec sa douce ironie : «Les intellectuels ont un problème, ils ont plus de cerveau que de cœur, d’un point de vue religieux, cela s’appelle l’endurcissement du cœur, l’insensibilité de pierre, "délivre-moi de l'insensibilité de pierre".
- Je sais, mais justement, je ne suis pas du tout comme cela, j’aime ce qui est lyrique, vivant, et m’attache à l’indicible, c’est mon tempérament archaïque.
- Mais non, mais non, ce n’est pas être archaïque que d’être spirituellement éveillé ! »
De là, nous en sommes arrivés aux contes d’Andersen, dont nous sommes l’un et l’autre de fervents admirateurs, et je ne rencontre pas souvent quelqu’un capable d’en comprendre la profondeur du message : «Vous vous souvenez, me dit-il, des morceaux du miroir diabolique qui gèlent le cœur des gens et leur font tourner toutes choses en dérision ? »
Si je m’en souviens ! Je n'ai cessé toute ma vie d'y penser, ainsi qu'à la petite sirène, qui souffre les mille morts pour gagner l'amour du prince et ne l'obtenant pas, reçoit l'âme immortelle dont elle était privée.
Kostia a demandé au plombier pourquoi il ne voulait pas poser pour mon blog : «C’est parce qu’elle m’a dit que j’étais un plombier philosophe ! » Philosophe n’est pas pour lui un compliment. En effet, et il n’est pas philosophe, il est juste russe.
Quand je vois ce qu’écrivent certains intellectuels russes sur Facebook, je préfère nettement mon plombier, ou le jardinier Igor qui me font déboucher dans quelque chose de vrai et de substantiel,  là où les autres se noient, comme les nôtres dans un verbiage à côté de la plaque, selon l’expression de Céline,  « ils branlent l’accessoire et négligent l’essentiel ». A Moscou, les amis que je fréquentais avant mon départ, passaient plus de temps à chanter qu’à tenir des discours intelligents, mais quand ils parlaient, cela valait le coup d’être écouté, et j’espère les revoir bientôt. Quand à ma bande de peintres, qui ne se prennent pas du tout au sérieux, ils voient la vie avec des yeux d’enfants, avec une naïveté, une fraîcheur et un humour révélateurs de ce qu’elle a de plus profond, merveilleux et mystérieux. C’est cela qu’il me faut. C’est cela pour moi, la Russie. Les autres peuvent aller aussi bien à Paris ou à New York, ils ne sont déjà plus de nulle part, et ce qu'ils me proposent, je l'avais déjà à la maison.
Donc demain soirée bain de vapeur chez Olga. Rien de tel que la vapeur brûlante pour oublier le temps sinistre. Des flocons commencent à tournoyer sous le ciel invariablement couvert.






vendredi 21 octobre 2016

Une femme d'un intellect supérieur






2 petits degrés mais toujours des pêcheurs
sur le bord de la rivière Troubej
Toujours le couvercle gris. Emmanuelle m’envoie la photo d’un lever de soleil sur le Ventoux, depuis sa fenêtre de Saint-Pons-la-Calm. Je suis allée hier faire les courses dans mon petit magasin de fruits et légumes, par les rues défoncées et boueuses, où se succèdent les masures, les isbas et les « cottages » plastifiés, mon chien est déjà célèbre dans le quartier. J’ai été suivie par une humble petite chienne affamée qui doit avoir dans les six mois, et je suis allée acheter de la viande, au cas où je la verrais passer. Je suis pratiquement végétarienne, mais quand je vois ces chiens affamés et les croquettes industrielles que je file à ma ménagerie, je me demande si cela est bien cohérent. Tous ces animaux prolifèrent, personne ne s’occupe de les recueillir ou de les opérer pour arrêter de perpétuer la misère. Beaucoup de gens trouvent inhumain de stériliser les animaux, mais de les laisser crever de faim, de les abandonner ou de les distribuer à n’importe qui ne pose pas de problème de conscience. Les chiens sont souvent à l’attache. Cela les rend complètement dingues, ce qui est bien compréhensible.
En arrivant ici, j’ai eu une crise de désespoir à la pensée des longues semaines de travaux qui m’attendaient. Elles ont été précédées des longues semaines de pré déménagement et de déménagement. C’est une bonne chose que la maison me plaise, cela me donne un peu plus d’enthousiasme pour supporter cela.
Il me faut aussi m’occuper des questions de permis de séjour, tout un processus. Gilles l’a fait à Iaroslavl, où il y a moins de demandes et où il était le premier Français à faire la démarche de mémoire de fonctionnaire local. Kostia met en branle son réseau. Le réseau est une chose importante, ici.
Quand j’ai régularisé ma situation à la Sberbank, la Caisse d’Epargne russe, une administratrice est venue contempler mon passeport français, parce qu’elle n’en avait encore jamais vu de sa vie.
J’aimerais pouvoir recommencer à écrire, dessiner, faire des balades. Il me faudrait un vélo car les marches à pied me déclenchent des crises d’arthrose. L’hiver, le vélo ne sera plus envisageable, encore m’a-t-on dit qu’il existe des pneus neiges pour le vélo, mais je craindrais un peu la chute, bien qu’elle puisse être amortie par les congères !
Au café français, une jeune femme m’a posé des questions sur la France et m’a dit que lorsqu’elle était allée en Allemagne, elle avait cru se trouver en Turquie, et que sans être particulièrement raciste, on aimerait bien trouver des Allemands quand on va en Allemagne.

A mon retour, la fille qui travaille ici, en ce moment, avec son frère, m’accueille en me lançant en français : «Comment ça va ? » Le livreur qui a apporté les planches hier lui a confié à mon propos, avec admiration : « Oh, c’est une femme qui semble avoir un intellect tout à fait supérieur, elle a vraiment très bien su m’expliquer comment trouver sa rue ! » Dévoré de curiosité, il lui a posé des tas de questions sur mon compte, auxquelles elle a répondu qu’elle me connaissait très peu, qu’elle était juste venue travailler !
Comme j'évoquais le climat, elle me dit: "Oh mais il ne fait pas froid, chez nous, c'est fini, souvent même, on attend la neige en décembre et on voit arriver la pluie... L'année dernière, quelle température avons-nous eue? Moins vingt-quatre à tout casser...
- Moins vingt-quatre? Eh bien... Ce n'est déjà pas si mal!
- Pensez-vous! Chez nous, ce qui est normal, c'est moins trente-quatre! Moins vingt-quatre, c'est déjà l'Afrique..."

Ici, l'hiver, on mange des kakis, venus du Caucase ou du sud de la Russie.
C'est plein de vitamines, et délicieux, comme si on mangeait de la confiture.
Chez nous, plein de jardins ont des plaqueminiers, mais personne ne mange les
kakis.


J'ai acheté cette casserole émaillée au design soviétique, que je trouve si jolie
que je vais la garder en déco.



mercredi 19 octobre 2016

La cuisine tant attendue...

Presque terminé, j'ai pu faire la vaisselle....


Cela fait trois jours qu’un vieux petit pépère à la retraite essaie d’installer ma cuisine, il y a sans arrêt des problèmes. Le caisson standard de la hotte ne correspond pas aux dimensions de ma cuisinière, l’eau ne veut pas couler, et en attendant, la pièce est un affreux chantier, où je ne peux rien faire, le camping n’y est même plus possible. Je continue d’aller manger des tartines salées et des gâteaux au café français, pas bon pour la ligne. Je compense par de longues marches à pied, mais c’est l’arthrose du genou qui se réveille…
Cependant, je suis contente de mon choix, si l’on peut appeler cela un choix, la seule cuisine envisageable va idéalement bien dans mon intérieur comme style et comme couleur.
Depuis mon arrivée, j’ai vu le soleil deux jours. « Oubliez cela, me dit Kostia, le soleil il faut l’allumer dans son cœur. »
Il m’a emmenée voir deux copines de l’administration locale, pour les procédures à suivre.  J‘ai récupéré mon titre de propriété, déclaré mon nouveau passeport à la banque. Je rencontre partout compréhension et bonne volonté, pour l’instant. Tout le monde se connaît, tout le monde se donne des coups de main.
Je rêve d’aller me promener dans des endroits naturels et sans cottages affreux, de voir le lac, je n’en ai pas tellement le loisir, avec les travaux.
D’après Kostia, Poutine met de l’ordre dans les administrations, l’usage des pots de vin commence à disparaître, c’est plus surveillé, moins facile, les apparatchiks peu à peu remplacés, mais il agit avec prudence et lenteur, pour ne pas provoquer trop de remous ni de dommages.





lundi 17 octobre 2016

Retour à Krasnoïé



Mon isba de Krasnoïé, vendue au cosaque Dima. elle a retrouvé sa fonction agricole vivrière, mais perdu beaucoup de son esthétique... 

Poussée par Xioucha, curieuse de voir le phénomène, j’ai demandé au beau plombier si je pouvais le prendre en photo pour mon blog. Il a refusé : « Non, il ne faut pas, est-ce si important, la beauté d'un visage ? »
Il m’a fait encore toutes sortes de considérations linguistiques, m'a parlé des investissements d'Ivan le Terrible à Pereslavl, où il a construit une église et le mur d'enceinte du monastère Nikitski, et écrit un kondakion et un irmos qui sont toujours chantés par les moines. C'est lui également qui a fondé le monastère Fiodorovski, pour la naissance du tsarévitch Fiodor. A propos des menées anglo-saxonnes contre son pays, Rouslan m’a dit : «Vous savez ce qui est écrit ? Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers. Ils seront les derniers, couverts de honte. »
Au moment où nous discutions, mon chien, que tout ce remue-ménage scandaleux chez moi met dans une indignation permanente, a vu brusquement surgir de la trappe de la cave l’ouvrier du plombier, armé de sa perceuse, comme un extraterrestre de son fusil laser, et s’est enfui avec des cris étranglés.
Le cosaque Dima m’a invitée à reprendre les meubles que j’avais laissés dans l’isba que je lui avais vendue. J’ai repris ce dont il ne se servait pas, la table de cuisine de mon grand-père, un buffet qu’un ami avait trouvé dans la rue, un autre que j’avais récupéré dans un appartement de fonction. Mais l’opération a été précédée du thé en commun, avec Igor, le garçon qui entretenait mon terrain, et qui m’a embrassée pour me souhaiter la bienvenue : «Vous allez faire un potager, ou bien seulement des petites fleurs ? Je suis à vos ordres, nous avons tout l’hiver pour planifier cela ! »
J’avais de grandes discussions philosophiques avec Igor, comme avec le plombier. Igor, Dima et Kostia sont des « pieds-rouges », des Russes rapatriés d’Asie centrale. Tous trois très croyants, et très traditionnels. Tout le temps de notre entrevue, les trois enfants de Dima jouaient dans la pièce voisine, on les entendait rire et chahuter, mais aucun n’est venu courir à quatre pattes entre les jambes des adultes, leur couper la parole, se servir sur la table, comme c’est beaucoup trop souvent le cas ailleurs. La famille de Dima ne connaît pas la théorie du genre. Je lui ai demandé des précisions sur la coutume cosaque consistant à faire exécuter un poulet par les garçons en âge de passer à ce premier stade de l’apprentissage guerrier, poulet qui est ensuite mangé en famille, car c’est une coutume que je décris dans mon livre. Il a cru que je faisais preuve de sensiblerie. Igor m’a dit : «Il faut bien manger… Il faut bien que quelqu’un le fasse.
- Oui, sans doute, moi je suis totalement incapable de le faire.
- Hé oui, mais vous, vous êtes une femme, vous, vous êtes censée attendre le morceau de bidoche qu’on vous apporte à la maison, et le cuisiner.
- Mais le type qui ne sait pas tuer pour nourrir sa famille, ce n’est pas un homme.
- Je peux comprendre cela, ce que je ne comprends pas, c’est qu’on tue pour s’amuser.
- Naturellement, on ne doit tuer que pour se nourrir, et prélever juste ce qu’il faut, me dit Igor. Voyez, il y a des cueilleurs de champignons qui ne savent pas s’arrêter. Les champignons doivent être préparés pour être consommés, si on les cueille pour les laisser pourrir, parce qu’on ne peut pas s’arrêter de les ramasser, alors il faut aller se confesser, car cela relève déjà de la passion.
- Quelle excellente définition de la chose, Igor ! C’est tout à fait cela, en effet…
- Cela peut mener à toutes sortes d’excès, ajoute Dima en riant. Deux types se sont battus au couteau pour un coin de champignons ! »
La mère de Dima est une femme très sympathique qui ne se plaît pas à Pereslavl, elle vient d’un pays torride, et le climat la déprime : «Ici, ce sont les ténèbres…
- Voyons, dit Igor, mais bientôt nous aurons de jolis petits flocons, et il fera blanc et clair partout, et puis après ce sera le printemps ! Nous n’avons pas beaucoup de soleil, c’est vrai, mais quand nous le voyons, quelle joie ! »
Nous avons ensuite abordé les questions politiques, de ce côté-là, nous sommes tous bien d’accord, c’est même étonnant pour moi de voir à quel point je suis d’accord avec tout le monde, ici. Le plombier, le cosaque, le jardinier, le prêtre orthodoxe…
J’entre avec Kostia dans le bureau du fournisseur de matériel de construction, il a le portrait de Poutine au dessus de sa tête. « Moi aussi, j’en ai un, me dit Kostia en sortant. J’en ai même deux, je vous ferai cadeau du deuxième ! »